L'Énéide (Édition intégrale - 12 tomes)
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L'Énéide (Édition intégrale - 12 tomes)

La plus célèbre épopée latine - Les épreuves et les aventures du Troyen Énée, ancêtre mythique du peuple romain, après la Guerre de Troie

Virgile, Jean-Nicolas-Marie Deguerle

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L'Énéide (Édition intégrale - 12 tomes)

La plus célèbre épopée latine - Les épreuves et les aventures du Troyen Énée, ancêtre mythique du peuple romain, après la Guerre de Troie

Virgile, Jean-Nicolas-Marie Deguerle

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Ce livre numérique présente "L'Énéide (Édition intégrale - 12 tomes)" avec une table des matières dynamique et détaillée. Notre édition a été spécialement conçue pour votre tablette/liseuse et le texte a été relu et corrigé soigneusement.L'Énéide est une épopée de Virgile, le plus célèbre exemple de ce genre littéraire en langue latine. L'Énéide est le récit des épreuves du Troyen Énée, ancêtre mythique du peuple romain, fils d'Anchise et de la déesse Vénus, depuis la prise de Troie, jusqu'à son installation dans le Latium en Hespérie. De même que l'Iliade et l'Odyssée — dont l'Énéide s'inspire largement —, l'ouvrage a suscité l'admiration de générations de lettrés de l'Antiquité jusqu'à nos jours et fut une source d'inspiration récurrente pour les artistes et les poètes.Virgile (70 av. J.-C. - 19 av. J.-C.), est un poète latin contemporain de la fin de la République romaine et du début du règne de l'empereur Auguste. Ayant acquis l'immortalité littéraire grâce à son épopée, Virgile va influencer nombre d'écrivains du Moyen Âge et de la Renaissance, tel Ronsard, qui rédige La Franciade (inachevée) dans la volonté de donner un équivalent français et de l'époque moderne à l'Énéide.

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Information

Publisher
e-artnow
Year
2015
ISBN
9788026846857

LIVRE DOUZIÈME

Table des matières
QUAND Turnus voit que les Latins, abattus par leurs revers, languissent sans forces et sans courage ; que toutes les voix l’appellent à remplir enfin ses promesses ; que tous les yeux sont attachés sur lui : sa fougue irritée s’emporte en bouillantes menaces, et sa fierté n’en est que plus altière. Comme, aux champs de la Numidie, un fier lion, atteint par les chasseurs d’une blessure profonde, déploie soudain ses redoutables armes, secoue en bondissant les longs crins de son cou nerveux, rompt sans peur le dard enfoncé dans ses flancs, et, rugissant de rage, présente à ses vainqueurs une gueule ensanglantée : tel, enflammé de colère, éclate l’impétueux Turnus.
