Le chien

Jean Marc Dalpé

• Publisher: Éditions Prise de parole
• Year: 2013
• ISBN:
  9782894238356
• Topic: Literatur
• Subtopic: Kanadisches Drama

Un soir de juillet. Un soleil fou ne veut pas se coucher dans le ciel immense du Nord. Une maison mobile au bout d'un chemin de terre. Un chien fou s'enrage. Jay revient après sept ans de « trips de fou aux États, dans l'Ouest » … ailleurs. Le fils errant retourne chez son père et l'accule au pied du mur qu'il a dressé entre eux. Pour l'amour de sa mère, de sa sœur et de soi, il faut en finir.- « T'es encore vivant, toé? »Prise de parole présente ici la troisième édition de la première pièce solo de Jean Marc Dalpé qui lui a valu son premier prix du Gouverneur Général en 1988.

L’éclairage monte et on entend le chien qui aboie.

Il est dix heures et demie du soir et le soleil ne veut pas aller se coucher.

Jay, en bottes de cowboy, jeans délavés et t-shirt, entre.

D’une main, il tient sa veste de cuir et un sac de voyage alors que de l’autre, il tient une caisse de douze bières. Le chien aboie.

JAY

T’es encore vivant toé !

Il s’approche de la porte et cogne.

Y’a quelqu’un ? T’es là ?

Pas de réponse. Il trouve un sac avec des os, en lance un au chien.

Tiens ! Gruge là-dessus pour un boutte.

Le chien se tait. On entend un train qui passe.

Câlice d’ostie d’place de cul !

Il s’ouvre une bière. Temps.

CÉLINE

(Lettre : ) Cher Jay,

Ça fait drôle t’écrire. Je ne suis pas très habituée à mettre des affaires sur papier de même vu que je n’ai jamais été bonne dans les compositions à l’école et que je n’ai pas écrit de lettre souvent non plus, vu qu’il n’y avait pas personne à qui je pouvais penser à écrire quand même. Je suis rien que sortie une couple de fois du village, à part d’aller à Timmins je veux dire, et ça ne compte pas vraiment ça, fait que à qui tu voulais que j’écrive ?

Une fois, je m’étais acheté un cahier spécial. Je pense c’est quand j’avais 13 ou 14 ans… Ça fait pas si longtemps que ça au fond mais ça paraît loin… En tout cas, je l’avais acheté chez Paquette et je voulais commencer à écrire là-dedans à tous les jours. Ça allait être mon journal comme t’en vois des fois dans des livres ou des magazines. J’ai commencé mais ça duré deux jours. Puis là, j’ai eu une drôle d’idée. Je voulais écrire là-dedans comme si c’était une lettre à ma mère, la vraie… pas la tienne, je veux dire la nôtre, mais la mienne. Mais ça non plus, ça pas duré longtemps. C’était peut-être parce qu’elle n’avait pas de visage, ou que je n’arrivais pas à lui en inventer un qui changerait pas tout le temps.

Il a plu toute la nuit ici et une partie de la matinée jusque vers dix heures. Il pleut beaucoup ces jours-ci maintenant. Pas comme quand tu es venu en juillet. Il faisait tellement beau et chaud et sec. Ta mère était tellement contente.

Temps.

MÈRE

J’avais des rêves pour c’t’enfant-là. (En riant :) Un jour c’était le meilleur joueur de hockey des Canadiens pis le lendemain un businessman qui fait des millions pis qui couraille partout dans le monde avec son avion privé à lui. J’étais folle, câlice ! Quand j’le voyais dessiner, j’rêvais qu’y’allait être un grand peintre. Quand y s’est mis à lire, là y’allait être un autre Victor Hugo !

Pause.

Oui… j’avais des rêves pour ce petit gars-là ! Pis j’me disais… mais y’en faut ! Y’en faut des rêves ! Y’a plein d’histoires de gars qui sont partis de rien pis qui l’ont fait ! Ça prend des rêves pis des guts. Des rêves pis des guts ! Pis même si y’est né dans un trou de marde comme icitte, pour que c’est faire mon petit gars y’en ferait pas autant ?

Pause.

J’avais des rêves… j’avais des rêves pour le « fruit de mes entrailles » ! Quand y’était petit, j’y contais les histoires pis j’y disais : « Tu vois ce prince-là ? C’est toé, ça. C’est toé mon petit prince en or. Pis quand tu vas être grand, tu vas y aller en tuer des dragons pis des géants toé-tou. » Plus tard, j’y contais les chercheurs d’or en Californie pis les anglais qui sont allés faire fortune ouvrant des mines de diamants en Afrique, pis l’histoire du gars qui a commencé livreur de journaux, pis qui a fini gros boss du même maudit journal ! Pis j’y disais : « Regarde… regarde tout c’que tu peux faire, tout c’qui t’attend ! Faut viser haut ! Jouer ses cartes comme y faut ! » Des rêves pis des guts… « Pis tu vas en tuer des dragons toé-tou. »

Temps.

GRAND-PÈRE

Ah ben ! là tu m’fais plaisir. J’t’icitte !

Pause.

Coudon, y barrent pas les portes ?

JAY

J’arrive des tracks. J’ai sauté le fossé pis la clôture du fond.

GRAND-PÈRE

Pensé souvent à moé ?

JAY

De temps en temps.

GRAND-PÈRE

Quand tu voyais un petit vieux tout ratatiné, tu t’disais : « Tiens, j’me demande si l’grand-père y’est toujours aussi aguissable ? »

JAY

Ouain… quand j’voyais quelqu’un pêcher aussi.

Pause.

J’te l’ai remis ton argent, hein ?

GRAND-PÈRE

Ça t’a pas pris longtemps non plus ! Deux mois ! Que c’est t’as fait, volé une banque ?

JAY

Ça m’avait ben aidé ton cinq cents quand j’suis parti. Y me sembl...