Cité Ménard
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Cité Ménard

Henry Gréville

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  1. 310 pages
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Cité Ménard

Henry Gréville

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- Elle est morte? C'est celui-là qui aurait dû mourir avec elle, et pas le mien! Personne n'avait besoin de celui-là, qui n'était pas né, et moi j'avais besoin du mien. Ôtez-le bien vite, Cécile, emportez-le, je n'en veux pas. Ah! oui, les mères devraient mourir avec leurs petits; ce serait plus juste! - Ce n'est pas sa faute, madame Gardin, ce n'est la faute de personne! Regardez-le, comme il a bonne envie de vivre.- Je n'en veux pas! fit délibérément la mère en se levant et en refermant sa robe. Mais la douleur que lui causait la montée du lait, appelé par les lèvres de l'enfant, devint si intolérable qu'elle se laissa retomber sur sa chaise. - Ah! que je souffre! dit-elle d'une voix éteinte.

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Information

Year
2019
ISBN
9782322151226
Edition
1

XXV

Leclerc s’arrangea pour faire marcher de front les deux occupations que Simon avait trouvées pour lui, et, au bout du premier mois, il rapporta à Louise, en or, dans le creux de ses deux mains, une somme qui la fit pleurer de joie. On paya tout ce qu’on devait, et l’on acheta un berceau pour Bébé, bien que son apparition dût être encore très éloignée ; mais la vue de la bercelonnette faisait sourire Louise avec tant de grâce, que Henri oubliait ses soucis de chef de famille en la regardant. Cependant, ce n’étaient pas eux qui étaient les plus heureux de leur changement de position, c’était Cécile.
Dans le soin qu’avait mis André à mener à bien ces négociations, elle voyait la preuve d’une amitié sérieuse, telle qu’elle l’avait toujours souhaitée sans oser la rêver. Dans sa modestie profonde, elle croyait n’être rien pour le jeune homme, rien ou tout au plus une ombre, un pâle reflet de ce qui avait été Maria. Elle était loin de croire que le dévouement qu’elle avait témoigné, la tendresse intime et discrète qu’elle avait versée sur André au moment de ses souffrances, comme un baume parfumé sur les blessures d’un corps sanglant, lui avaient valu une de ces affections dont les âmes d’élite seules sont capables, et celles-là même seulement quand la douleur les a encore affinées et ennoblies.
En effet, au milieu de sa vie de garnison, la plus vide et la plus lourde que puisse subir un esprit occupé ailleurs, André songeait à Cécile comme à un repos, une quiétude absolue pour son âme ; il l’unissait à Maria dans sa pensée, et peu à peu les deux jeunes filles se confondaient, si bien que, par moments, il ne se rappelait plus laquelle avait prononcé telle parole qui s’était gravée dans sa mémoire.
Il ne devait jamais s’apercevoir que Maria n’avait été en réalité que l’écho de Cécile ; le culte qu’il portait à la mémoire de la jeune morte devait l’empêcher pour toujours de songer que celle-ci n’était vraiment qu’une douce et faible créature, faite pour aimer et subir sa destinée ; toute l’intelligence, toute la sagesse de sa conduite lui venaient de son amie... mais qui l’eût dit à l’amant empressé, au fiancé veuf avant le mariage ? Cécile elle-même ne le savait pas.
André, nature romanesque, un peu molle, capable d’énergie seulement dans les grandes circonstances, mais alors brave et résolu plus que personne, avait précisément le caractère nécessaire pour subir l’ascendant de Cécile, et l’en admirer davantage, avec cette reconnaissance que les âmes désintéressées vouent à ceux qu’elles reconnaissent comme supérieurs.
Dans les ennuis de son apprentissage, le métier de soldat n’est pas plus facile à bien connaître que tout autre, et André ne pouvait mal faire rien de ce qu’il entreprenait ; il se rappelait souvent ses chagrins et reconnaissait chaque fois que, sans l’intervention de Cécile, quelque catastrophe eût eu lieu, qui lui avait été épargnée. Aussi prit-il l’habitude de songer à elle comme à une sorte de protectrice ; ne revenant à la réalité qu’avec un effort et se rappelant avec quelque peine que ce bon ange était pauvre et pouvait souffrir comme les autres mortels.
Si la jeune fille avait su tout cela, sa vie lui eût semblé plus facile. Mais, au moment même où André s’abandonnait à ces belles rêveries, tout en se livrant à la salutaire occupation d’astiquer son fourniment, elle était en lutte avec les cruelles réalités de la vie. La tante Angèle avait pris un gros rhume qui, faute de soins, avait dégénéré en bronchite aiguë, et Cécile avait beau quitter le travail une heure plus tôt tous les soirs, elle n’arrivait pas à empêcher les imprudences réitérées de la vieille fille, qui, maniaque et têtue, se levait elle-même de son lit pour faire chauffer ses tisanes, détruisant ainsi tout le bien que lui faisaient les ordonnances du docteur Régnier.