Il s’adresse au vieux monarque ; et, plein du transport qui l’agite. « Turnus est prêt, s’écrie-t-il ; plus ce de prétextes pour les lâches Phrygiens de violer la foi promise, et de fouler aux pieds leurs serments. Je descends dans l’arène. Dressez l’autel du sacrifice, prince auguste, et dictez le pacte sacré. Que les Latins immobiles restent spectateurs du combat : ou mes coups précipiteront aux enfers l’infâme Troyen, déserteur de l’Asie, et seul j’aurai vengé par le glaive la querelle commune ; ou la victoire lui soumettra les vaincus, Lavinie sera sa conquête. »
Latinus plus calme lui répond avec bonté : « Héros magnanime, plus votre grand cœur s’abandonne à ses nobles élans, plus ma sagesse doit écouter pour vous les conseils de la prudence, et balancer avec inquiétude les hasards de vos destinées. Fils de Daunus, son empire est votre apanage ; vous avez pour domaines de nombreuses cités conquises par votre vaillance ; Latinus vous aime, et ses trésors sont à vous : mais le Latium, mais Laurente et son territoire, possèdent d’autres beautés dont l’hymen peut tenter un roi, et dont l’illustre origine n’est pas indigne de la vôtre. Souffrez un aveu qui me coûte, mais que la vérité m’arrache. Le ciel me défendait d’unir à ma fille aucun de ceux qui les premiers me demandèrent sa main : ainsi l’annonçaient les oracles et des dieux et des hommes. Vaincu par ma tendresse pour vous, vaincu par les liens du sang, et par les larmes d’une épouse désolée, j’ai brisé les nœuds les plus saints, j’ai rompu l’hyménée promis, j’ai levé l’étendard d’une guerre sacrilège. Depuis ce moment fatal, vous voyez, Turnus, quels malheurs me poursuivent, quelles guerres cruelles dévastent mes états, quels affreux périls vous courez vous-même tous les jours. Défaits dans deux grands combats, nous soutenons à peine à l’ombre de ces murailles l’espoir douteux de l’Italie ; les eaux du Tibre fument encore de notre sang, et nos vastes campagnes sont blanchies des ossements de nos guerriers. Quel vertige me fait changer sans cesse ? quelle folle inconstance se joue de ma raison ? Si, Turnus expiré, je puis associer un jour Pergame à l’Ausonie ; ne puis-je, sans qu’il périsse, mettre un terme à leurs discords ? Que diraient les Rutules, mes plus fidèles alliés ; que dirait l’Italie entière, si ma faiblesse (puisse le ciel détourner ce présage !) vous livrait à la mort, pour prix d’avoir recherché ma fille et demandé mon alliance ? Songez au sort incertain des armes : ayez pitié d’un père accablé de vieillesse, et qui, loin de vous dans Ardée, pleure en ce moment votre absence. »
Ces mots ne calment point la violence de Turnus : son cœur ulcéré s’enflamme davantage, et le remède même en aigrit la blessure. Dès qu’il peut parler, il réplique en ces termes : « Ces tendres soins que vous inspire mon salut, daignez, prince, les épargner à votre sollicitude ; et souffrez que je sauve ma gloire aux dépens de mes jours. Mon bras aussi sait manier le fer, sait lancer des traits vainqueurs ; et le sang, plus d’une fois, a suivi leur blessure. Ce fils d’une déesse n’aura pas toujours Vénus à ses côtés, pour couvrir d’un nuage la honte de sa fuite, et se cacher elle-même au sein d’une ombre vaine. »
Cependant, effrayée des hasards du nouveau combat qui s’apprête, la reine fondait en larmes, et, le désespoir dans l’âme, retenait de ses mains tremblantes l’impétueux guerrier : « Turnus, ah ! si mes pleurs vous touchent, si l’honneur d’Amate vous est cher, arrêtez, je vous en conjure : arrêtez, ô vous l’unique espoir de ma vieillesse, vous ma seule consolation dans mes peines, vous l’appui de Latinus, de son empire et de sa gloire, vous, enfin, sur qui se fonde toute entière une illustre maison, prête à tomber sans vous. Au nom de tous les dieux ! n’allez pas mesurer vos armes contre les armes du Troyen. Quels que soient les périls que cette lutte vous réserve, ces périls sont les miens, Turnus : avec vous, j’abandonne une vie odieuse ; et je ne verrai pas, captive d’un brigand, ma fille dans les bras d’Énée. »
