Julius Grey
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Entretiens

Geneviève Nootens

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  1. 146 pages
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Julius Grey

Entretiens

Geneviève Nootens

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Julius Grey a été partie prenante de tous les grands débats qui ont animé la société québécoise au cours des cinquante dernières années. Si c'est certainement pour son engagement dans les causes sur la loi 101 et sur le kirpan qu'il est le plus connu, il est tout aussi fascinant de l'entendre se prononcer sur l'accessibilité à la justice, le rôle de la famille et le danger que représente le conformisme social.Ces entretiens avec Geneviève Nootens invitent les lecteurs à suivre le parcours personnel et intellectuel de Julius Grey. Il y évoque son enfance en Pologne, sa découverte de la société canadienne et montréalaise à l'aube de la Révolution tranquille jusqu'à ce qu'il appelle lui-même son « virage québécois », qui l'a amené à considérer d'un œil nouveau l'affirmation nationale des francophones. Il réfléchit également aux questions de liberté de conscience et de religion, de liberté d'expression, de liberté d'association (ou de non-association), tout en réaffirmant son opposition à la dictature de la majorité sous toutes ses formes.

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Information

Year
2014
ISBN
9782764643334

Chapitre 1
APPARTENANCES,
ACCOMMODEMENTS ET INTÉGRATION
Vous prenez vos distances par rapport au modèle du multiculturalisme, notamment parce que selon vous, il pourrait conduire à une certaine ghettoïsation.
Oui, mais il y a un autre élément, qu’on pourrait peut-être appeler l’élément « snob ». Je pense que dans le multiculturalisme, c’est certain qu’on va privilégier les aspects folkloriques de la culture. Toutes les communautés vont vouloir leurs petites institutions séparées, et le gouvernement va finir par couper l’opéra, le théâtre, l’orchestre symphonique, le musée des beaux-arts qui appartiennent à tout le monde pour permettre cet épanouissement des différentes cultures. Mais finalement, la chose la plus dangereuse à mon avis, c’est que le multiculturalisme à long terme mène à un conflit. Tant et aussi longtemps que ces loyautés distinctes existeront, elles auront toujours potentiellement pour effet de diviser la société. Peut-être viendra-t-il un moment où il y aura un choix économique déchirant à faire, un moment où, par exemple, la concurrence provenant de Chine sera vraiment difficile pour la majorité et la minorité chinoise en Colombie-Britannique en souffrira comme la minorité japonaise a souffert. Ou bien arrivera-t-il un temps où certains voudront envoyer nos jeunes hommes mourir pour Israël, ce qui pourrait aussi diviser la société.
Quelle était pour vous la question fondamentale dans l’affaire Multani ?
Mon objectif dans l’affaire Multani, c’était que l’enfant fréquente l’école publique parce que je comprenais – en observant les autres communautés établies – que si on disait non, il y aurait un réseau d’écoles privées pour le permettre. Je pense que ça, c’est complètement contraire tant à l’intérêt de ces enfants-là qu’à celui de la société. Pour moi, Multani, c’était l’idée que les écoles, les hôpitaux et les tribunaux devraient être communs. Alors, portez ce que vous voulez à l’un ou l’autre endroit, mangez ce que vous voulez, mais venez. C’est la même chose que mon argument contre la loi de la charia en Ontario. Et je dis souvent que les communautés ne comprennent pas toujours quel est leur véritable intérêt. C’est dans l’intérêt des communautés de ne pas avoir l’accommodement, c’est comme ça qu’elles vont avoir des institutions séparées. Quand la communauté demande l’accommodement, c’est une façon de se couper de la majorité. Au contraire, par exemple, l’assimilation procède d’une façon très rapide quand les enfants fréquentent les mêmes écoles.
Pour les musulmans, il y a quelques écoles séparées, mais pas beaucoup. Par contre les juifs, qui allaient presque tous à l’école publique dans les années 1950 et 1960, se sont retranchés derrière les murs du ghetto. Maintenant, ils fréquentent l’école privée et le résultat est lamentable. Dans les années 1950 et 1960, ils fréquentaient l’école publique anglaise, mais à cette époque-là, c’était vrai pour tous les immigrants. Même les immigrants catholiques allaient à l’école anglaise. Il y avait des écoles comme St. Kevin qui étaient des écoles catholiques où les Polonais, les Italiens, les Irlandais, les Tchèques envoyaient leurs enfants.
