Avant l'après. Voyages à Cuba avec George Orwell
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Avant l'après. Voyages à Cuba avec George Orwell

Frédérick Lavoie

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  1. 448 pages
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Avant l'après. Voyages à Cuba avec George Orwell

Frédérick Lavoie

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Voir Cuba avant que ça change;Voir Cuba avant l'après.Sur l'île des Caraïbes, le présent semble pencher vers l'avenir. Entre le réchauffement des relations avec les États-Unis et la fin annoncée du règne des Castro, le pays est « en transition ».En février 2016, une maison d'édition étatique lance une nouvelle traduction de 1984 de George Orwell. Curieux de découvrir qui a autorisé la publication, Frédérick Lavoie enquête. Une année s'écoule au cours de laquelle il effectue trois séjours à Cuba, cherchant non pas à prédire l'avenir de l'île, mais à encapsuler son présent pour un usage futur. Orwell, par le fait même, devient le compagnon de voyage idéal pour guider l'écrivain à travers les méandres du régime.Dans ce récit édifiant, Lavoie témoigne de ce flottement entre deux ères, parcourant le territoire et recueillant les aveux discrets de ses habitants.

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Information

Publisher
La peuplade
Year
2018
ISBN
9782924519844
14 FÉVRIER — 16 MARS 2016

PREMIER VOYAGE

UN SAC PERCÉ

Le Boeing 777 pratiquement vide d’Air China en provenance de Pékin via Montréal amorce sa descente dans le ciel nocturne de La Havane. Je repense à comment il devait paraître improbable, le 2 décembre 1956, que les 22 survivants du débarquement raté d’un yacht de plaisance sur une plage à plus de 800 kilomètres de la capitale puissent en deux ans conquérir l’île entière et proclamer le triomphe de leur révolution. Il aurait suffi que le chef de l’expédition soit tué en foulant la plage de Las Coloradas, comme 60 de ses camarades, ou qu’il soit mort à l’une des centaines d’autres occasions où il aurait dû mourir avant et après ce fiasco pour que le cours de l’histoire cubaine en ait été radicalement altéré. Mais il a survécu, cette fois et les autres. Et il survit encore, à 89 ans et demi, malgré une santé plus chancelante que jamais, envers et contre tous, envers et contre tout. Intuable, comme sa révolution, donnée pour morte presque aussi souvent que lui.
Sur le tarmac de l’aéroport José Martí, un appareil de la Eastern Air Lines, drapeau américain peint sur le côté du nez, se repose entre deux liaisons. En ce début d’année 2016, le trafic aérien entre la Floride et Cuba se résume à quelques vols nolisés à prix prohibitifs : entre 400 et 500 dollars l’aller-retour pour des vols d’une heure et quart. Depuis un an, le gouvernement américain permet à ses citoyens de voyager à Cuba sans avoir à obtenir son autorisation préalable. Il leur est toutefois interdit de s’y rendre à des seules fins de tourisme. Le but de leur voyage doit s’inscrire dans l’une des 12 catégories d’exemption approuvées : visite familiale, activités éducatives, journalistiques ou religieuses, projet humanitaire, compétition sportive, recherche scientifique, rencontre professionnelle et autres justificatifs du genre. En théorie, si le département du Trésor apprenait que l’un de ses citoyens avait passé sa semaine sur une plage cubaine à siroter des mojitos, il pourrait encore le mettre à l’amende. En pratique, aucun Américain n’a été puni depuis l’assermentation de Barack Obama en janvier 2009. Des centaines l’avaient été sous son prédécesseur George W. Bush. Compte tenu du prix des billets et des restrictions, plusieurs touristes américains préfèrent encore transiter par un pays tiers comme le Mexique, le Canada ou le Panama. La clientèle de la Eastern Air Lines est ainsi principalement composée de citoyens américains d’origine cubaine qui vont rendre visite à leur famille et, surtout, la réapprovisionner. Ce qui explique que dans le hall de récupération des bagages, des dizaines de valises énormes, d’appareils électroniques, de boîtes de médicaments et d’autres mastodontes de carton emballés dans un film-plastique bleu gênent l’accès aux carrousels.
