Tommy Douglas
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Tommy Douglas

Vincent Lam, Alain Roy

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Tommy Douglas

Vincent Lam, Alain Roy

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Homme des Prairies, Tommy Douglas Ă©tait d'ascendance Ă©cossaise. Il croyait profondĂ©ment en l'apport du mouvement coopĂ©ratif au bien commun. Il se lança d'abord dans une carriĂšre de boxeur avant de devenir ministre de l'Église baptiste. Il abandonna ensuite la chaire du prĂȘcheur pour la tribune du politicien et se fit connaĂźtre comme un redoutable orateur. Il fut pendant dix-sept ans premier ministre de la Saskatchewan, oĂč il implanta un systĂšme de soins de santĂ© universel qui allait servir de modĂšle Ă  tout le Canada.À partir de 1961, comme leader du Nouveau Parti dĂ©mocratique, Tommy Douglas s'est rĂ©vĂ©lĂ© un irrĂ©ductible dĂ©fenseur des libertĂ©s civiles. Il s'opposa farouchement Ă  Pierre Elliott Trudeau quand celui-ci imposa les mesures de guerre, en 1970. C'est grĂące Ă  lui que la social-dĂ©mocratie s'est Ă©tablie durablement sur la scĂšne politique canadienne.

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1

Le plus grand Canadien de tous les temps
Il ne faut jamais avoir peur ni honte de chĂ©rir ses rĂȘves. On ne peut pas tous les rĂ©aliser, on ne peut pas rĂ©ussir Ă  tous les coups ; mais sans vision un peuple est vouĂ© Ă  disparaĂźtre. Les peuples privĂ©s de rĂȘves, d’espoirs et d’aspirations sont condamnĂ©s Ă  mener des vies ternes et dĂ©pourvues de sens.
Tommy Douglas, cité dans Dream No Little Dreams : A Biography of the Douglas Government of Saskatchewan, 1944-1961, de A. W. Johnson
Un soir d’hiver, aprĂšs qu’il fut rentrĂ© tard de l’AssemblĂ©e lĂ©gislative de la Saskatchewan Ă  Regina, le premier ministre Tommy Douglas et sa fille Shirley sortirent promener le chien. PĂšre et fille adoraient ces promenades de fin de soirĂ©e sous le ciel pur des Prairies. Douglas demandait Ă  Shirley comment se passaient ses journĂ©es Ă  l’école et il lui racontait comment se passaient les siennes Ă  l’AssemblĂ©e, tout en lui pointant les diffĂ©rentes constellations. Il adorait les Ă©toiles et la nature, quoique son travail le confinĂąt Ă  l’intĂ©rieur presque toute la journĂ©e. Tandis que la neige crissait sous leurs bottes, le pĂšre dit Ă  sa fille : « Quelle nuit merveilleuse. Regarde la Lune. Un jour, ma petite Shirley, tu iras sur la Lune. » Cette scĂšne se dĂ©roulait dans les annĂ©es cinquante, et l’idĂ©e que des hommes iraient sur la Lune pouvait alors sembler farfelue, mais Douglas insista : « Ta gĂ©nĂ©ration marchera sur la Lune. Quelques-uns s’y rendront d’abord pour prĂ©parer les choses, puis les gens pourront y faire des voyages. »
VoilĂ  ce qu’était Tommy Douglas — un visionnaire. Mais la plupart des initiatives qu’il mit en Ɠuvre Ă  partir de 1942 en tant que chef de la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) de la Saskatchewan, puis comme premier ministre de cette province durant dix-sept annĂ©es (de 1944 à 1961, il dirigea le premier gouvernement socialiste en AmĂ©rique du Nord), et ensuite comme chef fondateur du Nouveau Parti dĂ©mocratique (NPD) en 1961, et enfin comme pĂšre de l’assurance maladie universelle au Canada, ne furent pas associĂ©es Ă  l’exploration de l’espace. Elles Ă©taient liĂ©es Ă  ce que le Canada pouvait devenir si les Canadiens travaillaient de concert et s’ils se souciaient du bien-ĂȘtre de leur prochain. Dans le Canada oĂč il avait grandi, l’assurance maladie universelle, la charte des droits et libertĂ©s, les lois assurant la protection des droits des travailleurs, et d’autres facettes de notre sociĂ©tĂ© que nous tenons aujourd’hui pour acquises, n’existaient que dans les rĂȘves et l’imagination. Douglas contribua Ă  la rĂ©alisation de plusieurs de ces initiatives, en faisant la preuve que les gens ordinaires peuvent rĂ©ussir quand ils s’unissent pour accomplir des changements positifs.
 
