Esclave et bourreau
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Esclave et bourreau

Lhistoire incroyable de Mathieu Léveillé, esclave de Martinique devenu bourreau en Nouvelle-France

Serge Bilé

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Esclave et bourreau

Lhistoire incroyable de Mathieu Léveillé, esclave de Martinique devenu bourreau en Nouvelle-France

Serge Bilé

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Esclave et bourreau présente lhistoire singulière dun esclave martiniquais du XVIIIe siècle, Mathieu Léveillé, au destin peu banal. Condamné à mort pour sêtre évadé de la plantation en Martinique, on lui propose, sil veut échapper à une exécution imminente, de devenir bourreau au Canada. Ce document inédit retrace donc le parcours étrange et chaotique de ce jeune homme qui devient malgré lui «?exécuteur des hautes uvres?». Le métier de bourreau sous lAncien Régime avait uneimportance fondamentale dans lorganisation sociale. Cette histoire réelle est loccasion dévoquer, grâce à des documents extirpés de loubli, lexistence des Noirs dans les colonies françaises.Journaliste franco-ivoirien, Serge Bilé est lauteur dessais et de documentaires sur le monde noir africain, antillais et sud-américain. Son ouvrage Noirs dans les camps nazis a été vendu à 100?000 exemplaires. Il est présentateur du journal de Martinique Première (France Télévisions), le plus regardé de lîle.