Quand Miami débarque à La Havane, le terminal 2 est un foutoir sans nom.
Durant mes premiers jours à Cuba, je loge chez Armando, un artiste dans la trentaine. Dans nos échanges virtuels, nous avions convenu de faire du troc. Pour chaque nuit passée dans sa maison, nous déduirions 15 pesos convertibles (CUC) des quelque 150 qu’il me doit pour les paquets de papier photo, le film acétate, le fixateur et le développeur que je lui ai rapportés du Canada. Grâce à notre entente, il pourra réaliser l’exposition photo qu’il a en tête sans avoir à débourser un sou pour ce matériel, introuvable à Cuba. De mon côté, cet arrangement me fait aussi économiser. Le quartier de Playa est excentré, mais il aurait été difficile de trouver une chambre à un prix aussi bas à La Havane.
En vertu de la loi cubaine, mon séjour chez lui est tout à fait illégal. Hors des hôtels, les étrangers ne sont autorisés à dormir que dans des casas particulares dûment accréditées. Les propriétaires de ces gîtes doivent informer les autorités de la présence de nouveaux hôtes le jour même de leur arrivée et payer une taxe sur la location de la chambre. En m’accueillant, Armando ne fait ni l’un ni l’autre.
Le temps de mon séjour, il me prête sa chambre et s’en va dormir chez une fille qu’il a rencontrée, l’avant-veille de mon arrivée, sur le Malecón, la grande promenade du bord de mer, le lieu de flânerie, de flirt et de prostitution le plus populaire de la capitale. Il me laisse aux bons soins de sa mère, une météorologue à la retraite.
Au temps de l’amitié entre les peuples cubain et soviétique, Sonia a étudié à l’Académie des sciences de Moscou. Son russe est rouillé, mais nous arrivons à nous comprendre. Elle parle aussi anglais et étudie pour le plaisir le français depuis quelques mois à l’Alliance française. Sonia avait sept ans lorsque les barbus ont pris le pouvoir. Ses souvenirs de petite fille de classe moyenne – son père était aussi météorologue – lui font dire que sous l’ancien régime, « les pauvres étaient vraiment pauvres ». La Révolution a permis d’enrayer ces inégalités en instaurant des systèmes de santé et d’éducation gratuits pour tous. Comme plusieurs Cubains, elle est très fière de ces acquis et essaie de contribuer au perfectionnement de la Révolution. Elle est membre du Parti communiste et assiste religieusement aux grandes parades de travailleurs avec ses anciens collègues. Or, ces temps-ci, elle songe à rendre sa carte du Parti. « Le problème, dit-elle, c’est que la Révolution s’est embourbée dans son idéal. » Par aveuglement idéologique, le Parti et ses leaders ont pris des décisions certes nobles, mais qui se sont révélées contreproductives. « Les jeunes obtiennent gratuitement leur éducation à Cuba, puis partent à l’étranger pour faire de l’argent. On devrait les obliger à rester ici quelques années, le temps de repayer leur dû à notre système. La Révolution est un sac percé », constate-t-elle avec amertume.
Le lendemain de mon arrivée, Sonia m’apprend à me déplacer en transport en commun dans La Havane. Sur le bord de la 31e avenue, nous hélons les almendrones, les « grandes amandes » américaines des années prérévolutionnaires qui servent de taxis collectifs. Sauf qu’à 9 h 00 du matin, la compétition est féroce. Plusieurs candidats-passagers remontent l’avenue en amont dans l’espoir d’être les premiers en file pour la prochaine place libre vers la vieille ville. Inutile de se tourner vers les guaguas. Les autobus publics sont ultrabondés. À chaque arrêt, les portes se referment en comprimant les derniers passagers téméraires qui ont osé embarquer malgré le manque flagrant d’espace. Les plus prudents et les moins agressifs restent en plan sur le pavé, espérant que la prochaine guagua sera la bonne. Quant aux taxis roteros, les bus privés 25 fois plus chers que les publics, ils n’acceptent aucun passager debout et passent tous devant nous déjà pleins.