En 2004, Thomas Clement Douglas fut Ă©lu « le plus grand Canadien de tous les temps » dans le cadre d’une compĂ©tition tĂ©lĂ©visĂ©e organisĂ©e par la CBC. Ce concours de popularitĂ© ne reposait sur aucun critĂšre prĂ©cis ; Douglas y Ă©tait en lice non seulement en compagnie d’autres politiciens, tel Pierre Elliott Trudeau, mais aussi avec des joueurs de hockey comme Wayne Gretzky. Que les auditeurs du Canada lui aient accordĂ© ce titre en dit long sur ce qu’ils chĂ©rissent Ă  propos de leur pays et de la contribution qu’ils reconnaissent Ă  Tommy Douglas. GrĂące Ă  une victoire aussi surprenante que dĂ©cisive, il fut Ă©lu premier ministre de la Saskatchewan, province qu’il rĂ©inventa de fond en comble. Plus tard, lorsque son influence s’exerça Ă  l’échelle nationale, le caractĂšre humaniste et les retombĂ©es concrĂštes des innovations dont il s’était fait le dĂ©fenseur transformĂšrent en profondeur toute la sociĂ©tĂ© canadienne.
Comme beaucoup de mes concitoyens, j’ai profitĂ© de l’influence de Douglas avant mĂȘme de savoir qui il Ă©tait, par l’entremise de notre systĂšme de soins de santĂ©. Dans ma jeunesse, son legs le plus connu Ă©tait dĂ©jĂ  solidement implantĂ© et constituait alors l’un des Ă©lĂ©ments caractĂ©ristiques du Canada. Enfant, je savais que je voulais devenir Ă©crivain, mais d’autres activitĂ©s m’attiraient aussi. J’aspirais Ă  une profession qui me permettrait d’ĂȘtre en contact avec les gens et de gagner ma vie sans avoir Ă  ĂȘtre dans les affaires. Dans mon Canada natal et bien-aimĂ©, la mĂ©decine Ă©tait le choix parfait pour moi. Je pouvais me mettre au service des gens, qu’ils soient riches ou pauvres (aucun patient n’ayant Ă  se prĂ©occuper d’avoir les moyens nĂ©cessaires pour se faire soigner) ; je toucherais mes honoraires sans avoir Ă  tendre des factures, et c’est ainsi que je me suis inscrit Ă  la facultĂ© de mĂ©decine.
 
Homme de petite taille, sans fortune ni relations, Douglas influençait les gens avec ses mots et ses idĂ©es, qu’il communiquait avec un mĂ©lange de compassion et de sens pratique bien Ă  lui. Autour d’une table avec des collĂšgues, il Ă©coutait plus qu’il ne parlait ; il faisait intĂ©rieurement la synthĂšse de tout ce qu’il entendait. C’était un orateur charismatique — les gens conduisaient des heures Ă  travers les Prairies pour l’entendre parler. Sur scĂšne, Douglas captait facilement l’attention de toute la salle. Il commençait toujours ses discours avec une histoire ou une plaisanterie empreinte d’autodĂ©rision. Il gagnait ainsi l’auditoire avant de transmettre son message. Quand il touchait le cƓur de son propos, Douglas savait se montrer Ă  la fois radical, sensible et humain.
Ses paroles cherchaient Ă  communiquer une forme bien prĂ©cise de magie : le pouvoir irrĂ©sistible qui Ă©mane des rĂȘves rĂ©alisables. Il croyait que si ses concitoyens et lui-mĂȘme Ă©taient capables d’imaginer une sociĂ©tĂ© meilleure, s’ils se vouaient Ă  cet idĂ©al et travaillaient dans ce but, alors cet idĂ©al deviendrait rĂ©alitĂ©. Le caractĂšre concret des rĂȘves constituait pour lui une donnĂ©e cruciale ; Douglas Ă©tait peu portĂ© vers les thĂ©ories abstraites. Il voulait que les gens puissent travailler dans la dignitĂ© et qu’ils obtiennent des salaires corrects, qu’ils aient accĂšs Ă  des services sociaux humains, comme les soins de santĂ© et l’assistance sociale, et qu’ils puissent vivre dans une sociĂ©tĂ© libre et Ă©galitaire oĂč chacun a la possibilitĂ© de se rĂ©aliser.
L’enthousiasme contagieux de Douglas faisait naĂźtre de hautes aspirations chez ceux qui le cĂŽtoyaient. Il ne voulait pas que les gens le suivent aveuglĂ©ment ; il souhaitait leur transmettre des idĂ©es. Il prĂ©conisait la participation de tous Ă  la dĂ©finition de ce qu’ils croyaient bon pour eux-mĂȘmes et leurs concitoyens. Une sociĂ©tĂ©, soutenait-il, ne peut progresser que si les gens travaillent pour ce en quoi ils croient. Alors qu’elle Ă©tait adolescente, Shirley Douglas demanda Ă  son pĂšre comment il rĂ©agirait si, plus tard, elle dĂ©cidait de ne pas voter pour lui. Il rĂ©pondit : « Eh bien, c’est une trĂšs bonne chose que les gens dĂ©cident pour qui ils veulent voter, on ne devrait pas voter pour quelqu’un simplement parce qu’il est de la famille. »
 