Ce discours d’une mère arrache des larmes à Lavinie : ses joues brûlantes en sont baignées. Un feu subit les colore d’une rougeur modeste, et court en traits de flamme sur son front virginal. Comme éclate l’ivoire, dont la pourpre a nuancé l’albâtre ; comme rougit la blancheur des lis, mêlés à l’incarnat des roses : tel brillait, sur le visage de la jeune princesse, le fard aimable de la pudeur. Le héros, transporté d’amour, cherche en vain sa raison. Il dévore des yeux tant de charmes. Sa fureur guerrière s’en accroît ; et s’adressant à la plaintive Amate : Cessez, de grâce, ô ma mère ! cessez de m’opposer vos larmes ; et qu’un présage sinistre ne ferme point à mon audace le champ périlleux du courage : non ; dût-il périr, Turnus ne peut plus différer. Vole, Idmon, messager fidèle ; porte à l’insolent Phrygien ce cartel, qui rabattra son orgueil : demain, dès que l’Aurore, montée sur son char vermeil, aura rougi les cieux, qu’il s’abstienne de mener ses bandes contre mes bataillons ; que les Troyens et les Rutules laissent reposer leurs armes ; que mon sang ou le sien termine enfin la guerre ; que le glaive et la mort nomment l’époux de Lavinie. »
Il dit ; et plus prompt que l’éclair, il vole à son palais, demande ses coursiers, et frémit dé plaisir en voyant leur ardeur : ces coursiers généreux, Pilumnus les reçut jadis en présent de la belle Orithye ; moins blanche est la neige, moins légers sont les vents ; autour d’eux s’empressent leurs conducteurs fidèles, dont la main caressante se promène sur leur poitrail, et peigne leurs crins flottants. Lui-même il revêt ses épaules d’une brillante cuirasse, où se marient l’or pur et le bronze argenté : en même temps, il ajuste et son large pavois, et son cimier qu’ombragent deux panaches de pourpre, et sa foudroyante épée, cette épée héréditaire, que forgea pour Daunus le dieu du feu lui-même, et qu’il trempa bouillante dans les eaux du Styx. Le long d’une colonne immense pendait sous ses lambris une énorme javeline, dépouille du fier Actor le plus vaillant des Auronques : il la saisit d’une main robuste, la balance avec force, et s’écrie d’une voix terrible : « Allons, ô toi qui ne trompe jamais l’appel de ma valeur, allons, ô ma lance ! voici l’heure des nobles exploits. Jadis portée par le grand Actor, c’est le bras de Turnus qui te porte aujourd’hui. Fais que j’abatte mon odieux rival ; que j’arrache à ce vil Phrygien sa cuirasse impuissante, déchirée sous mes coups ; que je traîne dans la fange ses cheveux efféminés, dont un fer brûlant arrondit les boucles légères, et dont la myrrhe odorante a parfumé les nœuds. »
Ainsi Turnus exhale ses fureurs : son visage ardent jette des étincelles ; le feu pétille dans ses yeux enflammés. Tel, appelant les combats, un taureau superbe pousse d’horribles mugissements : ses cornes menaçantes essayent leur colère contre le tronc d’un chêne : il frappe l’air de ses coups, et, du pied soulevant l’arène, prélude à des chocs plus affreux. Non moins terrible sous l’armure maternelle, le fils d’Anchise à son tour aiguillonne son courage, s’excite à la vengeance, et s’applaudit d’un accord qui met fin à la guerre. Pour rassurer ses chefs, pour consoler Iule alarmé, il leur annonce les grands destins qui l’attendent ; et de prompts courriers, par ses ordres, vont porter aux Latins sa réponse immuable, et proposer au vieux monarque les conditions de la paix.
