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Nanon
George Sand
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Nanon
George Sand
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Nanon, la narratrice, nous conte le rĂ©cit de sa vie, la marquise de Franqueville, une vie de petite fille de la campagne, illettrĂ©e, mais gagnĂ©e par le dĂ©sir d'apprendre Ă lire pour s'en sortir...C'est avec Emilien de Francqueville qu'elle apprend Ă ĂȘtre femme et construit sa vie. DĂ©terminĂ©e, c'est avec intelligence et avec force de travail qu'elle va rĂ©ussir.
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Information
II
II
Je me sentis bien honteuse ; pour sĂ»r, ce garçon se moquait de moi, et il faut croire que jâavais beaucoup dâamour-propre, car cette honte me peina le cĆur et je ne pus me retenir de pleurer.
Alors, le jeune religieux sâĂ©tonna et me dit dâune voix aussi douce que sa figure :
â Tu pleures, petite ? quel chagrin as-tu donc ?
â Câest, lui rĂ©pondis-je, Ă cause de mon ouaille qui sâest sauvĂ©e dans votre prĂ©.
â Eh bien, elle nâest pas perdue pour ça. Elle est contente puisquâelle mange ?
â Elle est contente, je le sais bien ; mais, moi, je suis fĂąchĂ©e, parce quâelle est en maraude.
â Quâest-ce que ça veut dire, en maraude ?
â Elle mange sur le bien dâautrui.
â Le bien dâautrui ! tu ne sais ce que tu dis, ma petite. Le bien des moines est Ă tout le monde.
â Ah ! câest donc quâil nâest plus aux moines ? Je ne savais pas.
â Est-ce que tu nâas pas de religion ?
â Si fait, je sais dire ma priĂšre.
â Eh bien, tu demandes tous les matins Ă Dieu ton pain quotidien, et lâĂglise, qui est riche, doit donner Ă ceux qui demandent au nom du Seigneur. Elle ne servirait Ă rien si elle ne servait Ă rĂ©pandre la charitĂ©.
Jâouvrais de grands yeux et ne comprenais guĂšre, car, sans ĂȘtre bien mĂ©chants, les moines de Valcreux se dĂ©fendaient tant quâils pouvaient contre les pillards, et il y avait le pĂšre Fructueux qui remplissait les fonctions dâĂ©conome, et qui faisait grand bruit et de grosses menaces aux pĂątours pris en faute. Il les poursuivait avec une houssine, pas bien loin, il est vrai, il Ă©tait trop gras pour courir ; mais il faisait peur tout de mĂȘme et on le disait mĂ©chant, encore quâil nâeĂ»t pas battu un chat.
Je demandai au jeune garçon si le pÚre Fructueux serait consentant de voir mon mouton manger son herbe.
â Je nâen sais rien, rĂ©pondit-il ; mais je sais que lâherbe nâest point Ă lui.
â Et Ă qui donc est-elle ?
â Elle est Ă Dieu, qui la fait pousser pour tous les troupeaux. Tu ne me crois pas ?
â Dame ! je ne sais. Mais ce que vous me dites lĂ mâarrangerait bien ! Si ma pauvre petite Rosette pouvait manger sa faim chez vous pendant la grande sĂ©cheresse, je vous rĂ©ponds que je ne ferais pas la paresseuse pour ça. SitĂŽt les gazons repoussĂ©s dans la montagne, je me remettrais Ă lây conduire, je vous dis la vĂ©ritĂ©.
â Eh bien, laisse-la oĂč elle est, et viens la chercher ce soir.
â Ce soir ? oh ! nenni ! Si les moines la voient, ils la mettront chez eux, en fourriĂšre, et mon grand-oncle sera forcĂ© dâaller la redemander et dâendurer leurs reproches : et moi, il me grondera et me dira que je suis une vilaine comme les autres, ce qui me fera beaucoup de peine.
â Je vois que tu es une enfant bien Ă©levĂ©e. OĂč donc demeure-t-il, ton grand-oncle ?