Douglas donna l’un de ses derniers grands discours Ă  la convention du NPD de 1983. Ses partisans se trouvaient devant des choix difficiles. Douglas Ă©tait ĂągĂ© de soixante-dix-neuf ans et il Ă©tait affaibli par le cancer, mais son visage et son humour rayonnaient comme jamais. Le NPD venait de perdre les Ă©lections provinciales de la Saskatchewan aux mains des progressistes-conservateurs et peinait Ă  faire des gains sur la scĂšne fĂ©dĂ©rale. Aux dĂ©lĂ©guĂ©s qui Ă©taient divisĂ©s, il concĂ©da que la situation Ă©tait ardue ; il leur rappela que les choses avaient Ă©tĂ© souvent difficiles dans le passĂ© et qu’elles le seraient encore Ă  l’avenir. Il souligna que plusieurs des idĂ©es du NPD — l’assurance maladie, un rĂ©gime de pension convenable — avaient Ă©tĂ© adoptĂ©es par des partis adverses. MĂȘme si cette cooptation prouvait la valeur de ces idĂ©es, Douglas reconnaissait qu’elle avait ses inconvĂ©nients ; les autres partis politiques diluaient souvent le contenu des programmes qu’ils adoptaient et laissaient ainsi le NPD avec une plateforme amputĂ©e. Le plus important n’était pas qu’ils remportent la prochaine Ă©lection, leur dit Douglas, mais qu’ils continuent Ă  faire avancer leurs idĂ©aux durant les cinquante prochaines annĂ©es et qu’ils contribuent ainsi Ă  l’édification d’une sociĂ©tĂ© productive, paisible et fraternelle.
Plusieurs dĂ©lĂ©guĂ©s pleuraient sans retenue, sachant que c’était sans doute la derniĂšre fois qu’ils l’entendaient prononcer un discours. Quand il eut fini de parler, la foule se leva et l’ovationna. AprĂšs cinq minutes d’applaudissements dĂ©chaĂźnĂ©s, Douglas se rassit, mais la foule n’arrĂȘta pas, au contraire, le vacarme s’amplifiait. Il finit par grimper sur une table pour leur demander de se calmer, mais cela ne fit qu’augmenter le brouhaha et les acclamations. L’effusion de joie, de gratitude et d’admiration se prolongea durant vingt-trois minutes. Ceux qui se trouvaient lĂ  savaient que Douglas avait vĂ©cu selon ses convictions. Tous l’admiraient pour cela ; et c’était pour cela mĂȘme qu’il Ă©tait un grand Canadien dans l’esprit de bien des gens.

