Quatrevingt-treize
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Quatrevingt-treize

Victor Hugo

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Quatrevingt-treize

Victor Hugo

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EtĂ© 1793, la RĂ©volution française s'enfonce dans la Terreur et la VendĂ©e se soulĂšve. Ils sont trois: le marquis de Lantenac, vieil aristocrate chevillĂ© Ă  l'ordre ancien; l'implacable Cimourdain, homme du peuple et de la justice rĂ©volutionnaire; et le clĂ©ment Gauvain, noble passĂ© Ă  la RĂ©publique, neveu du premier et fils spirituel du second....Dans le noeud sanglant des Ă©vĂ©nements, leur lien, fatalement, va se dĂ©faire, leurs destins s'affronter violemment. Par conviction de rang, par raison, ou par idĂ©al - une certaine idĂ©e de la loyautĂ© qui conduira chacun Ă  l'hĂ©roĂŻsme, ou Ă  la mort.Ecrite dans l'Ă©cho de la Commune de 1871, cette fresque Ă©pique et tourmentĂ©e est le dernier roman de Victor Hugo. C'est une vision de l'Histoire, sans partisanerie, oĂč le retour de la violence n'interdit pas l'espĂ©rance. Une ultime tribune, empreinte des prĂ©occupations sociales et humanistes du poĂšte lĂ©gendaire, et une formidable invitation Ă  relire son oeuvre puissante.

