Chapitre III : La volonté devant la perception extérieure
Si maintenant nous demandons Ă la perception extĂ©rieure des Ă©claircissements sur notre problĂšme, nous savons dâavance que puisque cette facultĂ© est par essence dirigĂ©e vers le dehors, la volontĂ© ne peut pas ĂȘtre pour elle un objet de connaissance immĂ©diate, comme elle paraissait lâĂȘtre tout Ă lâheure pour la conscience, qui pourtant a Ă©tĂ© trouvĂ©e un juge incompĂ©tent en cette matiĂšre. Ce que lâon peut considĂ©rer ici, ce sont les ĂȘtres douĂ©s de volontĂ© qui se prĂ©sentent Ă lâentendement en tant que phĂ©nomĂšnes objectifs et extĂ©rieurs, câest-Ă -dire en tant quâobjets de lâexpĂ©rience, et doivent ĂȘtre examinĂ©s et jugĂ©s comme tels, en partie dâaprĂšs des rĂšgles gĂ©nĂ©rales, certaines Ă priori, relatives Ă la possibilitĂ© mĂȘme de lâexpĂ©rience, en partis dâaprĂšs les faits que fournit lâexpĂ©rience rĂ©elle, et que chacun peut constater. Ce nâest donc plus comme auparavant sur la volontĂ© mĂȘme, telle quâelle nâest accessible quâĂ la conscience, mais sur les ĂȘtres capables de vouloir, câest-Ă -dire sur des objets tombant sous les sens, que notre examen va se porter. Si par lĂ nous sommes condamnĂ©s Ă ne pouvoir considĂ©rer lâobjet propre de nos recherches que mĂ©diatement et Ă une plus grande distance, câest lĂ un inconvĂ©nient rachetĂ© par un prĂ©cieux avantage ; car nous pouvons maintenant faire usage dans nos recherches dâun instrument beaucoup plus pariait que le sens intime, cette conscience si obscure, si sourde, nâayant vue sur la rĂ©alitĂ© que dâun seul cĂŽtĂ©. Notre nouvel instrument dâinvestigation sera lâintelligence, accompagnĂ©e de tous les sens et de toutes les forces cognitives, armĂ©es, si jâose dire, pour la comprĂ©hension de lâobjectif.
La forme la plus gĂ©nĂ©rale et la plus essentielle de notre entendement est le principe de causalitĂ© : ce nâest mĂȘme que grĂące Ă ce principe, toujours prĂ©sent Ă notre esprit, que le spectacle du monde rĂ©el peut sâoffrir Ă nos regards comme un ensemble harmonieux, car il nous fait concevoir immĂ©diatement comme des effets les affections et les modifications survenues dans les organes de nos sens(1). AussitĂŽt la sensation Ă©prouvĂ©e, sans quâil soit besoin dâaucune Ă©ducation ni dâaucune expĂ©rience prĂ©alable, nous passons immĂ©diatement de ces modifications Ă leurs causes, lesquelles, par lâeffet mĂȘme de cette opĂ©ration de lâintelligence, se prĂ©sentent alors Ă nous comme des objets situĂ©s dans lâespace. Il suit de lĂ incontestablement que le principe de causalitĂ© nous est connu Ă priori, câest-Ă -dire comme un principe nĂ©cessaire relativement Ă la possibilitĂ© de toute expĂ©rience en gĂ©nĂ©ral ; et il nâest pas besoin, Ă ce quâil semble, de la preuve indirecte, pĂ©nible, je dirai mĂȘme insuffisante, que Kant a donnĂ©e de cette importante vĂ©ritĂ©. Le principe de causalitĂ© est Ă©tabli solidement Ă priori, comme la rĂšgle gĂ©nĂ©rale Ă laquelle sont soumis sans exception tous les objets rĂ©els du monde extĂ©rieur. Le caractĂšre absolu de ce principe est une consĂ©quence mĂȘme de son a prioritĂ©. Il se rapporte essentiellement et exclusivement aux modifications phĂ©nomĂ©nales ; lorsquâen quelque endroit ou en quelque moment, dans le monde objectif, rĂ©el et matĂ©riel, une chose quelconque, grande ou petite, Ă©prouve une modification, le principe de causalitĂ© nous fait comprendre quâimmĂ©diatement avant ce phĂ©nomĂšne, un autre objet a dĂ» nĂ©cessairement Ă©prouver une modification, de mĂȘme quâenfin que ce dernier pĂ»t se modifier, un autre objet a dĂ» se modifier antĂ©rieurement, â et ainsi de suite Ă lâinfini. Dans cette sĂ©rie rĂ©gressive de modifications sans fin, qui remplissent le temps comme la matiĂšre remplit lâespace, aucun point initial ne peut ĂȘtre dĂ©couvert, ni mĂȘme seulement pensĂ© comme possible, bien loin quâil puisse ĂȘtre supposĂ© comme existant. En vain lâintelligence, reculant toujours plus haut, se fatigue Ă poursuivre le point fixe qui lui Ă©chappe : elle ne peut se soustraire Ă la question incessamment renouvelĂ©e : « Quelle est la cause de ce changement ? » Câest pourquoi une cause premiĂšre est absolument aussi impensable que le commencement du temps ou la limite de lâespace.
