Une escroquerie légalisée (édition européenne)
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Une escroquerie légalisée (édition européenne)

Précis sur les "paradis fiscaux"

Alain Deneault

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Une escroquerie légalisée (édition européenne)

Précis sur les "paradis fiscaux"

Alain Deneault

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Lorsque nos infrastructures se détériorent, que les prestations sociales sont gelées, que nos conditions d'existence se précarisent, c'est à cause des paradis fiscaux. Source d'inégalités croissantes et de pertes fiscales colossales, le recours aux paradis fiscaux par les grandes entreprises et particuliers fortunés explique les politiques d'austérité. Qui plus est, les États ont légalisé des stratagèmes offshore qui contreviennent au principe même du fisc. En cinq chapitres d'une redoutable efficacité, Alain Deneault soulève la question politique de cette escroquerie légalisée. Comment définir les législations de complaisance, quelles sont les conséquences dramatiques de cette spoliation et comment contrer la souveraineté privée ainsi conférée aux puissants? Il est urgent de mettre fin à cette architecture insensée par laquelle les contribuables financent non seulement les services publics dont les entreprises profitent, mais aussi les banques via le service de la dette, le tout en s'appauvrissant.Cet essai, d'abord publié au Québec, a été entièrement adapté au contexte européen avec la collaboration de Lucie Watrinet.

