La Montagne secrète
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La Montagne secrète

Gabrielle Roy

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La Montagne secrète

Gabrielle Roy

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Gabrielle Roy — en s'inspirant de la vie du peintre René Richard, son ami et voisin de Charlevoix — relate la vie amoureuse d'un artiste du nom de Pierre Cadorai: ses années d'errance dans les paysages surhumains du Grand Nord canadien, son apprentissage, sa découverte de Paris et de la Provence, et surtout la recherche patiente du sens de son art et du sens de sa propre vie. L'existence de Pierre, sa soif de beauté et de plénitude forment ainsi une fable, non seulement de la condition de tout artiste, mais de celle de chacun d'entre nous. La Montagne secrète a été publié pour la première fois à Montréal en 1961 et à Paris l'année suivante. Sa traduction anglaise a paru à New York et à Toronto en 1962.

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Information

Year
2012
ISBN
9782764610442

TROISIÈME PARTIE

XVII

En plein Atlantique il faisait maintenant route vers le vieux continent. Sous ses yeux, l’Océan ; au-devant de lui, au terme de ce singulier chemin sans trace du navire, les lumineuses villes de la terre.
Autrefois, dans la solitude des seuls petits arbres, quand il peinait pour en rendre le sens et le climat, souvent, déjà, il avait souhaité dans l’intérêt de son œuvre le conseil d’un maître. Dans la peinture comme en forêt, se disait-il, il doit s’en trouver pour vous éviter de stériles marches. Mais rencontrerait-il jamais ces guides ?
Cependant, à Montréal, il avait vendu quelques toiles, pour la première fois de sa vie connu la presque douloureuse exaltation de recevoir de l’argent pour des choses dont ç’avait été sa joie de les faire — des choses qu’il n’aurait même pas pu s’empêcher d’accomplir. En même temps, il est vrai, à voir accolés aux images de la Montagne des prix de vente, il avait éprouvé quelque honte, le sentiment d’un intense malentendu entre lui et les autres. Ses toiles, n’eût-il pas mille fois préféré les offrir à qui paraissait les comprendre, les aimer, disant : Elles vous plaisent, mais prenez, prenez donc.
Ensuite, par leurs démarches, des gens sensibles à sa peinture, amis de l’art, lui avaient obtenu une petite bourse du gouvernement. Du coup, c’en était presque trop. Saura-t-il se rendre digne jamais de cette confiance ? Envers tout un pays ? Redevable en fin de compte à lui seul, peut-il, doit-il, subir le moindre don ? Oh, l’étrange tâche en vérité, où c’est pour les autres qu’on œuvre, mais, s’il le faut, en dépit de tous.
Cependant des noms, pour lui hier encore inconnus, l’attiraient. Comme naguère par des montagnes et des fleuves, aujourd’hui par des noms : Titien, le Greco, Renoir, Gauguin, il se sentait appelé. « Tu iras voir La Vierge aux rochers, lui avait écrit le Père Le Bonniec, et tu sentiras ton âme s’élever à des hauteurs comme tu ne le pourrais toi-même concevoir. Nous connaîtrions-nous seulement un peu nous-mêmes, sans les arts ? »
En un élan d’amitié brûlante envers ces noms, il était allé un jour prendre son billet. Son pack avait été préparé à peu près comme pour les portages. Dans un grand coffre de bois s’empilaient la winchester — qu’il faudrait rendre pourtant à Sigurdsen — un couteau de chasse, un petit poêle à pétrole, bref l’équipement habituel, mais, de plus, cette fois, comme il s’en va vers une ville que l’on dit élégante, quelques chemises, une cravate…
Lui-même coltinant sa caisse, un baluchon au bras, au dos sa veste du nord, il s’était embarqué.
À présent l’entourait le mystère de la mer. L’entier mystère qui pourtant lui restituait son intégrité.
Au troisième jour, il était toujours à l’endroit où, dès l’embarquement, il s’était accoudé à la passerelle, un homme grand et sec, que l’on avait vu le premier jour coiffé d’un chapeau de ville, ensuite cheveux au vent, un homme parfaitement immobile qui, ne s’en pouvant lasser, regardait la mer.
Qu’était-ce donc au fond que cette eau ! Avec chaque vague de surface semblait venir du ventre profond de la mer un vaste soupir. Pierre entendait une voix hier inconnue, aujourd’hui déjà confondue à ses pensées comme s’il l’eût attendue toute sa vie. Cependant il n’aurait pu encore avoir idée de capter par des images la mer. Sans doute entre l’homme et certains aspects de l’univers y a-t-il des ententes secrètes dont rien ne transpire. Les vagues venaient, se brisaient au flanc du navire, se reformaient et, avec chacune, la mer chantait le connu et l’inconnu de la vie.
