Le bien commun
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Le bien commun

Noam Chomsky, Nicolas Calvé

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Le bien commun

Noam Chomsky, Nicolas Calvé

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Doit-on revendiquer l'Ă©galitĂ© des revenus pour tous les citoyens? La mondialisation est-elle inĂ©luctable? Les termes «gauche» et «droite» ont-ils encore un sens? Les mĂ©dias peuvent-ils ĂȘtre progressistes? Devons-nous avoir une idĂ©e claire de nos objectifs Ă  long terme pour Ă©laborer une stratĂ©gie politique? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles tente de rĂ©pondre «Le bien commun».Construit Ă  partir d'entretiens avec le journaliste indĂ©pendant David Barsamian, cet ouvrage constitue un vĂ©ritable condensĂ© de la pensĂ©e politique de Noam Chomsky. De la philosophie d'Aristote Ă  la montĂ©e en puissance des multinationales, en passant par la rectitude politique de la gauche amĂ©ricaine ou la logique des relations internationales, il couvre un large spectre de sujets ayant fait la renommĂ©e de cet intellectuel engagĂ©.FidĂšle Ă  sa posture rationaliste, Chomsky ne voit pas dans les phĂ©nomĂšnes qu'il analyse les rĂ©sultats d'un complot, mais plutĂŽt ceux «d'un capitalisme d'État ordinaire» contre lequel il appelle Ă  rĂ©sister. «Le bien commun», publiĂ© en anglais pour la premiĂšre fois au tournant du millĂ©naire, dĂ©veloppe un propos encore criant d'actualitĂ©.

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CHAPITRE 1

Le bien commun

Aristote, un dangereux extrémiste

DAVID BARSAMIAN : En janvier 1997, vous donniez une confĂ©rence Ă  Washington dans le cadre d’une assemblĂ©e convoquĂ©e par plusieurs organismes, dont le Congressional Progressive Caucus (CPC), un groupe parlementaire progressiste formĂ© d’une cinquantaine d’élus du CongrĂšs. Qu’avez-vous pensĂ© de l’évĂ©nement ?
NOAM CHOMSKY : Ce que j’en ai perçu m’a semblĂ© trĂšs encourageant. Il y rĂ©gnait une bonne ambiance, trĂšs animĂ©e. Chez les participants, l’impression dominante (que je partage) Ă©tait qu’une vaste majoritĂ© d’AmĂ©ricains sont plus ou moins favorables aux politiques progressistes inspirĂ©es du New Deal. VoilĂ  qui est assez frappant, la plupart de mes concitoyen.ne.s n’entendant pratiquement jamais personne dĂ©fendre une telle position.
On prĂ©tend que le marchĂ© a rĂ©vĂ©lĂ© le caractĂšre nĂ©faste du progressisme ; c’est du moins le message que les mĂ©dias ne cessent de marteler. Pourtant, de nombreux membres du CPC (dont le sĂ©nateur dĂ©mocrate du Minnesota Paul Wellstone et le reprĂ©sentant dĂ©mocrate du Massachusetts Jim McGovern) ont publiquement dĂ©fendu des politiques du New Deal. Le groupe a d’ailleurs vu ses effectifs augmenter aprĂšs les Ă©lections de 1996.
Je ne crois cependant pas qu’il faille s’en tenir aux politiques progressistes du New Deal, loin de lĂ . NĂ©anmoins, ses acquis, fruits d’innombrables luttes populaires, valent la peine d’ĂȘtre dĂ©fendus et consolidĂ©s.
Votre confĂ©rence s’intitulait Le bien commun

