Les dessous de la politique de l'Oncle Sam
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Les dessous de la politique de l'Oncle Sam

Noam Chomsky

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Les dessous de la politique de l'Oncle Sam

Noam Chomsky

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La politique Ă©trangĂšre des États-Unis d'AmĂ©rique depuis la Seconde Guerre mondiale expliquĂ©e par le professeur et militant Noam Chomsky, exemples Ă  l'appui:

Au ViĂȘt-nam, les États-Unis n'ont pas perdu la guerre: ils ont laissĂ© un pays en ruine, divisĂ©, qui ne pourra jamais s'en relever. En AmĂ©rique latine, les États-Unis se sont affairĂ©s Ă  Ă©craser toute esquisse de dĂ©mocratie ne cadrant pas avec leurs intĂ©rĂȘts Ă©conomiques. L'Europe de l'Est, tombĂ©e sous le joug de l'Ouest aprĂšs la chute de l'Union soviĂ©tique, est maintenue dans un Ă©tat de sous-dĂ©veloppement.

Avec la complicité des médias, Washington manie un double langage constant auprÚs de sa population peuple afin de justifier sa politique étrangÚre.

Court, accessible et trÚs incisif, Les dessous de la politique de l'Oncle Sam est devenu un classique des relations internationales et présente un condensé des analyses géopolitiques, économiques et sociales de Noam Chomsky.

Le tiers monde doit apprendre que personne ne peut redresser la tĂȘte. Le gendarme de la planĂšte poursuivra sans relĂąche tous ceux qui commettront ce crime inqualifiabl e.
– Noam Chomsky

Certains pourraient assimiler le travail de Chomsky Ă  celui de la recherche d'un complot (les mĂ©chants AmĂ©ricains). Or Chomsky amĂšne des faits [...] pour nous rappeler que le pouvoir ne se reproduit pas sans conscience de lui-mĂȘme.
– Combats