La loi de causalitĂ© atteste non moins sĂ»rement que lorsque la modification antĂ©cĂ©dente, â la cause â est entrĂ©e en jeu, la modification consĂ©quente qui est amenĂ©e par elle â lâeffet â doit se produire immanquablement, et avec une nĂ©cessitĂ© absolue. Par ce caractĂšre de nĂ©cessitĂ©, le principe de causalitĂ© rĂ©vĂšle son identitĂ© avec le principe de raison suffisante, dont il nâest quâun aspect particulier. On sait que ce dernier principe, qui constitue la forme la plus gĂ©nĂ©rale de notre entendement pris dans son ensemble, se prĂ©sente dans le monde extĂ©rieur comme principe de causalitĂ©, dans le monde de la pensĂ©e comme loi logique du principe de la connaissance, et mĂȘme dans lâespace vide, considĂ©rĂ© Ă priori, comme loi de la dĂ©pendance rigoureuse de la position des parties les unes Ă lâĂ©gard des autres ; dĂ©pendance nĂ©cessaire, dont lâĂ©tude spĂ©ciale et dĂ©veloppĂ©e est lâunique objet de la gĂ©omĂ©trie. Câest prĂ©cisĂ©ment pour cela, comme je lâai dĂ©jĂ Ă©tabli en commençant, que le concept de la nĂ©cessitĂ© et celui de consĂ©quence dâune raison dĂ©terminĂ©e, sont des notions identiques et convertibles.
Toutes les modifications qui ont pour thĂ©Ăątre le monde extĂ©rieur sont donc soumises Ă la loi de causalitĂ©, et, par consĂ©quent, chaque fois quâelles se produisent, elles sont revĂȘtues du caractĂšre de la plus stricte nĂ©cessitĂ©. Ă cela il ne peut pas y avoir dâexception, puisque la rĂšgle est Ă©tablie Ă priori pour toute expĂ©rience possible. En ce qui concerne son application Ă un cas dĂ©terminĂ©, il suffit de se demander chaque fois sâil sâagit dâune modification survenue Ă un objet rĂ©el donnĂ© dans lâexpĂ©rience externe : aussitĂŽt que cette condition est remplie, les modifications de cet objet sont soumises au principe de causalitĂ©, câest-Ă -dire quâelles doivent ĂȘtre amenĂ©es par une cause, et, partant, quâelles se produisent dâune façon nĂ©cessaire.
