L'Enéide
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Mr Virgile

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Mr Virgile

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Ce poème de dix mille vers conte l'histoire d'un jeune prince Enée, rescapé du sac de Troie, qui mêle à ses multiples péripéties quelques compagnons d'infortune. Cet homme est à la genèse de la cité de Rome.

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Information

Year
2020
ISBN
9782322223794
Edition
1

LIVRE XII

LIVRE XII
Turnus, voyant que les Latins, dont les revers ont brisé les efforts, commencent à lâcher prise, qu’on le somme de tenir ses promesses et qu’il est le point de mire de tous les yeux, n’en est que plus ardent, plus implacable ; et son cœur s’en exalte davantage. Dans la plaine carthaginoise le lion, lorsque les chasseurs ont atteint sa poitrine d’une rude blessure, alors seulement met en jeu toutes ses armes, se plaît à secouer sa crinière sur son cou musculeux, rompt sans effroi le trait dont l’homme embusqué l’a percé et rugit d’une gueule sanglante : ainsi la violence grandit dans l’âme enflammée de Turnus. Il s’adresse au roi et commence bouillonnant de colère : « Turnus n’hésite pas ; les lâches compagnons d’Énée n’ont aucune raison de se rétracter et de se refuser à tenir leur engagement. Je cours au combat ; prépare le sacrifice, père, et prononce la formule du traité. Ou cette main fera descendre au Tartare le Dardanien, ce déserteur de l’Asie, – que les Latins restent assis et regardent ! – et seul, à la force de l’épée, je nous laverai de notre commune honte ; ou alors que cet homme nous ait en son pouvoir, et que Lavinia soit son épouse. »
Latinus lui répondit d’un cœur apaisé ; « Magnanime jeune homme, plus tu l’emportes par ton fier courage, plus il est juste que je réfléchisse et que, dans la crainte que j’éprouve, je pèse tous les hasards. Tu as un royaume, celui de ton père Daunus ; tu as de nombreuses places fortes, tes conquêtes. Latinus est riche, et il est libéral. Il y a dans le Latium et dans le pays des Laurentes d’autres jeunes filles à marier dont la naissance n’est point indigne de toi. Laisse-moi t’exposer sans réticence des choses pénibles à dire et retiens mes paroles. Il m’était interdit de marier ma fille à aucun de ses anciens prétendants : c’était l’ordre des dieux et des devins. Je cédai à l’affection que j’avais pour toi ; je cédai à la communauté du sang, aux larmes et à la douleur de ma femme ; j’ai rompu tous les liens ; j’ai repris ma fille à mon gendre malgré ma promesse ; je me suis armé contre la volonté des dieux. De ce jour, que de malheurs, que de guerres me poursuivent, tu le vois, Turnus, et quelles épreuves ! Tu es le premier à les subir. Vaincus deux fois dans une grande bataille, c’est à peine si cette ville peut abriter les espoirs de l’Italie. Les flots du Tibre fument encore de notre sang, et nos ossements blanchissent l’immensité de la plaine. Pourquoi revenir si souvent sur mes pas ? Quelle folie bouleverse ma raison ? La mort de Turnus doit m’amener à conclure une alliance avec les Troyens : pourquoi ne pas arrêter les combats pendant qu’il est encore vivant ? Que diront les Rutules, nos frères par le sang ? Que dira le reste de l’Italie si je te livre à la mort – puisse le sort démentir ces paroles ! – au moment où tu recherchais ma fille en mariage ? Songe aux hasards de la guerre ; prends pitié de ton père chargé d’années, que maintenant sa patrie, Ardée, retient loin de nous et qui s’afflige. » Ces paroles ne fléchissent pas la violence de Turnus ; elles ne font que l’exaspérer et, loin de la calmer, irritent sa blessure. Dès qu’il peut s’exprimer, il répond : « Quitte, je t’en prie, ô le meilleur des rois, quitte ce souci que tu prends de moi, et laisse-moi acheter la gloire au prix de ma mort. Nous aussi, mon père, nous lançons des traits, et le fer dans nos mains n’est point débile : le sang coule des blessures que nous faisons. Sa mère, la déesse, ne sera pas toujours là pour couvrir sa fuite d’un nuage bien féminin et pour se cacher elle-même dans une ombre vaine. »