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CHAPITRE 2

DĂ©vastations Ă  l’étranger

Notre politique de bon voisinage

À quel point les prĂ©ceptes avancĂ©s par George Kennan ont-ils Ă©tĂ© suivis? Nous sommes-nous parfaitement mis Ă  l’abri de tout souci d’«objectifs vagues et irrĂ©alistes tels que les droits de la personne, l’élĂ©vation du niveau de vie et la dĂ©mocratisation»? J’ai dĂ©jĂ  discutĂ© de notre «engagement envers la dĂ©mocratie», mais qu’en est-il des deux autres points?
Penchons-nous sur l’AmĂ©rique latine, et examinons tout d’abord la question des droits de la personne. Une Ă©tude de Lars Schoultz, l’éminent spĂ©cialiste des droits de la personne de cette partie du monde, montre que «l’aide amĂ©ricaine a eu tendance Ă  affluer dans des proportions nettement plus grandes vers les gouvernements latino-amĂ©ricains qui torturent leurs citoyens». Cela ne dĂ©pend nullement de la quantitĂ© d’aide dont un pays a rĂ©ellement besoin, mais uniquement de sa disposition Ă  servir les intĂ©rĂȘts des possĂ©dants et des privilĂ©giĂ©s.
Des Ă©tudes plus Ă©tendues rĂ©alisĂ©es par l’économiste Edward S. Herman rĂ©vĂšlent qu’il existe une corrĂ©lation Ă©troite, Ă  l’échelle mondiale, entre la torture et l’aide amĂ©ricaine, et elles en fournissent l’explication: les deux sont liĂ©es de façon indĂ©pendante Ă  l’amĂ©lioration du climat nĂ©cessaire au bon dĂ©roulement des opĂ©rations commerciales. ComparĂ©s Ă  ce principe moral de premier plan, des sujets comme la torture et les tueries se diluent dans l’insignifiance14.
Qu’en est-il de l’élĂ©vation du niveau de vie? C’est Ă  cette question que se serait attaquĂ©e, paraĂźt-il, l’Alliance pour le progrĂšs du prĂ©sident Kennedy, mais le modĂšle de dĂ©veloppement imposĂ© fut axĂ© prioritairement sur les besoins des investisseurs amĂ©ricains. Il fortifia et Ă©tendit le systĂšme dĂ©jĂ  en vigueur selon lequel les Latino-AmĂ©ricains sont forcĂ©s de produire des rĂ©coltes destinĂ©es Ă  l’exportation et de rĂ©duire les cultures de subsistance comme le maĂŻs et les haricots destinĂ©s Ă  la consommation locale. Avec les programmes de l’Alliance, par exemple, la production de bƓuf connut un accroissement, tandis que sa consommation interne diminua.
Ce modĂšle de dĂ©veloppement basĂ© sur les exportations agricoles produit habituellement un «miracle Ă©conomique15» grĂące auquel le PIB s’accroĂźt, alors que la grande majoritĂ© de la population meurt de faim. Lorsque vous adoptez une telle approche, l’opposition populaire augmente inĂ©vitablement, et vous l’éliminez ensuite par la terreur et la torture.
(L’utilisation de la terreur est profondĂ©ment ancrĂ©e dans notre caractĂšre. En 1818 dĂ©jĂ , John Quincy Adams16 louait l’«efficacitĂ© salutaire» de la terreur dans les rapports avec «les hordes bigarrĂ©es d’Indiens et de NĂšgres sans lois». Il Ă©crivait cela pour justifier les dĂ©chaĂźnements d’Andrew Jackson en Floride, qui anĂ©antirent pratiquement la population indigĂšne et assurĂšrent le contrĂŽle de la province espagnole aux AmĂ©ricains, et il impressionna beaucoup Thomas Jefferson et les autres par sa sagesse.)
La premiĂšre Ă©tape consiste Ă  utiliser les forces de police. Elles jouent un rĂŽle crucial, vu qu’elles sont capables de dĂ©tecter le mĂ©contentement trĂšs tĂŽt et de l’éliminer avant qu’il soit nĂ©cessaire de faire appel Ă  une «intervention chirurgicale majeure» (comme la nomment les documents de planification). Si ce genre d’intervention s’avĂšre indispensable, nous la confions aux militaires. Lorsque nous ne sommes plus en mesure de contrĂŽler l’armĂ©e d’un pays d’AmĂ©rique latine — spĂ©cialement dans la rĂ©gion des Antilles et de l’AmĂ©rique centrale — il est alors temps de renverser le gouvernement.
Certains pays ont tentĂ© d’inflĂ©chir le processus. Ce fut le cas du Guatemala sous les gouvernements dĂ©mocratiques capitalistes d’ArĂ©valo et d’Arbenz, et de la RĂ©publique dominicaine sous le rĂ©gime dĂ©mocratique capitaliste de Bosch. Tous ces pays devinrent la cible de l’hostilitĂ© et de la violence des États-Unis.
Pour la seconde Ă©tape, on utilise les militaires17. Les États-Unis ont toujours tentĂ© d’établir des relations avec les militaires des pays Ă©trangers, parce que c’est une des maniĂšres les plus efficaces de renverser un gouvernement dĂ©sireux d’échapper Ă  notre contrĂŽle. C’est ainsi que furent jetĂ©es les bases des coups d’État militaires au Chili, en 1973, et en IndonĂ©sie, en 1965.
Avant ces coups d’État, nous Ă©tions trĂšs hostiles Ă  l’égard des gouvernements chilien et indonĂ©sien, mais nous continuions nĂ©anmoins Ă  leur envoyer des armes. Gardez de bonnes relations avec les bons officiers et ils renverseront le gouvernement pour vous. Ce fut le mĂȘme genre de raisonnement qui, dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1980, motiva la livraison massive d’armes amĂ©ricaines Ă  l’Iran18 via IsraĂ«l, selon les dires des officiers supĂ©rieurs israĂ©liens impliquĂ©s dans l’affaire, et ce sont des faits qui Ă©taient dĂ©jĂ  bien connus en 1982, longtemps avant les prises d’otages.
