Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes
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Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes

Essai sur une prise de parole

Aurélie Lacassagne

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Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes

Essai sur une prise de parole

Aurélie Lacassagne

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Cet essai propose de renouveler les termes du débat sur l'identité franco-ontarienne. Il réfute l'idée qu'elle est figée, passéiste, et déconstruit «l'esprit Durham» que les Franco-Ontariens auraient intériorisé et qui les empêcherait de croire à un avenir possible. Il met plutôt en relief les continuités et les ruptures de cette identité minoritaire, en proposant qu'elle procède d'une créolisation créatrice et porteuse d'espoir.Découpé en trois parties, l'ouvrage situe d'abord la société franco-ontarienne au travers des perspectives théoriques et du parcours personnel de l'auteure, et l'insère dans l'histoire plus globale des peuples minoritaires. Il dresse ensuite un état des lieux du Nouvel-Ontario, et s'attarde aux changements intervenus au sein de ses organismes culturels depuis les années 1970. Enfin, par l'analyse d'un corpus choisi d'œuvres littéraires à teneur politique issues de Sudbury, il cherche à mettre en valeur une prise de parole qui contribue à dessiner une identité sans cesse renouvelée dans le Nouvel-Ontario.«Perspectives créoles sur la culture et l'identité franco-ontariennes» appelle les périphéries à participer au grand bouleversement du monde.