On m’avait imposĂ© ce titre, et, comme je suis un type aimable et docile, c’est ce dont j’ai parlĂ©. J’ai commencĂ© par le commencement, avec la Politique d’Aristote, qui a nourri la plupart des thĂ©ories politiques ultĂ©rieures.
Pour Aristote, la dĂ©mocratie doit nĂ©cessairement ĂȘtre participative (mĂȘme s’il en exclut notamment les femmes et les esclaves) et viser le bien commun. Pour fonctionner, elle doit veiller Ă  ce que tous les citoyens jouissent d’une Ă©galitĂ© relative, d’« une fortune moyenne, mais suffisante1 » et d’un accĂšs durable Ă  la propriĂ©tĂ©.
Autrement dit, Aristote considĂšre qu’un rĂ©gime ne peut ĂȘtre sĂ©rieusement qualifiĂ© de dĂ©mocratique si les inĂ©galitĂ©s entre riches et pauvres y sont trop grandes. La vĂ©ritable dĂ©mocratie correspond pour lui Ă  ce qu’on qualifierait aujourd’hui d’État-providence, mais dans une forme radicale allant bien au-delĂ  de tout ce qu’on a pu envisager au XXe siĂšcle. (À la suite d’une confĂ©rence de presse que j’ai donnĂ©e Ă  Majorque, les journaux espagnols ont Ă©crit que, s’il vivait de nos jours, Aristote serait qualifiĂ© de dangereux extrĂ©miste ; c’est sans doute vrai.)
L’idĂ©e voulant que grandes fortunes et dĂ©mocratie ne puissent coexister fera son chemin jusqu’aux LumiĂšres et au libĂ©ralisme classique, notamment chez des figures comme Alexis de Tocqueville, Adam Smith et Thomas Jefferson, qui en assumeront plus ou moins les implications.
Aristote insiste Ă©galement sur le fait que, si un rĂ©gime parfaitement dĂ©mocratique comptait une minoritĂ© de citoyens trĂšs riches et un grand nombre de gens trĂšs pauvres, ces derniers exerceraient leurs droits pour dĂ©possĂ©der les nantis. Il considĂšre qu’une telle situation serait injuste et y voit deux solutions possibles : rĂ©duire la pauvretĂ© (solution qu’il prĂ©conise) ou limiter la dĂ©mocratie.
James Madison [quatriĂšme prĂ©sident des États-Unis, de 1809 Ă  1817], loin d’ĂȘtre bĂȘte, Ă©tait conscient du problĂšme, mais, contrairement Ă  Aristote, il s’employait Ă  limiter la dĂ©mocratie. Selon lui, le principal objectif d’un gouvernement consistait Ă  « protĂ©ger la minoritĂ© des possĂ©dants contre la majoritĂ© ». Son collĂšgue John Jay [rĂ©volutionnaire, diplomate et juriste amĂ©ricain (1745-1829)] se plaisait Ă  dire que « les gens qui possĂšdent le pays doivent le gouverner ».
Les fortes inĂ©galitĂ©s qui affligeaient la sociĂ©tĂ© faisaient craindre Ă  Madison qu’une part grandissante de la population ne « rĂȘve secrĂštement d’une rĂ©partition plus Ă©galitaire des bienfaits [de la vie] ». Si l’on accordait Ă  la majoritĂ© un pouvoir dĂ©mocratique, affirmait-il, celle-ci pourrait ne plus se contenter de rĂȘver. Il a abordĂ© cette question de maniĂšre explicite lors de la Convention constitutionnelle de Philadelphie, prĂ©occupĂ© qu’il Ă©tait par l’éventualitĂ© de voir la majoritĂ© pauvre user de son pouvoir pour imposer une rĂ©forme agraire.
Madison a donc conçu un systĂšme destinĂ© Ă  empĂȘcher la dĂ©mocratie de fonctionner, oĂč le pouvoir serait dĂ©tenu par « une Ă©quipe d’hommes parmi les plus compĂ©tents », ceux auxquels appartenait « la richesse de la nation ». Au fil des ans, les autres citoyens seraient relĂ©guĂ©s aux marges ou divisĂ©s de diverses façons : dĂ©coupage des circonscriptions Ă©lectorales, obstacles aux luttes syndicales et Ă  la coopĂ©ration ouvriĂšre, exploitation des conflits interethniques, etc. (PrĂ©cisons que Madison se situait dans une perspective prĂ©capitaliste, et que son « Ă©quipe d’hommes parmi les plus compĂ©tents » Ă©tait censĂ©e ĂȘtre composĂ©e d’« hommes d’État Ă©clairĂ©s » et de « philosophes bienveillants », et non d’investisseurs et de cadres supĂ©rieurs cherchant Ă  s’enrichir sans Ă©gard aux consĂ©quences de leurs actes sur autrui. Entreprise par Alexander Hamilton et ses partisans, la transformation des États-Unis en État capitaliste l’a d’ailleurs passablement consternĂ©. S’il vivait aujourd’hui, je crois qu’il serait anticapitaliste, tout comme le seraient Jefferson et Adam Smith.)
Il est fort peu probable que ce que l’on considĂšre aujourd’hui comme les « consĂ©quences inĂ©vitables du marchĂ© » puisse ĂȘtre tolĂ©rĂ© dans une sociĂ©tĂ© vraiment dĂ©mocratique. On peut emprunter la voie d’Aristote et s’assurer que presque tout le monde dispose d’« une fortune moyenne, mais suffisante » — autrement dit, garantir l’existence d’une classe moyenne —, ou on peut opter pour la solution de Madison et limiter la dĂ©mocratie.
Pendant toute l’histoire [des États-Unis], les propriĂ©taires ont dĂ©tenu l’essentiel du pouvoir politique. On a cependant connu quelques moments d’exception, comme le New Deal : contraint de rĂ©agir au fait que la population n’allait pas tolĂ©rer longtemps la situation dans laquelle elle se trouvait, Franklin D. Roosevelt a laissĂ© le pouvoir aux riches, mais en les soumettant Ă  une sorte de contrat social. Il n’y avait lĂ  rien de nouveau, et cela va assurĂ©ment se reproduire.

