Nanon
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Nanon

George Sand

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Nanon

George Sand

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Nanon, la narratrice, nous conte le rĂ©cit de sa vie, la marquise de Franqueville, une vie de petite fille de la campagne, illettrĂ©e, mais gagnĂ©e par le dĂ©sir d'apprendre Ă  lire pour s'en sortir...C'est avec Emilien de Francqueville qu'elle apprend Ă  ĂȘtre femme et construit sa vie. DĂ©terminĂ©e, c'est avec intelligence et avec force de travail qu'elle va rĂ©ussir.

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Information

Year
2020
ISBN
9782322211562
Edition
1

II

II
Je me sentis bien honteuse ; pour sĂ»r, ce garçon se moquait de moi, et il faut croire que j’avais beaucoup d’amour-propre, car cette honte me peina le cƓur et je ne pus me retenir de pleurer.
Alors, le jeune religieux s’étonna et me dit d’une voix aussi douce que sa figure :
– Tu pleures, petite ? quel chagrin as-tu donc ?
– C’est, lui rĂ©pondis-je, Ă  cause de mon ouaille qui s’est sauvĂ©e dans votre prĂ©.
– Eh bien, elle n’est pas perdue pour ça. Elle est contente puisqu’elle mange ?
– Elle est contente, je le sais bien ; mais, moi, je suis fĂąchĂ©e, parce qu’elle est en maraude.
– Qu’est-ce que ça veut dire, en maraude ?
– Elle mange sur le bien d’autrui.
– Le bien d’autrui ! tu ne sais ce que tu dis, ma petite. Le bien des moines est à tout le monde.
– Ah ! c’est donc qu’il n’est plus aux moines ? Je ne savais pas.
– Est-ce que tu n’as pas de religion ?
– Si fait, je sais dire ma priùre.
– Eh bien, tu demandes tous les matins Ă  Dieu ton pain quotidien, et l’Église, qui est riche, doit donner Ă  ceux qui demandent au nom du Seigneur. Elle ne servirait Ă  rien si elle ne servait Ă  rĂ©pandre la charitĂ©.
J’ouvrais de grands yeux et ne comprenais guĂšre, car, sans ĂȘtre bien mĂ©chants, les moines de Valcreux se dĂ©fendaient tant qu’ils pouvaient contre les pillards, et il y avait le pĂšre Fructueux qui remplissait les fonctions d’économe, et qui faisait grand bruit et de grosses menaces aux pĂątours pris en faute. Il les poursuivait avec une houssine, pas bien loin, il est vrai, il Ă©tait trop gras pour courir ; mais il faisait peur tout de mĂȘme et on le disait mĂ©chant, encore qu’il n’eĂ»t pas battu un chat.
Je demandai au jeune garçon si le pÚre Fructueux serait consentant de voir mon mouton manger son herbe.
– Je n’en sais rien, rĂ©pondit-il ; mais je sais que l’herbe n’est point Ă  lui.
– Et à qui donc est-elle ?
– Elle est à Dieu, qui la fait pousser pour tous les troupeaux. Tu ne me crois pas ?
– Dame ! je ne sais. Mais ce que vous me dites lĂ  m’arrangerait bien ! Si ma pauvre petite Rosette pouvait manger sa faim chez vous pendant la grande sĂ©cheresse, je vous rĂ©ponds que je ne ferais pas la paresseuse pour ça. SitĂŽt les gazons repoussĂ©s dans la montagne, je me remettrais Ă  l’y conduire, je vous dis la vĂ©ritĂ©.
– Eh bien, laisse-la oĂč elle est, et viens la chercher ce soir.
– Ce soir ? oh ! nenni ! Si les moines la voient, ils la mettront chez eux, en fourriĂšre, et mon grand-oncle sera forcĂ© d’aller la redemander et d’endurer leurs reproches : et moi, il me grondera et me dira que je suis une vilaine comme les autres, ce qui me fera beaucoup de peine.
– Je vois que tu es une enfant bien Ă©levĂ©e. OĂč donc demeure-t-il, ton grand-oncle ?
– LĂ -haut, la plus petite maison Ă  la moitiĂ© du ravin. La voyez-vous ? celle aprĂšs les trois gros chĂątaigniers ?
– C’est bien, je te conduirai ton mouton quand il aura assez mangĂ©.
– Mais si les moines vous grondent ?
– Ils ne me gronderont pas. Je leur expliquerai leur devoir.
– Vous ĂȘtes donc maĂźtre chez eux ?