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Information

III – LISTEN TO THE POETS!
TRAVAIL ET TERRITOIRES
DANS LES ŒUVRES DE
JEAN MARC DALPÉ ET DANIEL AUBIN
Genre et professions
En débutant l’exploration des représentations du travail, je me suis rapidement aperçue qu’elles étaient particulièrement genrées. Les professions « masculines » sont associées à l’exploitation du territoire, ce qui révèle la structure économique du Nord-ontarien, à savoir une économie basée sur les ressources. Les francophones y sont dans la plupart des cas des travailleurs, et très rarement les propriétaires des moyens de production (l’exception étant le propriétaire d’un petit commerce). On trouve donc des mineurs, des draveurs, des bucherons, des travailleurs de la construction, sans oublier les hommes sur l’assurance-chômage ou en longue maladie.
Où sont les femmes? Elles sont présentes partout car, comme le souligne Jane Moss1, dans l’œuvre de Dalpé, l’influence féministe est assumée – c’est le cas pour ses deux pièces coécrites avec Brigitte Haentjens mais également pour toutes ses autres créations. Les femmes y sont sensibles (les chanteuses country ratées, les danseuses paumées, l’extraordinaire Maggie tatoueuse assimilée), mais elles sont surtout décrites comme des femmes fortes, comme piliers de leurs familles. La force et le rôle central qui leur sont attribuées ne viennent pas conforter la vision catholique traditionnelle, qui conçoit les femmes comme des reproductrices. Au contraire, les femmes de Dalpé sont des résistantes, notamment à l’oppression du capitalisme, mais aussi à celle de l’Église. En revanche, les hommes sont souvent dépeints comme des ratés, finalement moins engagés dans la lutte contre l’oppression et l’exploitation. Par-dessus tout, les hommes semblent incapables d’échapper à leur destin d’exploités, de monter l’échelle sociale à travers les générations, ce qui renforce leur sentiment d’échec. Souvent, ces hommes aliénés sombrent dans l’alcoolisme et la violence domestique. Le contraste est flagrant entre le portrait lugubre des hommes et celui de femmes combattantes, résistantes, droites devant l’adversité. Elles mènent la lutte, elles se débrouillent pour combler les fins de mois difficiles, elles pardonnent mais n’oublient jamais. Le théâtre de Dalpé est une ode à la force des femmes.
Les femmes y sont souvent représentées comme travailleuses, mais dans la sphère privée. Le travail maternel et marital est décrit avec minutie. Sara Ruddick2, une grande théoricienne de la notion de travail maternel (« motherwork »), explique que la préservation et la croissance des enfants, ainsi que leur acceptation sociale constituent les trois aspects proéminents du travail maternel. Ce travail se caractérise par un très haut niveau de complexité – aussi bien dans l’action que dans la pensée – si on le compare à beaucoup de professions. Pourtant, il est très rarement reconnu comme du travail. En matière de compétences organisationnelles, le travail maternel exige beaucoup d’efforts, particulièrement s’il y a plusieurs enfants; si le père est absent ou « inefficace »; si l’espace occupé est hostile. Par ailleurs, ce travail maternel est souvent accompagné d’un travail salarial, celui-ci reconnu par la société. La plupart des héroïnes de la littérature franco-ontarienne occupent ces deux fonctions.
La figure prédominante de la femme fictionnelle franco-ontarienne est, bien sûr, celle de la serveuse. On serait bien en peine de trouver un livre où cette dernière n’est pas représentée. Certaines d’entre elles ont même envahi notre imaginaire collectif, comme Debbie Courville, incarnation de cet état de fait et, par extension, de la femme franco-ontarienne :
I am French, but
I don’t speak it…
Do you want more
coffee? (Desbiens, Poèmes anglais, 29)
La pièce fondatrice de la littérature franco-ontarienne dans le Nouvel-Ontario, Moé j’viens du Nord, ’stie3, raconte l’histoire de Nicole, serveuse, et de son copain Roger. Dans Les murs de nos villages4, une des scènes s’intitule « Rita ou L’ode à la waitress ». Dans Un vent se lève qui éparpille5, Marie est serveuse. Mado, la femme d’Eddy, le boxeur raté, est serveuse et chanteuse ratée. La liste pourrait être longue.
Mais pourquoi la serveuse? Du point de vue sociologique, l’explication la plus logique reposerait sur le faible niveau d’éducation des Franco-Ontariens en général, et des Franco-Ontariennes en particulier. Pas besoin d’avoir étudié pendant de nombreuses années pour être serveuse. Ce métier ne requiert pas – à priori – de compétences particulières. Mais le métier de serveuse est également étroitement associé à une organisation territoriale du travail. Les scènes des poèmes et pièces sont souvent situées dans des one-company towns, où la taverne ou le diner occupent une place centrale et fondamentale. Puisque la structure de l’économie, et donc de l’emploi, demande une force physique importante (on pense aux mineurs, aux bucherons), seuls les hommes sont habilités à occuper ces métiers (c’est tout au moins ce que l’on a pensé pendant longtemps), ce qui laisse aux femmes peu d’options de « carrière ». Les hommes aiment à se retrouver autour d’une bière après une dure journée de labeur. Et ce sont des femmes qui les servent.