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Information

Publisher
Écosociété
Year
2016
ISBN
9782897193072

1 Ce que l’on sait

ON LES CONNAÎT. Il suffit d’avoir fréquenté le cinéma de masse, les romans à suspense ou les bandes dessinées d’espionnage pour être tombé, dès l’adolescence, sur les références aux paradis fiscaux les plus usitées: la Suisse, le Luxembourg, Singapour, Hong Kong, les Bermudes ou les Îles Caïmans… Plus récemment, ces territoires ont été mis au devant de la scène à l’occasion de scandales et de fuites d’importance, des Offshore Leaks aux Bahamas Leaks, en passant par les LuxLeaks, SwissLeaks et autres Panama Papers.
La conscience publique a progressivement intégré le fait qu’à côté des États traditionnels (la France, l’Allemagne, les États-Unis, l’Espagne, le Brésil, l’Australie, le Japon…) se profile un réseau d’États parallèles permettant de mener des opérations en marge de la loi, et ce, de façon massive. Celles-ci consistent en détournements de fonds, actes de corruption, tactiques d’évitement fiscal ou encore pratiques répréhensibles dans des domaines aussi variés que le transport maritime, la fusion d’entreprises multinationales, le blanchiment d’argent et la finance à risque.
Lorsqu’on pousse la réflexion au stade de la critique, on prend soudainement la pleine mesure du phénomène. Ces législations de complaisance représentent un problème de très grande envergure. Des capitaux massifs y sont canalisés: au moins 21 000 milliards de dollars, selon une étude d’un ancien économiste de la firme McKinsey & Company, James Henry, aujourd’hui figure de proue du Tax Justice Network aux États-Unis1. L’estimation provient de données produites par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), les banques centrales du monde et la Banque de règlements internationaux dont celles-ci sont membres, notamment. (Il s’agit là seulement d’actifs financiers – les biens immobiliers pharaoniques des particuliers résidant offshore et les objets de luxe tels que les yachts et les bijoux acquis offshore n’ayant pas été comptabilisés.) Autrement dit, c’est l’équivalent des économies cumulées des États-Unis et du Japon qui se trouvent administrées hors de toute contrainte légale dans ces États ultra-permissifs que sont les paradis fiscaux. De ce montant, près de 12 000 milliards de dollars relèvent de l’activité des 50 principales institutions financières du monde, à leur profit ou au bénéfice de leur distinguée clientèle2. Parmi elles, les françaises sont notoirement présentes au Luxembourg, les britanniques dans divers «territoires d’outre-mer» (colonies) de la Couronne, les canadiennes particulièrement à la Barbade, alors que les états-uniennes ont surtout pignon sur rue aux Bermudes et aux Iles Caïmans3. Un rapport du Government Accountability Office sur les principales filiales dans les paradis fiscaux des 100 plus grandes sociétés états-uniennes cotées et publié pour le Congrès des États-Unis en décembre 2008 a montré qu’«environ un tiers des filiales étrangères de Bank of America ou JP Morgan Chase est situé dans des paradis fiscaux. Ce pourcentage s’élève même à 50% pour Morgan Stanley, Wells Fargo et Goldman Sachs, relève l’économiste Gunther Capelle-Blancard. De même, en octobre 2011, l’organisation non gouvernementale ActionAid a publié un rapport sur les filiales des principales sociétés cotées au London Stock Exchange. Cette étude montre que Barclays et HSBC ont plus d’un tiers de leurs filiales étrangères localisées dans des paradis fiscaux4». La situation génère évidemment de nombreuses distorsions comptables: la série de cailloux que sont les Îles Caïmans se révèle le sixième centre financier en importance au monde; les Îles Vierges britanniques comptent parmi les plus importants partenaires commerciaux de la Chine; tandis que le Grand-Duché de Luxembourg est le pays à partir duquel les Européens investissent le plus dans le monde…
On connaît suffisamment le problème pour savoir qu’il ne se limite pas aux astuces de stratèges fiscaux. La richesse qui se voit soustraite aux institutions fiscales des États, certes, échappe à ces derniers quand vient le temps pour eux de remplir leur mission sociale. Mais plus encore, le capital qui se concentre dans les paradis fiscaux et autres législations de complaisance permet aux entreprises multinationales et aux riches particuliers qui le détiennent d’en disposer activement, hors la loi. Non seulement le capital n’y est-il pas imposé, mais ce que l’on en fait n’est en rien contrôlé par les États traditionnels. Les paradis fiscaux permettent l’impunité, et la gestion courante de biens privés s’y fait indistinctement des affaires qu’y mène aussi la grande criminalité. On y est littéralement hors la loi. Les fonds se confondent dans ces trous noirs de la finance. Le magistrat français Jean de Maillard a multiplié les monographies et articles dans lesquels il signale l’incapacité dans laquelle se trouve aujourd’hui la justice de nettement distinguer les activités licites ayant cours dans le domaine de l’industrie et du commerce des activités illicites que gèrent des cartels criminels, voire les entreprises elles-mêmes. Les législations de complaisance s’imposent à notre monde comme la réalisation bien concrète des fantasmes de banquiers et d’avocats d’entreprise. Ces derniers s’y découvrent capables d’offrir à leurs clients la possibilité d’évoluer dans un monde où la loi ne les atteindra plus.
De manière consensuelle, la définition des paradis fiscaux se décline en quatre points:
  1. Une absence d’imposition – Ces États complaisants prévoient un taux d’imposition nul ou quasi nul sur certaines catégories d’entités, de comptes et d’acteurs. À Jersey ou à la Dominique, par exemple, les particuliers fortunés ne paient pas d’impôts sur le revenu; à Hong Kong, les trusts sont exemptés de toute charge fiscale; aux Îles Caïmans, les sociétés exemptées voient leurs revenus apparaître en franchise d’impôt, tandis qu’au Luxembourg, en plein cœur de l’Europe, les actifs détenus par une «société de participation financière» ne sont pas imposés.