L’égalitĂ©

Doit-on seulement lutter pour l’égalitĂ© des chances ou revendiquer l’égalitĂ© des revenus, oĂč chacun vivrait Ă  peu prĂšs dans les mĂȘmes conditions Ă©conomiques ?
De nombreux penseurs, Ă  commencer par Aristote, ont soutenu que l’égalitĂ© des revenus doit ĂȘtre un objectif fondamental dans toute sociĂ©tĂ© se voulant libre et juste. (Il n’est pas question ici de revenus identiques, mais de conditions de vie relativement Ă©gales.)
L’acceptation de l’inĂ©galitĂ© extrĂȘme dĂ©note une nette rupture avec la tradition humaniste et libĂ©rale, aussi loin que celle-ci puisse remonter. En fait, en dĂ©fendant le libre marchĂ©, Adam Smith prĂ©sumait que, dans des conditions de libertĂ© parfaite, celui-ci mĂšnerait Ă  l’égalitĂ© parfaite des revenus, qu’il considĂ©rait comme une bonne chose.
Tocqueville, autre grande figure du panthĂ©on, s’émerveillait de l’égalitĂ© relative qu’il croyait constater dans la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine (il exagĂ©rait nettement, mais laissons de cĂŽtĂ© la question de la justesse de ses perceptions). Il a Ă©crit de maniĂšre assez catĂ©gorique qu’une « inĂ©galitĂ© permanente des conditions » entraĂźnerait la mort de la dĂ©mocratie.
Au fait, dans des parties de son Ɠuvre qu’on a plus rarement citĂ©es, Tocqueville condamnait l’« aristocratie manufacturiĂšre » alors en plein essor aux États-Unis, laquelle Ă©tait selon lui l’« une des plus dures qui aient paru sur la Terre ». Si elle prenait le pouvoir, prĂ©venait-il, le pays connaĂźtrait de graves problĂšmes. Ses craintes Ă©taient partagĂ©es par Jefferson et d’autres figures des LumiĂšres. Malheureusement, l’histoire montre que les choses sont allĂ©es bien au-delĂ  de leurs pires cauchemars.
Ron Daniels, directeur du Center for Constitutional Rights, basĂ© Ă  New York, use de la mĂ©taphore des deux coureurs, l’un partant de la ligne de dĂ©part et l’autre Ă  1,5 mĂštre de la ligne d’arrivĂ©e

