Acté
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Alexandre Dumas

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Acté

Alexandre Dumas

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Ce roman peu connu est l'une des rares fictions de Dumas se situant dans l'antiquité. Acté est une jeune Corinthienne qui devient la maîtresse de l'empereur Néron. Son histoire permet à l'écrivain d'évoquer le règne du cruel empereur, en une fresque impressionnante.

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Information

Year
2018
ISBN
9782322161997
Edition
1

Chapitre XV

Néron avait touché juste : cette promesse calma à l’instant les murmures ; parmi tous les spectacles dont ses édiles, ses préteurs et ses Césars le gorgeaient, ceux dont le peuple était plus avide étaient les chasses d’animaux et les présents de gladiateurs. Autrefois ces deux spectacles étaient distincts ; mais Pompée avait eu l’idée de les réunir en faisant combattre pour la première fois, pendant son second consulat, à l’occasion de la dédicace du temple de Vénus victorieuse, vingt éléphants sauvages contre des Gétules armés de javelots : il est vrai que longtemps auparavant, si l’on en croit Tite-Live, on avait tué pour un seul jour cent quarante-deux éléphants dans le cirque ; mais ces éléphants, pris dans une bataille contre les Carthaginois, et que Rome pauvre et prudente alors ne voulait ni nourrir ni donner aux alliés, avaient été égorgés à coups de javelots et de flèches par les spectateurs des gradins : quatre-vingts ans plus tard, l’an 523 de Rome, Scipion Nasica et P. Lentulus avaient fait descendre dans le cirque soixante- trois panthères d’Afrique, et l’on croyait les Romains blasés sur ce genre de fête, lorsque Segurus, transportant le spectacle sur un autre élément, avait rempli d’eau l’amphithéâtre, et dans cette mer factice, lâcha quinze hippopotames et vingt-trois crocodiles ; Sylla, préteur, avait donné une chasse de cent lions à crinière : le grand Pompée une de trois cent quinze ; et Julius César une de quatre cents ; enfin Auguste, qui avait gardé d’Octave un arrière-goût de sang, avait fait tuer dans les fêtes qu’il avait données tant en son nom qu’en celui de son petit-fils, environ trois mille cinq cents lions, tigres et panthères ; et il n’y eut pas jusqu’à un certain P. Servilius, de la vie duquel on n’a retenu que ce souvenir, qui donna une fête où l’on tua trois cents ours et autant de panthères et de lions amenés des déserts de l’Afrique : plus tard ce luxe n’eut plus de frein, et Titus fit dans une seule chasse égorger jusqu’à cinq mille bêtes féroces de toute espèce.
Mais de tous, celui qui jusqu’alors avait donné les fêtes les plus riches et les plus variées était Néron : outre les impôts d’argent imposés aux provinces conquises, il avait taxé le Nil et le désert, et l’eau et le sable lui fournissaient leur dîme de lions, de tigres, de panthères et de crocodiles : quant aux gladiateurs, les prisonniers de guerre et les chrétiens les avaient avantageusement et économiquement remplacés : ils manquaient bien de l’adresse que donnait aux premiers l’étude de leur art, mais ils avaient pour eux le courage et l’exaltation, qui ajoutaient une poésie et une forme nouvelle à leur agonie : c’était tout ce qu’il fallait pour réchauffer la curiosité.
Rome tout entière se précipita donc dans le cirque : cette fois on avait puisé à pleines mains dans le désert et dans les prisons : il y avait assez de bêtes féroces et de victimes pour que la fête durât tout le jour et toute la nuit : d’ailleurs l’empereur avait promis d’éclairer le cirque d’une manière nouvelle : aussi fut-il reçu par d’unanimes acclamations : cette fois il était vêtu en Apollon, et portait, comme le dieu pythien, un arc et des flèches : car dans les intervalles des combats il devait donner des preuves de son adresse ; quelques arbres avaient été déracinés de la forêt d’Albano, transportés à Rome et replantés dans le cirque, avec leurs branches et leurs feuilles, et sur ces arbres des paons et des faisans apprivoisés, étalant leur plumage d’azur et d’or, offraient un but aux flèches de l’empereur : il arrivait aussi que parfois César prenait en pitié quelque bestiaire blessé, ou en haine quelque animal qui faisait mal son métier de bourreau : alors il prenait ou son arc ou ses javelots, et de sa place, de son trône, il donnait la mort à l’autre bout du cirque, pareil à Jupiter Foudroyant.