En fait, le phénomène des écoles privées est lié en grande partie à une réalité qui n’a rien à voir avec l’ethnicité, mais avec la déchéance des écoles publiques et l’idée que la communauté peut créer des écoles qui ne sont pas beaucoup plus chères et qui sont quand même de meilleure qualité. C’est lié à la fois à cela et à la volonté de se replier. C’est difficile de tracer la frontière de façon exacte, les motifs sont parfois mélangés. Mais avec l’affaire Multani, la question essentielle pour moi était celle de l’école publique. Comme dans le cas Amselem1, où l’essentiel était qu’ils vivent là et non pas dans une rue où il n’y a que des juifs hassidiques. Qu’ils restent là, à l’intérieur du Sanctuaire [du Mont-Royal], tant pour les autres résidents du Sanctuaire que pour eux, mêlons-les. C’était bien pour tout le monde. Alors, permettons tout ce qu’ils veulent pour qu’ils restent là.
Mais il y avait un autre aspect de l’affaire Multani qui n’a pas eu beaucoup de publicité, sur lequel j’ai mis l’accent dans le mémoire et surtout dans l’argument oral. Les écoles et le gouvernement du Québec criaient que le couteau est un très mauvais exemple pour les jeunes. Il ne faut pas privilégier la violence comme symbole. Et moi, j’ai insisté sur le fait que le symbole de la résistance, même armée, au mal – puisque c’est tout ce que c’était, au XVIIe siècle, les sikhs étaient persécutés et quelques gourous ont même été torturés à mort par les empereurs moghols –, la résistance à cela est vraiment un bon exemple pour les enfants. Et j’ai dit à la Cour suprême – j’ai provoqué des sourires – si vous dites qu’il ne faut pas montrer une arme à nos enfants parce que la résistance au mal est une mauvaise chose, qu’il faut toujours respecter les lois, si nous étions aujourd’hui non pas à Ottawa en 2005, mais à Paris en 1943, est-ce que la résistance au mal ne serait pas une bonne chose à apprendre aux enfants ? Et deuxièmement, j’ai cité le Ô Canada, qui dit « ton bras sait porter l’épée », et La Marseillaise, avec son « Aux armes, citoyens ! ». Si tous les Français chantent « Aux armes, citoyens ! », c’est sûrement parce que ce n’est pas une mauvaise chose ! En fait, je m’élevais contre la rectitude politique, contre cette idée édulcorée dans notre société. Elle est très étouffante et parfois violente dans sa façon de museler l’opposition. Mais quand quelqu’un dit « je vais résister », c’est la pire chose au monde. Je voulais mettre fin à cela. Le symbole d’une épée n’est pas nécessairement mauvais.
Est-ce que la Cour suprême a invoqué cet argument dans les motifs de sa décision ?
Les juges ont mentionné cela, mais ils se sont concentrés, bien sûr, sur l’erreur de la Cour d’appel, qui était d’avoir identifié le couteau au danger, d’avoir dit qu’il était un danger en soi. Je pense que la Cour suprême a été un peu plus équilibrée. Après tout, le danger est une chose qui est statistiquement prouvable et il n’y a pas eu un seul cas où le kirpan a posé un risque. D’ailleurs, il est difficile de comprendre, et c’est ça que je n’ai toujours pas digéré, pourquoi le kirpan a suscité un tel tollé. L’affaire Amselem n’a pas eu cet effet négatif dans la société. Les gens riaient, les gens se moquaient, mais personne n’a réagi de façon violente. Mais ce kirpan-là n’a pas été digéré par les Québécois et je ne comprends pas pourquoi.
La décision sur le kirpan a en effet été mal reçue. On a même parlé du « terrorisme » de la Charte, associé cela au multiculturalisme canadien et laissé entendre que cela signifiait qu’on tolérerait n’importe quoi.
Dans le passé, quand je suis arrivé ici, le Québec était complètement isolé et n’était pas intéressé à nous connaître. On nous a tout de suite dit, à nous les immigrants, qu’on devait aller à l’école anglaise. Mes parents auraient préféré l’école française, car ils parlaient déjà français, mais ce n’était pas possible. Et les premières années, on n’avait aucun contact, sauf peut-être à l’école de musique Vincent-d’Indy et dans la rue. Mais autrement, absolument pas. Même à Sainte-Agathe, où j’ai passé quelques étés quand j’étais jeune, nous étions deux groupes d’enfants qui étaient assis à la plage et nous ne nous parlions pas. Quand le Québec a réalisé le danger de cette position sur le plan démographique, les choses ont changé. Mais ça prend du temps pour changer la mentalité. Les gens sont impatients, alors ce qu’ils ont exigé, c’est que les immigrants deviennent exactement comme eux. Par exemple, dans les années 1960, quand j’ai appris à parler français, j’avais beaucoup de difficulté parce qu’on me répondait en anglais dès le moment où on réalisait que j’avais un accent. Des gens qui parlaient un anglais exécrable, qui ne pouvaient même pas s’exprimer ou expliquer ce qu’ils voulaient, me répondaient en anglais. Certains nationalistes ont dit que c’était l’instinct de celui qui devait servir, qui devait s’incliner. Mais parfois, je pense que c’était le contraire. C’était comme les hommes d’affaires japonais quand ils viennent négocier : ils ne sont pas contents quand quelqu’un a appris le japonais parce que ça les empêche d’échanger entre eux. Ils étaient surpris et pas nécessairement heureux que les immigrants parlent français. Alors, ils ont dit : « Oui pour parler français, mais exactement comme nous. À partir du moment où on ne pourra plus te reconnaître de quelque façon que ce soit, ça ira, mais pas avant. »
