Les Ormes
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Les Ormes

Henry Gréville

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Les Ormes

Henry Gréville

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Les femmes qui font des confidences n'aiment point celles qui gardent le silence. Flavie n'avait jamais rien confié à personne; ses chagrins étaient de ceux qui cherchent le silence et l'obscurité. Une seule personne l'avait devinée, et celle-là savait aussi garder le silence; l'amitié très sincère que lui avait inspirée madame Dannault ne s'était point manifestée par des actes, mais seulement par cette approbation tacite que l'on devine à merveille, et qui vous donne tant de courage dans les moments difficiles. Flavie était sûre d'avoir en madame Lenoissy une amie et au besoin un défenseur.

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Information

Year
2019
ISBN
9782322152117
Edition
1

XVII

Le lendemain matin, après une nuit d’insomnie, il sortit de bonne heure, afin de prendre l’air. Un instinct secret, un besoin de sympathie et de consolation le poussait vers madame Dannault ; il sut se contraindre à ne point entrer chez elle. La scène de la veille nécessitait entre Julie et lui une explication nouvelle ; à quoi bon troubler Flavie par le récit de choses pénibles auxquelles nul remède n’était actuellement possible ? Il faut savoir véritablement aimer pour avoir le courage de se priver de consolations ; aucune preuve d’amitié peut-être n’est plus forte que le silence, quand on souffre, si l’on veut ménager les sentiments de ceux qu’on aime, alors qu’on devine leur sympathie si précieuse et si efficace. Marcel passa devant la maison qu’habitait sa belle-mère, leva vers les fenêtres ses yeux rougis et battus par les tristesses de la nuit, envoyant en même temps à la veuve esseulée, à la mère qu’attendaient de nouveaux chagrins, la tendresse et la confiance de son âme dévouée.
Ses rêveries, et aussi l’habitude de ses pas, le conduisirent à la Bibliothèque : il s’en fallait de quelques minutes qu’elle ne fût ouverte : Marcel se mit à arpenter la longue cour où l’herbe verdissait entre les pavés ; la petite fontaine ornée d’un gobelet attaché par une chaîne de fer attira sur ses lèvres un triste sourire. Que de fois, tout enfant, il avait accompagné là son père ! Aux jours des vacances, à plus d’une reprise, il s’était désaltéré au vieux petit gobelet tout bosselé par des chocs répétés contre la pierre... La vie avait changé pour lui. Avec la vie, il avait appris la souffrance ; quel abîme séparait le mari de Julie de l’enfant heureux qui passait jadis sous cette porte !
Avec une sorte de respect, il mouilla ses lèvres au gobelet, comme si celui-ci avait contenu l’eau lustrale qui purifie, puis il laissa retomber les gouttelettes brillantes, qui ressemblaient à des larmes, et la tasse de fer alla choquer la pierre, comme jadis. La porte s’ouvrait, il entra et se dirigea vers sa place accoutumée. Julie ne serait pas visible avant midi, il travaillerait jusqu’à onze heures ; dans la paix et l’effort du travail, il ne pouvait que gagner en force et en courage.
Contre toutes ses habitudes, cependant, madame Avellin s’était réveillée de bonne heure. Elle non plus n’avait guère dormi, mais la colère et la haine seules avaient tenu compagnie à son insomnie. Révoltée par nature, elle pouvait moins que tout autre admettre l’autorité de son mari, qu’elle s’était appris à considérer comme un être à peu près nul. En effet, Marcel n’avait rien de ce qui distingue un homme aux yeux d’une mondaine émérite : sa modestie, sa science profonde, son tact qui lui faisait redouter le fracas et l’étalage, toutes ces qualités si rares se retournaient contre lui dans la lutte inégale où il était incessamment attaqué. Tant qu’elle n’avait regardé personne, madame Avellin s’était bornée à dédaigner son mari. Du jour où elle avait distingué Liotais, elle avait détesté Marcel. Non qu’elle eût rêvé une autre union plus conforme à ses goûts, elle n’allait pas si loin, et si elle se fût avoué sa véritable pensée, elle eût été obligée de convenir que toute contrainte lui paraissant intolérable, l’élu de la veille eût risqué d’être l’ennemi du lendemain de par la grâce même du mariage. Julie eût voulu être libre de coqueter avec le jeune homme, de se faire ouvertement courtiser par lui ; elle n’allait pas jusqu’à l’amour, mais elle en aimait les préliminaires.