L’analogie est intĂ©ressante, mais je crois qu’elle passe Ă  cĂŽtĂ© de l’essentiel. Il est vrai que l’égalitĂ© des chances est loin d’ĂȘtre une rĂ©alitĂ© aux États-Unis, mais, mĂȘme si elle se concrĂ©tisait, le systĂšme demeurerait intolĂ©rable.
Imaginons deux coureurs partant exactement du mĂȘme point, portant les mĂȘmes chaussures, etc. Celui qui finirait premier obtiendrait tout ce qu’il dĂ©sire, alors que le perdant mourrait de faim.
Parmi les mesures de lutte contre l’inĂ©galitĂ© se trouve la discrimination positive. Qu’en pensez-vous ?
Dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s, celle-ci va de soi. Par exemple, Ă  la fin des annĂ©es 1940, au moment de l’indĂ©pendance de l’Inde, on a instituĂ© une certaine formule de discrimination positive, les « places rĂ©servĂ©es », dans le but de surmonter les inĂ©galitĂ©s de caste et de genre, profondĂ©ment ancrĂ©es dans l’histoire [des États-Unis].
Afin de rendre, espĂšre-t-on, une sociĂ©tĂ© plus juste et plus Ă©quitable, de telles politiques ne vont pas sans imposer de privations Ă  certaines personnes. Leur mise en Ɠuvre peut ĂȘtre dĂ©licate, et je ne crois pas qu’il existe de rĂšgles simples pour les appliquer.
Une bonne partie des attaques contre la discrimination positive traduisent une volonté de justifier les structures discriminatoires et oppressives du passé. En revanche, il faut voir à ce que la discrimination positive ne nuise pas aux personnes démunies qui ne font pas partie des catégories sociales visées, ce qui est tout à fait possible.
La discrimination positive s’avĂšre parfois trĂšs efficace, comme on l’a vu Ă  l’universitĂ©, dans l’industrie de la construction, dans les services publics et ailleurs. En chipotant sur les dĂ©tails, on trouve Ă©videmment bien des choses Ă  critiquer, mais, dans ses grandes lignes, le programme est adĂ©quat et empreint d’humanitĂ©.