– Moi ? pas du tout. Je ne suis rien qu’un Ă©lĂšve. On m’a confiĂ© Ă  eux pour ĂȘtre instruit et pour me prĂ©parer Ă  ĂȘtre religieux quand je serai en Ăąge.
– Et quand est-ce que vous serez en ñge ?
– Dans deux ou trois ans. J’en ai bientît seize.
– Alors, vous ĂȘtes novice, comme on dit ?
– Pas encore, je ne suis ici que depuis deux jours.
– C’est donc ça que je ne vous ai jamais vu ? Et de quel pays ĂȘtes-vous ?
– Je suis de ce pays ; as-tu entendu parler de la famille et du chñteau de Franqueville ?
– Ma foi, non. Je ne connais que le pays de Valcreux. Est-ce que vos parents sont pauvres, pour vous renvoyer comme ça d’avec eux ?
– Mes parents sont trĂšs riches ; mais nous sommes trois enfants, et, comme ils ne veulent pas diviser leur fortune, ils la gardent pour le fils aĂźnĂ©. Ma sƓur et moi, nous n’aurons qu’une part une fois faite, pour entrer chacun dans un couvent.
– Quel ñge est-ce qu’elle a, votre sƓur ?
– Onze ans : et toi ?
– Je n’ai pas encore treize ans faits.
– Alors, tu es grande, ma sƓur est plus petite que toi de toute la tĂȘte.
– Sans doute que vous l’aimez, votre petite sƓur ?
– Je n’aimais qu’elle.
– Ah bah ! et vos pùre et mùre ?
– Je ne les connais presque pas.
– Et votre frùre ?
– Je le connais encore moins.
– Comment ça se fait-il ?
– Nos parents nous ont fait Ă©lever Ă  la campagne, ma sƓur et moi, et ils n’y viennent pas souvent, ils vivent avec le fils aĂźnĂ© Ă  Paris. Mais tu n’as jamais entendu parler de Paris, puisque tu ne connais pas seulement Franqueville.
– Paris oĂč il y a le roi ?
– Justement.
– Et vos parents demeurent chez le roi !
– Oui, ils servent dans sa maison.
– Ils sont les domestiques du roi ?
– Ils sont officiers ; mais tu ne comprends rien Ă  tout cela et cela ne peut t’intĂ©resser. Parle de ton mouton. Est-ce qu’il t’obĂ©it quand tu l’appelles ?
– Pas trop, quand il est affamĂ© comme aujourd’hui.
– Alors, quand je voudrai te le ramener, il ne m’obĂ©ira pas ?
– Ça se peut bien. J’aime mieux attendre, puisque vous le souffrez un peu chez vous.
– Chez moi ? Je n’ai pas de chez moi, ma petite, et je n’en aurai jamais. On m’a Ă©levĂ© dans cette idĂ©e-lĂ  que rien ne devait m’appartenir, et toi qui as un mouton, tu es plus riche que moi.
– Et ça vous fait de la peine de ne rien avoir ?
– Non, pas du tout ; je suis content de n’avoir pas Ă  me donner de mal pour des biens pĂ©rissables.
–PĂ©rissables ? Ah ! oui, mon mouton peut pĂ©rir !
– Et vivant, il te donne du souci ?
– Sans doute, mais je l’aime et ne regrette pas mon soin. Vous n’aimez donc rien, vous ?
– J’aime tout le monde.
– Mais pas les moutons ?
– Je ne les aime ni ne les hais.
– C’est pourtant des bĂȘtes bien douces. Est-ce que vous aimez les chiens ?
– J’en ai eu un que j’aimais. On n’a pas voulu qu’il me suive au couvent.
– Alors vous avez du chagrin d’ĂȘtre comme ça tout seul de chez vous, en pĂ©nitence chez les autres ?
Il me regarda d’un air Ă©tonnĂ©, comme s’il n’avait pas encore pensĂ© Ă  ce que je lui disais, et puis, il rĂ©pondit :
– Je ne dois me faire de peine Ă  propos de rien. On m’a toujours dit : « Ne vous mĂȘlez de rien, ne vous attachez Ă  rien, apprenez Ă  ne vous affecter de rien. C’est votre devoir et vous n’aurez de bonheur qu’en faisant votre devoir. »
– C’est drĂŽle, ça ! mon grand-oncle me dit tout Ă  fait la mĂȘme chose ; mais il dit que mon devoir est de m’occuper de tout, d’ĂȘtre bonne Ă  tout dans la maison et d’avoir du cƓur pour toute sorte d’ouvrages. Sans doute qu’on dit ça aux enfants des pauvres et qu’on dit autrement aux enfants riches.
– Non ! on dit cela aux enfants qui doivent entrer dans les couvents. Mais voilĂ  l’heure de me rendre aux offices de la vĂȘprĂ©e. Tu rappelleras ton mouton quand tu voudras, et, si tu veux le ramener demain