Maintenant, armĂ©s de cette rĂšgle Ă priori, considĂ©rons non plus la simple possibilitĂ© de lâexpĂ©rience en gĂ©nĂ©ral, mais les objets rĂ©els quâelle offre Ă nos regards, dont les modifications actuelles ou possibles sont soumises au principe gĂ©nĂ©ral Ă©tabli plus haut. Tout dâabord nous observons entre ces objets un certain nombre de diffĂ©rences fondamentales profondĂ©ment marquĂ©es, dâaprĂšs lesquelles, du reste, on les a classĂ©s depuis longtemps : on distingue en effet les corps inorganiques, câest-Ă -dire dĂ©pourvus de vie, des corps organiques, câest-Ă -dire vivants, et ceux-ci Ă leur tour se divisent en vĂ©gĂ©taux et en animaux. Ces derniers, bien que prĂ©sentant des traits de ressemblance essentiels, et rĂ©pondant Ă une mĂȘme idĂ©e gĂ©nĂ©rale, nous paraissent former une chaĂźne continue extrĂȘmement variĂ©e et finement nuancĂ©e (sic), qui monte par degrĂ©s jusquâĂ la perfection, depuis lâanimal rudimentaire qui se distingue Ă peine de la plante, jusquâaux ĂȘtres les plus capables et les plus achevĂ©s, qui rĂ©pondent le mieux Ă lâidĂ©e de lâanimalitĂ© : au haut terme de cette progression nous trouvons lâhomme â nous-mĂȘmes.
Envisageons Ă prĂ©sent, sans nous laisser Ă©garer par cette diversitĂ© infinie, lâensemble de toutes les crĂ©atures en tant quâobjets rĂ©els de lâexpĂ©rience externe, et essayons dâappliquer notre principe gĂ©nĂ©ral de causalitĂ© aux modifications de toute espĂšce dont de pareils ĂȘtres peuvent ĂȘtre lâobjet. Nous trouverons alors que sans doute lâexpĂ©rience vĂ©rifie partout la loi certaine, Ă priori, que nous avons posĂ©e ; mais en mĂȘme temps, quâĂ la grande diffĂ©rence signalĂ©e plus haut entre la nature des objets de lâexpĂ©rience, correspond aussi une certaine variĂ©tĂ© dans la maniĂšre dont la causalitĂ© sâexerce, lorsquâelle rĂ©git les changements divers dont les trois rĂšgnes sont le thĂ©Ăątre. Je mâexplique. Le principe de causalitĂ©, qui rĂ©git toutes les modifications des ĂȘtres, se prĂ©sente sous trois aspects, correspondants Ă la triple division des corps en corps inorganiques, en plantes, et en animaux ; Ă savoir : 1° La Cause, dans le sens le plus Ă©troit du mot ; 2° lâExcitation (Reiz) ; 3° enfin la Motivation. Il est bien entendu que sous ces trois formes diffĂ©rentes, le principe de causalitĂ© conserve sa valeur Ă priori, et que la nĂ©cessitĂ© de la liaison causale subsiste dans toute sa rigueur.
1° La cause, entendue dans le sens le plus Ă©troit du mot, est la loi selon laquelle se produisent tous les changements mĂ©caniques, physiques et chimiques dans les objets de lâexpĂ©rience. Elle est toujours caractĂ©risĂ©e par deux signes essentiels ; en premier lieu, que lĂ oĂč elle agit la troisiĂšme loi fondamentale de Newton (lâĂ©galitĂ© de lâaction et de la rĂ©action) trouve son application : câest-Ă -dire que lâĂ©tat antĂ©cĂ©dent, appelĂ© la cause, subit une modification Ă©gale Ă celle de lâĂ©tat consĂ©quent, qui se nomme lâeffet ; en second lieu, que, conformĂ©ment Ă la seconde loi de Newton, le degrĂ© dâintensitĂ© de lâeffet est toujours exactement proportionnĂ© au degrĂ© dâintensitĂ© de la cause, et que par suite une augmentation dâintensitĂ© dans lâun, entraĂźne une augmentation Ă©gale dans lâautre. Il en rĂ©sulte que lorsque la maniĂšre dont lâeffet se produit est connue une fois pour toutes, on peut aussitĂŽt savoir, mesurer, et calculer, dâaprĂšs le degrĂ© dâintensitĂ© de lâeffet, le degrĂ© dâintensitĂ© de la cause, et rĂ©ciproquement. Toutefois, dans lâapplication empirique de ce second critĂ©rium, on ne doit pas confondre lâeffet proprement dit avec lâeffet apparent [sensible], tel que nous le voyons se produire. Par exemple, il ne faut pas sâattendre Ă ce que le volume dâun corps soumis Ă la compression diminue indĂ©finiment, et dans la proportion mĂȘme oĂč sâaccroĂźt la force comprimante. Car lâespace dans lequel on comprime le corps diminuant toujours, il sâen suit que la rĂ©sistance augmente : et si, dans ce cas encore, lâeffet rĂ©el, qui est lâaugmentation de densitĂ©, sâaccroĂźt vĂ©ritablement en proportion directe de la cause (comme le montre, dans le cas des gaz, la