La complexité organisationnelle du métier de serveuse, tout comme le travail maternel, ne reçoit pas l’attention requise. La serveuse effectue en réalité des tâches multiples, précises et répétitives. La charge de travail est énorme, d’autant plus que le propriétaire de la taverne, souvent un homme, passe potentiellement plus de temps à boire des coups avec les clients qu’à travailler. La charge de travail est souvent rendue plus lourde par un manque chronique d’employés. C’est également, dans bien des cas, à la serveuse que reviennent les tâches administratives (comptabilité, commandes, gestion des stocks). Et plus que tout, la serveuse incarne la psychologue du village, une autre profession, peut-être la plus importante.
Le monde ouvrier, la lutte des classes
et l’identité franco-ontarienne
Les deux pièces coécrites par Jean Marc Dalpé et Brigitte Haentjens, Nickel et Hawkesbury Blues6, semblent emblématiques d’un théâtre engagé, se portant à la défense des dépossédés. Nickel décrit la dureté du monde minier alors que dans Hawkesbury Blues, c’est celle de l’industrie du textile qui est dénoncée. Dans les deux, les auteurs portent une attention particulière aux façons dont le travail marque les corps. Le travail imprime sa marque au sens propre à même les corps des ouvriers et ouvrières, il y laisse des traces physiques. L’aliénation y est donc aussi bien psychologique que physique, l’aspect répétitif des deux professions renforçant ce sentiment d’aliénation. La cadence imposée dans la répétition des tâches pendant le shift s’entend, se voit dans ces pièces. Le mouvement des corps inscrit à même le rythme des mots crée, dans l’imaginaire du lecteur, une image d’ouvriers-marionnettes, dont les corps ployés sous la souffrance et le tempo infernal, peuvent se briser, à n’importe quel moment. La présence de chansons dans les deux pièces renforce ce mouvement.
Je travaille, je vieillis. Chaque matin je me lève avec un nouveau poids au bas du dos. Chaque matin, je me lève et ça me surprend. Ça me mord dans les reins… douze ans de mine. (Nickel, 36)
Mes mains sont toutes croches de la machine à piquer, et ma tête vide d’avoir tant travaillé. (Hawkesbury Blues, 42)
Deux industries, mais une même lutte pour la classe ouvrière : celle de la syndicalisation, thème que les deux pièces abordent. Certains ouvriers veulent se rassembler pour mettre fin à leur exploitation grossière, à leurs conditions de travail dégradantes, au pouvoir et à l’arrogance sans borne des patrons et contremaîtres, aux salaires de misère. Cette lutte divise la classe ouvrière, certains ayant peur de s’engager dans le syndicalisme. Dans Nickel, après la mort de Youssaf dans un accident minier, sa femme, Clara, reprend le flambeau de la lutte, voulant ainsi parachever les rêves de son défunt mari. Elle aura à se battre contre la famille, la ville, l’Église, et le manque de courage de beaucoup de « camarades ». Dans Hawkesbury Blues, Louise, l’ouvrière héroïne, décide de s’émanciper, en divorçant et en s’engageant dans le mouvement pour la syndicalisation. Dans les deux cas, les femmes sont à l’avant-garde de la lutte, elles sont représentées comme des combattantes. Pourtant, le monde syndical apparaît souvent comme un milieu masculin et masculiniste; il est rare que soit décrit le rôle déterminant des femmes dans quelque combat au sein de ces organisations7.
En ce qui a trait aux relations avec le territoire, les deux pièces mettent de l’avant le processus de déracinement, de l’exil permanent. Hawkesbury Blues s’ouvre sur une scène décrivant des familles, dont celle de Louise, se préparant à quitter l’île où elles habitent et qui va être submergée à cause de la construction d’un barrage. Relocalisés de force dans la ville d’Hawkesbury, les insulaires se sentent privés de leur identité, de leur communauté, de leur solidarité. Nickel met en scène une communauté où cohabitent des Canadiens français, des Ukrainiens, des Italiens, des Polonais, tous des exilés, des dépossédés, des damnés de la terre qui ont migré vers la ville du nickel pour travailler dans le trou. La pièce accorde une grande place à la description des relations parfois difficiles entre ces nationalités au sein de l’espace de travail. Par exemple, ce contremaître canadien-français qui fait du chantage auprès des siens qui sont pour la syndicalisation, en jouant la carte de la solidarité « ethnique » :
I’m one of the first fucking frenchies to get to be a shift boss. Je vous protège tabarnac when you guys fuck things up. Je pousse pour faire rentrer d’autres Canadiens français. Je pousse pour que vous ayez les jobs les plus faciles. […]. Je veux la liste des gars qui ont signé. (Nickel, 35-36)
Au final, c’est la solidarité de classe qui prime sur les divisions ethniques; une solidarité entre exploités et dépossédés qui va au-delà de la langue, du pays d’origine et de la couleur de la peau. La relation au territoire y est comme les deux faces de Janus : il représente l’espoir d’un avenir meilleur, mais aussi la perte des racines. Le milieu de travail est dur et dangereux, tout en étant la seule option pour gagner son pain et nourrir sa famille.
Finalement, l’identité des travailleurs est façonnée par leurs conditions de travail et les territoires qu’ils habitent. Dans son recueil de poésie, Gens d’ici, Dalpé s’est efforcé de caractériser cette identité avec la précisi...

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