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Information

De longs jours de solitude
Depuis son retour de montréal et sa première exécution, Mathieu Léveillé s’ennuie. Il est seul, il est triste. Il ne sait comment occuper ses jours et ses nuits. Il tourne en rond. Il fait les cent pas. Il dort seul. Il ne sort pas. Les heures sont interminables.
Mais que faire quand on ne sait où aller, qu’on n’a pas d’amis, et qu’on ne connaît pas le pays ?
À la Martinique, il connaissait du monde sur l’habitation.
Ici, il ne connaît personne, vraiment personne.
À qui pourrait-il se lier d’amitié alors que les autres esclaves, noirs comme lui, le fuient comme un pestiféré ?
Si Mathieu évite de sortir de sa maison, c’est aussi pour ne pas être insulté ou agressé par des gens si prompts à hurler leur haine à l’égard du bourreau que – paradoxalement – ils acclament lors des pendaisons. Étrange contradiction !
Il aurait aimé, plutôt que d’être approvisionné par des employés des entrepôts royaux, aller faire ses courses lui-même en homme libre. Mais cela n’est pas possible. Tout le monde sait qui il est. Lui, le grand gaillard, noir, fort et puissant, c’est forcément le bourreau dont tout le monde parle et que tout le monde déteste.
C’est un peu comme s’il était en prison, une prison sans barreau, où la porte est grande ouverte, mais dont les murs sont aussi infranchissables que les murailles de Jéricho.
Que ferait-il s’il osait sortir de son repaire ?
Il passerait par le marché de la ville, qui se tient deux fois par semaine, les mardis et vendredis. « Tous les habitants qui auront quelques grains à vendre, volailles, gibiers, et autres denrées, pourront les exposer en vente », stipule le règlement de police de la ville de Québec.
Après une visite au boucher et au boulanger, il aurait acheté du tafia, ce mauvais rhum qu’on ne laisse pas vieillir et qui a l’avantage d’être très bon marché. Le tafia l’aiderait, le soir, à noyer son chagrin et son malheur, comme autrefois à la Martinique.
L’alcool est un bon remède contre le froid, si mordant en ce début d’année.
L’hiver 1735 est aussi rude que le précédent, avec des températures oscillant entre -3 °C le jour et -12 °C la nuit. Le fond de l’air est par moments tellement glacé que le mercure du thermomètre rentre dans sa boule, ce dernier n’étant pas conçu pour mesurer les températures extrêmement basses. En ce petit âge glaciaire, les tempêtes de neige sont fréquentes. Il devient alors très difficile de se déplacer.
Quand le printemps revient, un autre tourment commence.
Il pleut à verse pendant des jours, on a l’impression que l’eau du Saint-Laurent s’abat en cataractes sur la ville. Les rues de Québec sont alors impraticables, et c’est la même chose à la fonte des neiges. La basse-ville, où se trouvent la plupart des commerçants, installés dans des rues étroites, raboteuses, et humides, est alors minée par les eaux.
Mathieu est en bonne santé durant les premiers mois de l’année, mais s’il ne tombe pas malade, il ne se sent pas bien pour autant, au sens psychologique du terme.
Pendant près d’un an, il ne fait rien, ou presque rien. Il ne sort pas. Il n’a pas d’aventure amoureuse. La vie est un long corridor froid sans lumière.
Il est usé et triste.
Mises à mort en cascade
Le 3 août 1735, on sollicite le bourreau à l’occasion du procès de Léonard Dufour, un soldat de la garnison de Québec accusé de rapt et de viol. Il a commis ce crime alors qu’il était ivre sur la personne d’Angélique Morin, une fillette de six ans.
Le rapport du chirurgien et de la sage-femme qui ont examiné la petite est accablant. L’enfant est physiquement très abîmée.
Ce cas de pédophilie est résumé par un procès-verbal : « Nous avons remarqué que l’enfant a souffert des efforts très violents procédant de la jouissance qu’un homme aurait tenté d’en avoir. L’hymen a été déchiré par l’introduction des doigts, l’orifice du vagin ne s’étant pas trouvé assez large pour admettre l’intromission du membre viril, eu égard à la trop grande jeunesse de l’enfant. »
Il est rare que la justice québécoise statue sur des cas de viols d’enfants ou même d’adultes, non que les hommes soient plus vertueux ici qu’ailleurs, mais parce que les femmes rechignent généralement à porter plainte, parce qu’elles craignent de ne pas être prises en compte ou de passer pour des « putains ».
La dernière audience du genre remontait à août 1734. À Trois-Rivières, ville située sur le Saint-Laurent, un Panis, prénommé Jacques, avait répondu de l’enlèvement et du viol de Marie-Joseph, une fille blanche. En première instance, le procureur avait requis la pendaison, mais en appel, le Conseil supérieur avait modifié la peine et expédié l’esclave amérindien aux galères.
Dans le cas de Dufour, c’est l’inverse qui se produit. Condamné aux galères en première instance par le lieutenant général de la prévôté de Québec, il saisit le Conseil supérieur qui l’envoie finalement à la potence, en demandant expressément au bourreau martiniquais, une fois sa besogne accomplie, de jeter le corps mort à la voirie.
L’expérience aidant, Mathieu a gagné en assurance. Lors de la pendaison de Marie-Josèphe-Angélique, c’était un galop d’essai. Cette fois, c’est la première fois qu’il officie à Québec et qu’il exécute un Blanc. Pendant des années, à la Martinique, les Blancs l’ont humilié, torturé, condamné à mort, et voilà qu’aujourd’hui il va mettre à mort un des leurs.