loi de Mariotte), on voit cependant quâil nâen est pas de mĂȘme de lâeffet apparent, auquel on pourrait vouloir Ă tort appliquer cette loi. De mĂȘme, une quantitĂ© croissante de chaleur agissant sur lâeau produit jusquâĂ un certain degrĂ© un Ă©chauffement progressif, mais au delĂ de ce point un excĂšs de chaleur ne provoque plus quâune Ă©vaporation rapide. Ici encore, comme dans un grand nombre dâautres cas, la mĂȘme relation existe entre lâintensitĂ© de la cause et lâintensitĂ© rĂ©elle de lâeffet. Câest uniquement sous la loi dâune pareille cause (dans le sens le plus Ă©troit du mot), que sâopĂšrent les changements de tous les corps privĂ©s de vie, câest-Ă -dire inorganiques. La connaissance et la prĂ©vision de causes de cette espĂšce Ă©clairent lâĂ©tude de tous les phĂ©nomĂšnes qui sont lâobjet de la mĂ©canique, de lâhydrostatique, de la physique et de la chimie. La possibilitĂ© exclusive dâĂȘtre dĂ©terminĂ© par des causes agissant de la sorte est, par consĂ©quent, le caractĂšre distinctif, essentiel, dâun corps inorganique.
2° La seconde forme de la causalitĂ© est lâexcitation, caractĂ©risĂ©e par deux particularitĂ©s : 1° Il nây a pas proportionnalitĂ© exacte entre lâaction et la rĂ©action correspondante ; 2° On ne peut Ă©tablir aucune Ă©quation entre lâintensitĂ© de la cause et lâintensitĂ© de lâeffet. Par suite, le degrĂ© dâintensitĂ© de lâeffet ne peut pas ĂȘtre mesurĂ© et dĂ©terminĂ© dâavance lorsquâon connaĂźt le degrĂ© dâintensitĂ© de la cause : bien plus, une trĂšs-petite augmentation dans la cause excitatrice peut provoquer une augmentation trĂšs grande dans lâeffet, ou au contraire annuler complĂštement lâeffet obtenu par une force moindre, et mĂȘme en amener un tout opposĂ©. Par exemple, on sait que la croissance des plantes peut ĂȘtre activĂ©e dâune façon extraordinaire par lâinfluence de la chaleur, ou de la chaux mĂ©langĂ©e Ă la terre, agissant comme stimulants de leur force vitale : mais pour peu que lâon dĂ©passe la juste mesure dans le degrĂ© de lâexcitation, il en rĂ©sultera non plus un accroissement dâactivitĂ© et une maturitĂ© prĂ©coce, mais la mort de la plante. Câest ainsi que nous pouvons par lâusage du vin ou da lâopium tendre les Ă©nergies de notre esprit, et les exalter dâune façon notable ; mais si nous dĂ©passons une certaine limite, le rĂ©sultat est tout Ă fait opposĂ©. â Câest cette forme de la causalitĂ©, dĂ©signĂ©e sous le nom dâexcitation, qui dĂ©termine toutes les modifications des organismes, considĂ©rĂ©s comme tels. Toutes les mĂ©tamorphoses successives et tous les dĂ©veloppements des plantes, ainsi que toutes les modifications uniquement organiques et vĂ©gĂ©tatives, ou fonctions des corps animĂ©s, se produisent sous lâinfluence dâexcitations. Câest de cette façon quâagissent sur eux la lumiĂšre, la chaleur, lâair, la nourriture, â quâopĂšrent les attouchements, la fĂ©condation, etc. â Tandis que la vie des animaux, outre ce quâelle a de commun avec la vie vĂ©gĂ©tative, se meut encore dans une sphĂšre toute diffĂ©rente, dont je vais parler Ă lâinstant, la vie des plantes, au contraire, se dĂ©veloppe tout entiĂšre sous lâinfluence de lâexcitation. Tous leurs phĂ©nomĂšnes dâassimilation, leur croissance, la tendance de leurs tiges vers la lumiĂšre, de leurs racines vers un terrain plus propice, leur fĂ©condation, leur germination, etc., ne sont que des modifications dues Ă lâexcitation. Dans quelques espĂšces, dâailleurs fort rares, on constate, outre les qualitĂ©s Ă©numĂ©rĂ©es plus haut, la production dâun mouvement particulier et rapide, qui lui-mĂȘme nâest que la consĂ©quence dâune excitation, et qui leur a fait donner cependant le nom de plantes sensitives. Ce sont principalement, comme on sait, la Mimosa, pudica, le Hedysarum gyrans et la Dioncea muscipula. La dĂ©termination exclusive et absolument gĂ©nĂ©rale par lâexcitation est le caractĂšre distinctif des plantes. On peut donc considĂ©rer comme appartenant au rĂšgne vĂ©gĂ©tal tout corps, dont les mouvements et modifications particuliĂšres et conformes Ă sa nature se produisent toujours et exclusivement sous lâinfluence de lâexcitation.