De guerre lasse, et pour obtenir la tranquillité indispensable, Louise vint s’asseoir auprès du lit de la malade : elle y passait ses journées, occupée à coudre la layette du petit être qu’elle attendait, heureuse de pouvoir rendre service à celle qui lui avait fait tant de bien, et pourtant dominée par d’insurmontables tristesses.
Cet enfant qui allait naître était pour elle un sujet de perpétuelles appréhensions. Sans doute, Henri l’aimerait, il témoignait d’avance, mais sans passion, avec ce calme de la paternité encore à l’état abstrait, qui inquiète tant les mères et les fait parfois douter de la tendresse réelle du père. Cela encore n’était rien, mais Henri n’annonçait pas la moindre intention de donner son nom à l’enfant... et le cœur de Louise saignait à la pensée de donner le jour à un être qui entrerait dans la vie avec cette terrible barre de bâtardise, qui n’était un honneur que pour les fils de roi, et qui maintenant n’en est plus un pour personne.
– Si encore c’était un fils, pensait-elle, pendant qu’elle tirait régulièrement l’aiguille dans les bavettes piquées, auprès du lit où sommeillait oppressée la vieille Angèle ; si c’était un garçon, il se tirerait d’affaire ; un homme se fait un nom à lui-même, et puis, ce n’est pas la même chose ! Mais si c’est une fille, oh ! la pauvre petite fille !
Et les larmes de Louise obscurcissaient sa vue, si bien qu’à la fin, amassées entre ses paupières, elles roulaient sur l’ouvrage mignon. Elle les essuyait avec le bord de l’étoffe, et c’est ainsi que, sans métaphore, la layette de l’enfant fut baignée des pleurs de sa mère.
Une crainte lointaine, mais aiguë comme un stylet, perçait le cœur de Louise ; c’était un raccommodement éventuel avec l’oncle terrible, et ensuite, comme sceau de cette réconciliation, un beau mariage pour Henri... C’était inévitable, elle l’avait su dès le premier jour, elle l’avait accepté comme le châtiment providentiel de sa chute, elle s’était résignée à cette triste fin d’un amour si désintéressé, si dévoué pourtant... Mais à présent qu’elle était mère, elle sentait plus douloureusement le poids de sa faute, et l’enfant non responsable, devenu solidaire de l’erreur de la jeune fille, lui apparaissait à la fois comme une victime et comme un vengeur.
– Ah ! je l’ai mérité, pensait-elle, aveuglée par les larmes, je l’ai mérité, et si je suis punie, c’est justice ; mais lui ! l’enfant, qu’a-t-il fait ? Pourquoi est-il venu, s’il ne devait avoir dans la vie que des chagrins et des humiliations ? Ah ! on a beau dire, l’âme se révolte contre une pareille loi ! Je puis être résignée pour moi, mais non pour l’enfant. J’ai fait mal, soit ! que le destin me frappe, mais pas l’enfant, non, pas l’enfant !
La pauvre mère, désespérée, laissait alors tomber son ouvrage ; elle regardait en elle-même un avenir plein de larmes, elle voyait se dresser devant elle l’image de l’enfant devenu grand et lui demandant compte de toutes les humiliations qu’il subissait, de toutes les injustices auxquelles l’exposait sa situation non avouée, et, frémissante, elle se cachait la tête dans les mains pour éviter cette vision qui la terrifiait.
Cécile en avait raison. Avec de douces paroles, avec des conseils de sagesse et de prudence, elle amenait la jeune femme à espérer en l’avenir. Mais elle fut la première à lui conseiller de ne rien demander à Henri :
– S’il n’en parle pas le premier, il faut vous garder de lui rien demander ; attendez qu’il ait vu l’enfant ; c’est alors que peut-être il fera de lui-même ce que vous obtiendriez à grand-peine par des supplications mal venues, et il vous saura gré de votre patiente résignation.
Louise écoutait et obéissait ! Ne devait-elle pas déjà tant à Cécile qu’elle ne pourrait jamais s’acquitter ?
La tante Angèle finit par se rétablir : le docteur Régnier déclara que longtemps, peut-être toujours, elle serait délicate, et que la moindre imprudence serait suivie d’un engorgement des voies respiratoires ; mais c’était beaucoup que de l’avoir remise sur pied, et l’excellent homme se montra satisfait du résultat de ses soins.
– À présent, dit-il d’un air terrible à sa dolente malade, si vous attrapez un nouveau rhume, cherchez qui vous soigne ; bien sûr, ce ne sera pas moi qui me chargerai d’une patiente si rétive.
Comme il traversait la cour, madame Gardin l’appela.