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Information

Year
2019
ISBN
9782322165667
Edition
1

I

La parole, c’est le verbe

Le vieillard redressa lentement la tĂȘte.
L’homme qui lui parlait avait environ trente ans. Il avait sur le front le hĂąle de la mer ; ses yeux Ă©taient Ă©tranges ; c’était le regard sagace du matelot dans la prunelle candide du paysan. Il tenait puissamment les rames dans ses deux poings. Il avait l’air doux.
On voyait Ă  sa ceinture un poignard, deux pistolets et un rosaire.
– Qui ĂȘtes-vous ? dit le vieillard.
– Je viens de vous le dire.
– Qu’est-ce que vous me voulez ?
L’homme quitta les avirons, croisa les bras et rĂ©pondit :
– Vous tuer.
– Comme vous voudrez, dit le vieillard.
L’homme haussa la voix.
– PrĂ©parez-vous.
– À quoi ?
– À mourir.
– Pourquoi ? demanda le vieillard.
Il y eut un silence. L’homme sembla un moment comme interdit de la question. Il reprit :
– Je dis que je veux vous tuer.
– Et je vous demande pourquoi ?
Un Ă©clair passa dans les yeux du matelot.
– Parce que vous avez tuĂ© mon frĂšre.
Le vieillard repartit avec calme :
– J’ai commencĂ© par lui sauver la vie.
– C’est vrai. Vous l’avez sauvĂ© d’abord et tuĂ© ensuite.
– Ce n’est pas moi qui l’ai tuĂ©.
– Qui donc l’a tué ?
– Sa faute.
Le matelot, béant, regarda le vieillard ; puis ses sourcils reprirent leur froncement farouche.
– Comment vous appelez-vous ? dit le vieillard.
– Je m’appelle Halmalo, mais vous n’avez pas besoin de savoir mon nom pour ĂȘtre tuĂ© par moi.
En ce moment le soleil se leva. Un rayon frappa le matelot en plein visage et éclaira vivement cette figure sauvage. Le vieillard le considérait attentivement.
La canonnade, qui se prolongeait toujours, avait maintenant des interruptions et des saccades d’agonie. Une vaste fumĂ©e s’affaissait sur l’horizon. Le canot, que ne maniait plus le rameur, allait Ă  la dĂ©rive.
Le matelot saisit de sa main droite un des pistolets de sa ceinture et de sa main gauche son chapelet.
Le vieillard se dressa debout.
– Tu crois en Dieu ? dit-il.
– Notre PĂšre qui est au ciel, rĂ©pondit le matelot.
Et il fit le signe de la croix.
– As-tu ta mùre ?
– Oui.
Il fit un deuxiÚme signe de croix. Puis il reprit :
– C’est dit. Je vous donne une minute, monseigneur.
Et il arma le pistolet.
– Pourquoi m’appelles-tu monseigneur ?
– Parce que vous ĂȘtes un seigneur. Cela se voit.
– As-tu un seigneur, toi ?
– Oui, et un grand. Est-ce qu’on vit sans seigneur ?
– OĂč est-il ?
– Je ne sais pas. Il a quittĂ© le pays. Il s’appelle monsieur le marquis de Lantenac, vicomte de Fontenay, prince en Bretagne ; il est le seigneur des Sept-ForĂȘts. Je ne l’ai jamais vu, ce qui ne l’empĂȘche pas d’ĂȘtre mon maĂźtre.
– Et si tu le voyais, lui obĂ©irais-tu ?
– Certes. Je serais donc un paĂŻen, si je ne lui obĂ©issais pas ! on doit obĂ©issance Ă  Dieu, et puis au roi qui est comme Dieu, et puis au seigneur qui est comme le roi. Mais ce n’est pas tout ça, vous avez tuĂ© mon frĂšre, il faut que je vous tue.
Le vieillard répondit :
– D’abord, j’ai tuĂ© ton frĂšre, j’ai bien fait.
Le matelot crispa son poing sur son pistolet.
– Allons, dit-il.
– Soit, dit le vieillard.
Et, tranquille, il ajouta :
– OĂč est le prĂȘtre ?
Le matelot le regarda.
– Le prĂȘtre ?
– Oui, le prĂȘtre. J’ai donnĂ© un prĂȘtre Ă  ton frĂšre, tu me dois un prĂȘtre.
– Je n’en ai pas, dit le matelot.
Et il continua :
– Est-ce qu’on a des prĂȘtres en pleine mer ?
On entendait les détonations convulsives du combat de plus en plus lointain.
– Ceux qui meurent là-bas ont le leur, dit le vieillard.
– C’est vrai, murmura le matelot. Ils ont monsieur l’aumînier.
Le vieillard poursuivit :
– Tu perds mon ñme, ce qui est grave.
Le matelot baissa la tĂȘte, pensif.
– Et en perdant mon Ăąme, reprit le vieillard, tu perds la tienne. Écoute. J’ai pitiĂ© de toi. Tu feras ce que tu voudras. Moi, j’ai fait mon devoir tout Ă  l’heure, d’abord en sauvant la vie Ă  ton frĂšre et ensuite en la lui ĂŽtant, et je fais mon devoir Ă  prĂ©sent en tĂąchant de sauver ton Ăąme. RĂ©flĂ©chis. Cela te regarde. Entends-tu les coups de canon dans ce moment-ci ? Il y a lĂ  des hommes qui pĂ©rissent, il y a lĂ  des dĂ©sespĂ©rĂ©s qui agonisent, il y a lĂ  des maris qui ne reverront plus leurs femmes, des pĂšres qui ne reverront plus leur enfant, des frĂšres qui, comme toi, ne reverront plus leur frĂšre. Et par la faute de qui ? par la faute de ton frĂšre Ă  toi. Tu crois en Dieu, n’est-ce pas ? Eh bien, tu sais que Dieu souffre en ce moment ; Dieu souffre dans son fils trĂšs-chrĂ©tien le roi de France qui est enfant comme l’enfant JĂ©sus et qui est en prison dans la tour du Temple ; Dieu souffre dans son Ă©glise de Bretagne ; Dieu souffre dans ses cathĂ©drales insultĂ©es, dans ses Ă©vangiles dĂ©chirĂ©s, dans ses maisons de priĂšre violĂ©es ; Dieu souffre dans ses prĂȘtres