À peine l’empereur fut-il placé que les gladiateurs arrivèrent sur des chars : ceux qui devaient commencer les combats étaient comme d’habitude achetés à des maîtres ; mais comme la solennité était grande, quelques jeunes patriciens s’étaient mêlés aux gladiateurs de profession pour faire leur cour à l’empereur ; on disait même que parmi ceux-ci deux nobles, que l’on savait ruinés par leurs débauches, s’étaient loués, l’un pour la somme de deux cent cinquante, l’autre pour celle de trois cent mille sesterces.
Au moment où Néron entra, les gladiateurs étaient dans l’arène, attendant le signal et s’exerçant entre eux, comme si les combats qu’ils allaient se livrer étaient un simple jeu d’escrime. Mais à peine le mot l’empereur ! l’empereur ! eut-il retenti dans le cirque, et eut-on vu César-Apollon s’asseoir sur son trône, en face des vestales, que les maîtres des jeux entrèrent dans le cirque, tenant en main des armes émoulues qu’ils présentèrent aux combattants, et que ceux-ci échangèrent contre les armes émoussées avec lesquelles ils s’exerçaient : puis ils défilèrent devant Néron, élevant leurs épées vers lui, afin qu’il s’assurât qu’elles étaient acérées et tranchantes, ce qu’il pouvait faire en se baissant : sa loge n’était élevée que de neuf à dix pieds au-dessus de l’arène.
On présenta la liste des combattants à César afin qu’il désignât lui-même l’ordre dans lequel ils devaient combattre : il décida que le rétiaire et le mirmillon commenceraient ; après eux devaient venir deux dimachères, puis deux andabates : alors pour clore cette première séance qui devait finir à midi, deux chrétiens, un homme et une femme, seraient donnés à dévorer aux bêtes féroces. Le peuple parut assez satisfait de ce premier programme, et au milieu des cris de vive Néron ! gloire à César ! fortune à l’empereur ! les deux premiers gladiateurs entrèrent dans le cirque, chacun par une porte située en face l’une de l’autre.
C’étaient, comme l’avait décidé César, un mirmillon et un rétiaire. Le premier qu’on appelait aussi sécutor, parce qu’il lui arrivait plus souvent de poursuivre l’autre que d’en être poursuivi, était vêtu d’une tunique vert-clair à bandes transversales d’argent, serrée autour du corps par une ceinture de cuivre ciselée, dans laquelle brillaient des incrustations de corail : sa jambe droite était défendue par une bottine de bronze, un casque à visière pareil à celui des chevaliers du XIVe siècle, surmonté d’un cimier représentant une tête d’urus aux longues cornes, lui cachait tout le visage ; il portait au bras gauche un grand bouclier rond, et à la main droite un javelot et une massue plombée : c’était l’armure et le costume des Gaulois.
Le rétiaire tenait de la main droite le filet auquel il devait son nom, et qui était à peu près pareil à celui que, de nos jours, les pêcheurs désignent sous celui d’épervier, et de la gauche, défendue par un petit bouclier nommé parme, un long trident au manche d’érable et à la triple pointe d’acier : sa tunique était de drap bleu, ses cothurnes de cuir bleu, sa bottine de bronze doré ; son visage, au contraire de celui de son ennemi, était découvert, et sa tête n’avait d’autre protection qu’un long bonnet de laine bleue, auquel pendait un réseau d’or.
Les deux adversaires s’approchèrent l’un de l’autre, non pas en ligne droite, mais circulairement : le rétiaire tenant son filet préparé, le mirmillon balançant son javelot. Lorsque le rétiaire se crut à portée, il fit un bond rapide en avant, en même temps qu’il lança son filet en le développant ; mais aucun de ses mouvements n’avait échappé au mirmillon, qui fit un bond pareil en arrière ; le filet tomba à ses pieds. Au même moment, et avant que le rétiaire eût eu le temps de se couvrir de son bouclier, le javelot partit de la main du mirmillon ; mais son ennemi vit venir l’arme, et se baissa, pas si rapidement cependant que le trait qui devait l’atteindre à la poitrine n’emportât son élégante coiffure.
Alors le rétiaire, quoique armé de son trident, se mit à fuir, traînant après lui son filet, car il ne pouvait se servir de son arme que pour tuer son ennemi prisonnier dans les mailles : le mirmillon s’élança aussitôt à sa poursuite, mais sa course, retardée par sa lourde massue et par la difficulté de voir à travers les petits trous qui formaient la visière de son casque, donna le temps au rétiaire de préparer de nouveau son filet et de se retrouver en garde : aussitôt la chose faite, il se remit en position, et le mirmillon en défense.