Sous l’administration Kennedy, la mission des militaires latino-amĂ©ricains sous les ordres des États-Unis passa de la «dĂ©fense de l’hĂ©misphĂšre» Ă  la «sĂ©curitĂ© interne» (ce qui signifie en gros la guerre contre votre propre population). Cette dĂ©cision fatidique conduisit Ă  la «complicitĂ© directe» (des AmĂ©ricains) dans «des mĂ©thodes dignes des escadrons d’extermination de Heinrich Himmler», selon le jugement rĂ©trospectif de Charles Maechling, qui fut chargĂ© de planifier la contre-insurrection entre 1961 et 1966.
L’administration Kennedy prĂ©para la voie au coup d’État militaire au BrĂ©sil, en 1964, aidant Ă  renverser la dĂ©mocratie brĂ©silienne, qui devenait trop indĂ©pendante. Les États-Unis fournirent un soutien enthousiaste au coup d’État, tandis que ses chefs militaires installaient un rĂ©gime de sĂ©curitĂ© nationale de type nĂ©o-nazi fondĂ© sur la torture, la rĂ©pression, etc. Cela inspira une multitude d’initiatives similaires en Argentine, au Chili et partout dans l’hĂ©misphĂšre, Ă  partir du milieu des annĂ©es 1960 jusque dans les annĂ©es 1980 — une pĂ©riode extrĂȘmement sanglante.
(D’un point de vue juridique, je crois qu’il y a lĂ  des fondements trĂšs solides pour une mise en accusation de n’importe quel prĂ©sident amĂ©ricain depuis la Seconde Guerre mondiale. Les uns ont Ă©tĂ© de vĂ©ritables criminels de guerre, au sens propre du terme, et tous sans exception ont Ă©tĂ© impliquĂ©s dans des crimes graves contre l’humanitĂ©.)
Le militaire procĂšde de façon typique: il provoque d’abord un dĂ©sastre Ă©conomique, en suivant gĂ©nĂ©ralement les prescriptions des conseillers amĂ©ricains, et ensuite, il dĂ©cide de confier l’affaire Ă  des civils qui se chargeront de l’administration. Le contrĂŽle militaire ouvert n’est plus nĂ©cessaire dĂšs que de nouveaux moyens deviennent disponibles — par exemple, des contrĂŽles exercĂ©s par le biais du Fonds monĂ©taire international (FMI) (qui, comme la Banque mondiale, prĂȘte aux nations du tiers monde des fonds fournis en grande partie par les puissances industrielles).
En Ă©change de ses prĂȘts, le FMI impose la «libĂ©ralisation»: une Ă©conomie ouverte Ă  la pĂ©nĂ©tration et au contrĂŽle Ă©trangers, de sĂ©vĂšres coupes dans les services destinĂ©s Ă  l’ensemble de la population, etc. Ces mesures renforcent encore davantage le pouvoir des classes possĂ©dantes et des investisseurs Ă©trangers (ce qu’on appelle la «stabilité») et consolident les sociĂ©tĂ©s classiques Ă  deux niveaux du tiers monde — d’un cĂŽtĂ© les gens trĂšs riches (et la classe professionnelle relativement Ă  l’aise qui les sert) et de l’autre, une Ă©norme masse de gens appauvris et opprimĂ©s.
L’endettement et le chaos Ă©conomique laissĂ©s par les militaires garantissent assez bien le respect des rĂšgles imposĂ©es par le FMI — Ă  moins que des forces populaires n’essaient d’entrer dans l’arĂšne politique, auquel cas les militaires peuvent ĂȘtre forcĂ©s de rĂ©instaurer la «stabilité».
Le BrĂ©sil est un cas instructif19. Il est dotĂ© de tant de ressources naturelles qu’il devrait ĂȘtre l’un des pays les plus riches de la planĂšte, et il bĂ©nĂ©ficie Ă©galement d’un important dĂ©veloppement industriel. Mais, grĂące en grande partie au coup d’État de 1964 et au «miracle Ă©conomique» tellement encensĂ© qui s’ensuivit (pour ne rien dire de la torture, des assassinats et des autres moyens de «contrĂŽle de la population»), la situation actuelle de nombreux BrĂ©siliens se trouve probablement sur un pied d’égalitĂ© avec celle de l’Éthiopie — et beaucoup plus grave, par exemple, qu’en Europe de l’Est.
Le ministĂšre brĂ©silien de l’Éducation rapporte que plus d’un tiers du budget de l’éducation va aux repas scolaires, parce que la plupart des Ă©tudiants des Ă©coles publiques sont nourris par l’école ou ne mangent pas du tout.
Selon le magazine South (un magazine d’affaires spĂ©cialisĂ© dans le tiers monde), le BrĂ©sil a un taux de mortalitĂ© infantile plus Ă©levĂ© que celui du Sri Lanka. Un tiers de sa population vit sous le seuil de pauvretĂ© et «sept millions d’enfants abandonnĂ©s mendient, volent et reniflent de la colle dans les rues. Pour des dizaines de millions de personnes, la maison, c’est une cabane dans un bidonville [
] ou, de plus en plus frĂ©quemment, une place sous un pont».
C’est cela, le BrĂ©sil, l’un des pays les plus riches de la planĂšte sur le plan des ressources naturelles.
La situation est semblable dans toute l’AmĂ©rique latine. Rien qu’en AmĂ©rique centrale, le nombre de personnes assassinĂ©es par des forces soutenues par les AmĂ©ricains depuis la fin des annĂ©es 1970 s’élĂšve Ă  environ 200 000 et les mouvements populaires qui combattaient pour la dĂ©mocratie et des rĂ©formes sociales ont Ă©tĂ© dĂ©cimĂ©s. Ces rĂ©alisations ont valu aux États-Unis d’ĂȘtre qualifiĂ©s de «source d’inspiration pour le triomphe de la dĂ©mocratie de notre Ă©poque», pour reprendre les termes Ă©logieux du journal «libĂ©ral» New Republic. Tom Wolfe nous raconte que les annĂ©es 1980 furent «un des moments merveilleux que l’humanitĂ© a connus». Comme disait Staline, nous sommes «étourdis par le succĂšs».