– Oh ! je n’oserais !
– Tu peux le ramener, je parlerai Ă  l’économe.
– Il fera votre volontĂ© ?
– Il est trùs bon, il ne me refusera pas.
Le jeune homme me quitta et je le vis qui rentrait par les jardins, au son de la cloche. Je laissai encore un peu pĂąturer Rosette, et puis je la rappelai et la ramenai Ă  la maison. Depuis ce jour-lĂ , je me suis trĂšs bien souvenue de tout ce qui est survenu dans ma vie. Je ne fis d’abord pas de grandes rĂ©flexions sur mon entretien avec ce jeune moine. J’étais toute Ă  l’idĂ©e riante que peut-ĂȘtre il m’obtiendrait un permis de pĂąturage de temps en temps pour Rosette. Je me serais contentĂ©e de peu. J’étais comme portĂ©e naturellement Ă  la discrĂ©tion, mon oncle m’ayant donnĂ© en tout des exemples de politesse et de sobriĂ©tĂ©.
Je n’étais pas grande conteuse, mes cousins, trĂšs moqueurs, ne m’y encourageaient point ; mais, le permis de pĂąturage me trottant par la tĂȘte, je racontai ce soir-lĂ  Ă  souper tout ce que je viens de raconter, et je le fis mĂȘme assez exactement pour attirer l’attention de mon grand-oncle.
– Ah ! oui-dĂ  ! fit-il, ce jeune monsieur qu’ils ont amenĂ© au couvent lundi soir et que personne n’avait encore vu, c’est le petit Franqueville ! un cadet de grande maison, c’est comme cela qu’on dit. – Vous connaissez bien Franqueville, mes gars ? un beau manoir, da !
– J’y ai passĂ© une fois, dit le plus jeune. C’est loin, loin du cĂŽtĂ© de Saint-LĂ©onard en Limousin.
– Bah ! douze lieues, dit Jacques, en riant, ça n’est pas si loin ! j’y ai Ă©tĂ© une fois aussi, la fois que le supĂ©rieur de Valcreux m’a donnĂ© une lettre Ă  porter et qu’il m’a prĂȘtĂ© la bourrique du moutier pour gagner du temps. Sans doute que c’était affaire pressante, car il ne la prĂȘte pas volontiers, la grand-bourrique !
– Ignorant ! reprit mon grand-oncle, ce que tu appelles bourrique c’est une mule.
– Ça ne fait rien, grand-pĂšre ! j’ai bien vu la cuisine du chĂąteau et j’ai parlĂ© Ă  l’homme d’affaires, qui s’appelle M. PrĂ©mel. J’ai bien vu aussi le jeune monsieur, et Ă  prĂ©sent je comprends que la lettre, c’était pour manigancer son entrĂ©e au couvent.
– C’était une affaire manigancĂ©e depuis qu’il est au monde, reprit le pĂšre Jean. On n’attendait que l’ñge, et moi, qui vous parle, j’ai eu ma dĂ©funte niĂšce, la mĂšre Ă  la petite que voilĂ , vachĂšre dans le chĂąteau en question. Je peux trĂšs bien dire ce qui en est de la famille. C’est des gens qui ont pour deux cent mille bons Ă©cus de terre au soleil, et des terres bien en rapport. Ça n’est pas nĂ©gligĂ© et pillĂ© comme celles du moutier d’ici. L’homme d’affaires, l’intendant, comme ils l’appellent, est un homme entendu et trĂšs dur ; mais c’est comme ça qu’il faut ĂȘtre quand on est chargĂ© d’une grosse rĂ©gie.
