Anglais
Madame Bovary
Table des matiĂšres
PREMIĂRE PARTIE I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
DEUXIEME PARTIE I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
TROISIEME PARTIE I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
Anglais
PREMIĂRE PARTIE
Table des matiĂšres
I
Table des matiĂšres
Nous Ă©tions Ă lâĂtude, quand le Proviseur entra, suivi dâun nouveau habillĂ© en bourgeois et dâun garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se rĂ©veillĂšrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail.
Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maĂźtre dâĂ©tudes :
â Monsieur Roger, lui dit-il Ă demi-voix, voici un Ă©lĂšve que je vous recommande, il entre en cinquiĂšme. Si son travail et sa conduite sont mĂ©ritoires, il passera dans les grands, oĂč lâappelle son Ăąge.
RestĂ© dans lâangle, derriĂšre la porte, si bien quâon lâapercevait Ă peine, le nouveau Ă©tait un gars de la campagne, dâune quinzaine dâannĂ©es environ, et plus haut de taille quâaucun de nous tous. Il avait les cheveux coupĂ©s droit sur le front, comme un chantre de village, lâair raisonnable et fort embarrassĂ©. Quoiquâil ne fĂ»t pas large des Ă©paules, son habit-veste de drap vert Ă boutons noirs devait le gĂȘner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habituĂ©s Ă ĂȘtre nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient dâun pantalon jaunĂątre trĂšs tirĂ© par les bretelles. Il Ă©tait chaussĂ© de souliers forts, mal cirĂ©s, garnis de clous.
On commença la rĂ©citation des leçons. Il les Ă©couta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, nâosant mĂȘme croiser les cuisses, ni sâappuyer sur le coude, et, Ă deux heures, quand la cloche sonna, le maĂźtre dâĂ©tudes fut obligĂ© de lâavertir, pour quâil se mĂźt avec nous dans les rangs.
Nous avions lâhabitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin dâavoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dĂšs le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon Ă frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussiĂšre ; câĂ©tait lĂ le genre.
Mais, soit quâil nâeĂ»t pas remarquĂ© cette manoeuvre ou quâil nâeĂ»t osĂ© sây soumettre, la priĂšre Ă©tait finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. CâĂ©tait une de ces coiffures dâordre composite, oĂč lâon retrouve les Ă©lĂ©ments du bonnet Ă poil, du chapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs dâexpression comme le visage dâun imbĂ©cile. OvoĂŻde et renflĂ©e de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis sâalternaient, sĂ©parĂ©s par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonnĂ©, couvert dâune broderie en soutache compliquĂ©e, et dâoĂč pendait, au bout dâun long cordon trop mince, un petit croisillon de fils dâor, en maniĂšre de gland. Elle Ă©tait neuve ; la visiĂšre brillait.
â Levez-vous, dit le professeur.
Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit Ă rire.
Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber dâun coup de coude, il la ramassa encore une fois.
â DĂ©barrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui Ă©tait un homme dâesprit.
Il y eut un rire Ă©clatant des Ă©coliers qui dĂ©contenança le pauvre garçon, si bien quâil ne savait sâil fallait garder sa casquette Ă la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tĂȘte. Il se rassit et la posa sur ses genoux.
â Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, dâune voix bredouillante, un nom inintelligible.
â RĂ©pĂ©tez !
Le mĂȘme bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huĂ©es de la classe.
â Plus haut ! cria le maĂźtre, plus haut !
Le nouveau, prenant alors une rĂ©solution extrĂȘme, ouvrit une bouche dĂ©mesurĂ©e et lança Ă pleins poumons, comme pour appeler quelquâun, ce mot : Charbovari.
Ce fut un vacarme qui sâĂ©lança dâun bond, monta en crescendo, avec des Ă©clats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trĂ©pignait, on rĂ©pĂ©tait : Charbovari ! Charbovari !), puis qui roula en notes isolĂ©es, se calmant Ă grand-peine, et parfois qui reprenait tout Ă coup sur la ligne dâun banc oĂč saillissait encore çà et lĂ , comme un pĂ©tard mal Ă©teint, quelque rire Ă©touffĂ©.
Cependant, sous la pluie des pensums, lâordre peu Ă peu se rĂ©tablit dans la classe, et le professeur, parvenu Ă saisir le nom de Charles Bovary, se lâĂ©tant fait dicter, Ă©peler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable dâaller sâasseoir sur le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement, mais, avant de partir, hĂ©sita.
â Que cherchez-vous ? demanda le professeur.
â Ma casâŠ, fit timidement le nouveau, promenant autour de lui des regards inquiets.
â Cinq cents vers Ă toute la classe ! exclamĂ© dâune voix furieuse, arrĂȘta, comme le Quos ego, une bourrasque nouvelle.
â Restez donc tranquilles ! continuait le professeur indignĂ©, et sâessuyant le front avec son mouchoir quâil venait de prendre dans sa toque : Quant Ă vous, le nouveau, vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum.
Puis, dâune voix plus douce :
â Eh ! vous la retrouverez, votre casquette ; on ne vous lâa pas volĂ©e !
Tout reprit son calme. Les tĂȘtes se courbĂšrent sur les cartons, et le nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire, quoiquâil y eĂ»t bien, de temps Ă autre, quelque boulette de papier lancĂ©e dâun bec de plume qui vĂźnt sâĂ©clabousser sur sa figure. Mais il sâessuyait avec la main, et demeurait immobile, les yeux baissĂ©s.