La crucifixion du Salvador20

Pendant de nombreuses annĂ©es, rĂ©pression, torture et assassinats furent perpĂ©trĂ©s au Salvador par des dictateurs installĂ©s et soutenus par notre gouvernement. Ici, c’est une question qui ne suscite pas le moindre intĂ©rĂȘt. L’affaire ne fut pratiquement jamais mentionnĂ©e dans la presse. À la fin des annĂ©es 1970, cependant, le gouvernement amĂ©ricain commença Ă  s’inquiĂ©ter d’une chose ou deux.
La premiĂšre, c’était que Somoza, le dictateur du Nicaragua, perdait le contrĂŽle de la situation. Les États-Unis risquaient de perdre une base de premier plan pour leurs dĂ©ploiements de forces dans la rĂ©gion. Mais un second danger menaçait davantage. Au Salvador, pendant les annĂ©es 1970, on assista au dĂ©veloppement de ce qu’on appela des «organisations populaires» — associations, coopĂ©ratives et syndicats de paysans, groupes d’études bibliques affiliĂ©s Ă  des Églises et se transformant progressivement en groupes d’entraide, etc. Cela fit surgir la menace de la dĂ©mocratie.
En fĂ©vrier 1980, l’archevĂȘque du Salvador, Oscar Romero, envoya une lettre au prĂ©sident Carter le suppliant de ne pas envoyer d’aide militaire Ă  la junte qui dirigeait le pays. Il ajoutait qu’une telle aide serait utilisĂ©e pour «aggraver l’injustice et la rĂ©pression contre les organisations populaires» qui luttaient «pour le respect des droits humains les plus Ă©lĂ©mentaires». (Cela ne risquait pas de faire un scoop Ă  Washington, inutile de le dire.)
Quelques semaines plus tard, l’archevĂȘque Romero Ă©tait assassinĂ© alors qu’il disait la messe. Roberto d’Aubuisson, un nĂ©o-nazi, est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ© comme le responsable de cet assassinat (ainsi que d’autres atrocitĂ©s sans nombre). D’Aubuisson Ă©tait «chef Ă  vie» du Parti ARENA, qui gouverne actuellement le Salvador; des membres du parti, comme l’actuel prĂ©sident salvadorien Alfredo Cristiani, furent tenus de lui prĂȘter un serment d’allĂ©geance scellĂ© dans le sang.
Dix ans plus tard, des milliers de paysans et de pauvres des villes participĂšrent Ă  une messe commĂ©morative, de mĂȘme que de nombreux Ă©vĂȘques Ă©trangers, mais les États-Unis brillĂšrent par leur absence. L’Église salvadorienne proposa cĂ©rĂ©monieusement de faire canoniser Romero.
Tout ceci ne souleva guĂšre d’échos dans le pays qui finançait et entraĂźnait les assassins de Romero. Le New York Times, le «journal qui sert de source documentaire», n’avait pas publiĂ© d’éditorial sur l’assassinat lorsqu’il avait eu lieu ni dans les annĂ©es qui suivirent, et il ne publia ni Ă©ditorial ni communiquĂ© lors de la commĂ©moration.
Le 7 mars 1980, deux semaines avant l’assassinat, l’état de siĂšge avait Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ© au Salvador, et la guerre contre la population avait commencĂ© en force (avec un soutien et un engagement permanents de la part des AmĂ©ricains). La premiĂšre attaque de grande envergure fut un grand massacre sur le Rio Sumpul, une opĂ©ration militaire coordonnĂ©e par les armĂ©es honduriennes et salvadoriennes et au cours de laquelle 600 personnes au moins furent massacrĂ©es. Des enfants furent coupĂ©s en morceaux Ă  la machette, des femmes furent torturĂ©es et noyĂ©es. Pendant plusieurs jours aprĂšs cette tuerie, on retrouva des morceaux de cadavres dans le fleuve. Il y eut sur place des observateurs ecclĂ©siastiques, de sorte que les informations purent s’échapper tout de suite, mais les mĂ©dias amĂ©ricains qui font partie du courant dominant n’estimĂšrent pas que ces faits valaient la peine d’ĂȘtre mentionnĂ©s.
