Synthèse
L’importance actuelle du thème de l’accès à l’énergie est plus forte que jamais. 2014 marque le début de la décennie de l’énergie durable pour tous de l’ONU et le document final du groupe de travail ouvert (ONU, 2014) inclut l’objectif d’une «énergie moderne, abordable, fiable et durable pour tous». Toutefois, malgré cet intérêt mondial, la direction des politiques, des investissements et du débat n’a pas considérablement changé d’une façon qui bénéficierait aux populations pauvres. Disposer d’un plus grand nombre de connaissances adéquates peut contribuer à faire évoluer le débat.
Depuis 2010, la série Perspectives énergétiques des populations pauvres de Practical Action est en première ligne pour proposer de nouvelles manières de comprendre ce que signifie l’accès à l’énergie pour les pauvres, et ce qui sera nécessaire pour le mettre en œuvre. Dans cette série de notes d’informations, notre objectif est de proposer une analyse et des commentaires au sujet des débats clés du secteur de l’énergie, tout en gardant toujours à l’esprit les besoins et les réalités des populations pauvres.
Pour contribuer à façonner ces notes d’informations, ce document présente une évaluation de la base de connaissances actuelle en matière d’accès à l’énergie et présente un compte rendu d’une consultation avec des praticiens et des décideurs clés du secteur. Les résultats montrent que des connaissances supplémentaires sont requises dans un large éventail de domaines. Dans un seul domaine thématique (ressources énergétiques), plus de 40 % des répondants ont déclaré que de «bonnes connaissances» étaient disponibles. Dans des domaines comme celui des modèles économiques pour les fournisseurs d’énergie ou comme celui des coûts et du financement, plus de la moitié des répondants ont indiqué que «beaucoup plus de connaissances» étaient nécessaires. En termes de sources d’énergie et d’échelles, la demande la plus importante concernait les connaissances en matière d’énergie solaire et de biomasse/biogaz, ainsi que les informations sur les miniréseaux, toutes sources d’énergie confondues.
Cette demande de connaissances a été parfois comblée par l’offre, mais il est évident que des lacunes existent
Cette demande de connaissances a été parfois comblée par l’offre, mais il est évident que des lacunes et des domaines négligés existent. Par exemple, la documentation a tendance à privilégier les appareils autonomes (fourneaux et lampes solaires) aux miniréseaux. De nombreux documents existent au sujet des marchés et de l’environnement favorable, mais il y a de plus grandes lacunes en matière de connaissances concernant les modèles commerciaux et les niveaux d’accès actuels. Nos résultats révèlent les biais et les intérêts du secteur de l’accès à l’énergie. La manière dont le secteur privé peut offrir des solutions (par l’intermédiaire de modèles commerciaux prospères) suscite un grand intérêt et il est clairement nécessaire de mettre en place un partenariat entre la société civile, les gouvernements et le secteur privé pour offrir l’accès universel à l’énergie. Toutefois, le fait de déterminer si ces modèles commerciaux seront capables d’offrir ou non un accès aux 10 % les plus pauvres, tant pour les femmes que pour les hommes, devrait occuper une plus grande place dans le débat.
Par l’intermédiaire de cette série de notes d’information, nous espérons d’une part proposer une analyse et des commentaires qui donnent matière à réflexion et, d’autre part, remettre en cause les approches et les débats qui sont en contradiction avec les besoins et les réalités des populations pauvres. La série permettra de partager de nouvelles connaissances et de nouveaux enseignements avec pour objectif global de comprendre comment nous pouvons travailler en vue d’atteindre un accès universel total à l’énergie d’ici 2030.
Pourquoi des connaissances sont-elles nécessaires?