Au quatrième jour, errant par le navire, sans demander son chemin à personne, il chercha la bibliothèque. La vue des livres en silence chaudement assemblés sur leurs rayons fit battre son cœur. Cela avait été son grand manque dans la forêt. Mais, pour être parti quelquefois chargé de lecture, il avait appris à ses risques et dépens de quel poids lourd dans les portages peuvent peser quelques volumes seulement.
Il en choisit un relié dont le titre en lettres dorées sur toile rouge contenta son goût des couleurs, et dont le sens l’attira : The Complete Works of William Shakespeare. Il aima ce mot : works qui dit tâche, labeur. Du reste, ce nom ne lui était pas étranger. Il avait entendu parler de Shakespeare, autrefois, du temps où il avait hiverné une fois, en Saskatchewan, avec un curieux vieux trappeur, ex-instituteur, de qui il avait beaucoup appris, et que ce Shakespeare connaissait tout du cœur humain.
Le livre entre les mains, il envia un instant ce bonheur plein, extrême, que ne peut connaître ni donner un artiste peintre : voir tout de soi, son œuvre complète offerte en un petit volume que l’ami peut commodément glisser dans sa poche pour l’emporter avec lui partout.
Il ouvrit le livre au hasard. Il lut — ou plutôt entendit-il une voix fraternelle :
Whether ’tis nobler in the mind to suffer
The slings and arrows of outrageous fortune,
Or to take arms against a sea of troubles…
Par ces paroles, déjà, il entrevoyait un monde de communion possible entre lui-même et ce William Shakespeare dont, retournant à la page frontispice, il apprit qu’il avait vécu en Angleterre de 1564 à 1616.
Whether ’tis nobler in the mind…
C’était comme il l’avait quelquefois pressenti : le monde de l’art — mais il aurait fallu un autre mot — était vaste, embrassait l’homme tout entier : son ennui, sa pensée, ses rêves, sa souffrance, ses joies douloureuses, des sommets, des abîmes…
Il écoutait cette voix, hier inconnue comme celle de l’océan, maintenant elle aussi familière. Il pensa ingénument : cet homme-là, ce Shakespeare, est fait pour être lu au milieu de l’Atlantique.
La pièce s’intitulait Hamlet, Prince de Danemark. Il en commença la lecture, buta sur des passages difficiles, des mots obscurs, mais çà et là cueillit des étincelles.
Il parvint à ces mots :
If thou didst ever hold me in thy heart,
Absent thee from felicity awhile,
And in this harsh world draw thy breath in pain,
To tell my story.
Il releva la tête, se répéta à lui-même : To tell my story… Oui, c’était le désir profond de chaque vie, l’appel de toute âme : que quelqu’un se souciât d’elle assez pour s’en ressouvenir quelquefois, et, aux autres, dire un peu ce qu’elle avait été, combien elle avait lutté. Tant d’agitation, de secrets et de tergiversations, pour en finir sur cette douce plainte : to tell my story !
Pierre sentit que son cœur maintenant et pour toujours avait lié amitié avec ce prince bizarre, et pourtant semblable à nous tous. Le courage, une certaine indécision, noble, de l’âme, il comprenait que cela pût aller ensemble ; il ne voyait même pas comment ils pussent être séparés tout à fait. Il ferma le livre, s’en fut sur le pont qu’il eut à lui seul. Dans les salons, les gens faisaient des bridges, ou se livraient à d’autres jeux.
Lui, tel un arbre malmené par le vent, se tenait penché, tel un arbre qui s’écoute lui-même chanter.
To tell my story… L’être humain lançait son humble, sa modeste et si légitime requête. Et l’homme, son frère, doué pour la parole, ou les sons, ou les images, tâchait de satisfaire l’incessant appel : to tell my story… Au point de délaisser sa propre vie…
Il leva les yeux. Autour de lui, cette masse profonde de l’eau à peine agitée. Dans le sillage que laissait l’hélice du navire, il croyait voir sa jeunesse fort entamée déjà, fuir tout à coup sur un rythme accéléré.
Un jour, il n’y avait pourtant pas longtemps de cela, il était sur la route montante de la vie ; c’était le temps de prendre à pleines mains. Il aspirait surtout à vivre, à poser son regard sur le plus de choses possible, à parcourir cette terre étonnante, à goûter, à savourer les merveilles de ce que l’homme appelle solitude et qui à ses yeux éclatait de sens, de couleurs, de découvertes.
Puis lui était venu le sentiment qu’à l’homme tout est vite arraché. Il avait entrepris de lutter contre l’anéantissement de chaque instant. Est-ce ainsi que l’entendait le Père Le Bonniec lorsqu’il s’écriait : « L’artiste est protestataire ; et d’abord contre le sort humain qui est de finir. »
