Introduction
Le choix d’un titre est rarement facile. Il y a les tenants d’un titre descriptif avec des mots-clés qui facilitent le repérage, d’autres ne jurent que par un titre imagé, provoquant ou suggestif. Dans quelle catégorie se classe Vivre la Conquête ?
Les objections étaient nombreuses. Les jeunes ignorent tout de la Conquête, surtout avec les nouveaux programmes scolaires, les immigrants également, nous dit-on, d’autres ne veulent tout simplement pas en entendre parler. Enfin, dans le cas de certains, le mot « conquête » dérange.
Le silence qui entoure le 250e anniversaire du traité de Paris est significatif. Le gouvernement fédéral a tout fait pour diriger l’attention vers la guerre de 1812. Les dates de 1760 ou 1763 sont à oublier.
Et puis si on prononce mal, les gens entendront « Vive la Conquête » ! Par esprit de compromis, c’est devenu un simple « titre de travail ». Comme d’habitude, l’éditeur décidera plus tard, pourquoi pas à la dernière minute « dans un éclair de génie ».
L’intention à l’origine du présent ouvrage n’était nullement de relancer un vieux débat, surtout pas de réécrire La guerre de la Conquête de Guy Frégault ou Crucible of War de Fred Anderson. Non pas que le dernier mot ait été dit sur les événements, ce n’est jamais le cas, mais nous avions d’autres objectifs. Nous voulions justement nous éloigner d’un manichéisme agaçant, désastre vs bienfait, et partir à la recherche de ce qu’ont vécu les gens de cette époque. À mi-chemin entre l’histoire événementielle et l’histoire dite sociale, nous avons voulu saisir un nombre assez significatif de parcours individuels. Ont été exclus les grands du monde politique ou religieux.
Aux collaborateurs qui s’ajoutaient, nous adressions toujours les mêmes réflexions : « Le projet est de présenter une cinquantaine de personnages qui ont vécu avant, pendant et après la guerre de Sept Ans. Ce qui est visé, c’est la vérité, sans complaisance.
L’ensemble des textes va permettre, nous l’espérons, de mieux comprendre les lendemains de Conquête. »
Finalement une trentaine de collègues ont accepté de participer au projet. La formule était assez souple. Pour la présentation, chaque auteur devait choisir entre des notes de bas de pages ou un aperçu des sources utilisées présentées à la fin de son article. Également, il devait se limiter à quelque 3 000 mots. L’enthousiasme a été tel que plusieurs ont dépassé cette limite et même proposé des biographies additionnelles. L’éditeur a décidé d’en faire deux tomes avec index intégré. Comment répartir les biographies entre les deux tomes ? Un certain équilibre a été établi. Ce pari a été tenu.
En cours de route, il a fallu accepter des personnages qui ont quitté le Canada après 1763. Depuis plusieurs années, les spécialistes se disputent sur le nombre de départs, c’était donc l’occasion de suivre quelques personnages dans leur exil. En effet, pour elles ou eux la France n’était pas nécessairement la mère patrie. C’est le cas de l’unique Angélique Renaud d’Avène des Méloizes ou parfois d’épouses d’officiers, comme Marie-Louise Dagneau d’Ouville ou Marie-Françoise de Couagne.
Un autre cas était limite quant aux dates, celui de Pierre Revol décédé en septembre 1758 alors que Wolfe se livre à la destruction des établissements de pêche de la côte gaspésienne. Ce dernier fait l’objet d’une importante biographie dans le Dictionnaire biographique du Canada (désormais DBC), mais Mario Mimeault nous proposa de la commencer à peu près là où elle se terminait. C’est ainsi qu’il insiste surtout sur l’épisode gaspésien. Il est intéressant de comparer sa biographie avec celle de Michel Paquin.
L’examen des dossiers qui sont disponibles pour consultation aux archives du DBC nous a permis de constater que certains auteurs n’avaient pu raconter tout ce qu’ils voulaient soit à cause de l’espace alloué, soit tout simplement par choix de l’équipe éditoriale. C’est le cas pour Augustin Vachon et Robert Derome. Tous deux se sont montrés non seulement disponibles mais enthousiastes. Vachon a fait sa thèse de maîtrise sur le jésuite Roubaud, Derome a scruté sans relâche l’histoire de Catherine Delezenne, de son amoureux, de son mari, de son père, de son époque.