L’entretien qu’avait troublé Marcel n’était pas le premier de ce genre. Dans la pensée de Julie, c’était également loin d’être le dernier ; elle aimait à marcher à petits pas sur le bord de l’abîme ; y tomber ? Pourquoi donc ? L’adultère est un bien gros mot ! Et puis, pour peu qu’on y réfléchisse, il doit entraîner avec lui un cortège assommant de craintes, de précautions, de menus périls, pour la plupart ridicules ; Julie avait plongé son regard dans le crime, et s’était dit que ce serait bien incommode d’être criminelle... Pourquoi se créer des embarras superflus ?
Mais écouter, blottie au fond d’une chauffeuse, les paroles passionnées d’un homme jeune et élégant, recevoir le feu de ses regards, qui faisaient passer à fleur de peau un frisson délicieux, se dire qu’en étendant la main on le jetterait à ses pieds, étendre un peu cette main assez pour la laisser baiser, trop peu pour la laisser prendre, avoir les fines jouissances de la séduction sans en connaître les périls réels, voilà ce qui plaisait à Julie, ce qu’elle n’entendait pas qu’on lui retirât.
– Je ne fais aucun mal, se disait-elle ; de quel droit alors la troublait-on dans ses plaisirs, aussi innocents à ses yeux que ceux d’une chatte qui se chauffe en ronronnant au soleil d’avril ? Se faire courtiser par Liotais, ou un autre au besoin, – mais celui-là de préférence, – c’était le complément de la toilette exquise et laborieuse qu’elle accomplissait pendant des heures, au moyen des crayons, des fards, des poudres de toute espèce ; c’était une jouissance comme celle de se voir blonde alors que la nature lui avait donné des cheveux châtains ; il lui fallait pour être heureuse l’une et l’autre gourmandise : celle de sa beauté perfectionnée et celle de l’hommage rendu à cette beauté.
En troublant cet état paisible où les aspirations de la jeune femme se réalisaient sans effort, Marcel avait provoqué une terrible colère, d’autant plus intense qu’il s’y mêlait un peu de honte. Les contes de fées sont peuplés de ces monstres qui dorment au fond des cavernes, ou qui rêvent paresseusement étendus sur les grèves ; pas méchants si leur repos n’est point troublé, point voraces si leur appétit est satisfait, mais féroces si leur tranquille béatitude reçoit la moindre atteinte. Chez Julie, ce monstre s’était réveillé ; l’imprudent qui le provoquait en serait la victime. Aussi, ce jour-là, levée avant dix heures, elle s’assit devant sa toilette avec les sourcils froncés d’une Hécate irritée.
Le timbre résonna.
– Si c’est monsieur, dit brièvement Julie à sa femme de chambre, vous direz que je ne suis pas levée.
Une voix féminine se fit entendre derrière la porte, insistant pour obtenir le passage.
– C’est madame Tirouin, dit la soubrette aux écoutes.
Les traits de Julie se détendirent. C’était une amie, celle-là ! La jeune femme n’avait pas perdu le souvenir des tendresses expansives dont l’environnait en toute occasion la mielleuse personne. Bienvenue, madame Tirouin ! Vous arrivez à l’heure propice, l’heure longtemps cherchée qu’on finit par trouver, pourvu qu’on ait assez de patience.
Ce fut d’abord une mélopée insaisissable et lente, comme certaines chansons arabes. Il y avait si longtemps qu’on ne s’était vu ! La vie est si compliquée, n’est-ce pas ? Mais le temps ne devait pas paraître long à la chère mignonne ! Fort belle d’ailleurs, plus belle que jamais ! Les yeux battus ? Pourquoi ? La maladie ? Mais la maladie avec cette carnation, ces épaules merveilleuses, c’était impossible ! Des chagrins alors ? Se pouvait-il que la terre portât un fléau capable de causer du chagrin à une si douce et si charmante personne ! Le bébé ? Non ? Pas malade, le bébé ? Ah ! tant mieux ! Quoi donc alors ?