â LĂ -haut, la plus petite maison Ă la moitiĂ© du ravin. La voyez-vous ? celle aprĂšs les trois gros chĂątaigniers ?
â Câest bien, je te conduirai ton mouton quand il aura assez mangĂ©.
â Mais si les moines vous grondent ?
â Ils ne me gronderont pas. Je leur expliquerai leur devoir.
â Vous ĂȘtes donc maĂźtre chez eux ?
â Moi ? pas du tout. Je ne suis rien quâun Ă©lĂšve. On mâa confiĂ© Ă eux pour ĂȘtre instruit et pour me prĂ©parer Ă ĂȘtre religieux quand je serai en Ăąge.
â Et quand est-ce que vous serez en Ăąge ?
â Dans deux ou trois ans. Jâen ai bientĂŽt seize.
â Alors, vous ĂȘtes novice, comme on dit ?
â Pas encore, je ne suis ici que depuis deux jours.
â Câest donc ça que je ne vous ai jamais vu ? Et de quel pays ĂȘtes-vous ?
â Je suis de ce pays ; as-tu entendu parler de la famille et du chĂąteau de Franqueville ?
â Ma foi, non. Je ne connais que le pays de Valcreux. Est-ce que vos parents sont pauvres, pour vous renvoyer comme ça dâavec eux ?
â Mes parents sont trĂšs riches ; mais nous sommes trois enfants, et, comme ils ne veulent pas diviser leur fortune, ils la gardent pour le fils aĂźnĂ©. Ma sĆur et moi, nous nâaurons quâune part une fois faite, pour entrer chacun dans un couvent.
â Quel Ăąge est-ce quâelle a, votre sĆur ?
â Onze ans : et toi ?
â Je nâai pas encore treize ans faits.
â Alors, tu es grande, ma sĆur est plus petite que toi de toute la tĂȘte.
â Sans doute que vous lâaimez, votre petite sĆur ?
â Je nâaimais quâelle.
â Ah bah ! et vos pĂšre et mĂšre ?
â Je ne les connais presque pas.
â Et votre frĂšre ?
â Je le connais encore moins.
â Comment ça se fait-il ?
â Nos parents nous ont fait Ă©lever Ă la campagne, ma sĆur et moi, et ils nây viennent pas souvent, ils vivent avec le fils aĂźnĂ© Ă Paris. Mais tu nâas jamais entendu parler de Paris, puisque tu ne connais pas seulement Franqueville.
â Paris oĂč il y a le roi ?
â Justement.
â Et vos parents demeurent chez le roi !
â Oui, ils servent dans sa maison.
â Ils sont les domestiques du roi ?
â Ils sont officiers ; mais tu ne comprends rien Ă tout cela et cela ne peut tâintĂ©resser. Parle de ton mouton. Est-ce quâil tâobĂ©it quand tu lâappelles ?
â Pas trop, quand il est affamĂ© comme aujourdâhui.
â Alors, quand je voudrai te le ramener, il ne mâobĂ©ira pas ?
â Ăa se peut bien. Jâaime mieux attendre, puisque vous le souffrez un peu chez vous.
â Chez moi ? Je nâai pas de chez moi, ma petite, et je nâen aurai jamais. On mâa Ă©levĂ© dans cette idĂ©e-lĂ que rien ne devait mâappartenir, et toi qui as un mouton, tu es plus riche que moi.
â Et ça vous fait de la peine de ne rien avoir ?
â Non, pas du tout ; je suis content de nâavoir pas Ă me donner de mal pour des biens pĂ©rissables.
âPĂ©rissables ? Ah ! oui, mon mouton peut pĂ©rir !
â Et vivant, il te donne du souci ?
â Sans doute, mais je lâaime et ne regrette pas mon soin. Vous nâaimez donc rien, vous ?
â Jâaime tout le monde.
â Mais pas les moutons ?
â Je ne les aime ni ne les hais.