Pendant sa course, le sécutor avait ramassé son javelot, et pendu comme un trophée à sa ceinture le bonnet de son adversaire : chaque combattant se retrouva donc avec ses armes ; cette fois ce fut le mirmillon qui commença : son javelot, lancé une seconde fois de toute la force de son bras, alla frapper en plein dans le bouclier du rétiaire, traversa la plaque de bronze qui le recouvrait, puis les sept lanières de cuir repliées les unes sur les autres, et alla effleurer sa poitrine : le peuple le crut blessé à mort, et de tous côtés s’élança le cri : « Il en tient ! il en tient ! »
Mais aussitôt, le rétiaire écartant de sa poitrine son bouclier, où était resté pendu le javelot, montra qu’il était à peine blessé ; alors l’air retentit de cris de joie, car ce que craignaient avant tout les spectateurs, c’étaient les combats trop courts ; aussi regardait-on avec mépris, quoique la chose ne fût pas défendue, les gladiateurs qui frappaient à la tête.
Le mirmillon se mit à fuir, car sa massue, arme terrible lorsqu’il poursuivait le rétiaire désarmé de son filet, lui devenait à peu près inutile du moment où celui-ci le portait sur son épaule ; car, en s’approchant assez près de son adversaire pour le frapper, il lui donnait toute facilité de l’envelopper de ses mailles mortelles. Alors commença le spectacle d’une fuite dans toutes les règles, car la fuite était aussi un art ; mais, dans l’une comme dans l’autre course, le mirmillon se trouvait empêché par son casque ; bientôt le rétiaire se trouva si près de lui, que des cris partirent pour avertir le Gaulois ; celui- ci vit qu’il était perdu s’il ne se débarrassait promptement de son casque qui lui était devenu inutile ; il ouvrit, en courant toujours, l’agrafe de fer qui le maintenait fermé, et l’arrachant de sa tête, il le jeta loin de lui. Alors on reconnut avec étonnement dans le mirmillon un jeune homme d’une des plus nobles familles de Rome, nommé Festus, qui avait pris ce casque à visière bien plus pour se déguiser que pour se défendre ; cette découverte redoubla l’intérêt que les spectateurs prenaient au combat.
Dès lors ce fut le jeune patricien qui gagna du terrain sur l’autre, qui, à son tour, se trouvait embarrassé de son bouclier percé du javelot, qu’il n’avait pas voulu arracher de peur de rendre une arme à son ennemi ; excité par les cris des spectateurs et par la fuite continue de son adversaire, il jeta loin de lui le bouclier et le trait, et se retrouva libre de ses mouvements ; mais alors, soit que le mirmillon vit dans cette action une imprudence qui égalisait de nouveau le combat, soit qu’il fût las de fuir, il s’arrêta tout à coup, faisant tourner sa massue autour de sa tête ; le rétiaire, de son côté, prépara son arme ; mais, avant qu’il fût à portée de son ennemi, la massue, lancée en sifflant comme la poutre d’une catapulte, alla frapper le rétiaire au milieu de la poitrine ; celui-ci chancela un instant, puis tomba, abattu et couvert lui- même des mailles de son propre filet. Festus alors s’élança sur le bouclier, en arracha le javelot, et d’un seul bond se retrouvant près de son ennemi, lui posa le fer de son arme sur la gorge, et interrogea le peuple pour savoir s’il devait le tuer ou lui faire grâce. Toutes les mains alors s’élevèrent, les unes rapprochées, les autres isolées, en renversant le pouce ; mais comme il était impossible au milieu de cette foule de distinguer la majorité, le cri : Aux vestales ! aux vestales ! se fit entendre : c’était l’appel en cas de doute. Festus se retourna donc vers le podium ; les douze vestales se levèrent : huit avaient le pouce renversé : la majorité était pour la mort ; en conséquence, le rétiaire prit lui-même la pointe du fer, l’appuya sur sa gorge, cria une dernière fois : César est Dieu ! et sentit, sans pousser une plainte, le javelot de Festus lui ouvrir l’artère du cou et pénétrer jusqu’à sa poitrine.
Le peuple alors battit des mains au vainqueur et au vaincu, car l’un avait tué avec adresse et l’autre était mort avec grâce. Festus fit le tour de l’amphithéâtre pour recevoir les applaudissements, et sortit par une porte tandis que l’on emportait par l’autre le corps de son ennemi.