Ici, il avait dessiné un arbre, là une pauvre vie de trappeur en son camp, ailleurs une qualité inhabituelle de lumière dans le ciel, toutes ces choses éparses. Et ainsi, peu à peu, plus que de vivre lui importait d’inventorier du moins ce qui passe. Du soleil parfois, une cabane, un regard : toutes ces choses éparses ! Vivait-il encore seulement, si attentif à l’épars ? Il plongea les yeux au plus loin de l’océan bruissant. Non, il le savait, depuis longtemps déjà, il ne vivait plus que pour peindre, peindre, peindre…
Mais avait-il au moins le talent que son âme exigeait ?
Autrefois, à peine s’en était-il soucié. Se posait-il seulement la question quand il allait par des rivières et des forêts inconnues, leur donnant vie en quelques rapides coups de crayon, pour le seul plaisir, pour sa seule fierté ?
Mais le temps fuyait, lui avait grandi, le temps fuyait, et lui, de plus en plus, avait à apprendre.
Il retourna le lendemain à Shakespeare, puis les jours suivants encore.
La traversée s’achevait. Avec ses pensées, le vieux William, et le bruit de la mer toujours présent à son oreille, il avait atteint cet approfondissement de soi auquel convie l’océan et qui, pour quelque temps, tant s’est creusée l’âme, apparaît comme une sorte de vide — et c’est en effet comme un vide : la place faite à l’accroissement — et qui aspire à être comblé.
On annonça que la terre était en vue. Pierre accourut. Les côtes de France approchaient. On en voyait naître les contours qui se dégageaient des brumes de la mer. Au-dessus du navire appelaient des mouettes. Leurs cris étaient déchirants à entendre. Et pourquoi l’étaient-ils ?
Le Père Le Bonniec lui avait dit de la France qu’elle était la plus humaine des patries. Mais que pouvait signifier : la plus humaine des patries ?
Pierre frémissait d’une appréhension de l’inconnu telle que les forêts les plus sauvages n’avaient pu lui en communiquer. Sous l’effet d’il ne savait quel stimulant — un air plus vif, une proximité d’âme exigeante — le désir de faire de sa vie une chose belle et vraie poussait en lui aussi un cri de nostalgie.
Le soir, il fut à Paris. À la consigne, il se chargea lui-même de son coffre, le mit sur son épaule, écarta les porteurs d’un geste indigné — depuis quand ne suffisait-il pas à ses portages ? — saisit son sac à tout mettre, fendit la foule de son grand pas, sortit dans la rue. Et, comme naguère, quand il arrivait dans quelque petite bourgade du Mackenzie, de l’œil il chercha dans le ciel bas les enseignes qui pouvaient s’y trouver de chambres à louer. La première qu’il repéra lui servit de but. Il s’élança vers elle, faillit se faire écraser sous une voiture, se recula, fut ébloui par des phares, repartit comme un grand lièvre traqué, parlementa quelques moments avec une femme en savates, à l’air méfiant, paya d’avance sans demander à voir la chambre, y monta ses lourds effets.
Puis, la porte fermée, il s’assit au pied du lit, croisa les mains sur ses genoux, et la tristesse d’âme que lui communiquaient les villes sur lui s’abattit. Mais ici le monstre était de taille. Par la petite fenêtre entraient des scintillements de néon, des affiches entières et une incessante, une formidable rumeur. Et alors une vague de dépaysement s’éleva, sur lui s’écrasa, une si monstrueuse vague qu’il en perdit le souffle, et se sentit anéanti jusqu’en ses souvenirs.

XVIII

Il s’éveilla, à la fois reposé et surexcité, pensant : C’est aujourd’hui que je vais au Louvre.
Il partit de bien bon matin pour quelqu’un se rendant à un musée. Marchant droit devant lui, aux ménagères qui allaient chercher leur lait, aux éboueurs, il demandait : « Le Louvre ? » et continuait selon l’indication que les uns lui donnèrent de bonne grâce, d’autres avec des « Dis donc, mais tu as vu : d’où ça peut sortir, ce compère ? »
Il arriva au Louvre sans trop de détours et rapidement. C’était trop tôt. Il s’assit pour attendre. Des pigeons gras et roucoulants vinrent chercher des miettes autour de lui. Il les regardait, regardait alentour. À ses yeux qui avaient découvert les hardies couleurs dont aiment se couvrir les lieux du monde les plus écartés, ce ciel de Paris, ses édifices, sa pierre, parurent ternes d’abord. La réputation de son ciel surtout n’était-elle pas surfaite ? Ou est-ce qu’il avait été vu par des regards plus clairvoyants ? À la longue, il s’...

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