Il est plus que jamais reconnu que l’accès à des services énergétiques modernes sûrs, abordables et fiables constitue à la fois une nécessité pour réduire la pauvreté, et un élément moteur du développement. Ceci est une bonne nouvelle pour les 1,2 milliard de personnes privées d’électricité et pour les 2,8 milliards qui dépendent du bois, du charbon ou des déchets animaux pour cuisiner leur nourriture (Banerjee et coll., 2013). L’énergie permet aux personnes d’améliorer leur vie à de nombreux égards: disposer d’un foyer plus propre et plus sain, profiter de meilleurs moyens de subsistance, ou encore jouir d’une meilleure santé et d’une meilleure éducation. Elle peut changer la vie des femmes et des filles et contribuer à générer des revenus locaux lorsque ces services énergétiques sont liés à des activités productives. Il est très probable que le cadre de développement post-2015 (Nations Unies, 2014) intègrera un objectif en matière d’énergie, visant l’accès universel à l’énergie d’ici 2030. Depuis son lancement en 2010, l’initiative SE4ALL (énergie durable pour tous) de l’ONU a récolté des engagements de gouvernements nationaux, d’institutions multilatérales, du secteur privé et d’acteurs de la société civile pour donner la priorité à l’accès universel à l’énergie d’ici 2030.
Malgré l’intérêt mondial pour l’accès à l’énergie, les politiques, et les investissements n’ont pas considérablement évolué pour bénéficier aux populations pauvres
Toutefois, malgré cet intérêt mondial pour l’accès à l’énergie, les politiques, les investissements et le débat n’ont pas considérablement évolué d’une manière qui bénéficierait aux populations pauvres. Le débat reste en effet dominé par les investissements d’infrastructure à grande échelle basée sur le réseau, afin de dynamiser l’approvisionnement en électricité, qui bénéficiera principalement aux villes et à l’industrie. Les projections «traditionnelles» suggèrent que d’ici 2030, le nombre de personnes privées d’énergie sera le même qu’aujourd’hui. Sans un changement radical, le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’électricité restera proche d’un milliard en 2030; 2,6 milliards de personnes cuisineront à l’aide de combustibles traditionnelsi (Banerjee et coll., 2013: 114, 117) et 30 millions de personnes auront perdu la vie en raison de maladies liées à la fumée à l’intérieur des habitations.
Cette inertie s’explique en partie par des facteurs structurels: le mandat d’organisations particulières ou les systèmes régissant la manière dont les ressources sont affectées et dépensées. D’autres raisons ont également trait à un ensemble d’incertitudes et d’idées reçues concernant la meilleure manière d’investir à l’échelle requise dans des systèmes énergétiques décentralisés. En disposant d’un plus grand nombre de connaissances adéquates, il est possible de remettre en question ces incertitudes et ces idées reçues. Par exemple, les systèmes énergétiques décentralisés sont souvent perçus comme des solutions temporaires ou de deuxième catégorie, n’offrant pas les niveaux d’accès à l’énergie auxquels les politiciens aspirent pour leur population. Toutefois, l’expérience montre d’une part que les systèmes basés sur le réseau électrique ne peuvent en aucun cas atteindre toutes les personnes et, d’autre part, que la qualité de l’énergie disponible est médiocre (chère et non fiable). Nous savons également que l’électricité n’est pas le seul type d’énergie dont ont besoin les populations pauvres afin d’atteindre un niveau de base de services énergétiques.
Développer la base de connaissances du point de vue des populations pauvres
Pour s’assurer que les perspectives des populations pauvres alimentent les débats, Practical Action a lancé la série Perspectives énergétiques des populations pauvres en 2010 (Practical Action, 2014). Cette série a remis en cause l’orientation vers la fourniture d’énergie uniquement, en soutenant que ce sont les services énergétiques qui sont les plus importants pour les personnes pauvres (éclairage, chauffage, transformation mécanique, alimentation des TIC, etc.). Elle a remis en cause la définition étriquée de l’accès à l’énergie, qui se limitait aux connexions à l’énergie et au type de combustible, et a proposé le concept d’accès total à l’énergie pour garantir que les besoins en énergie sont pris en considération dans les domaines des foyers, des activités productives et des services communautaires. Les vies des personnes pauvres ne peuvent clairement pas être classées en différentes catégories. De même, la résilience et la durabilité de leurs moyens de subsistance dépendent de l’accès à l’énergie dans ces différents domaines. Augmenter cet accès leur permettrait donc d’améliorer cette résilience et cette durabilité.