Les principales victimes de cette guerre furent des paysans, de mĂȘme que des syndicalistes, des Ă©tudiants, des prĂȘtres et tous ceux qui Ă©taient soupçonnĂ©s de travailler pour les intĂ©rĂȘts du peuple. La derniĂšre annĂ©e du mandat de Carter, en 1980, le tribut Ă  la mort atteignait environ 10 000 personnes, pour grimper jusqu’à environ 13 000 en 1981, lorsque l’administration Reagan accĂ©da au pouvoir.
En octobre 1980, le nouvel archevĂȘque condamna «la guerre d’extermination et le gĂ©nocide contre une population civile sans dĂ©fense» perpĂ©trĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ©. Deux mois plus tard, ces derniĂšres furent applaudies pour avoir «courageusement assistĂ© le peuple dans sa lutte contre la subversion» par le chouchou des États-Unis, le «modĂ©ré» JosĂ© Napoleon Duarte, qui venait d’ĂȘtre nommĂ© prĂ©sident civil de la junte.
Le rĂŽle du «modĂ©ré» Duarte fut de fournir une «feuille de vigne» aux dirigeants militaires et de leur garantir un apport continu de fonds amĂ©ricains aprĂšs que leurs forces armĂ©es eurent violĂ© et assassinĂ© quatre religieuses amĂ©ricaines. Ici, cela avait quand mĂȘme soulevĂ© quelques protestations: massacrer des Salvadoriens est une chose, mais violer et tuer des nonnes amĂ©ricaines constitue vraiment une gaffe au niveau des relations publiques. Les mĂ©dias dĂ©tournĂšrent l’histoire et en minimisĂšrent les faits, suivant l’exemple de l’administration Carter et de sa commission d’enquĂȘte.
DĂšs qu’elle fut au pouvoir, l’administration Reagan alla beaucoup plus loin, en cherchant Ă  justifier les atrocitĂ©s. Ce fut le cas notamment du secrĂ©taire d’État Alexander Haig et de l’ambassadrice aux Nations unies, Jeane Kirkpatrick. On dĂ©cida nĂ©anmoins, quelques annĂ©es plus tard, d’organiser un grand procĂšs, tout en prenant bien soin de disculper la junte assassine — et, naturellement, son bailleur de fonds.
Les journaux indĂ©pendants du Salvador, qui auraient Ă©tĂ© en mesure de rapporter ces atrocitĂ©s, avaient Ă©tĂ© dĂ©truits. MĂȘme s’ils appartenaient au courant dominant et favorisaient les affaires, ils Ă©taient encore trop indisciplinĂ©s au goĂ»t des militaires. On rĂ©solut le problĂšme en 1980-1981, lorsque le rĂ©dacteur en chef de l’un de ces journaux fut assassinĂ© par les forces de sĂ©curitĂ©; l’autre s’enfuit en exil. Comme d’habitude, ces Ă©vĂ©nements furent jugĂ©s trop anodins pour valoir plus de quelques mots dans les journaux amĂ©ricains.
En novembre 1989, six jĂ©suites, ainsi que leur cuisinier et sa fille, furent assassinĂ©s par l’armĂ©e. La mĂȘme semaine, au moins 28 autres civils salvadoriens furent Ă©galement assassinĂ©s. Parmi eux se trouvaient le chef d’un syndicat important, la dirigeante de l’organisation des Ă©tudiantes, neuf membres d’une coopĂ©rative agricole autochtone et dix Ă©tudiants d’universitĂ©.
Les mĂ©dias firent circuler un rĂ©cit du correspondant de l’Associated Press (AP), Douglas Grant Mine, rapportant comment des soldats avaient pĂ©nĂ©trĂ© dans un quartier ouvrier de San Salvador, la capitale, avaient capturĂ© six hommes, y avaient ajoutĂ© un garçon de 14 ans, pour faire bonne mesure, les avaient ensuite tous alignĂ©s contre un mur et les avaient abattus. Ils «n’étaient pas des prĂȘtres ni d...

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