Qu’éprouve-t-il à ce moment-là ? De la gêne ? Du plaisir ? De la jubilation ? A-t-il l’impression qu’il se venge ?
Si la loi peut à tout moment faire d’un esclave un bourreau, Mathieu réalise, à la lumière de cette exécution, que la justice peut également transformer l’ancien maître en condamné à mort s’il vient à commettre un crime. L’esclave fouetté par le maître devient le bourreau exécutant le maître.
Mathieu réalise aussi à quel point la foule est changeante, tout comme le ciel de la Nouvelle-France. Ceux qui l’auraient autrefois lynché pour le meurtre d’un colon l’applaudissent, le félicitent, le congratulent aujourd’hui. C’est le monde à l’envers. En fait, qu’importe que le pendu soit blanc et le bourreau noir, pourvu qu’il y ait du spectacle.
La seule chose qui importe à la foule et qui la réjouit, c’est qu’il y ait une belle mise à mort, un homme terrorisé se débattant au bout d’une corde.
Dans un pays où les spectacles manquent et où l’on s’ennuie ferme, une exécution capitale est un événement à ne rater sous aucun prétexte. On se bouscule pour essayer de voir ça de très près, le plus près possible.
Il n’y a pas longtemps, le Martiniquais a failli perdre la vie pour moins que ça, en essayant de fuir dans les forêts de la Martinique. Si un jour, il avait tenté de s’en prendre à un Blanc, le châtiment aurait été exemplaire. Ce n’est pas Dufour qui se serait balancé au bout de la corde, mais lui-même.
Le code noir, celui qui préside au destin des sous-hommes comme lui, est formel : « L’esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse, ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants, avec contusion, ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort. »
Deux semaines après la pendaison de Dufour, le Conseil supérieur fait appel à nouveau au bourreau martiniquais.
Après des mois d’ennui, les événements s’enchaînent à toute vitesse.
Le 22 août 1735, Mathieu retourne à Montréal pour exécuter un Noir, Jean-Baptiste Thomas, et un Blanc, François Darles. Deux mises à mort le même jour, c’est une première pour lui. Les condamnés se connaissent.
Thomas est un voleur notoire. Il est accusé de détrousser sa maîtresse pour trousser ses maîtresses. Il dérobe des tissus chez la riche veuve Magnan-Lespérance, qu’il échange contre les faveurs sexuelles de femmes blanches. Darles, son complice, est, lui, soupçonné d’avoir « recelé et sollicité le nègre à déserter de ce pays ».
Le juge Raimbault, le persécuteur de Marie-Josèphe-Angélique, instruit une fois encore l’affaire.
Lors des interrogatoires, il s’est inquiété de savoir si Jean-Baptiste Thomas n’avait pas eu l’intention de s’enfuir lui aussi en Nouvelle-Angleterre après avoir mis le feu et dévasté Montréal, comme l’avait fait Marie-Josèphe-Angélique.
« Je n’ai jamais eu dessein de m’en aller et encore moins de mettre le feu à la ville », répond l’esclave, avant d’ajouter, pour se faire bien voir : « J’ai été bien fâché contre la négresse qui a mis le feu l’année dernière. J’avais alors dit que, même si elle avait été ma femme ou ma sœur, je l’aurais pendue. Elle le méritait bien. »
Cet argument tourné vers une esclave comme lui ne sert à rien. Il est condamné à mort.
Trois femmes, Charlotte Ondoyer, Marie Venne, et Charlotte Daragon, sont également poursuivies pour recel dans la même affaire.
Charlotte Daragon se défend d’être la maîtresse de Thomas : « Si je l’avais été, il m’aurait donné bien plus qu’un mouchoir. » Elle sera finalement relaxée, contrairement aux deux autres, reconnues coupables, et condamnées « à être battues de verges, par les carrefours et lieux accoutumés de Montréal ».
En punissant ces deux femmes, Mathieu expérimente un instrument avec lequel il a été lui-même maintes fois châtié, mais qu’il n’a jusqu’ici jamais infligé : le fouet. En Martinique, ce supplice est courant, mais presque toujours destiné aux Noirs. On leur donnait des coups, pour un oui ou pour un non.
Mathieu conduit Charlotte Ondoyer et Marie Venne en charrette à un carrefour de la ville, les fait descendre, les attache à la roue du véhicule, et leur inflige le nombre de coups indiqués dans la sentence. Puis, il les emmène à une deuxième intersection, il les attache et les fouette encore, avant de recommencer plus loin. Il s’agit d’impressionner la population. Ce type de châtiment doit servir d’exemple pour décourager les potentiels délinquants.
L’exécution de François Darles et de Jean-Baptiste Thomas, c’est déjà un peu la routine.
Mathieu soumet le premier au supplice des brodequins, dont le second a été exempté.
En torturant pour la première fois un Blanc, qu’a-t-il éprouvé ? Sans aucun doute le sentiment d’une vengeance en train de s’accomplir. Depuis des années, il a été l’esclave de Blancs en Martinique, il a subi leurs assauts, leur violence, leur sadisme, et maintenant, c’est à lui d’infliger la douleur à un représentant de la race des seigneurs.
Qu’a pensé le Blanc en voyant le Noir s’apprêtant à lui enfoncer des coins pour lui broyer les jambes ? De l’effroi ? De la haine ? Nous supposons qu’il a ressenti les deux en même temps.
Mathieu ...

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