CHAPITRE 1
Un environnement international crispĂ© autour dâune violence mal apprĂ©hendĂ©e
Quinze ans aprĂšs le 11 septembre, le monde a plusieurs fois accompli une rĂ©volution sur lui-mĂȘme, et la recomposition gĂ©opolitique gĂ©nĂ©rĂ©e par le sĂ©isme du 11 septembre et ses rĂ©pliques (lâAfghanistan, lâIrak, le Sahel, la Libye, la Syrie) ne semble pas devoir sâachever, un peu comme si des plaques tectoniques nâen finissaient pas de sâajuster aux mouvements terrestres.
Dans un contexte oĂč les attentats terroristes augmentent depuis 2001, et oĂč lâOccident subit des attentats spectaculaires et inspirĂ©s des crises moyen-orientales, le monde se crispe autour dâune violence quâil pense uniforme.
En Occident notamment, et en AmĂ©rique du Nord en particulier, cette violence terroriste est surestimĂ©e dans sa forme actuelle et conduit Ă façonner des politiques destinĂ©es au combat du seul terrorisme djihadiste : Ă cette violence rĂ©elle mais diffĂ©rente de la perception quâen ont dirigeants et communicateurs, rĂ©pond un Ă©tat dâexception permanent.
Pour rĂ©pondre Ă une menace mal apprĂ©hendĂ©e, une violence terroriste somme toute marginale mĂȘme si elle est spectaculaire, les Ătats tentent de sâajuster et choisissent de durcir leurs frontiĂšres et de sâemmurer.
1.1 Le terrorisme : entre mythes et réalités
LâannĂ©e 2015 a constituĂ© un tournant dans lâapprĂ©hension du terrorisme. Deux fois attaquĂ©e de maniĂšre spectaculaire, Paris est devenue le nouveau visage dâun terrorisme dit « djihadiste » qui frappe lâOccident, de maniĂšre spectaculaire et analogue Ă 2001. Parce quâils ont touchĂ© des symboles forts (Charlie Hebdo, lâHyper Cacher et la libertĂ© dâexpression en janvier 2015 ; le Bataclan/Stade de France/Terrasses des 10e et 11e arrondissements et la jeunesse occidentale en novembre 2015), ces attentats ont marquĂ© les esprits au point de mener Ă lâadoption de mesures et surtout de grilles de lecture radicales qui sâinscrivent dans le prolongement de lâĂšre ouverte le 11 septembre 2001. La place du terrorisme est devenue centrale dans les pays dâEurope mais aussi aux Ătats-Unis oĂč les Ă©vĂšnements de San Bernardino (qui auraient pu ĂȘtre vus comme la quatriĂšme tuerie de masse de lâannĂ©e 2015[]), ont rebattu les cartes des primaires pour lâĂ©lection prĂ©sidentielle de 2016 et changĂ© substantiellement la perception des AmĂ©ricains sur les enjeux de sĂ©curitĂ©. DĂ©sormais, le terrorisme est en tĂȘte des prioritĂ©s de ces populations, fait inĂ©dit depuis que Barack Obama a pris le pouvoir. Cette surexposition du terrorisme islamiste fausse-t-elle la rĂ©alitĂ© des dangers quâencourent aujourdâhui les sociĂ©tĂ©s contemporaines ? Est-il vraiment plus frĂ©quent quâil ne lâĂ©tait avant 2001, ou encore avant 2011 et le ressac du printemps arabe ? Est-il plus dangereux ? Les mesures de surveillance et de renseignement adoptĂ©es aprĂšs le 11 septembre et la mise en place dâun Ă©tat dâexception sont-elles efficaces ?
âą Le terrorisme fait beaucoup plus de morts en grande partie du fait de lâaugmentation des attentats-suicides.
âą Lâaugmentation des attaques est bien souvent trĂšs localisĂ©e et spĂ©cifique.
âą Logiquement, le dĂ©clin â temporaire â du nombre dâattentats-suicides entre 2007 et 2011, sâexplique notamment par la stabilisation des thĂ©Ăątres afghan et irakien. Ă lâinverse, leur recrudescence, dĂšs 2012, peut ĂȘtre attribuĂ©e au retour des talibans en Afghanistan et Ă la guerre intra-Ă©tatique irakienne.
âą En lâoccurrence, dans une Ăšre post-printemps arabe, lâaugmentation du phĂ©nomĂšne terroriste est largement circonscrite au Moyen-Orient, Ă lâAfrique subsaharienne et Ă lâAsie du Sud.