Puis un autre personnage fascinant s’est vite imposé, la veuve Fornel dont Liliane Plamondon avait poursuivi l’étude après avoir lu la biographie préparée par Dale Miquelon dans le DBC.
Dans un cas, nous avons dérogé à la règle et convenu, avec Mario Mimeault qui fut un fort généreux collaborateur, de choisir un thème, les pilotes du Saint-Laurent, et pas n’importe lesquels, ceux qui avaient été recrutés par les Britanniques. Un article distinct a donc été construit autour de Denys de Vitré et d’Augustin Raby qui sont présents dans le DBC. Ce fut l’occasion de tirer de l’oubli une bonne dizaine d’autres pilotes.
Certaines biographies ont pu être renouvelées. C’est le cas de Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay pour lequel Raymonde Litalien a utilisé une documentation nouvelle ou Ignace-Philippe Aubert de Gaspé, sur lequel Gaston Deschênes, qui ratisse l’histoire de la Côte du Sud depuis un tiers de siècle, porte un regard neuf. Cet Aubert de Gaspé n’a d’ailleurs pas besoin de son petit-fils, l’auteur des Anciens Canadiens, pour impressionner. Il illustre le meilleur de l’histoire de la Nouvelle-France. Il sera de tous les grands moments : dans l’ouest contre les Renards, au sud contre les Chicachas, en Acadie pour contrer l’offensive britannique, à Carillon et à Sainte-Foy pour partager les triomphes de Montcalm ou de Lévis et finalement parmi les siens pour tenir tête aux Américains en 1775.
D’autres biographies ont été abandonnées en cours de route : celles de Chaussegros de Léry, de Chartier de Lotbinière et de Godefroy de Tonnancour. La préparation de l’index nous a mis en présence de plusieurs grandes familles : les Aubert de Gaspé, les Le Gardeur de Tilly, les Coulon de Villiers, les Ramezay, les Tarieu de Lanaudière, les La Corne, les Renaud d’Avène des Méloizes, etc. Oui, elles sont impressionnantes et souvent admirables mais elles ne sont pas toute la Nouvelle-France !
En effet, à côté des seigneurs et des notables, prennent place les gens de métier : cuisinier, forgeron, pêcheur, maître d’école et chirurgien. Généralement moins connus, plusieurs d’entre eux révèlent une exceptionnelle capacité de rebondir et même de tirer profit du Régime britannique qui se met en place. On découvrira avec étonnement la réussite d’un Jean Amiot, d’un Louis-Philippe Badelart et surtout d’un Noël Voyer.
Tous n’ont pas leur chance. C’est le cas des déportés, les Acadiens bien sûr, une Madeleine Doucet qui aura charge d’enfants issus de neuf unions différentes ou d’une Blanche Thibodeau, dite « Tante la Blanche » qui, à sept générations de distance, remplit encore d’émotion le poète acadien Serge Patrice Thibodeau.
Religieux et religieuses n’ont pas été oubliés : Marguerire d’Youville, sœur Maugue-Garreau, un sulpicien, Jacques Degeay, un jésuite, Roubaud, hélas une tête fêlée, et l’ineffable curé Récher. Dans le second tome, il y aura d’autres religieuses et religieux dont le récollet Félix de Berey. Les Indiens sont difficiles à saisir mais Louis Vincent, grâce au travail conjugué de Jonathan Lainey et Thomas Peace, représente les autochtones en attendant la suite.
Pleurer les morts, reconstituer des familles, reconstruire une maison, regrouper les troupeaux, relancer l’agriculture, le commerce des fourrures, réapprendre à vivre, voilà les défis auxquels nous nous attendions.
Il y a toutefois une question inattendue qui s’est imposée au fur et à mesure que les textes nous arrivaient. Elle a déclenché une véritable enquête dans l’équipe du Septentrion, Sophie Imbeault et Rénald Lessard en tête. Des historiens tels Marcel Trudel et Fernand Ouellet s’y sont intéressés tout en nous laissant sur notre faim. Également, dans Les Premiers Juifs d’Amérique, le lecteur découvre la vulnérabilité des Canadiens inquiets du sort qui attend la monnaie de papier qu’ils détiennent. Ce fameux « papier du Canada » nous conduisait à un étrange spéculateur, Jacques Terroux, qui paiera cher son audace. Il aura droit à sa biographie qui, en même temps, no...