Julie se mordit les lèvres. Il est sans doute bien doux de conter ses peines ; mais quand il y a un beau jeune homme au bout de la confidence, ce jeune homme se trouvât-il là tout à fait accidentellement, comme tel était le cas, l’expansion ne peut se départir d’une certaine réserve, et alors, ce n’est plus l’expansion. Elle pressa affectueusement la main de sa visiteuse et poussa un profond soupir. Par une transition, madame Tirouin passa au sujet qui l’amenait, mais en tournant autour avant d’entrer, comme il convient à toute personne prudente.
Cette chère madame Dannault, toujours belle ? Toujours bien portante ? Étonnamment bien conservée ! On ne lui donnerait pas trente-cinq ans ! Positivement ! Belle à faire des conquêtes.
Ici Julie leva légèrement les épaules.
– Positivement ! répéta l’amie en appuyant sur chaque syllabe. Figurez-vous, chère, l’autre jour, je me promenais, je vois passer une calèche, et dedans, une belle et charmante femme, fraîche comme le matin – c’était avant déjeuner, – l’air jeune et ému, pleine de grâce ; un homme élégant l’accompagnait en lui parlant avec une affection, oh ! très touchante, je vous assure. Ils avaient l’air de deux amoureux ! Et c’était... je vous le donne en mille !
– Ma mère ? répliqua vivement Julie, dont le visage s’empourpra. Et qui avec elle ?
– Oh ! chère, rien d’extraordinaire... votre mari, tout simplement. Quoi de plus naturel ? C’était... attendez que je me rappelle... ce devait être lundi dernier. Est-ce qu’il a déjeuné chez vous ce jour-là ? Ils revenaient d’une promenade, je pense, car madame Dannault avait au corsage une poignée de roses merveilleuses, que son mantelet cachait mal.
Le visage de Julie s’était contracté, et ses yeux, devenus tout à fait noirs, fixaient sur la pelote garnie de dentelles une épingle capriote en forme de poignard, comme si la vue de cette épingle l’eût violemment tentée.
– Vous êtes sûre que c’était mon mari ? dit-elle sans détourner son regard méchant.
– Absolument sûre. Quoi ! cela vous étonne ? Et d’ailleurs madame Dannault est une femme beaucoup trop sévère dans ses allures pour se permettre de s’afficher avec un autre qu’un parent ou un très ancien ami... Son gendre, c’est tout naturel... Il y a entre eux beaucoup d’affection, je crois ? Vous êtes une heureuse femme. On ne voit pas tous les jours un gendre et une belle-mère qui se conviennent à ce point. Mais cela ne doit pas vous surprendre ; vous rappelez-vous, chère amie, le jour de votre mariage, quand vous m’avez dit : « Tout le monde sait que je me suis mariée pour faire plaisir à ma mère ! » Pauvre mignonne, vous ne croyiez pas si bien parler !
Les insinuations avaient fait place sans effort aux accusations hardies. Madame Avellin n’avait pas bronché ; le terrible mot : « s’afficher » avait passé sans provoquer de protestation ; désormais madame Tirouin pourrait tout dire. Elle dit tout, en effet, tout ce qu’elle croyait et tout ce qu’elle savait être un mensonge.
C’était pour elle une joie intense que de verser sur cette femme pure, jusqu’alors inattaquable, la fange d’une âme grossière et plus d’une fois coupable.
Quoi de plus blessant, en vérité, pour ceux dont les fautes ne se comptent plus, que de voir se dresser comme un reproche vivant des êtres sans tache, dont la vie honorable et honorée est la critique vivante des existences troubles et malsaines ? Il y a là une disparité choquante qui ne se saurait supporter. Comme on ne peut s’élever facilement à la hauteur de ces supériorités, il est bien plus simple d’abaisser celles-ci au niveau commun ; alors la calomnie choisit son moyen.
Tantôt elle emploie les insinuations détournées, souvent répétées. – Croyez-vous ? Oh ! je ne crois pas ! Cependant les apparences... certainement... mais c’est si invraisemblable ! Songez donc ! une réputation si ancienne et si bien établie ! On me l’a affirmé pourtant, mais vous comprenez bien... Et avec de telles phrases on ébranle doucement, prudemment, sans danger pour soi-même, la bonne renommée dont était couronné comme d’une auréole l’être innocent, qui a eu le malheur de rencontrer autour de lui d’autres êtres moins innocents, et plus ambitieux.