Pour encourager la mise en œuvre de cette vision globale en matière d’accès à l’énergie, nous avons suggéré le concept d’un «écosystème d’accès à l’énergie» sain, dans lequel le macro-environnement, en ce qui concerne les politiques, le financement et les capacités, travaille en harmonie vers un but commun visant à étendre l’accès à davantage de personnes et aux plus pauvres. Nous avons également proposé de nouvelles manières de mesurer et de définir l’accès à l’énergie pour encourager ce changement.
Practical Action reste déterminée à continuer à produire le rapport Perspectives énergétiques des populations pauvres. Toutefois, dans ce secteur dynamique à l’évolution rapide, il existe de nombreux débats dans lesquels une analyse et des commentaires approfondis du point de vue d’une personne pauvre apporteraient une nouvelle dimension. Cette série de notes d’information vise à combler cette lacune, grâce à des documents plus courts et plus fréquents. Ses objectifs sont les suivants:
• S’attaquer aux problèmes qui sont pertinents pour le débat actuel au sujet de l’accès à l’énergie, en se concentrant parfois sur des contextes nationaux particuliers, et en adoptant parfois une perspective globale plus large d’un problème.
• Remettre en question les approches «traditionnelles» en matière et de solutions, en faveur d’approches qui favorisent les besoins des populations pauvres.
• Susciter le débat et l’intérêt autour des questions qui ont une importance pour les populations pauvres, et rendre les institutions et les décideurs responsables de leurs engagements en matière de fourniture d’accès à l’énergie.
Manque de connaissances en termes d’accès à l’énergie
En guise de point de départ de la série, Practical Action a commandé une enquête pour évaluer la base de connaissances disponibles en matière d’accès à l’énergie décentralisée pour les pauvres. Nous avons examiné d’une part l’éventail de ressources existantes et la perception de la quantité de connaissances disponibles et, d’autre part, les domaines dans lesquels des lacunes existent du point de vue des praticiens et des responsables politiques dans les pays du Sud et du Nord. L’objectif était d’évaluer le type de connaissances que les parties prenantes recherchent, et de les comparer aux informations auxquelles elles ont accès. Sur cette base, la série de notes d’informations contribuera à combler certaines des lacunes, tout en remettant en cause certaines «idées reçues» du débat en les abordant du point de vue des populations pauvres.
La recherche s’est intéressée à l’offre et à la demande pour les différents types de connaissances
La recherche s’est intéressée à l’offre et à la demande de différents types de connaissances liées à l’accès à l’énergie décentralisée pour les populations pauvres, par le biais d’une analyse documentaire et d’une consultation de praticiens et de décideursii. L’analyse documentaire s’est focalisée sur 234 ressources libres produites depuis 2008.iii Les ressources provenant d’un sous-ensemble de 12 éditeursiv ont été examinées plus en détail, car les parties prenantes consultées nous ont indiqué que ces éditeurs étaient des fournisseurs d’informations fiables auxquels elles faisaient confiance. Lors de la consultation, 51 personnes (55 % issues des pays du Sud) ont été interrogées, puis 21 d’entre elles ont été conviées à un entretien. Toutes ces personnes étaient des experts de l’énergie au niveau international ou national, qui avaient un avis sur l’éventail et les types de connaissances disponibles, mais qui n’étaient pas déjà nécessairement favorables aux solutions décentralisées en matière d’accès à l’énergie. Nous avons tâché de couvrir un large éventail de parties prenantes, notamment des organisations internationales, des gouvernements, des donateurs, le monde universitaire, le secteur ...