Histoire socialiste de la France Contemporaine
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Histoire socialiste de la France Contemporaine

Tome VI : Consulat et Empire 1799-1815

Jean Jaures

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Tome VI : Consulat et Empire 1799-1815

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Jean JAURES dĂ©crit dans "Histoire socialiste de la France contemporaine" la RĂ©volution française Ă  l'aube de l'Ă©mergence d'une nouvelle classe sociale: la Bourgeoisie. Il apporte un soin particulier Ă  dĂ©crire les rouages Ă©conomiques et sociaux de l'ancien rĂ©gime.C'est du point de vue socialiste que Jean JaurĂšs veut raconter au peuple, aux ouvriers et aux paysans, les Ă©vĂšnements qui se sont dĂ©roulĂ©s de 1789 Ă  la fin du XIXĂšme siĂšcle.Pour lui la rĂ©volution française a prĂ©parĂ© indirectement l'avĂšnement du prolĂ©tariat et a rĂ©alisĂ© les deux conditions essentielles du socialisme: la dĂ©mocratie et le capitalisme mais elle a Ă©tĂ© en fond l'avĂšnement politique de la classe bourgeoise.Mais en quoi l'Ă©tude de Jean JaurĂšs est une histoire socialiste?L'homme doit travailler pour vivre, il doit transformer la nature et c'est son rapport Ă  la transformation de la nature qui va ĂȘtre l'Ă©quation primordiale et le prisme par lequel l'humanitĂ© doit ĂȘtre Ă©tudiĂ©e. De cette exploitation de la nature va naĂźtre une sociĂ©tĂ© dans laquelle va Ă©merger des rapports sociaux dictĂ©s par la coexistence de plusieurs classes sociales: les forces productives. Ce nouveau systĂšme ne peut s'Ă©panouir qu'en renversant les structures politiques qui l'en empĂȘchent.La rĂ©volution française est nĂ©e des contradictions entre l'Ă©volution des forces productives "la bourgeoisie" et des structures politiques hĂ©ritĂ©es de la noblesse fĂ©odale.Il ne faut pas se mĂ©prendre "L'histoire socialiste" n'est pas une lecture orientĂ©e politiquement mais peut ĂȘtre aperçu comme une interprĂ©tation Ă©conomique de l'histoire. Il s'agit d'un ouvrage complexe. L'histoire du socialisme demande du temps et de la concentration mais c'est une lecture primordiale et passionnĂ©e de la RĂ©volution française.L'Histoire socialiste de 1789-1900 sous la direction de Jean JaurĂšs se compose de 12 tomes, Ă  savoir: Tome 1: Introduction, La Constituante (1789-1791)Tome 2: La LĂ©gislative (1791-1792)Tome 3: La Convention I (1792)Tome 4: La Convention II (1793-1794)Tome 5: Thermidor et Directoire (1794)Tome 6: Consulat et Empire (1799-1815)Tome 7: La Restauration (1815-1830)Tome 8: Le rĂšgne de Louis Philippe (1830-1848)Tome 9: La RĂ©publique de 1848 (1848-1852)Tome 10: Le Second Empire (1852-1870)Tome 11: La Guerre franco-allemande (1870-1871), La Commune (1871)Tome 12: Conclusion: le Bilan social du XIXe siĂšcle.