Les bibliothĂšques

Les bibliothĂšques ont jouĂ© un rĂŽle trĂšs important dans votre formation intellectuelle, n’est-ce pas ?
Enfant, je frĂ©quentais assidĂ»ment la principale bibliothĂšque publique du centre-ville de Philadelphie, qui Ă©tait trĂšs bien tenue. C’est lĂ  que j’ai lu tous ces Ă©crits anarchistes et marxistes que je n’arrĂȘte pas de citer. À cette Ă©poque, les gens lisaient beaucoup, et les bibliothĂšques Ă©taient trĂšs frĂ©quentĂ©es. À la fin des annĂ©es 1930 et dans les annĂ©es 1940, les services publics Ă©taient Ă  bien des Ă©gards supĂ©rieurs Ă  ce qu’ils sont aujourd’hui.
Selon moi, c’est une des raisons pour lesquelles les pauvres et les chĂŽmeurs des bas quartiers semblaient alors moins dĂ©sespĂ©rĂ©s. Je fais peut-ĂȘtre montre de sensiblerie en mettant ainsi mes perceptions d’enfant sur un pied d’égalitĂ© avec ma conscience d’adulte, mais je crois quand mĂȘme que c’était le cas.
Les bibliothĂšques ne reprĂ©sentaient qu’une des sources de cet espoir populaire. TrĂšs frĂ©quentĂ©es, elles n’étaient pas seulement destinĂ©es aux gens instruits. Ce n’est plus aussi vrai de nos jours.
Permettez-moi de vous expliquer pourquoi je vous ai posĂ© cette question. DerniĂšrement, je suis allĂ© Ă  la bibliothĂšque que je frĂ©quentais quand j’étais petit, Ă  l’angle de la 78e Rue et de l’avenue York, Ă  New York. Je n’y avais pas mis les pieds depuis 35 ans. Ce quartier est devenu l’un des plus riches du pays.
J’ai rĂ©alisĂ© que la bibliothĂšque compte maintenant trĂšs peu d’ouvrages politiques. Lorsque le bibliothĂ©caire m’a expliquĂ© que les succursales du rĂ©seau public de bibliothĂšques tiennent surtout des best-sellers, je lui ai dit que j’aimerais bien faire don de certains de mes livres.
RĂ©agissant sans grand intĂ©rĂȘt, il m’a invitĂ© Ă  remplir un formulaire. En arrivant au comptoir oĂč m’en procurer un, j’ai constatĂ© qu’on devait payer 30 cents pour recommander un achat de livre Ă  la bibliothĂšque !
VoilĂ  qui semble conforme Ă  la tendance qu’on observe dans tout le domaine de l’édition, y compris dans les librairies. Comme je voyage beaucoup, il m’arrive d’ĂȘtre coincĂ© dans un aĂ©roport
 parce qu’il neige Ă  Chicago, disons. Autrefois, j’arrivais Ă  trouver quelque chose que j’avais envie de lire Ă  la librairie de l’aĂ©roport, qu’il s’agisse d’un classique ou d’un ouvrage rĂ©cent. Aujourd’hui, c’est pratiquement impossible (et pas seulement aux États-Unis, d’ailleurs ; derniĂšrement, je me suis trouvĂ© coincĂ© Ă  l’aĂ©roport de Naples, dont la librairie est d’une mĂ©diocritĂ© tout aussi lamentable).
Je crois que cette situation est essentiellement attribuable aux pressions du marchĂ©. Les best-sellers ne restent pas longtemps sur les tablettes, et la conservation de titres qui s’écoulent lentement coĂ»te cher. Des changements aux lois fiscales ont aggravĂ© le problĂšme en faisant grimper les coĂ»ts liĂ©s au maintien d’un fonds pour les maisons d’édition, si bien que celles-ci soldent maintenant leurs livres beaucoup plus tĂŽt.
Je crois que les essais politiques pĂątissent de cette situation. Dans les grandes chaĂźnes qui dominent actuellement le marchĂ© du livre, on n’en trouve pas beaucoup — quoiqu’on pourrait dire la mĂȘme chose de la plupart des livres. Je ne crois pas qu’il s’agisse de censure politique.
La droite propose d’imposer des frais aux usagers des bibliothùques.
Cette idĂ©e s’inscrit dans son grand projet de rĂ©ingĂ©nierie sociale au profit des riches. Remarquez que ses militants ne recommandent pas le dĂ©mantĂšlement du Pentagone. Ils ne sont pas assez fous pour croire que celui-ci protĂšge le peuple contre les Martiens ou quelque autre envahisseur, mais ils ont parfaitement compris que son existence mĂȘme est une subvention aux riches. Donc, va pour le Pentagone, mais pas pour les bibliothĂšques.
J’habite Lexington, en banlieue de Boston, une ville de professionnels de la classe moyenne supĂ©rieure. Mes concitoyens sont bien disposĂ©s Ă  faire des dons Ă  la bibliothĂšque municipale et en ont les moyens. Je contribue moi-mĂȘme Ă  son financement et je la frĂ©quente, profitant du fait qu’il s’agit d’une trĂšs bonne bibliothĂšque.
Cependant, je dĂ©plore que les rĂšglements de zonage et la mĂ©diocritĂ© du rĂ©seau de transport en commun fassent en sorte que seuls les riches peuvent vivre Ă  Lexington. Dans les quartiers pauvres, rares sont les gens qui peuvent contribuer au financement d’une bibliothĂšque, ont le temps de la frĂ©quenter ou savent quoi y chercher une fois sur les lieux.
Laissez-moi vous raconter une triste histoire. Une de mes filles vivait dans une vieille ville industrielle en dĂ©clin. Celle-ci n’était pas dĂ©labrĂ©e, mais avait manifestement connu de meilleurs jours. Sa bibliothĂšque publique Ă©tait tout Ă  fait correcte. Sa collection n’était pas extraordinaire, mais comprenait de bons livres pour enfants. Joliment dĂ©corĂ©e, amĂ©nagĂ©e avec intelligence, elle Ă©tait gĂ©rĂ©e par un couple de bibliothĂ©caires.
Un ...

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