L'Acadie entre le souvenir et l'oubli
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L'Acadie entre le souvenir et l'oubli

Un historien sur les chemins de la mémoire collective

Ronald Rudin, Daniel Poliquin

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  1. 450 pages
  2. French
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L'Acadie entre le souvenir et l'oubli

Un historien sur les chemins de la mémoire collective

Ronald Rudin, Daniel Poliquin

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En 2004 et en 2005, les Acadiens ont célébré deux importants anniversaires: le 400e anniversaire de la naissance de l'Acadie et le 250e de la Déportation. L'historien Ronald Rudin a participé à ces commémorations, s'est glissé parmi les participants pour « revivre » ces événements historiques. Les observations qu'il en a tirées et les nombreuses entrevues qu'il a menées auprÚs des participants forment un document passionnant sur les différentes maniÚres de présenter et de commémorer le passé dans l'espace public. Mais Rudin ne s'intéresse pas aux seuls Acadiens, il recueille également les propos défendus par les anglophones et les représentants des PremiÚres Nations, groupes qui percevaient aussi un enjeu historique, culturel et politique dans de telles commémorations. En effet, chacune des communautés, voire chacun des individus qui participaient aux différentes célébrations, avait son histoire à raconter, et chacun tenait à ce qu'elle soit entendue. C'est ainsi que « L'Acadie entre le souvenir et l'oubli » donne l'occasion à Ronald Rudin d'étudier les visées souvent conflictuelles qui se cachent derriÚre l'histoire officielle.