Le soir, Ă lâĂtude, il tira ses bouts de manches de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, rĂ©gla soigneusement son papier. Nous le vĂźmes qui travaillait en conscience, cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal. GrĂące, sans doute, Ă cette bonne volontĂ© dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe infĂ©rieure ; car, sâil savait passablement ses rĂšgles, il nâavait guĂšre dâĂ©lĂ©gance dans les tournures. CâĂ©tait le curĂ© de son village qui lui avait commencĂ© le latin, ses parents, par Ă©conomie, ne lâayant envoyĂ© au collĂšge que le plus tard possible.
Son pĂšre, M. Charles-Denis-BartholomĂ© Bovary, ancien aide-chirurgien-major, compromis, vers 1812, dans des affaires de conscription, et forcĂ©, vers cette Ă©poque, de quitter le service, avait alors profitĂ© de ses avantages personnels pour saisir au passage une dot de soixante mille francs, qui sâoffrait en la fille dâun marchand bonnetier, devenue amoureuse de sa tournure. Bel homme, hĂąbleur, faisant sonner haut ses Ă©perons, portant des favoris rejoints aux moustaches, les doigts toujours garnis de bagues et habillĂ© de couleurs voyantes, il avait lâaspect dâun brave, avec lâentrain facile dâun commis voyageur. Une fois mariĂ©, il vĂ©cut deux ou trois ans sur la fortune de sa femme, dĂźnant bien, se levant tard, fumant dans de grandes pipes en porcelaine, ne rentrant le soir quâaprĂšs le spectacle et frĂ©quentant les cafĂ©s. Le beau-pĂšre mourut et laissa peu de chose ; il en fut indignĂ©, se lança dans la fabrique, y perdit quelque argent, puis se retira dans la campagne, oĂč il voulut faire valoir. Mais, comme il ne sâentendait guĂšre plus en culture quâen indiennes, quâil montait ses chevaux au lieu de les envoyer au labour, buvait son cidre en bouteilles au lieu de le vendre en barriques, mangeait les plus belles volailles de sa cour et graissait ses souliers de chasse avec le lard de ses cochons, il ne tarda point Ă sâapercevoir quâil valait mieux planter lĂ toute spĂ©culation.
Moyennant deux cents francs par an, il trouva donc Ă louer dans un village, sur les confins du pays de Caux et de la Picardie, une sorte de logis moitiĂ© ferme, moitiĂ© maison de maĂźtre ; et, chagrin, rongĂ© de regrets, accusant le ciel, jaloux contre tout le monde, il sâenferma dĂšs lâĂąge de quarante-cinq ans, dĂ©goĂ»tĂ© des hommes, disait-il, et dĂ©cidĂ© Ă vivre en paix.
Sa femme avait Ă©tĂ© folle de lui autrefois ; elle lâavait aimĂ© avec mille servilitĂ©s qui lâavaient dĂ©tachĂ© dâelle encore davantage. EnjouĂ©e jadis, expansive et tout aimante, elle Ă©tait, en vieillissant, devenue (Ă la façon du vin Ă©ventĂ© qui se tourne en vinaigre) dâhumeur difficile, piaillarde, nerveuse. Elle avait tant souffert, sans se plaindre, dâabord, quand elle le voyait courir aprĂšs toutes les gotons de village et que vingt mauvais lieux le lui renvoyaient le soir, blasĂ© et puant lâivresse ! Puis lâorgueil sâĂ©tait rĂ©voltĂ©. Alors elle sâĂ©tait tue, avalant sa rage dans un stoĂŻcisme muet, quâelle garda jusquâĂ sa mort. Elle Ă©tait sans cesse en courses, en affaires. Elle allait chez les avouĂ©s, chez le prĂ©sident, se rappelait lâĂ©chĂ©ance des billets, obtenait des retards ; et, Ă la maison, repassait, cousait, blanchissait, surveillait les ouvriers, soldait les mĂ©moires, tandis que, sans sâinquiĂ©ter de rien, Monsieur, continuellement engourdi dans une somnolence boudeuse dont il ne se rĂ©veillait que pour lui dire des choses dĂ©sobligeantes, restait Ă fumer au coin du feu, en crachant dans les cendres.
Quand elle eut un enfant, il le fallut mettre en nourrice. RentrĂ© chez eux, le marmot fut gĂątĂ© comme un prince. Sa mĂšre le nourrissait de confitures ; son pĂšre le laissait courir sans souliers, et, pour faire le philosophe, disait mĂȘme quâil pouvait bien aller tout nu, comme les enfants des bĂȘtes. Ă lâencontre des tendances maternelles, il avait en tĂȘte un certain idĂ©al viril de lâenfance, dâaprĂšs lequel il tĂąchait de former son fils, voulant quâon lâĂ©levĂąt durement, Ă la spartiate, pour lui faire une bonne constitution. Il lâenvoyait se coucher sans feu, lui apprenait Ă boire de grands coups de rhum et Ă insulter les processions. Mais, naturellement paisible, le petit rĂ©pondait mal Ă ses efforts. Sa mĂšre le traĂźnait toujours aprĂšs elle ; elle lui dĂ©coupait des cartons, lui racontait des histoires, sâentretenait avec lui dans des monologues sans fin, pleins de gaietĂ©s mĂ©lancoliques et de chatteries babillardes. Dans lâisolement de sa vie, elle reporta sur cette tĂȘte dâenfant toutes ses vanitĂ©s Ă©parses, brisĂ©es. Elle rĂȘvait de hautes positions, elle le voyait dĂ©jĂ grand, beau, spirituel, Ă©tabli, dans les ponts et chaussĂ©es ou dans la magistrature. Elle lui apprit Ă lire, et mĂȘme lui enseigna, sur un vieux piano quâelle avait, Ă chanter deux ou trois petites romances. Mais, Ă tout cela, M. Bovary, peu soucieux des lettres, disait que ce nâĂ©tait pas la peine ! Auraient-ils jamais de quoi lâentretenir dans les Ă©coles du gouvernement...