Aussitôt un esclave entra avec un râteau, retourna le sable pour effacer la trace du sang, et deux nouveaux combattants parurent dans la lice : c’étaient deux dimachères.
Les dimachères étaient les raffinés du siècle de Néron sans casque, sans cuirasse, sans bouclier, sans ocréa, ils combattaient, une épée de chaque main, comme faisaient nos cavaliers de la Fronde dans leurs duels à la dague et au poignard ; aussi ces combats étaient-ils regardés comme le triomphe de l’art, et quelquefois les champions n’étaient autres que les maîtres d’escrime eux-mêmes. Cette fois, c’était un professeur et son élève ; l’écolier avait si bien profité des leçons, qu’il venait attaquer le maître avec ses propres feintes ; quelques mauvais traitements qu’il en avait reçus avaient depuis longtemps fait germer une haine vivace au plus profond de son cœur ; mais il l’avait dissimulée à tous les yeux ; et dans l’intention de se venger un jour, il avait continué ses exercices journaliers, et fini par surprendre tous les secrets de la profession. Ce fut donc pour des spectateurs aussi artistes une chose curieuse à voir que ces deux hommes qui, pour la première fois, allaient substituer à leurs jeux fictifs un combat réel, et changer leurs armes émoussées contre des lames acérées et tranchantes. Aussi leur apparition fut-elle saluée par une triple salve d’applaudissements, qui cessèrent, aussitôt que le maître des jeux eut donné le signal sur un geste de l’empereur, pour faire place au plus profond silence.
Les adversaires s’avancèrent l’un contre l’autre, animés de cette haine profonde qu’inspire toute rivalité ; mais cependant cette haine, qui jaillissait en éclairs de leurs yeux, donnait une nouvelle circonspection à l’attaque et à la défense, car c’était non seulement leurs vies qu’ils jouaient, mais encore la réputation que l’un possédait depuis longtemps, et que l’autre venait d’acquérir.
Enfin leurs épées se touchèrent ; deux serpents qui jouent, deux éclairs qui se croisent, sont plus faciles à suivre dans leur flamboyante rapidité que ne l’était le mouvement de l’épée qu’ils tenaient de la main droite et avec laquelle ils s’attaquaient, tandis que de la gauche ils paraient comme avec un bouclier. Passant successivement de l’attaque à la défense, et avec une régularité merveilleuse, l’élève fit d’abord reculer le maître jusqu’au pied du trône où était l’empereur, et le maître à son tour fit reculer l’élève jusqu’au podium, où siégeaient les vestales ; puis ils revinrent au milieu du cirque, sains et saufs tous deux, quoique vingt fois la pointe de chaque épée se fût approchée assez près de la poitrine pour déchirer la tunique sous laquelle elle cherchait le cœur ; enfin le plus jeune des deux fit un bond en arrière ; les spectateurs crièrent : il en tient ! Mais aussitôt, quoique le sang coulât par le bas de sa tunique, le long d’une de ses cuisses, il revint au combat, plus acharné qu’auparavant, et au bout de deux passes, ce fut le maître à son tour qui indiqua, par un mouvement imperceptible à des yeux moins exercés que ceux qui le regardaient, que la froide sensation du fer venait de passer dans ses veines ; mais cette fois aucun cri ne se fit entendre : l’extrême curiosité est muette ; on n’entendait, à quelques coups habilement portés ou parés, que ce frémissement sourd qui indique à l’acteur que si le public ne l’applaudit pas, ce n’est pas faute de l’apprécier, mais au contraire pour ne pas l’interrompre dans son jeu. Aussi chacun des combattants redoublait-il d’ardeur, et les épées continuèrent-elles de voltiger avec la même vélocité, si bien que cette singulière lutte menaçait de n’avoir pas d’autre fin que l’épuisement des forces, lorsque le maître, en reculant devant l’élève, glissa et tomba tout à coup : son pied avait porté sur la terre fraîche de sang ; l’élève, profitant de cet avantage que lui donnait le hasard, se précipita sur lui ; mais au grand étonnement des spectateurs, on ne les vit se relever ni l’un ni l’autre ; le peuple tout entier se leva en joignant les deux mains et en criant : Grâce ! liberté ! mais aucun des deux combattants ne répondit. Le maître des jeux entra alors dans le cirque, apportant de la part de l’empereur les palmes de victoire et les baguettes de liberté ; mais il était trop tard, les champions étaient déjà, sinon victorieux, du moins libres : ils s’étaient enferrés l’un l’autre, et tués tous deux.