Après 45 minutes d’attente, nous nous résignons à abandonner la 31e et à continuer nos recherches sur la 41e. Coup de chance, en moins de deux minutes, un almendron en début de parcours s’arrête, vide. L’intérieur de la vieille minoune est truffé d’anachronismes. Dans le tableau de bord est encastré un mini-écran qui diffuse des vidéoclips de reggaetón. Un iPhone est branché à l’allume-cigarette. Placardée sur le coffre à gants, une affiche artisanale avertit les clients que s’ils paient en pesos convertibles, ils recevront leur monnaie en pesos cubains au taux d’un pour 24, au lieu du cours officiel de 1 pour 25. La ségrégation qui existait autrefois entre le CUC (prononcé « couque » par les uns, « cé-ou-cé » par les autres), devise de l’industrie touristique arrimée sur le dollar américain, et le CUP (« coupe »), la moneda nacional dans laquelle les Cubains reçoivent leur salaire, a presque disparu. On s’échange les deux monnaies sans trop de distinction. En attendant que le gouvernement ne se décide à faire disparaître l’une ou l’autre des devises, le bipolarisme monétaire de l’île n’a plus pour avantage que de confondre les touristes et de favoriser les arnaques à leur endroit. Mais je ne me ferai pas avoir. Ni sur la conversion ni sur le prix de la course. Armando m’a déjà expliqué la tarification des colectivos. Entre Playa et Vieja, je traverserai les quartiers du Vedado et de Centro. Le trajet entre deux quartiers coûte dix pesos cubains. Pour deux quartiers ou plus, c’est 20 pesos maximum. Je fais le calcul. Si un travailleur effectue chaque jour l’aller-retour en taxi collectif entre son travail et son domicile, que les deux sont situés dans des quartiers adjacents et qu’il gagne le salaire officiel moyen de 687 pesos par mois, il dépensera pratiquement toute sa paye uniquement en transport. S’il n’a aucune autre source de revenus, il est condamné comme une majorité à jouer du coude chaque matin dans les guaguas à 40 centavos le passage.
La voiture se remplit rapidement. À chaque nouveau client, le chauffeur rappelle d’y aller suave avec la portière déglinguée. Combien de fois cette portière a-t-elle été ouverte et refermée au cours des 60 dernières années ? Combien de fois a-t-elle été rafistolée ? Et combien de fois encore s’ouvrira et se refermera-t-elle avant que la transformation économique attendue de l’île ou la levée de l’embargo ne permette de l’envoyer à son dernier repos ?
Armando et moi attendons en file devant les bureaux de la compagnie de télécommunication étatique ETECSA. Ma première cola. Après une trentaine de minutes, on nous fait signe de nous présenter à un guichet. J’ai besoin d’une carte SIM pour mon téléphone. Pour faciliter le processus, Armando a offert de me l’obtenir sous son nom. Il présente sa carte d’identité. Un passage accidentel dans la machine à laver l’a rendue presque illisible. Les informations y avaient été inscrites à la main. La commis fait la moue. Le document présenté est irrecevable, annonce-t-elle. Trop abîmé. Armando lui sort ses yeux les plus doux. « Si vous l’acceptez, je vous en serai très reconnaissant », supplie-t-il. Son charme, et surtout sa promesse voilée de rétribution, produisent leur effet. Elle accepte de poursuivre les procédures, non sans l’avoir sommé d’aller se procurer une nouvelle pièce d’identité « pour la prochaine fois ». Je refile l’argent à Armando pour qu’il paie. Quarante pesos convertibles, incluant dix en crédits d’utilisation. À 0,30 $ la minute de conversation et 0,15 $ du SMS envoyé, les tarifs de téléphonie cellulaire à Cuba sont parmi les plus élevés au monde. Les Cubains qui possèdent un portable l’utilisent le moins souvent possible.
La commis rend la monnaie à Armando. Il en extirpe trois pièces d’un CUC qu’il lui redonne avec un sourire, sans même essayer de dissimuler son geste. Elle les laisse tomber dans un bol à pots-de-vin installé sous le comptoir, où les pièces vont rejoindre d’autres remerciements pour entorse aux règlements.
Mon premier regalito. Mon premier trou percé dans la Révolution.