– Dites donc, docteur, si vous voulez ne pas me le compter pour une visite, puisque vous voilà venu dans la maison, je serais bien aise de savoir ce qu’a mon petit Pierre.
Pierre était dans son berceau, assis sur son séant, très grave et jouant avec un paquet de bûchettes qu’il voulait à toute force faire entrer dans son petit bec rose, et que Noémi, plus grave encore que lui, lui retirait de la bouche avec une patience inaltérable.
En les voyant tous deux si occupés, le docteur se mit à rire :
– Est-ce qu’ils sont toujours comme cela, vos deux mioches ? demanda-t-il à madame Gardin.
– Dame ! à peu près, monsieur le docteur, sauf quand la petite va à l’école ; elle y va en courant et revient de même, pour partir plus tard et rentrer plus tôt : ils ne sont pas de bonne humeur quand ils ne sont pas ensemble.
– C’est dommage, fit le docteur, que ce ne soit pas la petite qui soit plus jeune et le garçon plus âgé ; cela vous aurait fait un gentil ménage dans quelques années.
– Nous avons bien le temps d’y songer, fit madame Gardin en haussant les épaules avec l’air bourru qui lui était propre. Regardez-moi donc un peu ce qu’il a dans la gorge, ce petit-là ; il tousse drôlement parfois.
Le docteur ausculta le bébé, qui le laissa faire, mit un doigt dans sa bouche et le déclara bâti à chaux et à sable ; – et puis il lui regarda dans la gorge et devint plus sérieux. Après quelques questions, il prononça son verdict :
– Il a des tendances à avoir le faux croup. S’il tombe malade, il faudra m’envoyer chercher tout de suite, surtout s’il se met à aboyer, vous savez ?
– Je sais, fit la mère Gardin ; mais vous n’allez pas me dire que ce garçon-là va avoir le croup ?
– J’espère bien qu’il ne l’aura pas ; mais s’il l’avait – ce ne sera peut-être pas cette année ni l’année prochaine ; il faudra le surveiller jusqu’à six ou sept ans ; – eh bien, mère Gardin, vous m’enverriez chercher. En attendant, voilà une ordonnance, et, comme vous l’avez dit, cette visite-ci ne compte pas.
Il sortit, laissant perplexe la bonne femme, qui regarda son nourrisson de travers pendant plus d’un quart d’heure.
– Ah bien ! lui dit-elle enfin, comme s’il eût pu la comprendre, s’il faut encore que tu me donnes le mal de te soigner, toi !...
L’enfant continua d’un air extrêmement sérieux à essayer de se fourrer jusqu’au fond de la bouche un anneau d’ivoire que Noémi lui avait donné pour remplacer les bûchettes, et, n’y pouvant parvenir, il le retira, le contempla pendant un temps assez long, puis réitéra ses tentatives en bavant d’une manière effroyable.
Noémi, qui avait entendu et qui avait compris, regarda sa mère d’une façon presque hostile :
– S’il était malade, le petit frère, maman, tu ne le soignerais pas, dis ?
– Eh si, que je le soignerais ! mais s’il était pris du croup, la nuit, qui est-ce qui irait chercher le médecin ?
– J’irais bien, moi ! fit Noémi d’une voix grave, avec son air tranquille, tout en mouchant le petit garçon.
– Toi ? est-ce que tu sais seulement où il demeure ?
– Rue Houdon, 33, répondit la fillette toujours calme. On descend la rue de Ravignan, tout droit ; c’est-à-dire qu’elle tourne, mais ça ne fait rien ; et puis on passe devant la mairie, et c’est la première rue à gauche, tout au coin.
– Tu sais ça ? fit la mère émerveillée, et tu irais la nuit ?
– Notre maîtresse nous a appris que la nuit c’est la même chose que le jour ; seulement il faut faire attention pour ne pas tomber aux trottoirs, parce qu’il ne fait pas clair.
– C’est une femme, cette enfant-là ! murmura madame Gardin ; et l’instant d’après, comme la petite passait près d’elle en vaquant à quelques menus soins de ménage, elle l’attira dans ses bras, l’embrassa et la repoussa avec une sorte de bourrade. Noémi continua ses travaux avec un visage radieux.
Linot avait pris depuis quelque temps l’habitude de venir voir son petit garçon à une heure qui dérangeait beaucoup madame Gardin. C’était à l’heure où Cécile, rentrant de son travail, passait pour un moment dans la chambre de la nourrice, faisait une risette à son petit ami et remontait l’instant d’après, laissant Noémi plus joyeuse encore que le nourrisson.
Jusque-là, Linot, en veuf attristé, rentrait à l’heure précise, venait embrasser son fils, montait chez lui, ne ressortait pas, travaillait le soir à mettre ses affaires en ordre, et même, ô comble de vertu ! allait voir sa belle-mère tous les dimanches.
Mais on ne sait quel vent de folie avait passé sur sa tête. Depuis un mois environ il rentrait plus tard, et cette heure tardive coïncidait avec la rentrée de Cécile.
Ceci était fort grave ; car ce léger changement faisait dî...

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