Mais la reine, épouvantée des nouvelles conditions de la bataille, versait des larmes et, toute prête à mourir, essayait de modérer l’ardeur de son gendre : « Turnus, je t’en supplie par ces pleurs, par tes égards envers Amata, si tu en as pour elle, – tu es le seul espoir, l’unique appui, de ma misérable vieillesse ; tu as entre les mains l’honneur et le pouvoir de Latinus, et notre maison chancelante repose sur toi, – je ne t’adresse qu’une prière : renonce à te battre contre les Troyens. Quelque sort que te réserve ce combat, il me le réserve aussi. En même temps que toi je quitterai cette odieuse lumière, et je ne verrai pas, captive, Énée mon gendre. » Les paroles de sa mère inondèrent de larmes les joues brûlantes de Lavinia. Une vive rougeur enflamma son visage et y fit courir une bouffée de chaleur. L’ivoire indien s’altère au contact d’une pourpre sanglante ; les lis blancs mêlés à un bouquet de roses se teignent de leurs chaudes couleurs : ainsi se colorait le visage de la jeune fille. Troublé d’amour, Turnus attache ses yeux sur elle ; son ardeur guerrière croît encore, et il répond brièvement à Amata : « Je t’en prie, épargne-moi ces larmes et ces mauvais présages à l’instant où je cours aux dures batailles de Mars, ô ma mère. Il n’appartient pas à Turnus de retarder sa mort. Sois mon messager, Idmon ; porte au tyran phrygien ces paroles qui ne seront pas de son goût : demain, lorsque traînée dans son char de pourpre l’Aurore rougira le ciel, qu’il ne pousse pas ses Troyens contre les Rutules ; que les armes des Rutules et des Troyens se reposent ; à nous de terminer la guerre dans notre propre sang ; que, sur ce champ de bataille, le vainqueur gagne la main de Lavinia. »
Quand il eut prononcé ces mots, il rentra rapidement dans sa demeure. Il demande ses chevaux et se réjouit de voir frémir sous ses yeux ces bêtes qu’Orithye avait données comme une marque d’honneur à Pilumnus, ces bêtes merveilleuses qui passaient la neige en blancheur, les vents en vitesse. Les cochers s’empressent autour d’elles ; du creux de leurs mains, ils flattent les poitrails et peignent les crinières. Puis Turnus endosse lui-même sa cuirasse hérissée d’or et de pâle orichalque. En même temps, il ajuste habilement son épée, son bouclier et son casque aux rouges aigrettes. Cette épée, le dieu maître du feu l’avait faite pour Daunus son père et l’avait trempée incandescente dans les eaux du Styx. Ensuite il saisit vigoureusement une forte lance appuyée, au milieu du palais, contre une énorme colonne. Il en avait dépouillé l’Auronce Actor et il la brandit frémissante en s’écriant : « Le temps est venu, ô lance que je n’ai jamais appelée en vain ! Le temps est venu : le puissant Actor t’a portée ; c’est maintenant le tour de Turnus. Accorde-moi d’abattre le corps de cet eunuque phrygien. Fais que mon robuste bras arrache et mette en pièces sa cuirasse et que je souille de poussière ses cheveux frisés au fer chaud et parfumés de myrrhe ! » Ainsi les furies l’agitent ; tout son ardent visage jette des étincelles ; le feu brille dans ses yeux durs. Ainsi un taureau, lorsque, pour la première fois, il va combattre, pousse d’effroyables mugissements, s’exaspère, éprouve ses cornes contre le tronc d’un arbre, fatigue l’air de ses coups et prélude au combat en éparpillant l’arène.
Non moins farouche cependant sous les armes maternelles, Énée sent Mars s’éveiller en lui et sa fureur grandir ; il est heureux qu’on lui propose ce combat singulier pour terminer la guerre. Il rassure ses compagnons ; il calme les craintes d’Iule ; il leur rappelle les oracles. Ses envoyés, des guerriers, portent à Latinus sa réponse décisive et lui font connaître les conditions de la paix.