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Information

Year
2014
ISBN
9782764642924
PARTIE II

RĂ©cits traumatiques

5

Silences

En quĂȘte d’une voix

Puisque la plupart des chapitres prĂ©cĂ©dents s’ouvrent par une description d’un moment passĂ© sur la route, j’ai jugĂ© utile de poursuivre dans le mĂȘme sens, sauf que mon rĂ©cit n’a rien Ă  voir cette fois avec la DĂ©portation des Acadiens. L’essentiel de ce chapitre porte sur les Ă©vĂ©nements qui ont soulignĂ© le bicentenaire du Grand DĂ©rangement en 1955, mais j’étais encore trĂšs jeune Ă  l’époque, et ayant grandi dans une famille juive amĂ©ricaine, je n’ai su que tard ce qu’était un Acadien. Ce fait a son importance dans la comprĂ©hension que j’ai du silence qui a enveloppĂ© la DĂ©portation pendant prĂšs de deux siĂšcles. Étant nĂ© dans une communautĂ© qui Ă©tait presque entiĂšrement juive, quelques annĂ©es Ă  peine aprĂšs la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce n’est qu’adolescent que j’ai appris que l’Holocauste avait eu lieu. J’imagine que ce sont le procĂšs et l’exĂ©cution d’Adolf Eichmann, au dĂ©but des annĂ©es 1960, qui m’ont rĂ©vĂ©lĂ© le massacre des juifs europĂ©ens, mais on peut quand mĂȘme se demander comment je suis parvenu Ă  vivre les dix premiĂšres annĂ©es de ma vie sans jamais avoir entendu parler, au sein de ma famille, Ă  l’école ou dans mon cercle d’amis, de la disparition de 6 millions des « nĂŽtres ».
VoilĂ  pourquoi j’ai lu avec un vif intĂ©rĂȘt le livre fascinant de Peter Novick, The Holocaust in American Life, qui traite prĂ©cisĂ©ment de la maniĂšre dont les juifs amĂ©ricains ont rĂ©ussi Ă  « oublier » l’Holocauste au cours des deux dĂ©cennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. Comme il le dit en des termes qui avaient pour moi l’accent de la vĂ©ritĂ© : « Entre la fin de la guerre et les annĂ©es 1960, comme peut en tĂ©moigner quiconque a vĂ©cu pendant ces annĂ©es, l’Holocauste Ă©tait rarement mentionnĂ© dans le discours public amĂ©ricain, et encore moins dans le discours public juif468. » La plupart des juifs estimaient que « l’Holocauste Ă©tait de l’histoire ancienne : la contemplation de cet abĂźme de misĂšre n’apportait que souffrance et n’offrait aucun intĂ©rĂȘt469 ». La thĂšse de Novick Ă©carte d’emblĂ©e l’idĂ©e qu’il pourrait s’agir de quelque rĂ©pression freudienne d’un Ă©vĂ©nement trop traumatisant pour supporter le moindre regard. AprĂšs tout, fait-il valoir, les juifs amĂ©ricains avaient vĂ©cu trĂšs loin du carnage des camps, et comme peu de survivants avaient Ă©tĂ© admis aux États-Unis aprĂšs la guerre, ils n’avaient eu guĂšre de contacts avec l’Holocauste avant la fin des annĂ©es 1950 et le dĂ©but des annĂ©es 1960.
Novick soutient plutĂŽt que mes parents, et un grand nombre de gens comme eux, Ă©vitaient de parler de l’Holocauste parce qu’ils dĂ©siraient s’intĂ©grer dans la vie amĂ©ricaine. Comme il dit, « la conscience intĂ©grationniste, et non particulariste, Ă©tait la norme dans les dĂ©cennies qui ont suivi la guerre : la diffĂ©rence et la spĂ©cificitĂ© n’étaient pas de saison470 ». Afin de bien Ă©tayer l’idĂ©e que le silence autour de l’Holocauste Ă©tait liĂ© davantage au contexte qu’à la psychologie, Novick rappelle que l’Holocauste ne devint un sujet de discussion entre juifs amĂ©ricains que le jour oĂč ils voulurent se distinguer de leurs concitoyens, alors qu’auparavant ils avaient prĂ©fĂ©rĂ© se fondre dans la masse. Ainsi, il Ă©crivait, en 1999 : « Les juifs amĂ©ricains d’aujourd’hui ne peuvent pas dĂ©finir leur judaĂŻtĂ© en invoquant leurs convictions religieuses spĂ©cifiques Ă©tant donnĂ© que la plupart d’entre eux ne sont pas croyants. Ils ne peuvent pas non plus se dĂ©finir par des traits culturels proprement juifs Ă©tant donnĂ© que la plupart d’entre eux se confondent avec les autres AmĂ©ricains [
] L’Holocauste, qui est devenu le seul dĂ©nominateur commun de l’identitĂ© judĂ©o-amĂ©ricaine Ă  la fin du XXe siĂšcle, a comblĂ© ce besoin qu’ils avaient de trouver un symbole consensuel. » Un tel symbole Ă©tait trĂšs prisĂ© Ă  une Ă©poque oĂč la culture amĂ©ricaine « changeait d’attitude envers le statut de victime : ce statut, qui avait Ă©tĂ© jusqu’alors universellement rejetĂ© et mĂ©prisĂ©, faisait dĂ©sormais l’objet d’une convoitise souvent ardente471 ».
Il ne fait aucun doute que les enjeux contextuels, comme nous l’avons vu dans la premiĂšre partie du livre, jouent un rĂŽle important lorsqu’il s’agit de dĂ©terminer ce dont on va se souvenir et ce qu’on va oublier, que ce soit pendant longtemps ou non. Toutefois, dans le cas d’un Ă©vĂ©nement aussi dĂ©vastateur que l’Holocauste (par opposition Ă  l’arrivĂ©e de Dugua et de sa troupe Ă  l’üle Sainte-Croix), il s’agissait Ă©galement, comme mĂȘme Novick dut l’admettre, « d’un spectacle horrible, douloureux et nausĂ©eux, le genre de chose qui nous oblige Ă  dĂ©tourner le regard ». Autrement dit, le souvenir de moments aussi traumatisants est conditionnĂ© par la nature de l’évĂ©nement et les circonstances qui autorisent son Ă©vocation, particuliĂšrement dans la sphĂšre publique472.