Pierre observa que ce n’était pas la peine d’ĂȘtre si riche, quand on mettait de cĂŽtĂ© deux enfants sur trois. Il blĂąma, au point de vue des idĂ©es nouvelles qui commençaient Ă  pĂ©nĂ©trer jusque dans nos chaumiĂšres, le parti que prenaient encore certains nobles Ă  l’égard de leurs cadets.
Mon oncle Ă©tait un paysan de la vieille roche ; il dĂ©fendit le droit d’aĂźnesse, disant que, sans cela, tous les grands biens seraient gaspillĂ©s.
On se querella un peu. Pierre, qui avait la tĂȘte vive, parla haut Ă  son grand-pĂšre et finit par lui dire :
– C’est bien heureux que les pauvres n’aient rien Ă  se partager, car voilĂ  mon frĂšre aĂźnĂ© que j’aime beaucoup et que je serais forcĂ© de dĂ©tester si je savais qu’il y a chez nous quelque chose dont je n’aurai rien.
– Vous ne savez pas ce que vous dites, rĂ©pondit le vieux ; c’est des idĂ©es de gueux que vous avez lĂ . Dans la noblesse, on pense plus haut, on ne regarde qu’à la conservation de la grandeur, et les plus jeunes se font l’honneur de se sacrifier pour conserver les biens et les titres dans la famille.
Je demandai ce que cela voulait dire se sacrifier.
– Tu es trop petite pour savoir ça, rĂ©pondit le pĂšre Jean.
Et il alla se coucher en marmottant tout bas sa priĂšre.
Comme je rĂ©pĂ©tais entre mes dents sacrifier, qui Ă©tait un mot tout nouveau pour moi, Pierre qui aimait Ă  faire l’entendu, me dit :
– Je sais, moi, ce que veut dire le grand-pĂšre. Il a beau dĂ©fendre les moines, et les moines ont beau avoir des biens et le plaisir de ne rien faire, on sait qu’il n’y a pas de gens plus malheureux.
– Pourquoi sont-ils malheureux ?
– Parce qu’on les mĂ©prise, rĂ©pondit Jacques en haussant les Ă©paules.
Et il alla se coucher aussi.
Je restai un petit moment aprĂšs avoir rangĂ© le souper tout doucement pour ne point Ă©veiller le pĂšre Jean, qui ronflait dĂ©jĂ , et, comme Pierre couvrait le feu qui Ă©tait notre seule clartĂ© dans la chambre, je m’approchai de lui pour causer tout bas. J’étais tourmentĂ©e de savoir pourquoi les moines Ă©taient mĂ©prisĂ©s et malheureux.
– Tu vois bien, me dit-il, que c’est des hommes qui n’ont ni femmes ni enfants. On ne sait pas seulement s’ils ont pĂšre et mĂšre, frĂšres ou sƓurs. SitĂŽt qu’ils sont encagĂ©s, leu...

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