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Information

Year
2020
ISBN
9782322179244
Edition
1

AVANT-PROPOS

Qu’on ne s’étonne pas que la partie de l’histoire socialiste qui va suivre n’ait pas les mĂȘmes proportions que la part qui a Ă©tĂ© consacrĂ©, en cinq volumes Ă  la RĂ©volution française, de la Constituante au Consulat. C’est que la rĂ©volution est la source ample et profonde d’oĂč dĂ©rivent les Ă©vĂ©nements ; et le seul moyen de comprendre toute l’évolution du siĂšcle, c’est de soumettre Ă  une analyse presque minutieuse le bouillonnement des idĂ©es et des forces qui jaillissent du sol remuĂ© par la RĂ©volution. L’essentiel est que dans la suite de l’Ɠuvre la mĂȘme prĂ©occupation dominante se marque, qui est de faire apparaĂźtre toute la valeur des phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques. Il ne s’agit pas de les abstraire, de couper l’histoire en deux, Ă©vĂ©nements politiques d’un cĂŽtĂ©, Ă©vĂ©nements Ă©conomiques de l’autre, mais de dĂ©mĂȘler l’action rĂ©ciproque des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques et des combinaisons politiques.
L’Ɠuvre Ă©tait particuliĂšrement malaisĂ©e et mĂ©ritoire pour cette pĂ©riode du Premier Empire oĂč il semble que toute la RĂ©volution ait pris je ne sais quelle forme de thĂ©Ăątre un peu retentissante et vile. Je remercie mes collaborateurs Brousse et TUROT de leur effort dans ce sens.
J’ai dĂ©jĂ  dit, quand ont paru les livraisons, que Brousse, empĂȘchĂ© par la maladie, n’aurait pu suffire Ă  sa part de travail sans le concours de N. Louis NoguĂšres. A vrai dire, la collaboration de celui-ci a Ă©tĂ© si Ă©tendue et prĂ©pondĂ©rante qu’il y aurait injustice Ă  ne pas y insister. Il a su condenser le rĂ©cit des faits en quelques chapitres vigoureux et pleins et sur plus d’un point ajouter par des recherches originales Ă  ce que nous savions sur cette pĂ©riode, des mots de tous mes collaborateurs, je l’en remercie une fois de plus.
Jean JaurĂšs.
LE CONSULAT

LE BILAN

Le coup d’État du 18 brumaire place devant le dĂ©veloppement continu et normal des principes de la RĂ©volution une barriĂšre formidable. C’est l’arrĂȘt brusque de cette RĂ©volution, c’est l’établissement d’une condition sociale gĂ©nĂ©rale oĂč les classes auront peut-ĂȘtre un rĂŽle diffĂ©rent de celui qu’elles avaient avant 1789, mais oĂč elles coexistent nĂ©anmoins avec les mĂȘmes causes de discorde, puisque les unes ont dupĂ© les autres.
Cependant, comme l’homme qui lentement s’élĂšve pour parvenir Ă  un plus haut sommet se retourne parfois et regarde s’élargir l’horizon devant lui, ainsi, dans ce temps d’arrĂȘt que marque le Consulat, nous verrons s’ordonner l’Ɠuvre de la RĂ©volution française. Des conditions Ă©conomiques, sociales, l’épuisement des partis de lutte, la rĂ©union dans une vue commune de tous les lassĂ©s, de tous les déçus, de tous les ambitieux ont pu favoriser la main mise d’un homme sur le produit du prodigieux effort de dix annĂ©es, mais la trace de cet effort subsiste. C’est beaucoup parce que l’homme qui accaparait l’Ɠuvre rĂ©volutionnaire se donnait comme l’homme de la RĂ©volution qu’il a pu Ă©tablir un Ă©tat de stabilitĂ©, et c’est dans les matĂ©riaux que lui donnait l’histoire de la RĂ©volution qu’il a dĂ» chercher les bases de la reconstitution de l’ordre social. Ainsi la RĂ©volution est arrĂȘtĂ©e dans sa marche par le coup d’État du 18 brumaire, mais c’est en quelque sorte pour que soit dressĂ© le bilan de son Ɠuvre. D’ores et dĂ©jĂ , nous pouvons le dire nettement, la RĂ©volution, dans l’instant qu’elle se termine, apparaĂźt comme ayant dĂ©truit, — au profit d’une catĂ©gorie de citoyens qui par elle ont acquis une libertĂ© qu’ils n’avaient point, des biens qu’ils convoitaient et qu’ils veulent garder Ă  tout prix, — l’ordre qui existait jadis. Cette catĂ©gorie de citoyens comprend la masse partout rĂ©pandue des propriĂ©taires de biens nationaux, des enrichis soucieux de garder leur richesse et, par elle, le pouvoir. La classe jadis dominante, la noblesse, n’est plus qu’un corps mutilĂ© ; c’est la classe moyenne, la bourgeoisie, qui dĂ©sormais, par l’arrĂȘt de la RĂ©volution demeure maĂźtresse dans la nation. La foule du prolĂ©tariat reste au-dessous d’elle sans avoir compris les avantages immĂ©diats que la lutte soutenue pouvait lui faire espĂ©rer. Le bilan de la RĂ©volution tel qu’on peut l’établir au lendemain du coup d’État se rĂ©sume en deux mots : le triomphe de la bourgeoisie.

