Chronique d'une insurrection appréhendée, nouvelle édition
eBook - ePub

Chronique d'une insurrection appréhendée, nouvelle édition

Jeunesse et crise d'Octobre

Éric Bédard

Share book
  1. 210 pages
  2. French
  3. ePUB (mobile friendly)
  4. Available on iOS & Android
eBook - ePub

Chronique d'une insurrection appréhendée, nouvelle édition

Jeunesse et crise d'Octobre

Éric Bédard

Book details
Book preview
Table of contents
Citations

About This Book

Ce qui frappe le public et les observateurs de la scène politique durant les événements d'Octobre 1970, c'est le jeune âge des personnes arrêtées. Dans Chronique d'une insurrection appréhendée, Éric Bédard examine la place de la jeunesse dans le discours et la pensée felquiste des années 1960, mais aussi la perception qu'en avaient les autorités. Il montre qu'en octobre 1970 la jeunesse étudiante et politisée milite dans une myriade de groupuscules et qu'elle arrive difficilement à se mobiliser. La peur qu'inspire la jeunesse, deux ans après Mai 68 et quelques mois après les émeutes de la Kent University aux États-Unis, explique en partie le recours à la Loi sur les mesures de guerre. Un document inédit et longuement recherché montre que les arrestations qui suivent l'adoption dela loi d'exception ont toutes les allures d'une rafle dejeunes.Historien et professeur à l'Université TÉLUQ, Éric Bédard est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire du Québec. Depuis 2015, il anime la série Figures marquantes de notre histoire diffusée sur MAtv.

Frequently asked questions

How do I cancel my subscription?
Simply head over to the account section in settings and click on “Cancel Subscription” - it’s as simple as that. After you cancel, your membership will stay active for the remainder of the time you’ve paid for. Learn more here.
Can/how do I download books?
At the moment all of our mobile-responsive ePub books are available to download via the app. Most of our PDFs are also available to download and we're working on making the final remaining ones downloadable now. Learn more here.
What is the difference between the pricing plans?
Both plans give you full access to the library and all of Perlego’s features. The only differences are the price and subscription period: With the annual plan you’ll save around 30% compared to 12 months on the monthly plan.
What is Perlego?
We are an online textbook subscription service, where you can get access to an entire online library for less than the price of a single book per month. With over 1 million books across 1000+ topics, we’ve got you covered! Learn more here.
Do you support text-to-speech?
Look out for the read-aloud symbol on your next book to see if you can listen to it. The read-aloud tool reads text aloud for you, highlighting the text as it is being read. You can pause it, speed it up and slow it down. Learn more here.
Is Chronique d'une insurrection appréhendée, nouvelle édition an online PDF/ePUB?
Yes, you can access Chronique d'une insurrection appréhendée, nouvelle édition by Éric Bédard in PDF and/or ePUB format, as well as other popular books in History & North American History. We have over one million books available in our catalogue for you to explore.