3° La troisiĂšme forme de la causalitĂ© motrice est particuliĂšre au rĂšgne animal, et le caractĂ©rise : câest la motivation, câest-Ă -dire la causalitĂ© agissait par lâintermĂ©diaire de lâentendement. Elle intervient dans lâĂ©chelle naturelle des ĂȘtres au point oĂč la crĂ©ature ayant des besoins plus compliquĂ©s et par suite fort variĂ©s, ne peut plus les satisfaire uniquement sous lâimpulsion des excitations, quâelle devrait toujours attendre du dehors ; il faut alors quâelle soit en Ă©tat de choisir, de saisir, de rechercher mĂȘme, les moyens de donner satisfaction Ă ces nouveaux besoins. VoilĂ pourquoi, dans les ĂȘtres de cette espĂšce, on voit se substituer Ă la simple rĂ©ceptivitĂ© des excitations, et aux mouvements qui en sont la consĂ©quence, la rĂ©ceptivitĂ© des motifs, câest-Ă -dire une facultĂ© de reprĂ©sentation, un intellect, offrant dâinnombrables degrĂ©s de perfection, et se prĂ©sentant matĂ©riellement sous la forme dâun systĂšme nerveux et dâun cerveau, avec le privilĂšge de la connaissance. On sait dâailleurs quâĂ la base de la vie animale est une vie purement vĂ©gĂ©tative, qui en cette qualitĂ© ne procĂšde que sous lâinfluence de lâexcitation. Mais tous ces mouvements dâun ordre supĂ©rieur que lâanimal accomplit en tant quâanimal, et qui pour cette raison dĂ©pendent de ce que la physiologie dĂ©signe sous le nom de fonctions animales, se produisent Ă la suite de la perception dâun objet, par consĂ©quent sous lâinfluence de motifs. On comprendra donc sous lâappellation dâanimaux tous les ĂȘtres dont les mouvements et modifications caractĂ©ristiques et conformes Ă leur nature, sâaccomplissent sous lâimpulsion des motifs, câest Ă -dire de certaines reprĂ©sentations prĂ©sentes Ă leur entendement, dont lâexistence est dĂ©jĂ prĂ©supposĂ©e par elles. Quelques innombrables degrĂ©s de perfection que prĂ©sentent dans la sĂ©rie animale la puissance de la facultĂ© reprĂ©sentative, et le dĂ©veloppement de lâintelligence, chaque animal en possĂšde pourtant une quantitĂ© suffisante pour que les objets extĂ©rieurs puissent agir sur lui, et provoquer ses mouvements, en tant que motifs. Câest cette force motrice intĂ©rieure, dont chaque manifestation individuelle est provoquĂ©e par un motif, que la conscience perçoit intĂ©rieurement, et que nous dĂ©signons sous le nom de volontĂ©.