Chapitre premier

La France au lendemain du 18 brumaire

Pour comprendre l’histoire du nouveau gouvernement, la façon dont il a pu s’implanter et fixer des Ă©lĂ©ments multiples, Ă©paves de tant de troubles et de tant de coups d’État, il est indispensable de rechercher quelle Ă©tait, au moment oĂč Bonaparte a renversĂ© le Directoire, la situation respective des deux grandes classes de la nation : la classe possĂ©dante et la classe salariĂ©e. Dans cet exposĂ©, nous pouvons laisser de cĂŽtĂ© la noblesse. Nous ne pensons pas qu’il faille, au lendemain du 18 brumaire, donner Ă  celle-ci une place importante parmi les facteurs essentiels des Ă©vĂ©nements Ă  venir. De toute façon, le parti noble est le vaincu. Il pourra envisager l’acte de Bonaparte comme rendant possible une victoire future, mais non comme une victoire immĂ©diate. « Plusieurs partis ont entrevu dans le lointain des espĂ©rances
 », Ă©crivait aprĂšs l’évĂ©nement Mallet du Pan1. Et il savait bien que « ces partis » signifiaient « son parti ». C’est ainsi que la noblesse et les monarchistes pourront espĂ©rer voir le gĂ©nĂ©ral jouer un jour le rĂŽle historique de Monck, mais ils ne disposent plus d’assez de force et d’assez de crĂ©dit pour, par eux-mĂȘmes, aider ouvertement Ă  l’effort qu’ils attendent. Nous laisserons donc pour l’instant la noblesse et envisagerons seulement la situation et l’état d’esprit de la masse immense de la nation partagĂ©e entre les « nantis » et le prolĂ©tariat. De ceux-lĂ , en effet, dĂ©pend toujours l’avenir du pays. Dans quelles conditions sont-ils aprĂšs le coup d’État et comment sont-ils prĂ©parĂ©s Ă  l’envisager ?
A. — En haut de l’échelle sociale, Ă©crasant tout le monde par leur luxe, donnant le ton Ă  la « sociĂ©tĂ© » qui s’épuise Ă  les vouloir imiter sans en possĂ©der les moyens, des financiers, des agioteurs, sont dans la bourgeoisie les maĂźtres nouveaux. Dans un temps oĂč l’argent Ă©tait rare, c’est Ă  ceux qui le possĂ©daient qu’allait la toute-puissance. Les vĂ©ritables maĂźtres, ce sont tous ces gens dont l’État a besoin pour entretenir les armĂ©es, pour aider Ă  la rĂ©partition aussi Ă©gale que possible des grains sur le territoire, en un mot tous les dĂ©tenteurs de la fortune publique accaparĂ©e par tous les moyens possibles. La puissance de tous ceux-lĂ  est absolue. Ils commandent dans les ministĂšres, ils achĂštent les dĂ©putĂ©s, comme le montre le procĂšs qui se dĂ©roule peu aprĂšs le coup d’État entre le tribun Courtois et les banquiers Fulchiron et consorts ; par leur argent, ils dominent et personne ne pourrait songer Ă  leur ĂŽter leur pouvoir. Il faut de l’argent pour subvenir aux services publics, il faut de l’argent pour acheter des canons, des fusils, des vivres. Or l’État ne disposant pas de fonds s’adresse aux financiers pour qu’ils assurent les dĂ©penses. Il leur donne des « dĂ©lĂ©gations » qui leur permettent de percevoir directement les contributions. Ils prennent eux-mĂȘmes l’argent Ă  la Monnaie pour recouvrer leurs crĂ©ances 2. Les Ouvrard, les Seguin : voilĂ  les hommes indispensables dans l’État. Nous avons vu aux Archives nationales (F11 292) un rapport secret non datĂ©, mais qui est Ă©videmment des derniers jours du Directoire, montrant quel rĂŽle capital peut ĂȘtre celui d’un de ces grands financiers. L’auteur du rapport expose la gĂȘne qui existe dans la circulation et la rĂ©partition des blĂ©s sur le territoire de la RĂ©publique. Il y a trois rĂ©coltes entassĂ©es au nord et il