À peine le jour du lendemain répandait-il sa lumière sur la cime des montagnes, à l’heure où les chevaux du Soleil s’élancent des profondeurs de la mer et soufflent de la lumière par leurs naseaux levés, Rutules et Troyens, au pied des murs de la grande ville, préparaient déjà et mesuraient le terrain du combat. Au milieu ils dressaient les foyers sacrés et les autels de gazon pour les dieux qu’ils prendraient également à témoin. D’autres apportaient l’eau de source et le feu, vêtus de la jupe à bordure de pourpre et les tempes ceintes de verveine. La légion des Ausoniens s’avance ; les portes grandes ouvertes déversent ces régiments armés de leurs javelots. De l’autre côté, toute l’armée troyenne et tyrrhénienne se précipite avec la diversité de ses armes, hérissée de fer comme si Mars l’appelait à ses rudes batailles. Parmi ces milliers d’hommes voltigent les chefs superbement ornés de pourpre et d’or : le fils d’Assaracus, Mnesthée, le brave Asilas, et Messape, dompteur de chevaux, Messape fils de Neptune. Quand au signal donné chacun se fut retiré dans ses limites, ils plantent leurs lances en terre et déposent leurs boucliers. Alors, entraînés par leur curiosité, les femmes, le peuple sans armes, les vieillards débiles ont occupé les tours et les toits des maisons ; les autres se rangent sur le haut des portes.
Cependant Junon, regardant de la cime qu’on nomme aujourd’hui le Mont Albain, mais qui alors n’avait pas de nom, pas d’honneur, pas de gloire, considérait la plaine, les deux armées des Laurentes et des Troyens et la ville de Latinus. Tout à coup, elle s’est adressée, déesse à une déesse, à la sœur de Turnus qui préside aux marais dormants et aux rivières sonores : le très haut roi du ciel, Jupiter, lui avait accordé cet honneur sacré pour prix de sa virginité qu’il avait prise. « Nymphe, l’honneur des fleuves, toi qui es si chère à notre cœur, tu sais comment, parmi toutes les femmes latines qui ont partagé, sans avoir à s’en louer, la couche du magnanime Jupiter, j’ai fait une exception en ta faveur et comment à toi seule j’ai bien voulu donner une place au ciel ; apprends ta douloureuse infortune, Juturne, et ne m’en accuse pas. Dans la mesure où la Fortune semblait l’admettre et où les Parques autorisaient le succès du Latium, j’ai protégé Turnus et tes remparts. Maintenant je vois que ce jeune homme affronte un destin supérieur au sien et qu’une force ennemie et le jour des Parques approchent. Je ne puis être témoin de ce combat ni de cette alliance. Si tu oses tenter quelque chose de plus efficace pour ton frère, hâte-toi, cela te convient. Peut-être notre misère en éprouvera-t-elle un adoucissement. » À peine eut-elle parlé, Juturne éclata en larmes et trois et quatre fois de sa main frappa sa belle poitrine. « Le moment n’est pas aux pleurs, dit la Saturnienne Junon ; dépêche-toi et, si c’est possible, arrache ton frère à la mort. Ou encore fais de nouveau se rallumer la guerre et déchire le traité conclu. Je prends tes audaces à mon compte. » Ces exhortations laissaient Juturne hésitante, l’âme blessée et désemparée par sa triste blessure.
Cependant voici les rois : Latinus à la taille puissante, traîné dans un quadrige, le front ceint de douze rayons d’or brillant, symbole du Soleil, son ancêtre ; Turnus sur un char attelé de deux chevaux blancs, brandissant de sa main deux lances au large fer ; de son côté, Énée, le père et le fondateur de la race romaine, sous son bouclier qui a l’éclat d’un astre et sous ses armes divines, et près de lui Ascagne, seconde espoir de la puissante Rome, s’avancent hors du camp ; dans sa robe blanche, un prêtre a conduit un porcelet et une brebis dont la toison est vierge du fer et les a approchés des autels embrasés. Les rois, les yeux tournés vers le soleil levant, offrent de leurs mains les galettes salées, puis marquent avec le fer le sommet du front des bêtes et répandent des libations sur l’autel. Alors le pieux Énée, l’épée haute, fait cette prière : « Que le soleil me soit témoin et témoin cette terre que j’invoque et pour laquelle j’ai pu supporter de si grandes épreuves : ô Père tout-puissant et toi, Saturnienne, son épouse, que je supplie de nous être maintenant, oui maintenant, plus favorable ; et toi, illustre