Un autre moyen plus hardi, c’est de lancer une belle grosse calomnie, qui éclate comme un obus au milieu du calme le plus complet. D’abord on se récrie : – C’est si absurde ! Et puis, les bonnes amies aidant, la chose ne parait plus si déraisonnable ; elle a fait son trou, on l’a répétée, – pour en rire ou s’en scandaliser d’abord, mais on l’a répétée, – d’autres, qui n’ont d’intérêt ni pour ni contre, la colportent comme une simple curiosité, un fait divers de la morale, – et un beau matin M. X... ou madame Z... se réveillent déshonorés, sans que personne ne sache pourquoi ni comment.
Se défendre ? Impossible ! Que faire contre ceux qui vous accusent sans preuves ? D’abord on ne trouve jamais l’inventeur de la calomnie. Chacun retire son épingle du jeu et déclare qu’il n’a rien su, rien entendu. Se taire ? Évidemment ! Alors on court le risque de paraître écrasé sous le poids d’une vérité cruelle ; mais cela vaut mieux encore que de se battre contre des calomniateurs insaisissables et visqueux comme ces produits de la mer qui glissent entre les doigts et qui, surpris par le filet, fondent dans l’eau chaude, sans presque laisser de traces.
C’était bien ce qu’avait cherché madame Tirouin. Détruire la supériorité de Flavie. Pensez-y donc ! Une femme qui avait vécu jusqu’alors sans faire parler d’elle ! Il fallait bien qu’il y eût quelque chose ! Ce n’était pas seulement une haine personnelle qui la poussait à sa méchante action : c’était le besoin de démolir une idole. Pour certaines gens, on croirait vraiment que l’idéal est un univers où tout le monde serait également méprisable. Cet idéal était certainement celui d’une femme qui avait renoncé à la plupart des vertus, sans avoir le courage ni d’ailleurs le besoin de faire parade de tous les vices.
Julie écoutait en silence ces attaques dirigées contre sa mère. L’amour-propre une fois mis de côté, – et le sentiment de la solidarité familiale n’avait jamais existé chez elle qu’à un état rudimentaire, – elle aussi n’était pas fâchée de voir descendre un peu Flavie du piédestal désobligeant où la plaçaient bon nombre de personnes ennuyeuses.
D’ailleurs, elle se rappelait – oui, elle se rappelait – mille choses anciennes : des échanges de paroles affectueuses entre Flavie et Marcel ; le soin que prenait celui-ci de tout ce qui touchait à celle-là ; l’évidente joie qu’ils éprouvaient à se trouver ensemble : tous ces traits isolés, mais positifs et véridiques, lui apparaissaient sous un jour nouveau. Marcel, ce professeur insupportable, et Flavie, cette sempiternelle grondeuse, ce bourreau de son enfance et de sa jeunesse ! Ah ! en vérité, c’était assez drôle !
Eux réellement coupables ? Non. Elle n’y croyait pas, elle n’y crut jamais une minute. Ceux qui accusent si aisément les autres de descendre dans les bas-fonds fangeux de l’existence y sont descendus eux-mêmes et savent qu’il n’en a pas coûté grand-chose à leurs scrupules. Mais celui ou celle qui n’a pas déchu n’accepte pas si facilement la supposition de l’infamie d’autrui. Ce sentiment, qui retient sur le seuil de la calomnie tel qui l’aura peut-être franchi demain, n’est pas toujours celui de la justice ou de la générosité, c’est souvent l’ignorance du mal non encore commis. Au contraire, ceux qui ont failli éprouvent une joie immense à se dire que les autres ne valent pas mieux qu’eux ; ils leur pardonneraient volontiers, ils les aimeraient même, à condition de leur arracher préalablement le masque de vertu qui leur attire la considération. Madame Tirouin appartenait à cette seconde catégorie d’individus, Julie faisait encore partie de la première.
Aussi ne répondait-elle pas un mot aux phrases entortillées de l’amie de tout le monde, derrière lesquelles elle sentait plus que les affirmations apparentes.
Que Flavie préférât la société de son gendre à toute autre ? qu’en lui donnant sa fille elle eût satisfait le cher vœu de son cœur ? qu’elle eût été rencontrée avec lui en voiture découverte ...

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