2

Un chrétien pragmatique (1904-1924)
Je me dĂ©brouillais assez bien avec les bĂ©quilles, mais c’était trĂšs difficile une fois l’hiver arrivĂ©. Un garçon polonais et un garçon ukrainien sont venus frapper Ă  ma porte avec un traĂźneau et ils ont dit Ă  ma mĂšre qu’ils me transporteraient tous les jours entre la maison et l’école. C’était aux alentours de 1914. Ces garçons parlaient un anglais approximatif, ils Ă©taient de ceux que certaines personnes appelaient des mĂ©tĂšques, des Ă©trangers, des bohunks, et voilĂ  qu’ils s’étaient manifestĂ©s, ils s’étaient intĂ©ressĂ©s Ă  un autre fils d’immigrant. Sans eux, je n’aurais tout simplement pas pu me rendre Ă  l’école.
Tommy Douglas, en 1958, Ă  propos
de son enfance Ă  Winnipeg
La ville de Falkirk, en Écosse, Ă©tait une agglomĂ©ration industrielle poussiĂ©reuse situĂ©e Ă  proximitĂ© de districts oĂč l’on faisait l’exploitation du charbon. Un bon nombre d’hommes Ă©taient employĂ©s dans les hauts fourneaux, les aciĂ©ries et les forges des environs. C’est Ă  cet endroit que Thomas Clement Douglas vit le jour, le 20 octobre 1904. Son pĂšre, Tom Douglas, Ă©tait mouleur de fer pour la Carron Iron Works. À l’époque, l’Écosse Ă©tait une importante rĂ©gion manufacturiĂšre. Elle produisait prĂšs de la moitiĂ© de l’acier en Grande-Bretagne ; ses produits finis incluaient des navires, des locomotives et des articles mĂ©nagers. Le grand-pĂšre de Tommy Douglas, qui s’appelait aussi Thomas Douglas, possĂ©dait deux petites maisons en pierre. Il habitait dans l’une d’elles avec les membres de sa famille, et le pĂšre et la mĂšre de Douglas vivaient dans l’autre.
Le souvenir le plus ancien de Tommy, c’est celui de son grand-pĂšre paternel rĂ©citant des poĂšmes de Robert Burns Ă  cĂŽtĂ© de l’ñtre dans la maison en pierre. C’était une famille religieuse, mais aucunement rigide. Anne, la mĂšre de Tommy, Ă©tait baptiste et son pĂšre avait Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans l’Église presbytĂ©rienne. Ils recevaient souvent des visiteurs et n’hĂ©sitaient pas Ă  rouler le tapis pour faire place aux lectures de poĂ©sie et aux danses Highland Scottische. Tommy se souvint d’un mariage dans la maison de son grand-pĂšre, oĂč le pasteur avait eu l’honneur de boire le premier verre de whisky. Telles Ă©taient les maniĂšres dans la maisonnĂ©e Douglas — pieuses, mais sans austĂ©ritĂ©. Douglas dĂ©crivit son grand-pĂšre comme un homme entourĂ© d’un « tourbillon de paroles ». Il se rappela : « Mon grand-pĂšre avait huit garçons, et tous aimaient argumenter encore plus que lui-mĂȘme, de sorte que c’était un tintamarre continuel : politique, religion, philosophie, tous ces sujets Ă©taient finalement rĂ©solus avec une citation de Bobbie Burns. » Cependant, tous les dĂ©saccords ne pouvaient ĂȘtre rĂ©glĂ©s par la poĂ©sie : lorsque Tom Douglas dĂ©cida d’appuyer le Parti travailliste, son pĂšre d’allĂ©geance libĂ©rale fut si furieux qu’il refusa de lui parler pendant plusieurs mois. Ce fut la naissance de Tommy qui rĂ©concilia les deux hommes. Quelques annĂ©es plus tard, le grand-pĂšre Thomas annonça Ă  contrecƓur qu’il s’était converti lui aussi au Parti travailliste.
Le grand-pĂšre maternel de Tommy, Andrew Clement, faisait des livraisons en charrette dans les rues de Glasgow. Parfois, il laissait le garçon voyager avec lui. Andrew avait Ă©tĂ© alcoolique dans sa jeunesse, jusqu’à ce qu’il voie la lumiĂšre avec les Plymouth Brethren1. Alors, il devint un homme tempĂ©rant et doux. Plus tard, il embrassa la confession baptiste. Dans l’Écosse presbytĂ©rienne, les Plymouth Brethren et les baptistes Ă©taient vus comme des non-conformistes. Andrew Clement allait devenir aussi un loyal partisan du British Labour Party.