n’y a rien dans le midi. Pour parer aux dangers de cette situation, le Directoire a permis l’exportation dans la RĂ©publique batave et en HelvĂ©tie, Ă  condition du versement des 4/5 des mĂȘmes quantitĂ©s dans les dĂ©partements du midi. Ce procĂ©dĂ© est trop compliquĂ© et trop difficile. D’un autre cĂŽtĂ©, on ne peut songer Ă  une loi sur l’exportation, « le seul nom d’exportation de grains prĂ©sentĂ© Ă  la tribune du Corps lĂ©gislatif ferait crier Ă  la disette ». Les ministres des Finances et de l’IntĂ©rieur avaient proposĂ© un moyen propre Ă  « rĂ©gulariser le mouvement et la valeur des grains, afin de maintenir l’abondance dans l’intĂ©rieur, de faire le bien des propriĂ©taires et des consommateurs, et d’accĂ©lĂ©rer la rentrĂ©e des contributions ». Mais ce moyen remettait le soin des rĂ©sultats Ă  obtenir Ă  cinq maisons de commerce, et le Directoire a vu lĂ  de grands inconvĂ©nients, surtout dans la difficultĂ© qu’il y aurait Ă  « tenir cachĂ©s les ressorts employĂ©s par le gouvernement ».
Les deux ministres ont alors remaniĂ© leur projet. « Une seule personne, connue dans toute l’Europe par son habiletĂ©, ses lumiĂšres et son activitĂ© pour le commerce des grains, dont la moralitĂ© et les moyens immenses sont parfaitement connus, sera chargĂ©e de toutes les opĂ©rations de ce genre que le gouvernement lui ordonnera de faire. Rien ne se fera qu’à mesure que les circonstances et les besoins l’exigeront ; point d’administration, point de bureaux montĂ©s, point de magasins, point d’employĂ©s, tout se dirigera par ses moyens, par ses agents, pour son compte et en son nom. Ce citoyen se soumettra Ă  toute la responsabilitĂ©, sous la surveillance immĂ©diate des ministres de l’IntĂ©rieur et des Finances, dont l’un dirigera ses achats ou ses ventes, et l’autre sa comptabilitĂ©. Non seulement il s’occupera immĂ©diatement de rĂ©gulariser le prix des grains dans toute la RĂ©publique, mais encore de tous les Ă©changes que le gouvernement dĂ©sirera ou des achats extĂ©rieurs qu’il pourrait juger nĂ©cessaires. » En conclusion Ă  ce rapport, un arrĂȘtĂ© commettait le grand financier Vanderbergh « pour les achats, ventes, ou versements de grains que le Directoire exĂ©cutif jugera Ă  propos de lui ordonner, soit au dedans, soit au dehors de la RĂ©publique. »
Ainsi, c’est aux mains d’un seul que l’on remettait le soin de distribuer du pain Ă  la France ! Et que l’on n’aille pas parler de l’honnĂȘtetĂ© de ces grands capitalistes : ce qu’ils estiment avant tout, c’est leur fortune, et s’ils la font en France, ils ne sont pas moins prĂȘts Ă  la mettre en sĂ»retĂ© Ă  l’étranger. « Je puis d’un trait de plume, disait Seguin, envoyer deux ou trois millions Ă  Londres » (MĂ©morial de Norvius, t. II). Les grands d’hier avaient portĂ© leurs forces, leurs Ă©pĂ©es Ă  Coblentz ; les grands du jour avaient leurs dispositions prises dĂ©jĂ  pour enlever Ă  la nation Ă©puisĂ©e des millions que recueillerait Londres. Il est difficile de dĂ©limiter exactement dans quelles proportions les fournisseurs volaient l’État, mais ce qui est Ă©vident, c’est que le gaspillage le plus effrĂ©nĂ© enrichissait non seulement les chefs des maisons de banque ou de fourniture, mais encore toute la horde de leurs subalternes, employĂ©s, vĂ©rificateurs, comptables. Le temps n’est pas loin oĂč Seguin, Ouvrard, Vanderbergh vont s’accuser rĂ©ciproquement de vol au prĂ©judice de l’État, et c’est, bien entendu, de millions qu’il s’agira (Archives nationales, F11, 292). Dans « le parti des nouveaux riches », comme l’appelle Malmesbury, se rangent aussi les agioteurs de toutes sortes, qui ont fait fortune en spĂ©culant sur les assignats ou qui encore ont su rĂ©aliser au bon moment pendant l’agiotage ; les gens de robe, de procĂ©dure et de basoche qui, chargĂ©s de travailler Ă  la liquidation des anciens domaines devenus le gage des porteurs d’assignats, volent et s’enrichissent Ă  peu prĂšs sans contrĂŽle.