â Câest pourtant des bĂȘtes bien douces. Est-ce que vous aimez les chiens ?
â Jâen ai eu un que jâaimais. On nâa pas voulu quâil me suive au couvent.
â Alors vous avez du chagrin dâĂȘtre comme ça tout seul de chez vous, en pĂ©nitence chez les autres ?
Il me regarda dâun air Ă©tonnĂ©, comme sâil nâavait pas encore pensĂ© Ă ce que je lui disais, et puis, il rĂ©pondit :
â Je ne dois me faire de peine Ă propos de rien. On mâa toujours dit : « Ne vous mĂȘlez de rien, ne vous attachez Ă rien, apprenez Ă ne vous affecter de rien. Câest votre devoir et vous nâaurez de bonheur quâen faisant votre devoir. »
â Câest drĂŽle, ça ! mon grand-oncle me dit tout Ă fait la mĂȘme chose ; mais il dit que mon devoir est de mâoccuper de tout, dâĂȘtre bonne Ă tout dans la maison et dâavoir du cĆur pour toute sorte dâouvrages. Sans doute quâon dit ça aux enfants des pauvres et quâon dit autrement aux enfants riches.
â Non ! on dit cela aux enfants qui doivent entrer dans les couvents. Mais voilĂ lâheure de me rendre aux offices de la vĂȘprĂ©e. Tu rappelleras ton mouton quand tu voudras, et, si tu veux le ramener demainâŠ
â Oh ! je nâoserais !
â Tu peux le ramener, je parlerai Ă lâĂ©conome.
â Il fera votre volontĂ© ?
â Il est trĂšs bon, il ne me refusera pas.
Le jeune homme me quitta et je le vis qui rentrait par les jardins, au son de la cloche. Je laissai encore un peu pĂąturer Rosette, et puis je la rappelai et la ramenai Ă la maison. Depuis ce jour-lĂ , je me suis trĂšs bien souvenue de tout ce qui est survenu dans ma vie. Je ne fis dâabord pas de grandes rĂ©flexions sur mon entretien avec ce jeune moine. JâĂ©tais toute Ă lâidĂ©e riante que peut-ĂȘtre il mâobtiendrait un permis de pĂąturage de temps en temps pour Rosette. Je me serais contentĂ©e de peu. JâĂ©tais comme portĂ©e naturellement Ă la discrĂ©tion, mon oncle mâayant donnĂ© en tout des exemples de politesse et de sobriĂ©tĂ©.
Je nâĂ©tais pas grande conteuse, mes cousins, trĂšs moqueurs, ne mây encourageaient point ; mais, le permis de pĂąturage me trottant par la tĂȘte, je racontai ce soir-lĂ Ă souper tout ce que je viens de raconter, et je le fis mĂȘme assez exactement pour attirer lâattention de mon grand-oncle.
â Ah ! oui-dĂ ! fit-il, ce jeune monsieur quâils ont amenĂ© au couvent lundi soir et que personne nâavait encore vu, câest le petit Franqueville ! un cadet de grande maison, câest comme cela quâon dit. â Vous connaissez bien Franqueville, mes gars ? un beau manoir, da !
â Jây ai passĂ© une fois, dit le plus jeune. Câest loin, loin du cĂŽtĂ© de Saint-LĂ©onard en Limousin.
â Bah ! douze lieues, dit Jacques, en riant, ça nâest pas si loin ! jây ai Ă©tĂ© une fois aussi, la fois que le supĂ©rieur de Valcreux mâa donnĂ© une lettre Ă porter et quâil mâa prĂȘtĂ© la bourrique du moutier pour gagner du temps. Sans doute que câĂ©tait affaire pressante, car il ne la prĂȘte pas volontiers, la grand-bourrique !
â Ignorant ! reprit mon grand-oncle, ce que tu appelles bourrique câest une mule.