Aux dimachères devaient succéder, comme nous l’avons dit, les andabates ; sans doute on les avait inscrits immédiatement après les dimachères pour réjouir le peuple par un contraste ; car à ces nouveaux gladiateurs l’art et l’adresse étaient complètement inutiles ; ils allaient la tête entièrement enfermée dans un casque qui n’avait d’ouverture qu’à la place de la bouche pour les laisser respirer ; et en face des oreilles pour qu’ils pussent entendre ; ils combattaient donc en aveugles. Le peuple se réjouissait fort, au reste, à ce terrible colin-maillard où chaque coup portait, les adversaires n’ayant aucune armure défensive qui pût ni le repousser ni l’amortir.
Au moment où les nouvelles victimes, car ces malheureux ne méritaient pas le nom de combattants, étaient introduites dans l’arène, au milieu des éclats de rire de la multitude, Anicétus s’approcha de l’empereur et lui remit des lettres. Néron les lut avec une grande inquiétude, et à la dernière une altération profonde se peignit sur son visage. Il resta un instant pensif, puis, se levant tout à coup, il s’élança hors du cirque en faisant signe de continuer les jeux malgré son absence ; cette circonstance, qui n’était pas nouvelle, car souvent des affaires pressantes appelaient inopinément, au milieu d’une fête, les Césars au forum, au sénat ou au palatin, loin d’avoir un résultat fâcheux pour les plaisirs des spectateurs, leur donnait au contraire une nouvelle liberté, car n’étant plus empêché par la présence de l’empereur, le peuple devenait alors véritablement roi : les jeux comme l’avait ordonné Néron, continuèrent donc d’avoir leur cours, quoique César ne fût plus là pour y présider.
Les deux champions se mirent donc en marche pour se rejoindre, traversant le cirque dans sa largeur ; à mesure qu’ils s’approchaient l’un de l’autre, on les voyait, substituant le sens de l’ouïe à celui de la vue, essayer d’écouter le danger qu’ils ne pouvaient voir ; mais on comprend combien une pareille appréciation était trompeuse : aussi étaient-ils encore loin l’un de l’autre qu’ils agitaient déjà leurs épées, qui ne frappaient encore que l’air ; enfin excités par ces cris : En avant, en avant ! à droite ! à gauche ! ils s’avancèrent avec plus de hardiesse ; mais, se dépassant sans se toucher, ils finirent par se tourner le dos en continuant de se menacer. Aussitôt les éclats de rire et les huées des spectateurs devinrent tels qu’ils s’aperçurent de ce qu’ils venaient de faire ; et, se retournant d’un même mouvement, ils se retrouvèrent en face l’un de l’autre et à portée : leurs épées se touchèrent, et en même temps, frappant d’une manière différente, l’un reçut un coup de pointe dans la cuisse droite, l’autre un coup d’estoc sur le bras gauche. Chaque blessé fit un mouvement, et les deux adversaires se trouvèrent de nouveau séparés, et ne sachant plus comment se rejoindre. Alors, l’un des deux se coucha à terre pour écouter le bruit des pas, et surprendre son ennemi, puis, comme il s’approchait, pareil à un serpent caché qui darde sa langue, le gladiateur couché atteignit son adversaire une seconde fois ; celui-ci se sentant dangereusement blessé, fit un pas rapide en avant, heurta du pied le corps de son ennemi, et alla tomber à deux ou trois palmes de lui, mais, se relevant aussitôt, il décrivit avec son épée un cercle horizontal si rapide et si vigoureux que l’arme, rencontrant le cou de son adversaire à l’endroit où cessait de le protéger le casque, lui enleva la tête de dessus les épaules aussi habilement qu’eût pu le faire le bourreau ; le tronc resta un instant debout, tandis que la tête, enfermée dans son enveloppe de fer, roulait loin de lui, puis, faisant quelques pas stupides et insensés, comme s’il cherchait après elle, il tomba sur le sable qu’il inonda de sang. Aux cris du peuple, le gladiateur qui était resté debout jugea que le coup qu’il venait de porter était mortel, mais il ne continua pas moins de se tenir en défense contre l’agonie de son adversaire. Alors un des maîtres entra et lui ouvrit son casque, en criant :
– Tu es libre et vainqueur.
Il sortit alors par la porte qu’on appelait sana vivaria, parce que c’était par elle que quittaient le cirque les combattants échappés à la mort, tandis qu’on emportait le cadavre dans le spoliaire, espèce de caverne située sous les degrés de l’amphithéâtre, où des médecins attendaient les blessés, et...

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