assassinĂ©s. Qu’est-ce que nous venions faire, nous, dans ce navire qui pĂ©rit en ce moment ? Nous venions secourir Dieu. Si ton frĂšre avait Ă©tĂ© un bon serviteur, s’il avait fidĂšlement fait son office d’homme sage et utile, le malheur de la caronade ne serait pas arrivĂ©, la corvette n’eĂ»t pas Ă©tĂ© dĂ©semparĂ©e, elle n’eĂ»t pas manquĂ© sa route, elle ne fĂ»t pas tombĂ©e dans cette flotte de perdition, et nous dĂ©barquerions Ă  cette heure en France, tous, en vaillants hommes de guerre et de mer que nous sommes, sabre au poing, drapeau blanc dĂ©ployĂ©, nombreux, contents, joyeux, et nous viendrions aider les braves paysans de VendĂ©e Ă  sauver la France, Ă  sauver le roi, Ă  sauver Dieu. VoilĂ  ce que nous venions faire, voilĂ  ce que nous ferions. VoilĂ  ce que, moi, le seul qui reste, je viens faire. Mais tu t’y opposes. Dans cette lutte des impies contre les prĂȘtres, dans cette lutte des rĂ©gicides contre le roi, dans cette lutte de Satan contre Dieu, tu es pour Satan. Ton frĂšre a Ă©tĂ© le premier auxiliaire du dĂ©mon, tu es le second. Il a commencĂ©, tu achĂšves. Tu es pour les rĂ©gicides contre le trĂŽne, tu es pour les impies contre l’Église. Tu ĂŽtes Ă  Dieu sa derniĂšre ressource. Parce que je ne serai point lĂ , moi qui reprĂ©sente le roi, les hameaux vont continuer de brĂ»ler, les familles de pleurer, les prĂȘtres de saigner, la Bretagne de souffrir, et le roi d’ĂȘtre en prison, et JĂ©sus-Christ d’ĂȘtre en dĂ©tresse. Et qui aura fait cela ? Toi. Va, c’est ton affaire. Je comptais sur toi pour tout le contraire. Je me suis trompĂ©. Ah oui, c’est vrai, tu as raison, j’ai tuĂ© ton frĂšre. Ton frĂšre avait Ă©tĂ© courageux, je l’ai rĂ©compensé ; il avait Ă©tĂ© coupable, je l’ai puni. Il avait manquĂ© Ă  son devoir, je n’ai pas manquĂ© au mien. Ce que j’ai fait, je le ferais encore. Et, je le jure par la grande sainte Anne d’Auray qui nous regarde, en pareil cas, de mĂȘme que j’ai fait fusiller ton frĂšre, je ferais fusiller mon fils. Maintenant, tu es le maĂźtre. Oui, je te plains. Tu as menti Ă  ton capitaine. Toi, chrĂ©tien, tu es sans foi ; toi, Breton, tu es sans honneur ; j’ai Ă©tĂ© confiĂ© Ă  ta loyautĂ© et acceptĂ© par ta trahison ; tu donnes ma mort Ă  ceux Ă  qui tu as promis ma vie. Sais-tu qui tu perds ici ? C’est toi. Tu prends ma vie au roi et tu donnes ton Ă©ternitĂ© au dĂ©mon. Va, commets ton crime, c’est bien. Tu fais bon marchĂ© de ta part de paradis. GrĂące Ă  toi, le diable vaincra, grĂące Ă  toi, les Ă©glises tomberont, grĂące Ă  toi, les paĂŻens continueront de fondre les cloches et d’en faire des canons ; on mitraillera les hommes avec ce qui sauvait les Ăąmes. En ce moment oĂč je parle, la cloche qui a sonnĂ© ton baptĂȘme tue peut-ĂȘtre ta mĂšre. Va, aide le dĂ©mon. Ne t’arrĂȘte pas. Oui, j’ai condamnĂ© ton frĂšre, mais sache cela, je suis un instrument de Dieu. Ah ! tu juges les moyens de Dieu ! tu vas donc te mettre Ă  juger la foudre qui est dans le ciel ? Malheureux, tu seras jugĂ© par elle. Prends garde Ă  ce que tu vas faire. Sais-tu seulement si je suis en Ă©tat de grĂące ? Non. Va tout de mĂȘme. Fais ce que tu voudras. Tu es libre de me jeter en enfer et de t’y jeter avec moi. Nos deux damnations sont dans ta main. Le responsable devant Dieu, ce sera toi. Nous sommes seuls et face Ă  face dans l’abĂźme. Continue, termine, achĂšve. Je suis vieux et tu es jeune ; je suis sans armes et tu es armé ; tue-moi.
Pendant que le vieillard, debout, d’une voix plus haute que le bruit de la mer, disait ces paroles, les ondulations de la vague le faisaient apparaĂźtre tantĂŽt dans l’ombre, tantĂŽt dans la lumiĂšre ; le matelot Ă©tait devenu livide ; de grosses gouttes de sueur lui tombaient du front ; il tremblait comme la feuille ; par moments il baisait son rosaire ; quand le vieillard eut fini, il jeta son pistolet et tomba Ă  genoux.
– GrĂące, monseigneur ! pardonnez-moi, cria-t-il ; vous parlez comme le bon Dieu. J’ai tort. Mon frĂšre a eu tort. Je ferai tout pour rĂ©parer son crime. Disposez de moi. Ordonnez. J’obĂ©irai.
– Je te fais grñce, dit le vieillard.

II

MĂ©moire de paysan vaut science de capitaine

Les provisions qui Ă©taient dans le canot ne furent pas inutiles.
Les deux fugitifs, obligés à de longs détours, mirent trente-six heures à atteindre la cÎte. Ils passÚrent une nuit en mer ; mais la nuit fut belle, avec trop de lune cependant pour des gens qui cherchaient à se dérober.
Ils durent d’abord s’éloigner de France et gagner le large vers Jersey.
Ils entendirent la suprĂȘme canonnade de la corvette foudroyĂ©e, comme on entend le dernier rugissement du lion que les chasseurs tuent dans les bois. Puis le silence se fit sur la mer.
Cette corvette la Claymore mourut de la mĂȘme façon que le Vengeur ; mais la gloire l’a ignorĂ©. On n’est p...

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