Le lendemain, à peine le jour naissant dorait de ses premiers rayons la cime des montagnes ; à peine les coursiers du soleil s’élançaient du sein des mers profondes, et soufflaient de leurs larges naseaux la flamme et la lumière : déjà marquant la lice sous les remparts de la ville, les chefs des deux partis préparaient le champ du combat. Au milieu sont placés les feux du sacrifice, et des autels de gazon, érigés aux dieux communs de Laurente et de Troie : des prêtres, voilés de lin, et le front couronné de verveine, s’avancent portant l’eau sainte et la flamme sacrée. Les portes s’ouvrent : les légions latines défilent en colonnes, et leurs bataillons hérissés de piques se déploient dans la plaine : vis-à-vis accourent de leurs retranchements et les phalanges troyennes et les escadrons étrusques, reconnaissables à leurs armures diverses : tous marchent étincelants de fer, comme si le dieu des batailles les appelait à ses luttes sanglantes. À la tête de ces nombreuses cohortes, on voit voler de rangs en rangs les chefs des deux armées, brillants d’or et de pourpre : c’est Mnesthée, généreux sang d’Assaracus ; c’est le vaillant Asylas ; c’est Messape, ce dompteur des coursiers ; Messape, dont Neptune est le père. Au signe de la trompette, un vaste espace a séparé les deux camps : les guerriers immobiles enfoncent dans la terre leurs longues javelines, et déposent leurs boucliers. Alors, pour voir ce grand spectacle, de tous côtés se précipitent et les mères tremblantes, et la foule inhabile aux armes, et les vieillards courbés sous le poids des ans : ils inondent les créneaux des tours, ils assiègent le sommet des toits ; et, debout sur les portes, ils en hérissent au loin le faîte.
Mais, de ce mont qu’Albe illustra depuis, de ces hauteurs jadis sans nom, sans honneur et sans gloire, la reine des dieux, portant ses regards sur la plaine, contemplait le champ de bataille, et les deux armées rivales, et les remparts de Latinus. Tout à coup la déesse aborde la sœur de Turnus, cette Nymphe qui préside aux étangs paisibles, aux fleuves retentissants, et que le maître de l’Olympe dota de cet empire honorable pour prix des faveurs qu’il en avait reçues : « Nymphe, ornement des fleuves, et chère à ma tendresse ! tu le sais, de toutes les filles du Latium que Jupiter fit monter dans sa couche parjure, nulle moins que toi n’éprouva mon courroux ; et je me plus à t’appeler moi-même au rang des immortelles. Eh bien ! connais ton malheur, Juturne, et n’accuse point Junon. Tant que le sort a semblé le permettre, tant que les Parques ont vu sans colère la prospérité des Latins, j’ai protégé Turnus et tes murs favoris. Aujourd’hui Turnus, hélas ! court affronter une lutte inégale : l’heure des Parques approche, et déjà s’est levé le bras de fer du destin. Non, je ne puis voir, sous mes yeux, ce combat cruel, cet accord impie. Toi, si l’amour d’un frère inspire ton courage, qui t’arrête ? ose tout : peut-être le hasard servira l’infortune. » À ces mots, un torrent de larmes coule des yeux de Juturne : trois fois, de sa main tremblante, elle meurtrit son sein délicat. « Ce n’est pas le moment des pleurs, reprit la fille de Saturne. Vole, et, s’il est possible, arrache un frère à la mort : vole, dis-je ; rallume les combats, romps un pacte odieux ; c’est Junon qui t’en presse. » Tels étaient ses conseils. La déesse, en finissant, quitte la Nymphe incertaine, et l’abandonne au trouble douloureux dont son cœur est agité.
Au même instant arrivent les monarques de l’Ausonie. Latinus, dans tout l’éclat du trône, s’avance monté sur un pompeux quadrige : autour de son front radieux brillent douze rayons d’or, symbole du Soleil, dont il est descendu. Ensuite paraît Turnus, porté sur un char que traînent deux chevaux blancs, et balançant dans ses mains deux javelots armés d’un large fer. Non loin marche à son tour le père des Romains, la tige de cette race illustre, Énée, resplendissant de feux sous son bouclier flamboyant et son armure céleste : à ses côtés est le jeune Iule, Iule, autre espérance de la superbe Rome. Le cortège s’arrête au milieu des deux camps : là, vêtu d’un lin sans tache, le grand-prêtre a conduit les victimes, un jeune porc aux soies naissantes, une jeune brebis couverte encore de sa première toison : l’offrande, aux pieds des autels, attend les flammes qui doivent la consumer. Bientôt les princes, les yeux tournés vers l’orient vermeil, présentent d’une main religieuse le froment pur que le sel assaisonne : ils promènent le fer des ciseaux sur le front velu des victimes, et vident sur les brasiers ardents la coupe des libations.