Information

Year
2020
ISBN
9782897911966
1
Le « pouvoir étudiant » dans le Québec des années 1960
Encore aujourd’hui, malgré les éruptions du Printemps québécois de 2012 et l’engouement planétaire que suscite l’écologiste suédoise Greta Thunberg, la jeunesse des années 1960 reste une référence incontournable. Probablement parce qu’ils ont été nombreux à faire le récit de leur entrée dans la vie adulte, les baby-boomers les plus politisés ont imposé à toute la société québécoise le récit enchanté de leurs bravades et de leurs grèves tapageuses1. Pourtant, lorsqu’on compare les chiffres, les débrayages étudiants d’octobre 1968 n’arrivent pas à la cheville de ceux de 2005 ou de 20122. Et lorsqu’on cherche les transformations politiques concrètes de cette jeunesse bruyante de la fin des années 1960, celle-là même qui rêvait de « casser la baraque », on a bien du mal à trouver quelque chose d’important et de durable. En dépit des comparaisons, la jeunesse de cette « génération lyrique3 » n’a cessé d’être magnifiée et présentée comme un moment phare de la contestation moderne. Le problème, c’est que cette fable d’un surgissement de la jeunesse, d’une rupture brutale avec un temps où les étudiants suivaient docilement les voies tracées par leurs parents et se conformaient aux valeurs des élites, a aussi été relayée par la littérature savante, comme l’a bien montré Louise Bienvenue4. La recherche récente sur la jeunesse et le mouvement étudiant tend à montrer que cette lecture des choses est largement exagérée, même si – il ne s’agit pas non plus de le nier – quelque chose comme un « pouvoir étudiant » prend forme durant les années 1960, au Québec comme ailleurs en Occident.
La jeunesse comme catégorie sociale émerge graduellement, au même rythme que se déploie la modernité. Pour reprendre les concepts de François Hartog, si le « régime d’historicité » des sociétés traditionnelles était tourné vers un passé à imiter et à répéter, celui des sociétés modernes est tourné vers un avenir à accomplir, fût-ce en s’inspirant d’un lointain passé5. Les aînés des sociétés traditionnelles étaient porteurs de sagesse ; les jeunes des sociétés modernes, porteurs de promesses. Dans le premier cas, le présent est conspué parce qu’il n’est pas à la hauteur du passé, alors que, dans le second, il ne correspond pas aux attentes investies dans un avenir qu’on espère radieux. Les aînés étaient une inspiration, ils sont devenus un frein au progrès. De sorte que les chocs de générations sont consubstantiels à la modernité. Et plus la modernité se radicalise, plus les aînés sont priés de débarrasser la scène de l’histoire au plus vite. « Ok boomer », lisait-on en 2019 sur les réseaux sociaux !
Déjà, dans le Canada français des années 1840, on a vu poindre une tension générationnelle. Durant cette décennie de transition, des jeunes créent l’Institut canadien, s’investissent en politique et publient leurs premiers poèmes et romans. L’échec des patriotes, la rareté des terres en zone seigneuriale, l’encombrement des professions libérales, le début de l’exode vers les États-Unis font partie des griefs que la jeune génération adresse aux plus vieux. Écrivain du dimanche, député puis surintendant de l’instruction publique, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau est l’un des chefs de file de cette génération nouvelle. Dans Charles Guérin, il fait dire au frère de son héros : « Lémigration forcée, l’oisiveté forcée, la démoralisation forcée, voilà tout ce qu’on offre à notre brillante jeunesse, dont on s’efforce de cultiver et d’orner l’intelligence pour un pareil avenir ; de même […] que chez les anciens on engraissait et l’on parait les victimes pour le sacrifice6. » L’éveil des jeunes générations à leur condition particulière participe autant d’une anxiété matérielle que d’une volonté sincère de contribuer au redressement de leur patrie. Les jeunesses espèrent mettre fin aux injustices en même temps que raviver des ardeurs collectives. Au tournant du XXe siècle, le jeune Lionel Groulx a le sentiment que son pays est gangrené par divers maux. « Le mal est profond, écrit-il dans son journal ; il est à la racine de l’arbre. Si le tronc est déjà trop vermoulu pour espérer sérieusement d’y infuser une sève nouvelle et capable d’enrayer cette destruction imminente, une nécessité qui s’impose du moins c’est de surveiller les pousses nouvelles qui apparaissent sur cette ruine7. » Cette métaphore organique allait inspirer ses nombreux engagements en faveur de la jeunesse8. Avec plusieurs autres, Groulx fut l’un des fondateurs de l’Action catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC), une association résolument nationaliste qui allait regrouper, à côté d’associations étudiantes fondées à la même époque, les jeunes les plus politisés de leur temps.
Selon les spécialistes, c’est vraiment durant les années 1930 que la jeunesse devient une force politique organisée et écoutée. S’il en est ainsi, expliquent les historiennes Louise Bienvenue et Karine Hébert, c’est que la crise économique qui sévit alors au Québec et dans l’ensemble de l’Occident est telle que la jeunesse se sent investie d’une mission sacrée. Face au chômage qui afflige tant de familles, aux « trusts » qui tirent les ficelles de léconomie, aux politiciens démunis et déboussolés, bien des jeunes ont le sentiment d’appartenir à une « génération sacrifiée » à qui incombent de lourdes responsabilités9. Parmi ces jeunes des années 1930, les débats sont riches, les conflits d’idées féconds, les propositions programmatiques nombreuses. Pour les uns, inspirés par le personnalisme chrétien, la crise est surtout sociale et spirituelle. Ceux-là s’investissent dans la revue La Relève ou militent dans l’action catholique spécialisée (étudiante, ouvrière ou agricole). Leur fameux « Voir – Juger – Agir », méthode d’apostolat et devise philosophique, les amène à penser les questions sociales autrement et à envisager des réformes politiques concrètes pour réduire les injustices. D’autres, très influencés par le magistère intellectuel de Lionel Groulx, rêvent d’une nation régénérée, plus autonome et libre, quand ce n’est pas carrément indépendante. Dans cette mouvance, les Jeune-Canada publient en 1932 le « Manifeste à la jeune génération », d’autres se regroupent autour de la revue La Nation et espèrent la venue d’un grand chef national qui rétablirait l’ordre. Le discours des étudiants de McGill et de l’Université de Montréal prend également un tour nouveau. Jusque-là, les leaders étudiants s’identifiaient davantage à leur établissement et à l’élite qu’à leur génération ou au peuple. Mais la Crise et la menace d’une nouvelle guerre changent complètement la donne. « Chômeurs ou chair à canon : tel sera notre lot », écrit Gérard Filion dans le Quartier latin du 15 février 1934 – le journal des étudiants de l’Université de Montréal. Durant ces années de grands bouleversements sociaux et politiques, les étudiants universitaires en viennent à s’identifier davantage aux plus humbles, affligés par le chômage et les privations, qu’aux mieux nantis, protégés par leur rang et leurs réseaux familiaux. Plusieurs craignent qu’une fois leur diplôme en poche leur situation ne soit guère plus reluisante que celle des classes laborieuses qui peinent à joindre les deux bouts. Cette identification des étudiants à la population active et vulnérable entraîne évidemment une prise de conscience des enje...

Table of contents