Du cĂŽtĂ© de son pĂšre, Tommy hĂ©rita d’une prĂ©occupation pour la cause des travailleurs et d’un amour pour le poĂšte Ă©cossais Robert Burns, dont il apprit la plupart des poĂšmes par cƓur. Sa famille maternelle lui transmit un scepticisme thĂ©ologique qui Ă©tait nĂ©anmoins enracinĂ© dans une foi profonde. Des deux cĂŽtĂ©s de la famille, il reçut l’art de penser librement, une curiositĂ© intellectuelle fondĂ©e sur la rigueur, ainsi que la volontĂ© de soutenir des opinions tranchĂ©es.
Tommy se fit un jour demander s’il Ă©tait nĂ© dans une famille pauvre, riche ou entre les deux. Il rĂ©pondit : « La pauvretĂ© et la richesse sont des termes relatifs », et il expliqua que, par rapport Ă  la classe ouvriĂšre en Écosse, sa famille avait Ă©tĂ© Ă  l’aise, mais que selon les standards de la classe moyenne, elle aurait pu ĂȘtre qualifiĂ©e de pauvre. Les hommes de la famille possĂ©daient les qualifications requises pour gagner leur vie, dans la mesure oĂč il y avait des emplois disponibles : « Si le travail se faisait rare, mĂȘme les meilleurs artisans pouvaient traverser des pĂ©riodes difficiles
 [mais] comparativement aux travailleurs non qualifiĂ©s ou aux gens frappĂ©s par quelque infortune, nous nous en tirions pas si mal. » Son pĂšre partait travailler aux aurores : il se sentait tenu de donner Ă  son employeur une pleine journĂ©e de labeur en Ă©change de son salaire. Ainsi, depuis l’enfance, Tommy apprĂ©henda le monde du point de vue des travailleurs. Pour mesurer le niveau de dĂ©veloppement Ă©conomique d’une sociĂ©tĂ©, il reviendrait toujours Ă  cette question : une famille ouvriĂšre gagnait-elle assez d’argent pour mener une vie dĂ©cente ?
Alors que l’économie manufacturiĂšre d’Écosse dĂ©clinait, le Canada profitait d’une pĂ©riode d’expansion. AttirĂ©s par la promesse de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, Tom Douglas et son frĂšre Willie partirent pour le Canada en 1911. Ils traversĂšrent l’ocĂ©an en bateau et le pays en train, puis dĂ©barquĂšrent Ă  Winnipeg. Ils s’installĂšrent dans une maison de chambres, rue Disraeli, et se mirent Ă  travailler pour la Vulcan Iron Works. Au printemps, Tom fit venir sa femme, Anne, leur fils, Tommy, et leur fille, Nan. Une autre fille, Isobel, naquit peu aprĂšs. À cette Ă©poque, Winnipeg n’était encore qu’une ville frontiĂšre composĂ©e de rues boueuses et d’édifices en construction. Point de chute pour de nombreux immigrants qui arrivaient au Canada, ce centre Ă©conomique et rĂ©gional comptait alors une population de 150 000 habitants. Winnipeg Ă©tait la ville la plus ethniquement diversifiĂ©e du pays ; les immigrants affluaient de partout en Europe pour y commencer une nouvelle vie.
Tom se rĂ©jouissait du visage multiculturel de Winnipeg. Dans la rue oĂč il habitait, il y avait des Allemands, des Ukrainiens, des Polonais, ainsi que deux autres familles Ă©cossaises. Le pĂšre de Tommy encouragea son fils, dĂšs son plus jeune Ăąge, Ă  aimer la diversitĂ© ethnique canadienne. Naturellement, cette philosophie lui fut transmise par un vers de Robert Burns : « Un homme est un homme aprĂšs tout2 ». Tommy se souvint : « Il avait l’habitude de me marteler cela quand j’étais petit : “Tu joues avec le gamin Kravchenko. C’est merveilleux, voilĂ  comment ça doit se passer. Évidemment, je ne peux comprendre la famille d’à cĂŽtĂ©, mais vous les enfants vous grandissez ensemble, vous travaillerez pour les mĂȘmes choses et vous bĂątirez un monde en commun.” »
Tom faisait pousser des oignons et des choux dans le jardin de la maison qu’ils louaient. Homme chaleureux et serviable, il partageait ses lĂ©gumes avec ses voisins et cherchait souvent d...

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