Alors Énée, levant son glaive nu, s’écrie d’une voix pieuse : « Soleil, entends mes vœux ! entends mes vœux, ô terre du Latium, pour qui j’ai pu supporter tant de travaux pénibles ! Et toi, Jupiter tout-puissant ; toi, fille de Saturne, ô Junon ! déesse auguste, aujourd’hui moins contraire ; toi, redoutable Mars, suprême arbitre des combats : soyez témoins de mes serments ! Vous aussi, Fleuves sacrés, Fontaines saintes : vous, habitants immortels du radieux Olympe : vous, dieux et déesses qui peuplez les mers azurées : je vous atteste tous ! Si la fortune et la victoire couronnent l’effort de Turnus, les vaincus, fidèles au traité, iront chercher un asile dans les remparts d’Évandre : Iule quittera les champs de l’Italie ; et jamais les Troyens parjures, y rapportant la guerre, ne viendront, le fer à la main, troubler la paix de cet empire. Mais si Mars favorable fait triompher mon bras (et puissent les dieux, en qui j’espère, ne pas tromper ce mon attente !), je ne prétends point asservirl’Ausonie aux enfants de Pergame, je ne prétends point usurper le sceptre des Latins. Que les deux peuples, soumis aux mêmes lois, et toujours invincibles, se jurent une éternelle alliance. Je leur donnerai mon culte et mes dieux : que Latinus, en me donnant sa fille, ordonne seul et de la paix et de la guerre ; qu’il commande seul en souverain. Bâti par les Troyens, un autre Dion me recevra dans ses murs, et Lavinie leur donnera son nom. » Énée se tait. Latinus, les yeux au ciel et les mains étendues vers la plaine éthérée, s’exprime à son tour en ces mots : « J’en atteste comme vous, Énée, j’en atteste la Terre, et la Mer et les Cieux ; j’en atteste le couple enfant de Latone, et Janus au double visage, et les puissances de l’Enfer, et les manoirs de l’inexorable Pluton. Que Jupiter m’entende, Jupiter, dont la foudre est le garant des traités ! La main sur les autels, j’en jure et par leurs feux inviolables, et par les dieux qu’on y révère : jamais, quoi que le sort décide, les Latins, rompant la paix, ne briseront les nœuds d’un pacte solennel ; jamais Latinus, entraîné par la force, n’y permettra la moindre atteinte. Que plutôt la terre., engloutie par les ondes, se confonde avec elles dans un affreux déluge ! que plutôt l’Olympe écroulé s’abîme au fond du Tartare ! Ma parole est immuable. Ainsi ce sceptre, qui décore mes mains royales, ne verra plus renaître son feuillage léger, ni sa molle verdure, ni son mobile ombrage, depuis qu’arraché dans les bois au tronc qui le portait, il a quitté la tige maternelle, et dépouillé sous le tranchant du fer sa chevelure et ses rameaux. Jadis arbrisseau flexible, aujourd’hui monument d’un art industrieux, il rayonne enchâssé dans l’or, et, porté par les rois du Latium, il annonce leur pouvoir suprême. » Tels étaient leurs traités, tels étaient leurs serments ; et les chefs des deux armées environnaient leurs princes. Soudain le fer sacré se lève : le sang des victimes égorgées ruisselle sur la flamme ; on arrache encore vives leurs entrailles palpitantes ; de larges bassins les reçoivent, et les autels en sont couverts.
Cependant les Rutules commencent à redouter une lutte incertaine : la crainte et l’espérance les agitent tour à tour : plus ils observent les deux rivaux, moins ils jugent leur vigueur égale. Leur inquiétude augmente, lorsqu’ils aperçoivent l’humble contenance de Turnus, et sa démarche silencieuse, et son air suppliant aux pieds des autels qu’il implore : ils tremblent, en remarquant ses yeux baissés, ses joues livides, son front où la pâleur a terni l’éclat du jeune âge.