LA LITTÉRATURE N’EST PAS DANGEREUSE

Il entre dans le café, me repère, s’approche, décroche les écouteurs de ses oreilles pour les laisser pendouiller entre deux boutons de sa chemise, me serre la main sans me regarder dans les yeux, sans sourire, levant légèrement le menton en seule guise de salutation, comme si nous étions de vieux amis qui s’étaient vus la veille. Il s’assoit, m’annonce qu’il n’aime pas le café et ne boira rien, puis commence à parler.
En anglais, son accent a des intonations britanniques qui n’arrivent pas entièrement à masquer son espagnol maternel. Son vocabulaire a la richesse de celui des grands lecteurs. Pour appuyer ses arguments, il cite de mémoire une panoplie d’auteurs. Il commet quelques erreurs de grammaire à l’occasion, mais je ne les remarque que parce qu’elles sont différentes des miennes dans la même langue. Il parle et parle, passant du trivial au philosophique, de la littérature aux femmes, de Cuba à l’Espagne. À peu près tout ce qu’il dit est intéressant. Mais il me faut l’interrompre, sinon il ne s’arrêtera jamais et je ne saurai jamais comment il est devenu le traducteur de la seconde édition cubaine de 1984.
Fabricio González Neira est né le 7 février 1973 à La Havane. Si j’ai appris son identité avant même de tenir dans mes mains un exemplaire du livre, c’est grâce à son excès de zèle.
Deux semaines avant mon départ, en effectuant des recherches sur Internet par mots clés – 1984 Orwell Cuba Arte y Literatura –, j’étais tombé sur un forum de traducteurs dans lequel un certain gabrielsyme73 annonçait que la maison d’édition cubaine Arte y Literatura l’avait chargé de traduire 1984. Le message datait du 11 mars 2015. La personne derrière l’avatar demandait l’aide de ses collègues pour la traduction d’une expression utilisée par Orwell dans le troisième chapitre de la première partie du roman. Dans ce passage, Winston était en train de rêver à un « Pays Doré », bien loin du monde sombre dans lequel, éveillé, il habitait.
Suddenly he was standing on short springy turf, on a summer evening when the slanting rays of the sun gilded the ground. The landscape that he was looking at recurred so often in his dreams that he was never fully certain whether or not he had seen it in the real world. In his waking thoughts he called it the Golden Country. It was an old, rabbit-bitten pasture, with a foot-track wandering across it and a molehill here and there. In the ragged hedge on the opposite side of the field the boughs of the elm trees were swaying very faintly in the breeze, their leaves just stirring in dense masses like women’s hair. Somewhere near at hand, though out of sight, there was a clear, slow-moving stream where dace were swimming in the pools under the willow trees.
Que voulait dire Orwell exactement en spécifiant que le vieux pâturage avait été « dévoré par des lapins » ? « Est-ce que ce pâturage aurait dû luire différemment d’un autre dévoré par des vaches, des chevaux, des girafes ou des éléphants ? » demandait gabrielsyme73. Pour le traducteur, le problème résidait dans le fait qu’Orwell n’était pas le type d’écrivain à se laisser emporter dans des descriptions lyriques pour la simple beauté de la chose. S’il utilisait une expression aussi précise, elle devait forcément avoir une signification tout aussi précise. Peut-être faisait-il référence à une particularité de la campagne anglaise qu’un Cubain ne pouvait saisir ? Aucune des réponses fournies par les autres forumistes n’a permis de satisfaire l’appétit de gabrielsyme73 pour un sens plus profond à cette expression. À sa grande déception, il devrait s’en tenir plus ou moins à la même traduction littérale que celle faite par ses prédécesseurs.
Era un campo v...

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