C’est en parlant de tous ces gens que M. Vandal dit « qu’ils vivent sur la RĂ©volution3. C’est peut-ĂȘtre exact en tant que fait, mais ce n’est point Ă  la RĂ©volution mĂȘme qu’il faut imputer cette situation. La RĂ©volution, « cette affaire Ă©norme, colossale, extraordinaire », comme l’appelle M. Vandal, n’avait pas pour fin derniĂšre la remise aux mains de quelques-uns du capital de la France, mais bien plutĂŽt de procĂ©der Ă  une rĂ©partition plus Ă©quitable de ce capital, qu’il soit financier, moral ou foncier. Mais, dans les heurts inhĂ©rents Ă  toute grande secousse populaire, des accapareurs, des voleurs s’étaient glissĂ©s, comme on voit pendant les batailles se glisser des voleurs auprĂšs des morts ou des blessĂ©s. Ce sont prĂ©cisĂ©ment ces voleurs que le nouvel Ă©tat de choses va confirmer dans leur injuste possession.
Les « enrichis » ne pouvaient qu’applaudir au coup de force qui permit au gĂ©nĂ©ral Bonaparte de confisquer la RĂ©volution. Ils avaient ramassĂ© une certaine fortune et ils avaient pour unique souci de la conserver. Or, pour cela, il fallait Ă©viter les secousses semblables Ă  celles du passĂ©, car elles sont plus propres Ă  briser les fortunes faites qu’à les consolider. On parle donc de « l’ordre », c’est-Ă -dire le pouvoir fortement Ă©tabli. Et puisque Bonaparte semble vouloir prendre ce pouvoir, il y a tout intĂ©rĂȘt pour les capitalistes Ă  crier : « Vive Bonaparte ! » Ils ont fait plus. On connaĂźt, en effet, la lettre adressĂ©e par le financier Ouvrard, fournisseur de la marine, Ă  l’amiral Bruix, ministre de ce dĂ©partement, lorsque, le 18 brumaire, au matin, il eut vu passer, de sa maison de la rue de Provence, Bonaparte et son cortĂšge :
« Citoyen amiral,
Le passage du gĂ©nĂ©ral Bonaparte se rendant au Conseil des Anciens, quelques mouvements de troupes, me font pressentir qu’il se prĂ©pare du changement dans les affaires politiques ; cette circonstance peut nĂ©cessiter des besoins de fonds. Je vous prie, mon cher amiral, d’ĂȘtre l’interprĂšte de l’offre que je fais d’en fournir tout de suite. J’ai pensĂ© que celui qui est chargĂ© du service le plus important dans la partie que vous commandez, pouvait, sans indiscrĂ©tion, vous faire une pareille offre, et que vous n’y verriez qu’une preuve de son dĂ©voĂ»ment pour la chose publique, au succĂšs « de laquelle il cherchera toujours Ă  coopĂ©rer.
Salut et considération. »
Ouvrard offre donc une premiĂšre mise de fonds — et il est indispensable du reste qu’il y en ait une au moment d’un coup d’État. C’est assez dire avec quel enthousiasme le monde de la haute finance Ă©tait prĂȘt Ă  soutenir le gĂ©nĂ©ral factieux. Celui-ci du reste Ă©tait connu des fournisseurs : Ă  l’armĂ©e d’Italie, Ă  l’armĂ©e d’Égypte, il avait Ă©tĂ© en relations avec eux, et ils ne pouvaient oublier que c’était un homme d’affaires — un des leurs, presque ! — celui qui, avant la campagne d’Italie encourageait ses soldats au pillage des pays qu’ils allaient pa...

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