Le kirpan et ces choses-là, c’était aussi, au fond, l’idée que ces gens-là – les immigrants – viennent ici et ne veulent pas se conformer. C’est Hérouxville, avec la notion de ce qu’est un vrai Québécois. Qu’est-ce qu’un vrai Québécois fait ? Un vrai Québécois est catholique. Mais ils ne disent plus ça, aujourd’hui. Maintenant ils disent : « Les Québécois croient en l’égalité des hommes et des femmes. » Les sikhs croient aussi en cela. Pas toujours dans la pratique, mais c’est aussi le cas ici. Les sikhs ne battent pas les femmes. Je crois que certains Québécois pensent qu’il y a des endroits où il est prescrit pour les musulmans de battre sa femme, que c’est une loi inexorable. Mais c’est manifestement faux. Il y avait aussi des choses qui étaient très drôles, très comiques, dans la réaction d’Hérouxville. Les gens insistaient pour dire : « Ici, on ne fait pas telle ou telle chose. » Mais ils oubliaient que, cinquante ans plus tôt, ils auraient déclaré : « Le Québec est catholique et le principe fondamental est la puissance paternelle, le mari. » On disait ça, je m’en souviens. Même quand j’étais à la faculté de droit, on parlait du fait que notre système québécois ne s’adapterait pas facilement à la nouvelle égalité entre hommes et femmes parce que nous avions cette grande tradition de pouvoir paternel. Rappelez-vous que ce n’est qu’en 1964 qu’on a adopté la loi permettant aux femmes de signer un contrat. C’est d’ailleurs ma belle-mère, Marie-Claire Kirkland-Casgrain, qui l’a parrainée quand elle était ministre. Quand elle est devenue députée, elle ne pouvait pas signer un bail à Québec sans avoir la signature de mon beau-père parce qu’elle n’était pas considérée comme responsable. Députée oui, mais responsable non ! En 1971, on a statué sur les régimes matrimoniaux et on a aussi abrogé l’article 127 du Code civil, qui empêchait le mariage entre gens de différentes religions. Par la suite, on a créé le patrimoine familial, dans les années 1980. Notre modernité est donc assez récente.
Donc, les gens qui ont interprété la défense de causes comme celle du jeune Multani à une défense du multiculturalisme canadien sont dans l’erreur ? Pourquoi alors, en 1991, avoir parlé de l’absence de projet de société chez les souverainistes québécois en soulignant qu’au Canada, il y en avait un ?
Je suis le moins multiculturel de tous. La littérature, c’est la grande littérature comme Shakespeare ou Zola, cela n’a rien de folklorique. Ma défense de la cause du jeune Multani a été mal comprise. Par les sikhs aussi, d’ailleurs, qui pensaient que c’était la défense de leur droit à la différence. C’était effectivement la défense du droit de chacun à la différence, mais pas du groupe. D’ailleurs, dans toutes mes causes concernant la religion, j’insiste sur la liberté de religion ou de conscience et je dis toujours que, pour moi, la question essentielle, c’est la liberté de conscience plus que la liberté de religion. Ce qui me fait vibrer, ce n’est pas la religion, c’est la liberté de conscience, le droit de l’individu de dire non.
En 1991, j’exprimais mal la différence que je voyais entre les souverainistes et le Canada sur le projet de société et c’était avant mon « virage québécois », qui est arrivé en 1992-1993, durant la période où j’ai publié quelques articles avec Josée Legault. J’ai reconnu que certaines des choses que j’avais dites à l’endroit du Québec étaient trop dures, que je n’avais pas raison sur quelques points. Ce que je voulais dire en 1991 en parlant du Canada et de son projet de société, c’était que si le Canada anglais prétend défendre le multiculturalisme – vous êtes tous libres de croire ce que vous voulez, de garder votre culture et tout ça –, il n’en assimile pas moins les gens. Une génération après l’immigration, il n’y a plus de signe. Au Québec, les gens ne s’assimilent pas, en partie parce que la majorité n’a pas ce poids d’assimilation et en partie parce qu’un grand nombre de personnes au sein des minorités ne maîtrisent pas vraiment la langue. Mes amis de l’école secondaire qui sont au Québec parlent très mal le français. La conséquence, c’est que le Québec croit dans l’intégration, mais n’intègre pas. Le Québec crée un multiculturalisme sans le vouloir, alors que le Canada anglais crée une nation sans le vouloir.
Il faut intégrer. Il faut éviter des projets comme celui d’écoles séparées pour les Noirs à Toronto. On constate la même tendance malheureuse avec les autochtones. Évidemment, il serait complètement injuste de leur dire : « Maintenant, vous êtes des citoyens comme les autres, allez dans les villes. » Ce sera...

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