Mars, ô père dont la volonté tient le gouvernail de toutes les guerres, je vous implore, Fontaines et Fleuves et tout ce que nous adorons dans les hauteurs du ciel et toutes les divinités de la mer céruléenne. Si le sort donne la victoire à l’Ausonien Turnus, il est convenu que les Troyens se retireront vers la ville d’Évandre ; Iule abandonnera ce territoire et désormais mes compagnons, qui ne seront pas des rebelles, ne reprendront pas les armes et ne tourneront plus le fer contre ce royaume. Mais si la Victoire consent à ce que Mars soit pour nous, – comme je le crois plutôt, et plaise aux dieux de confirmer cet espoir, – je n’ordonnerai pas aux Italiens d’obéir aux Troyens ; je ne revendiquerai pas la royauté pour moi : que les deux nations invaincues entrent sous des lois égales dans une alliance éternelle ; je leur donnerai mes rites sacrés et mes dieux. Mon beau-père Latinus conservera le pouvoir militaire ; mon beau-père gardera le pouvoir traditionnel ; les Troyens me bâtiront à moi une ville et Lavinia lui donnera son nom. »
Ce fut ainsi qu’Énée parla d’abord. Après lui, Latinus, les regards et les mains tournés vers le ciel : « J’en atteste, Énée, ces mêmes divinités, la Terre, la Mer, les Astres, la double descendance de Latone, Janus aux deux visages, la force des dieux infernaux et le séjour sacré du farouche Pluton. Qu’il m’entende aussi, le Père qui de sa foudre sanctionne les traités. La main sur l’autel, j’atteste les feux placés entre nous et les divinités : quelles que soient les circonstances, jamais le jour ne se lèvera qui verrait les Italiens rompre cette paix et cette alliance. Aucune force ne brisera ma volonté, dût-elle précipiter la terre dans le déluge des flots et abîmer le ciel dans le Tartare, non, aussi vrai que ce sceptre – et son sceptre se trouvait dans sa droite – n’étendra plus de branches au léger feuillage ni d’ombre, depuis que, coupé dans la forêt de sa souche profonde, il n’a plus de mère et que, sous le fer, il a perdu sa chevelure et ses bras : arbre jadis, aujourd’hui enfermé par l’artiste dans un beau cercle d’airain, insigne royal aux mains des chefs du Latium. »
Ils scellaient ainsi leur alliance sous les regards des capitaines de l’armée. Puis, selon le rite, ils égorgent au-dessus des flammes les bêtes consacrées ; ils en arrachent les entrailles encore palpitantes et chargent les autels des bassins qui en sont remplis.
Mais, depuis longtemps déjà, le combat paraissait inégal aux Rutules, et des mouvements divers leur agitaient le cœur. Leur émotion s’accroît à mesure que l’inégalité des deux rivaux leur devient plus visible. L’attitude de Turnus confirme leur crainte, la démarche silencieuse du jeune homme qui, devant l’autel, les yeux baissés, s’incline comme un suppliant, le duvet de l’adolescence sur les joues et, malgré sa jeunesse, tout pâle. Dès que sa sœur Juturne sent le murmure grandir et voit les cœurs incertains chanceler, elle descend au milieu des troupes rangées : elle a emprunté la forme de Camers, guerrier de noble race, dont le père avait illustré son nom par son courage et qui était lui-même terrible à la bataille. Elle descend donc au milieu des troupes, sachant bien ce qu’elle veut et répand ainsi les bruits les plus divers : « N’avez-vous pas honte, ô Rutules, d’exposer une seule vie pour les braves que nous sommes tous ? N’avons-nous pas l’égalité du nombre et de la force ? Les voici tous, Troyens et Arcadiens, avec la troupe levée par le destin, avec l’Étrurie hostile à Turnus. Chacun de nous trouverait à peine un adversaire si nous ne combattions qu’un sur deux. Les dieux, aux autels de qui Turnus se dévoue, élèveront sa renommée jusqu’à eux et mettront sa gloire sur toutes les lèvres ; mais nous autres qui aurons perdu notre patrie, nous serons forcés d’obéir à ces maîtres superbes, pour être maintenant restés les bras croisés dans nos champs ! » Ces paroles enflamment de plus en plus l’esprit de la jeunesse et une rumeur court par toute l’armée. Les Laurentes eux-mêmes, les Latins eux-mêmes sont changés. Ils espéraient tout à l’heure la cessation des combats, le salut par la paix ; maintenant ce sont des armes qu’ils demandent et la rupture du traité, et ils prennent en pitié le sort immérité de Turnus.