Dès que Juturne voit éclater le mécontentement des soldats, et l’esprit flottant de la multitude incliner vers d’autres projets, elle s’élance tout au milieu des bataillons, cachée sous les traits de Camerte ; de Camerte, guerrier célèbre par la noblesse de ses ancêtres, fils renommé d’un père qu’illustra sa valeur, et terrible lui-même en un jour de bataille. Ainsi mêlée parmi les combattants, la Nymphe artificieuse y sème en courant mille adroites rumeurs, et stimule en ces mots les courages ébranlés : « Quelle honte, ô Rutules ! vous souffrez qu’un seul homme s’expose pour toute une armée ! Quoi donc ? sommes-nous moins nombreux, sommes-nous moins vaillants ? Les voilà tous réunis, ces Troyens si braves, et ces fiers Arcadiens, et ces redoutables Toscans, armés contre Turnus sur la foi des oracles : les voilà ; qu’ils nous affrontent corps à corps, et chacun de nous à peine aura son adversaire. Ah ! sans doute, quand Turnus se dévoue pour son peuple, la gloire de ce héros va monter jusqu’aux cieux, et sa mémoire vivra dans tous les âges ; mais nous, sans patrie, sans honneur, il nous faudra ramper sous des maîtres superbes, nous qui, paisibles en ces moments d’alarmes, reposons oisifs près de nos glaives inutiles. »
Elle parle ; tout s’enflamme d’une ardeur belliqueuse : le tumulte s’accroît, un long murmure circule de rangs en rangs. Les Laurentins rougissent de leurs premiers desseins, les Latins ne sont plus les mêmes : ils soupiraient naguère après la fin des combats, après le terme de leurs maux ; maintenant ils ne respirent que la guerre, ils menacent de rompre un pacte qu’ils détestent, et leur pitié gémit sur le triste sort de Turnus.
Au prestige de ses discours, Juturne ajoute encore un prestige plus puissant : elle fait paraître dans les airs un prodige trompeur, dont la merveille achève l d’égarer l’esprit des Ausoniens et les repaît d’un fol espoir. Un aigle au vol rapide fendait les plaines de l’éther, portait la terreur aux oiseaux du rivage, et pressait le bruyant essaim des légions ailées : tout à coup s’abattant sur l’onde, le ravisseur enlève dans ses ongles tranchants un cygne au plumage argenté. À cette vue, les Italiens s’étonnent : soudain, ô surprise nouvelle ! les oiseaux fugitifs, ralliés à grands cris, obscurcissent le ciel de leurs ailes déployées, fondent comme un sombre nuage sur l’ennemi commun, et le poursuivent dans les airs : enfin cédant au nombre, et vaincu par le fardeau qu’il porte, l’oiseau de Jupiter succombe ; il ouvre malgré lui sa serre languissante, laisse tomber sa proie dans les eaux, et s’enfuit au plus haut des nues.
Les Rutules alors saluent d’un cri de joie ce présage qui les flatte, et leur audace se prépare au combat. Tolumnius surtout, Tolumnius, devin fameux, échauffe encore leur ardeur : « Oui le voilà, s’écrie-t-il, voilà le signe favorable que mes vœux ont imploré cent fois. J’accepte l’augure, et reconnais les dieux. Aux armes ! suivez-moi, suivez Tolumnius : osez braver, ô guerriers trop timides, cet insolent étranger dont la menace vous épouvante comme de faibles oiseaux, et dont la rage impunie désole vos rivages. Le brigand va fuir à son tour, et ses voiles déployées l’emporteront au loin sur les mers blanchissantes : vous, unissez vos efforts, serrez vos bataillons, et défendez, le glaive en main, le monarque qu’on vous arrache. »
Il dit, s’avance, et fait voler une flèche acérée sur l’ennemi paisible ; le trait bruyant siffle, et fend les airs de son rapide essor : aussitôt s élève un cri confus, les rangs troublés s’agitent, et le feu de la discorde embrase tous les cœurs. À la tête du groupe où le fer ailé s’adresse, brillaient neuf frères éclatants de jeunesse et de beauté : Gylippe était leur père, et cet illustre Arcadien les dut aux chastes amours d’une épouse Tyrrhénienne : le coup fatal frappe l’un d’eux vers le milieu du corps, à l’endroit où le baudrier flotte sur la ceinture et joint ses deux bords captivés par une riche agrafe : ni le noble port du guerrier, ni son éblouissante armure, ne peuvent le sauver du trépas ; le dard, lui traverse les flancs, et le couche sans vie sur l’arène.