Je n’avais pas souvent rĂ©flĂ©chi Ă  mon rendez-vous manquĂ© avec l’Holocauste avant d’entreprendre ma propre rĂ©flexion sur la nature de la commĂ©moration publique du Grand DĂ©rangement, qui fut aussi marquĂ©e par le silence pendant plus de cent cinquante ans. Peter Novick fait observer qu’« entre la fin de la guerre et les annĂ©es 1960 [
] seule une poignĂ©e de livres traitait [de l’Holocauste], et ceux oĂč il en Ă©tait question, avec de rares exceptions comme le Journal d’Anne Frank, trouvĂšrent peu de lecteurs ». Au sujet des Ɠuvres littĂ©raires traitant de la DĂ©portation, Robert Viau a Ă©crit que « le premier roman acadien de la DĂ©portation, publiĂ© en la nouvelle Acadie, le fut seulement en 1940473 ». MĂȘme Ă  l’occasion du 250e anniversaire, en 2005, Ronnie-Gilles LeBlanc pouvait dire que si divers ouvrages abordaient la DĂ©portation, « peu de ces Ă©tudes traitent exclusivement de cet Ă©pisode474 ».
Il est vrai qu’on va parfois trop loin dans les comparaisons entre le souvenir du traumatisme tel qu’il fut vĂ©cu par les juifs amĂ©ricains et celui des Acadiens475. La plupart des Acadiens peuvent faire remonter leur arbre gĂ©nĂ©alogique jusqu’aux Ă©vĂ©nements de la fin du XVIIIe siĂšcle et peuvent donc se rĂ©clamer d’un lien immĂ©diat avec la DĂ©portation, alors que la plupart des juifs amĂ©ricains n’ont pas ce lien avec l’Holocauste. En outre, les buts visĂ©s par les responsables des deux Ă©vĂ©nements Ă©taient tout Ă  fait diffĂ©rents : d’un cĂŽtĂ©, le meurtre savamment planifiĂ© d’un peuple, et de l’autre, ce qu’on appellerait aujourd’hui une opĂ©ration de « nettoyage ethnique ». Les Britanniques n’avaient pas rĂ©solu de massacrer tous les Acadiens, mĂȘme si un grand nombre d’entre eux pĂ©rirent en exil. En dispersant les Acadiens dans les colonies amĂ©ricaines au sud, on cherchait plutĂŽt Ă  les assimiler et Ă  anĂ©antir leur culture, ce qu’on peut appeler un « ethnocide ». Comme l’a Ă©crit rĂ©cemment John Mark Faragher, la dĂ©finition de l’épuration ethnique telle qu’elle fut pratiquĂ©e dans les Balkans dans les annĂ©es 1990 « aurait pu ĂȘtre inspirĂ©e par une Ă©tude sur l’expulsion des Acadiens. Au programme des opĂ©rations menĂ©es par les forces anglo-amĂ©ricaines en 1755 se trouvaient la dĂ©portation de populations civiles, le traitement cruel et inhumain des prisonniers, le pillage et la destruction aveugle des communautĂ©s, pratiques que l’on dĂ©finit aujourd’hui par le vocable “crimes contre l’humanitĂ©476” ».
Le parallĂšle avec l’Holocauste tient au temps qu’il fallut aux Acadiens pour commĂ©morer publiquement la DĂ©portation. C’était Ă  peine si l’on en parlait, surtout avant que n’émerge l’infrastructure de la nouvelle Acadie Ă  la fin du XIXe siĂšcle. Ainsi, il n’y eut aucune cĂ©rĂ©monie publique rappelant la DĂ©portation lors de son centenaire, en 1855. En fait, la seule dĂ©claration officielle sur ce sujet fut un mandement de Guillaume Walsh, l’archevĂȘque d’Halifax, aux Acadiens de Nouvelle-Écosse et traitant de « la question des souffrances et des vertus de leurs ancĂȘtres ».
Puisque rares Ă©taient les Acadiens qui Ă©taient parvenus Ă  rentrer en Nouvelle-Écosse, surtout quand on pense au grand nombre qui avait abouti au Nouveau-Brunswick, Walsh ne s’adressait qu’à un infime pourcentage de la population acadienne. NĂ©anmoins, ses paroles anticipĂšrent les quelques moments de commĂ©moration publique de la DĂ©portation qui allaient suivre au XXe siĂšcle. Dans sa version des faits, les Acadiens n’avaient pas Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s parce qu’ils gĂȘnaient les visĂ©es gĂ©opolitiques des Britanniques. Au contraire, l’archevĂȘque Walsh prenait bien soin de ne pas blĂąmer ces derniers : il disait, par exemple, que les Acadiens avaient souffert de la « main cruelle de la persĂ©cution », mais sans prĂ©ciser Ă  qui cette main appartenait. Ce qui Ă©tait clair dans son esprit, toutefois, c’était que les Acadiens avaient Ă©tĂ© chassĂ©s du fait de « leur attachement Ă  la foi », et non parce qu’on craignait de les voir lutter aux cĂŽtĂ©s de la France. La morale de cette histoire Ă©tait que les Acadiens Ă©taient restĂ©s fidĂšles au catholicisme ; ils avaient subi une Ă©preuve, ce qui en faisait un « peuple choisi ». L’archevĂȘque implorait ainsi les Acadiens en 1855 : « MĂ©ditez sur ce qu’ils ont endurĂ©, et apprenez Ă  vous soumettre avec rĂ©signation, dans toutes vos Ă©preuves, Ă  la volontĂ© adorable de votre PĂšre cĂ©leste477. »
Cinquante ans plus tard, lors du 150e anniversaire, les conventions nationales avaient donnĂ© aux Acadiens les symboles de leur identitĂ© nationale depuis dĂ©jĂ  un quart de siĂšcle, c’est-Ă -dire depuis les annĂ©es 1880. Ces conventions se poursuivirent au XXe siĂšcle, et l’une d’elles eut lieu en 1905 Ă  Caraquet, dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, oĂč quelques rescapĂ©s de la DĂ©portation avaient entrepris d’édifier la nouvelle Acadie. Dans ce contexte, on aurait cru que cette rencontre des dirigeants de la sociĂ©tĂ© acadienne cent cinquante ans aprĂšs la DĂ©portation aurait p...

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