Savoir si un corps donnĂ© se meut dâaprĂšs des excitations ou dâaprĂšs des motifs, câest ce qui ne peut jamais faire de doute mĂȘme pour lâobservation externe (et câest Ă ce point de vue que nous nous sommes placĂ©s ici). Lâexcitation et les motifs agissent en effet de deux maniĂšres si complĂštement diffĂ©rentes, quâun examen mĂȘme superficiel ne saurait les confondre. Car lâexcitation agit toujours par contact immĂ©diat, ou mĂȘme par intussusception, et lĂ oĂč le contact nâest pas apparent, comme dans les cas oĂč la cause excitatrice est lâair, la lumiĂšre, ou la chaleur, ce mode dâaction se trahit nĂ©anmoins parce que lâeffet est dans une proportionnalitĂ© manifeste avec la durĂ©e et lâintensitĂ© de lâexcitation, quand mĂȘme cette proportionnalitĂ© ne reste pas constante Ă tous les degrĂ©s. Dans le cas, au contraire, oĂč câest un motif qui provoque le mouvement, ces rapports caractĂ©ristiques disparaissent complĂštement. Car ici lâintermĂ©diaire propre entre la cause et lâeffet nâest pas lâatmosphĂšre, mais seulement lâentendement. Lâobjet agissant comme motif nâa absolument besoin, pour exercer son influence, que dâĂȘtre perçu et connu ; il nâimporte plus de savoir pendant combien de temps, avec quel degrĂ© de clartĂ©, et Ă quelle distance (du sujet), lâobjet perçu est tombĂ© sous les sens. Toutes ces particularitĂ©s ne changent rien ici Ă lâintensitĂ© de lâeffet ; dĂšs que lâobjet a Ă©tĂ© seulement perçu, il agit dâune façon tout Ă fait constante ; â Ă supposer toutefois quâil paisse ĂȘtre tin principe de dĂ©termination pour la volontĂ© individuelle quâil sâagit dâĂ©mouvoir. Sous ce rapport, dâailleurs, il en est de mĂȘme des causes physiques et chimiques, parmi lesquelles on range toutes les excitations, et qui ne produisent leur effet que si le corps Ă affecter prĂ©sente Ă leur action une rĂ©ceptivitĂ© propice. Je disais tout Ă lâheure : « de la volontĂ© quâil sâagit dâĂ©mouvoir, » car, comme je lâai dĂ©jĂ indiquĂ©, ce qui est dĂ©signĂ© ici sous le nom de volontĂ©, force immĂ©diatement et intĂ©rieurement prĂ©sente Ă la conscience des ĂȘtres animĂ©s, est cela mĂȘme qui, Ă proprement parler, communique au motif la force dâaction, et le ressort cachĂ© du mouvement quâil sollicite. Dans les corps qui se meuvent exclusivement sous lâinfluence de lâexcitation, les vĂ©gĂ©taux, nous appelons cette condition intĂ©rieure et permanente dâactivitĂ©, la force vitale â dans les corps qui ne se meuvent que sous lâinfluence de motifs (dans le sens le plus Ă©troit du mot), nous lâappelons force naturelle, ou lâensemble de leurs qualitĂ©s. Cette Ă©nergie intĂ©rieure doit toujours ĂȘtre posĂ©e dâavance, et antĂ©rieurement Ă toute explication (des phĂ©nomĂšnes), comme quelque chose dâinexplicable, parce quâil nâest dans le sombre intĂ©rieur des ĂȘtres aucune conscience aux regards de laquelle elle puisse ĂȘtre immĂ©diatement accessible, Maintenant, laissant de cĂŽtĂ© le monde phĂ©nomĂ©nal, pour diriger nos recherches sur ce que Kant appelle la chose en soi, nous pourrions nous demander si cette condition intĂ©rieure de la rĂ©action de tous les ĂȘtres sous lâinfluence de motifs extĂ©rieurs, subsistant mĂȘme dans le domaine de lâinconscient et de lâinanimĂ©, ne serait peut-ĂȘtre pas essentiellement identique Ă ce que nous dĂ©signons en nous-mĂȘmes sous le nom de volontĂ©, comme un philosophe contemporain a prĂ©tendu le dĂ©montrer ; â mais câest lĂ une hypothĂšse que...