Juturne joint à ses paroles un stratagème encore plus puissant. Des hauteurs du ciel elle envoie aux Italiens un tel prodige qu’il n’y en eut jamais de plus propre à troubler leur esprit et à les tromper. Le fauve oiseau de Jupiter poursuivait sous le ciel empourpré les oiseaux du rivage et leur troupe ailée et bruissante, lorsque soudain il fondit sur les eaux, et le cruel saisit de ses serres crochues un cygne magnifique. L’attention des Italiens se fixe sur ce spectacle. Ô merveille ! Tous les oiseaux à grands cris font volte-face. Leurs ailes obscurcissaient le ciel ; ce nuage vient, à travers les airs, accabler l’ennemi tant qu’enfin, vaincu par la force et par son fardeau, il succombe, ouvre ses serres, laisse tomber sa proie dans le fleuve et s’enfuit au plus profond des nues. Alors les Rutules saluent d’une clameur et de leurs mains levées ce présage ; et, le premier, l’augure Tolumnius s’écrie : « Voici, voici le signe que dans mes vœux j’ai si souvent demandé ; je l’accepte et je reconnais la volonté des dieux. Suivez-moi ; saisissez vos armes, malheureux qu’un misérable étranger attaque et épouvante comme de faibles oiseaux, lui dont la violence désole vos rivages. Mais il prendra la fuite ; il déploiera ses voiles au loin sur la haute mer. Pour vous, tous tant que vous êtes, serrez vos rangs, allez vous battre et défendre votre roi qu’on veut vous ravir. » Il dit, court à la rencontre des ennemis et lance un javelot. Le trait, lancé d’une main sûre, rend un son strident et fend les airs. En même temps s’élève une immense clameur ; le désordre se met dans tous les rangs, un ardent tumulte dans tous les cœurs. Le trait volant arrive par hasard sur neuf beaux jeunes gens, neuf frères qu’une même Tyrrhénienne, son épouse fidèle, avait donnés à l’Arcadien Gylippe ; l’un d’eux est atteint au milieu du corps, là où le baudrier cousu presse la poitrine et où l’agrafe en mord les deux extrémités ; l’admirable jeune homme aux armes étincelantes a les côtes transpercées et tombe sur la fauve arène. De ses frères, phalange impétueuse et brûlante de douleur, les uns dégainent leur épée, les autres saisissent leurs javelots, et ils se ruent en aveugles. Contre eux accourent les bataillons des Laurentes, et voici que les Troyens débordent en rangs serrés et les Agyllins et les Arcadiens aux armes peintes. La même passion guerrière les possède tous. Ils ont pillé les autels ; l’air n’est plus qu’une tempête tourbillonnante de traits et une grêle de fer ; on enlève les cratères et les feux sacrés. Latinus lui-même s’enfuit emportant ses dieux outragés par la rupture du traité. Les autres attellent leurs chars ou, d’un bond, sautent sur leurs chevaux et sont là l’épée nue.
Le Tyrrhénien Auleste était roi et portait les insignes de roi. Messape, qui avait tant désiré que le traité fût rompu, pousse contre lui son cheval et l’effraie ; Auleste recule, tombe, et roule à la renverse, le malheureux, de la tête et des épaules, sur les autels. Alors l’ardent Messape vole avec sa lance, et, malgré les prières du vaincu, du haut de son cheval il le frappe rudement de son arme énorme et s’écrie : « Il a son compte ! Voici une victime qui sera plus agréable aux grands dieux ! » Les Italiens s’élancent et dépouillent le cadavre encore chaud. Corynée arrache de l’autel un tison ardent, et comme Élysus s’avançait pour lui porter un coup, il le devance et lui jette le feu au visage. La grande barbe d’Élysus flambe et répand une acre odeur ; Corynée poursuit son ennemi épouvanté, saisit de la main gauche sa chevelure, le couche à terre sous l’effort de son genou et, dans cette position, lui perce le flanc de sa roide épée. Podalirius poursuit le pâtre Alsus qui, à travers les traits, s’était élancé au premier rang ; il le presse, l’épée nue sur lui ; mais Alsus se retourne et d’un coup de hache lui fend la tête du front jusqu’au menton ; le sang coule et arrose largement les armes du guerrier. Un lourd repos et un sommeil de fer tombent sur ses paupières ; ses yeux se ferment pour une nuit éternelle.