â Ăa ne fait rien, grand-pĂšre ! jâai bien vu la cuisine du chĂąteau et jâai parlĂ© Ă lâhomme dâaffaires, qui sâappelle M. PrĂ©mel. Jâai bien vu aussi le jeune monsieur, et Ă prĂ©sent je comprends que la lettre, câĂ©tait pour manigancer son entrĂ©e au couvent.
â CâĂ©tait une affaire manigancĂ©e depuis quâil est au monde, reprit le pĂšre Jean. On nâattendait que lâĂąge, et moi, qui vous parle, jâai eu ma dĂ©funte niĂšce, la mĂšre Ă la petite que voilĂ , vachĂšre dans le chĂąteau en question. Je peux trĂšs bien dire ce qui en est de la famille. Câest des gens qui ont pour deux cent mille bons Ă©cus de terre au soleil, et des terres bien en rapport. Ăa nâest pas nĂ©gligĂ© et pillĂ© comme celles du moutier dâici. Lâhomme dâaffaires, lâintendant, comme ils lâappellent, est un homme entendu et trĂšs dur ; mais câest comme ça quâil faut ĂȘtre quand on est chargĂ© dâune grosse rĂ©gie.
Pierre observa que ce nâĂ©tait pas la peine dâĂȘtre si riche, quand on mettait de cĂŽtĂ© deux enfants sur trois. Il blĂąma, au point de vue des idĂ©es nouvelles qui commençaient Ă pĂ©nĂ©trer jusque dans nos chaumiĂšres, le parti que prenaient encore certains nobles Ă lâĂ©gard de leurs cadets.
Mon oncle Ă©tait un paysan de la vieille roche ; il dĂ©fendit le droit dâaĂźnesse, disant que, sans cela, tous les grands biens seraient gaspillĂ©s.
On se querella un peu. Pierre, qui avait la tĂȘte vive, parla haut Ă son grand-pĂšre et finit par lui dire :
â Câest bien heureux que les pauvres nâaient rien Ă se partager, car voilĂ mon frĂšre aĂźnĂ© que jâaime beaucoup et que je serais forcĂ© de dĂ©tester si je savais quâil y a chez nous quelque chose dont je nâaurai rien.
â Vous ne savez pas ce que vous dites, rĂ©pondit le vieux ; câest des idĂ©es de gueux que vous avez lĂ . Dans la noblesse, on pense plus haut, on ne regarde quâĂ la conservation de la grandeur, et les plus jeunes se font lâhonneur de se sacrifier pour conserver les biens et les titres dans la famille.
Je demandai ce que cela voulait dire se sacrifier.
â Tu es trop petite pour savoir ça, rĂ©pondit le pĂšre Jean.
Et il alla se coucher en marmottant tout bas sa priĂšre.
Comme je rĂ©pĂ©tais entre mes dents sacrifier, qui Ă©tait un mot tout nouveau pour moi, Pierre qui aimait Ă faire lâentendu, me dit :
â Je sais, moi, ce que veut dire le grand-pĂšre. Il a beau dĂ©fendre les moines, et les moines ont beau avoir des biens et le plaisir de ne rien faire, on sait quâil nây a pas de gens plus malheureux.
â Pourquoi sont-ils malheureux ?
â Parce quâon les mĂ©prise, rĂ©pondit Jacques en haussant les Ă©paules.
Et il alla se coucher aussi.
Je restai un petit moment aprĂšs avoir rangĂ© le souper tout doucement pour ne point Ă©veiller le pĂšre Jean, qui ronflait dĂ©jĂ , et, comme Pierre couvrait le feu qui Ă©tait notre seule clartĂ© dans la chambre, je mâapprochai de lui pour causer tout bas. JâĂ©tais tourmentĂ©e de savoir pourquoi les moines Ă©taient mĂ©prisĂ©s et malheureux.
â Tu vois bien, me dit-il, que câest des hommes qui nâont ni femmes ni enfants. On ne sait pas seulement sâils ont pĂšre et mĂšre, frĂšres ou sĆurs. SitĂŽt quâils sont encagĂ©s, leu...