  2. Un système de lois aberrant – Les paradis fiscaux se sont dotés de systèmes de lois complaisants ou dérisoires, sciemment destinés à neutraliser le droit en vigueur ailleurs dans le monde. Dans une législation complaisante, le droit se fait ultra-permissif auprès des privilégiés qui ont le pouvoir d’y accéder, plutôt que de s’imposer à eux tel un régime de contraintes. Pour le dire autrement, les seules contraintes qu’on y observe portent sur des initiatives qui pourraient mettre à mal le régime d’impunité et d’anonymat mis en place. La loi votée dans les législations de complaisance, sous l’influence des institutions financières, des entreprises multinationales et de leurs cabinets d’affaires, se présente, au sens photographique, comme le négatif de la loi telle qu’elle est en vigueur dans les États de droit. Ainsi, la «loi» du Liechtenstein en ce qui concerne la fondation de trusts dispose, selon le résumé formel qu’en fait le site d’information pro-offshore LowTax, que «l’acte notarié du trust n’a pas à contenir les noms des bénéficiaires. Déposé auprès du registraire des fiducies, il ne sera pas accessible au public, et des éléments ultérieurs (par exemple, les bénéficiaires nominaux) ne devront pas être révélés5». Aucun contrôle public ne sera alors envisageable, et la possibilité même de transmettre des informations à des pays tiers est abolie, même sur un plan technique. Au Liberia, une société peut thésauriser les opérations d’absolument toute entité créée dans le monde et y faire n’importe quoi, hormis les superficielles restrictions que prévoit le régime. La loi est écrite de telle manière que tout devienne permis; le terme any réapparaît continuellement: any business, any purpose, any nationality, any jurisdiction6… C’est la réalisation du cri de ralliement jadis généreux, «il est interdit d’interdire», mais sous un jour macabre. Au Canada, paradis réglementaire pour les entreprises extractives, la même logique s’applique. Le conseiller en responsabilité sociale des entreprises dûment nommé par le gouvernement canadien ne peut enquêter sur les allégations d’activités délictueuses ou criminelles des entreprises enregistrées au pays que si celles-ci l’y autorisent: «Le conseiller n’entreprendra pas d’examens de sa propre initiative des activités d’une entreprise extractive canadienne, ne formulera pas de recommandations contraignantes, ni de recommandations de politique publique ou législative, n’établira pas de nouvelles normes de rendement, et n’agira pas comme médiateur officiel entre les parties7», prévient le législateur. Tout comme le gouverneur de la Banque centrale des Bahamas n’a aucun pouvoir sur le secteur financier lui-même8. Les législations de complaisance retournent la loi comme un gant et rendent licite ce qui est interdit ou normalement objet de contrôle ailleurs. Experte onusienne en matière d’anti-blanchiment, Marie-Christine Dupuis-Danon écrit dans son ouvrage Finance criminelle qu’aujourd’hui ces législations complaisantes poussent «un nombre croissant d’individus et d’entreprises à ne plus se demander si un acte est répréhensible par lui-même, mais s’il existe un moyen de l’effectuer en toute légalité quelque part dans le monde9». Et ce, non seulement dans les paradis fiscaux scabreux, mais également dans de plus en plus de législations traditionnelles qui s’en inspirent.
  3. Le secret bancaire – Les législations dont il s’agit peuvent être des pays à part entière ou des entités administratives comportant certains attributs législatifs d’un État, comme les territoires britanniques d’outre-mer ou les différents États formant les États-Unis. Elles ont, à un titre ou un autre, les prérogatives de voter un certain nombre de lois, de faire valoir leur souveraineté sur leur territoire et de se laisser représenter politiquement par une assemblée législative, et ce, avec tous les symboles que cela appelle: drapeau, emblème, frontières et territoire, institutions publiques, éventuellement monnaie. Ainsi, les activités qu’y mènent officiellement, à distance depuis leurs ordinateurs, les opérateurs de Francfort, les spéculateurs de Londres, les industriels de Toronto ou les trafiquants de New York peuvent difficilement faire l’objet d’enquêtes de la part de représentants des États où ils se trouvent vraiment, dès lors qu’ils ont téléguidé des entités créées dans ces ailleurs que sont les paradis fiscaux. D’autant plus que dans ces législations, les dispositifs légaux sur le «secret bancaire» compliquent considérablement les enquêtes menées par des émissaires des États de droit. Un agent du fisc états-unien, un enquêteur de la Gendarmerie royale du Canada ou encore un juge d’instruction français éprouvera de la difficulté à savoir ce qu’il en est des activités douteuses enregistrées aux Bermudes d’un ressortissant de son pays, bien que les opérations aient été de fait commandées depuis New York, Toronto ou Paris. Les lois sur l’opacité administrative des entités, votées tant à Singapour qu’au Panama, en passant par Guernesey10, ont longtemps interdit à l’agent d’une institution financière ou judiciaire de divulguer quelque information que ce soit à un tiers, le plus souvent sous peine de sanctions pénales, comme ce fut le cas au Luxembourg pour Antoine Deltour, auteur de révélations fracassantes sur les ententes ad hoc de cet État avec des entreprises pratiquant chez lui l’évitement fiscal11. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 se sont engagés en 2015 à déployer un dispositif contraignantles multinationales à rendre disponibles automatiquement pour les autorités fiscales qui les demandent les informations comptables concernant les entités qu’elles contrôlent dans les différents pays où on les trouve. Mais cette avancée dite de l’échange automatique d’information pays par pays comporte bien des insuffisances: comme l’ont relevé plusieurs observateurs, plusieurs pays du Sud ne parviendront pas à se conformer aux modalités exigées par les institutions internationales et n’accéderont donc pas eux-mêmes aux données en jeu, quand, inversement, restent tues les informations relatives aux trusts, à la domiciliation offshore ainsi qu’aux actifs consignées dans des coffres offshore ou des zones franches12.
  4. Une absence d’activité réelle – Sauf dans de rares cas, les institutions financières, entreprises et particuliers nantis ayant recours aux paradis fiscaux n’ont pas à y mener une activité physique, tangible. Des actifs ne «sont» dans les paradis fiscaux qu’à titre formel. Une entreprise du secteur bananier peut, sur papier, vendre à une filiale qu’elle contrôle à Jersey d’importantes cargaisons de fruits sans que jamais ses navires de transport ne voguent réellement sur la Manche, de même qu’une importante multinationale de l’électronique peut très bien céder à son entité des Bermudes les droits d’utilisation de sa propre marque, qui prêtent conséquemment à une activité commerciale, sans pour autant disposer de bureaux à Hamilton, la capitale. Un cabinet d’avocats spécialisé veille sur place à générer pour elle une existence strictement juridique. Les opérations réalisées dans les paradis fiscaux se révèlent de pure forme. Les sociétés-écrans qu’on y crée sont souvent identifiées à de simples «boîtes aux lettres», comme le récent scandale des Panama Papers en a fait l’éclatante démonstration par le système de prête-nom qu’il rend possible. Ugland House, un immeuble de quatre étages occupé entre autres par le cabinet d’avocats Maples and Calder, fondé par le Britannique John Maples et le Canadien Jim Macdonald dans les années 1960, héberge aujourd’hui à lui seul 18 000 entreprises dans la capitale des Îles Caïmans, George Town13. Cette législation compte donc une entreprise internationale pour trois habitants! Au 1209 de la rue North O...

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