Le terrorisme, une hausse réelle à mettre en perspective
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, le terrorisme est considĂ©rĂ© comme lâune des principales menaces Ă la sĂ©curitĂ© des Ătats et des populations et comme une menace grandissante[]. La couverture mĂ©diatique de ce phĂ©nomĂšne, faisant parfois dans le sensationnalisme, alimente dâautant plus lâimportance quâon lui accorde au sein de lâordre international. Mais de quoi parle-t-on rĂ©ellement ? LâOccident est-il vĂ©ritablement plus en danger, plus ciblĂ©, plus vulnĂ©rable ?
Compte tenu de ce flou persistant, les bases de donnĂ©es existantes sont partielles et partiales. En effet, les bases de donnĂ©es sont limitĂ©es par les dĂ©finitions utilisĂ©es, le recensement des attaques (si on se base sur les mĂ©dias internationaux, toutes les attaques ne sont pas recensĂ©es) et des incidents peuvent ĂȘtre qualifiĂ©s de terroristes et crĂ©er une confusion alors que ce ne sont pas forcĂ©ment des attaques terroristes. Lâune des plus complĂštes, le Global Terrorism Database a, par exemple eu recours Ă plusieurs dĂ©finitions du terrorisme selon les pĂ©riodes Ă©tudiĂ©es. De surcroĂźt, lâaugmentation des incidents terroristes entre 1970 et 2015 est faussĂ©e par lâaugmentation de la couverture mĂ©diatique des incidents terroristes (mĂ©dias, Internet, journalisme citoyen) ainsi que par la disponibilitĂ© des sources. NĂ©anmoins, en croisant les diffĂ©rentes donnĂ©es, les tendances lourdes quâelles dĂ©gagent sont rĂ©elles et marquĂ©es et permettent de se baser sur le portrait qui est fait de lâĂ©volution du terrorisme depuis les annĂ©es 1970.
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000, et plus particuliĂšrement aprĂšs 2005 et plus encore aprĂšs 2012, il y a une recrudescence du nombre dâattaques terroristes Ă travers le monde. Cette tendance sâaccĂ©lĂšre nettement au milieu de la dĂ©cennie : le nombre dâattentats terroristes a pratiquement dĂ©cuplĂ© entre 2010 et 2015 pour dĂ©passer, pour la premiĂšre fois, les chiffres atteints au milieu des annĂ©es 1990.
Nombre dâincidents terroristes Ă travers le monde (1970-2014)
Source : dâaprĂšs les donnĂ©es de la GLOBAL TERRORISM DATABASE, [En ligne] [http://www.start.umd.edu/gtd/].
Pour autant cette hausse draconienne ne sâimprime pas Ă lâensemble du monde. Plus encore, en AmĂ©rique du Nord, le terrorisme est stable depuis le 11 septembre 2001 tandis que lâEurope est loin de la pĂ©riode noire des annĂ©es 1970 et 1980. De plus, parmi ces attentats, on en dĂ©nombre plusieurs qui ne font aucune victime â les donnĂ©es incluent en effet les attentats dĂ©jouĂ©s ou ratĂ©s, et les attentats menant Ă des dĂ©gĂąts matĂ©riels et non humains.
Quelle définition pour le terrorisme ?
Il nâexiste pas « un » mais « des » terrorismes. Et mĂȘme la mise au pluriel de ce concept ne permet pas de lever toutes les difficultĂ©s associĂ©es Ă son Ă©tude. En effet, le terrorisme est parfois confondu avec dâautres phĂ©nomĂšnes violents tels que la criminalitĂ© organisĂ©e, les insurrections nationalistes et ethno-nationalistes, voire les groupes islamistes qui ne sont pas nĂ©cessairement « terroristes ». Durant la lutte pour la dĂ©colonisation, de nombreux groupes indĂ©pendantistes ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s de groupes terroristes par les autoritĂ©s coloniales, Ă lâinstar du mouvement indĂ©pendantiste algĂ©rien, du Front de libĂ©ration nationale (FLN), ou encore du CongrĂšs national africain (ANC), le parti politique antiapartheid de Nelson Mandela. Ce dernier a dâailleurs Ă©tĂ© classĂ© comme organisation terroriste jusquâen 2008 par les Ătats-Unis qui cherchaient Ă dĂ©lĂ©gitimer le groupe Ă lâĂ©poque de la Guerre froide, en soutien au rĂ©gime procapitaliste de lâapartheid.
Il sâagit donc de diffĂ©rents phĂ©nomĂšnes et...