De son côté, le pieux Énée tendait ses mains désarmées, la tête nue, et de ses cris rappelait les siens : « Où courez-vous ? D’où vous vient cette soudaine discorde ? Réprimez votre fureur. Le traité est conclu ; toutes les questions réglées. Moi seul, j’ai le droit de combattre ; laissez-moi et bannissez toute crainte. La valeur de mon bras affermira ce traité. Turnus est à moi ; ces sacrifices me le donnent. » Au moment où il élevait la voix et prononçait ces sages paroles, une flèche aux ailes stridentes le frappe. Quelle main l’a lancée ? Quelle force l’a dirigée ? On l’ignore. Qui a permis que les Rutules eussent une telle gloire, le hasard ou un dieu ? Le silence s’est épaissi sur l’honneur de ce haut fait. Personne ne s’est vanté d’avoir blessé Énée.
Quand Turnus voit Énée se retirer du combat et ses capitaines bouleversés, une subite espérance réenflamme son ardeur. Il demande à la fois ses chevaux et ses armes ; d’un bond, il s’élance superbe sur son char et saisit les rênes. Il vole, et de robustes hommes descendent en grand nombre aux Enfers. Il en renverse beaucoup qui sont à demi morts ; il écrase des bataillons sous les roues de son char et accable les fuyards de javelots lancés à la hâte. Lorsque, rapide sur les bords de l’Hèbre glacé, le sanglant Mars fait retentir son bouclier et, déchaînant la guerre, lâche la bride à ses chevaux furieux, ceux-ci dans la plaine ouverte dépassent en volant le Notus et le Zéphyr ; les profondeurs de la Thrace gémissent sous leur sabot ; autour d’eux se presse le cortège du dieu, l’Épouvante au noir visage, la Colère et les Embûches : de même, l’impétueux Turnus pousse dans la mêlée ses chevaux fumant de sueur, qui bondissent impitoyablement sur les cadavres ennemis ; leurs rapides sabots éparpillent une rosée sanglante, et le sable qu’ils foulent est trempé de sang. Il a déjà donné à la Mort Sthénélus, Thamyrus et Pholus, ces deux derniers en les attaquant de près ; l’autre, de loin. Et c’est de loin qu’il a tué les deux fils d’Imbrasus, Glaucus et Ladès, que leur père, en Lycie, avait également instruits et armés pour combattre corps à corps ou pour devancer à cheval la rapidité des vents.
Eumède, sur un autre point, se précipite au milieu du combat : c’est le fils, illustre à la guerre, de l’antique Dolon ; s’il porte le nom de son aïeul, son courage et sa force rappellent son père, le guerrier qui jadis, pour aller espionner au camp des Danaens, osa demander comme récompense le char du fils de Pelée ; mais cette audace reçut un autre prix du fils de Tydée, et il n’ambitionna plus la possession des chevaux d’Achille. Lorsque Turnus aperçut au loin cet Eumède dans la plaine découverte, il lui lança d’abord, à travers l’étendue vide, un léger javelot ; puis il arrête ses deux chevaux, saute à bas de son char, se jette sur l’homme tombé et presque inanimé, lui met le pied sur le cou, lui arrache son épée et la lui plonge étincelante au plus profond de la gorge, en ajoutant ces mots : « Te voici à même, Troyen, de mesurer avec ton corps les champs de cette Hespérie que tu es venu conquérir. C’est le prix que je réserve à ceux qui osent me défier les armes à la main ; c’est ainsi qu’ils fondent leurs remparts. » D’un coup de son javelot il lui donne comme compagnons dans la mort Asbytès, Chlorée, Sybaris, Darès, Thersiloque, Thymétès enfin, tombé du cou de son cheval rétif. Lorsque le souffle du Borée de Thrace retentit au large de la mer Égée, les flots courent après lui jusqu’au rivage et, sous la poussée des vents, les nuages fuient dans le ciel : ainsi partout où Turnus se taille un chemin, les bataillons reculent, les troupes alignées tournent le dos et fuient précipitamment. Son élan l’emporte lui-même et sur son char, qui vole contre le vent, l’air agite so...

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