Soudain ses généreux frères, n’écoutant plus que leur courage et leur douleur, saisissent leurs épées, brandissent leur javelots et courent en aveugles à la vengeance. L’armée latine s’ébranle pour les recevoir : au-devant d’elle se précipitent à leur tour les phalanges serrées des Troyens, et les bataillons d’Agylla, et les Arcadiens aux armes colorées. Ainsi la même fureur entraîne les deux camps au carnage. Les autels sont renversés : un nuage de traits s’élève dans les cieux, et retombe en pluie de fer : de toutes parts volent et les coupes sacrées et les brandons fumants. Latinus fuit lui-même, emportant ses dieux outragés, vains garants d’un pacte rompu. L’un attelle son char, l’autre s’élance sur son coursier ; partout le glaive étincelle.
Non loir rayonnait, ceint du bandeau royal, un des monarques de l’Étrurie, le vénérable Auleste : Messape, qu’indignait une paix timide, pousse contre lui son coursier. Le malheureux prince chancelle en reculant, et tombe à la renverse, embarrassé parmi les autels dont sa tête heurta les débris. Messape accourt, l’œil ardent, la lance en arrêt : vainement le vieux roi supplie ; le vainqueur, du haut de son coursier, lui plonge dans la gorge sa longue javeline et s’écrie triomphant : « Qu’il meure ; cette victime plus noble est plus digne des Immortels. » La foule des Latins arrive et dépouille le cadavre encore palpitant.
Ailleurs, Corynée s’arme d’un tison ardent enlevé sur l’autel ; et prévenant Ébuse, qui s’avançait pour le percer, il lui lance au visage le brandon allumé : la longue barbe du Rutule pétille sous la flamme brillante, et l’odeur qui s’en exhale se répand au loin dans les airs. Le Troyen fond à l’instant sur son ennemi troublé, saisit de la main gauche sa blonde chevelure, et, le pressant d’un genou robuste, le tient appliqué sur l’arène : alors se lève le fer impitoyable ; Ébuse le reçoit dans ses flancs. Tandis qu’Alsus, pâtre guerrier, se précipite aux premiers rangs à travers mille traits, Podalire se glisse derrière lui, et, le glaive en main, épie l’instant de le frapper. Tout à coup Alsus se retourne, et, de sa hache qui tombe à plomb, lui partage la tête en deux moitiés égales : la cervelle au loin jaillissante inonde les armes du vaincu. Un affreux repos, un sommeil de fer s’appesantissent sur ses yeux ; et ses paupières se couvrent d’une nuit éternelle.
Cependant le pieux fils d’Anchise tendait ses bras désarmés ; et, le front découvert, il rappelait à grands cris ses soldats : « Où courez-vous ? quel délire subit rallume ainsi la guerre ? Ah ! modérez ces transports ! Un saint traité nous lie, et ses lois sont irrévocables. Moi seul je dois combattre ; laissez-moi l’honneur de la lutte, et calmez vos alarmes : mon glaive ratifiera la paix. Turnus me doit sa tête ; ces autels en sont garants. » Il parlait encore ; soudain un dard ailé trav...

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