Si lâon se rĂ©fĂšre Ă une cĂ©lĂšbre encyclopĂ©die disponible sur Internet, la permaculture est « une mĂ©thode systĂ©mique et globale qui vise Ă concevoir des systĂšmes [...] en sâinspirant de lâĂ©cologie naturelle (biomimĂ©tisme) et de la tradition. Elle nâest pas une mĂ©thode figĂ©e, mais un âmode dâactionâ qui devra prendre en considĂ©ration la biodiversitĂ© de chaque Ă©cosystĂšme. Elle ambitionne une production agricole durable, trĂšs Ă©conome en Ă©nergie (autant en ce qui concerne le carburant que le travail manuel et mĂ©canique) et respectueuse des ĂȘtres vivants et de leurs relations rĂ©ciproques, tout en laissant Ă la nature âsauvageâ le plus de place possible. »1
La dĂ©finition proposĂ©e par cette encyclopĂ©die est correcte. La permaculture, câest ça ! Mais câest bien plus encoreâŠ
UNÂ CONCEPT MADEÂ INÂ AUSTRALIA
Nous sommes dans le courant des annĂ©es 1970. Bien loin des rives de la Seine, du bocage normand ou des plantations de chĂȘnes truffiers du PĂ©rigord. Bien loin des vignobles du Bordelais ou des oliveraies des bords de MĂ©diterranĂ©e. Bien loin de la France et de lâEurope. Nous sommes aux antipodes de nos contrĂ©es. Nous sommes en Australie.
Deux environnementalistes, David Holmgren et Bill Mollison, font un constat effrayant : les mĂ©thodes agro-industrielles de plus en plus utilisĂ©es partout dans le monde sont aussi dangereuses que contre-productives. Elles empoisonnent les sols, les vĂ©gĂ©taux, les animaux et les hommes. Elles dĂ©truisent lâindispensable biodiversitĂ©. Elles Ă©rodent des millions de tonnes de terre qui, jusquâalors, Ă©taient pourtant fertiles. Et, en plus, leurs rendements restent trĂšs moyens, voire mĂ©diocres, et sâavĂšrent insuffisants pour nourrir la population mondiale.
Ils jettent donc les bases dâune nouvelle technique culturale respectueuse des vĂ©gĂ©taux, des sols, de lâair que lâon respire, de lâeau, du monde animal et⊠des hommes. Ils crĂ©ent un concept 100 % Ă©thique et dâune rĂ©elle efficacitĂ©, capable dâĂȘtre employĂ© de maniĂšre trĂšs concrĂšte afin de crĂ©er des systĂšmes agricoles stables. Leur concept repose sur une agriculture durable faite de cultures multiples judicieusement associĂ©es, en parfaite synergie avec le monde animal et lâhomme.
LESÂ TROIS BASES ĂTHIQUES DEÂ LAÂ PERMACULTURE
La permaculture est un concept qui se veut avant tout fondamentalement Ă©thique. Par opposition, notamment, aux techniques nocives utilisĂ©es par lâagriculture industrielle et par le secteur agroalimentaire.
Les valeurs fondamentales de la permaculture reposent sur trois solides piliers fondateurs :
> respecter et prendre soin de la nature nourriciĂšre au sens large du terme (les sols, lâair, lâeau, les bois et forĂȘtsâŠ),
> respecter et prendre soin de lâĂȘtre humain (Ă titre individuel et collectif, dans le prĂ©sent et pour les gĂ©nĂ©rations futures),
> parvenir à créer une véritable abondance et redistribuer équitablement les surplus de production.
Leur rĂ©ponse saine et durable aux mĂ©faits de lâagriculture industrielle prend le nom de « Permanent Culture ». Autrement dit, en français, « agriculture permanente ». Assez vite cependant, lâappellation anglophone est raccourcie et se transforme en « permaculture » : un terme quâils utilisent pour la premiĂšre fois dans leur ouvrage de rĂ©fĂ©rence, Permaculture One, paru en 1978.
Sâils ont largement contribuĂ© Ă diffuser le concept et le mot, ce dernier nâest pourtant pas une vĂ©ritable nouveautĂ©. Il a dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©, de maniĂšre plus discrĂšte il est vrai, au dĂ©but du XXe siĂšcle, en 1910, par lâagronome amĂ©ricain Cyril Hopkins dans son livre Soil Fertility and Permanent Agriculture.
DEÂ LâAGRICULTURE PERMANENTE ĂÂ LAÂ CULTURE DEÂ LAÂ PERMANENCE
Tout cela Ă©tant prĂ©cisĂ©, encore faut-il souligner le fait que la signification mĂȘme du terme « permaculture » a vite Ă©voluĂ© et sâest rapidement Ă©largie. Lâagriculture permanente a peu Ă peu cĂ©dĂ© la place Ă la « culture de la permanence ». En effet, les deux environnementalistes australiens, comme dâailleurs tous ceux qui leur ont emboĂźtĂ© le pas, se sont rendu compte que cette fameuse permaculture ne sâattache pas seulement au jardinage et Ă lâagriculture, mais touche aussi diffĂ©rentes facettes de la vie quotidienne qui, toutes ensemble, font partie intĂ©grante dâun systĂšme global durable.
Sâil repose souvent sur du simple bon sens et sur la notion Ă©lĂ©mentaire de respect (respect de la nature, respect des animaux, respect des hommes), le concept de la permaculture se veut innovant dans le sens oĂč il apprĂ©cie lâefficacitĂ© et la productivitĂ© des Ă©cosystĂšmes naturels via une observation rigoureuse. Une innovation qui ne manque pas dâintriguer et de sĂ©duire : aujourdâhui, on compte plusieurs centaines de milliers dâexploitants agricoles diplĂŽmĂ©s en permaculture Ă travers le monde.
Autre innovation : la permaculture sâattache aussi Ă la notion de design, ce qui lâoppose Ă©galement aux techniques brutales et destructrices de lâagriculture conventionnelle industrielle. Cette notion de design repose notamment sur lâobservation de systĂšmes naturels existants et performants afin de planifier au mieux lâintĂ©gration de lâĂȘtre humain au cĆur des Ă©cosystĂšmes oĂč il sâimplante et sâimpose.
LESÂ DEUX GRANDES MOUVANCES DEÂ LAÂ PERMACULTURE
Les puristes, menĂ©s entre autres par le britannique Patrick Whitefield, formateur en permaculture, estiment quâil existe deux grandes mouvances au sein de la permaculture : la permaculture dite originelle et la permaculture du design.
La premiĂšre, Ă©galement connue sous le nom dâ« agriculture permanente », regroupe la conception et la gestion de systĂšmes agricoles productifs qui possĂšdent diffĂ©rentes caractĂ©ristiques liĂ©es Ă la stabilitĂ©, la diversitĂ© ou la rĂ©sistance des Ă©cosystĂšmes naturels. Cette permaculture originelle sâattache Ă lâintĂ©gration la plus harmonieuse possible de lâhomme au sein de son environnement de maniĂšre Ă ce quâil puisse en retirer de maniĂšre durable tout ce qui lui est nĂ©cessaire en matiĂšre de nourriture, dâhabitatâŠ
La seconde, aussi connue sous lâappellation de « design des systĂšmes naturels », sâintĂ©resse aux diverses connexions au sein dâun Ă©cosystĂšme et Ă son fonctionnement. Elle en tire toute une sĂ©rie de principes (dits « principes Ă©nergĂ©tiques ») applicables aux systĂšmes mis en place par lâhomme : lâagriculture, les transportsâŠ
DESIGN, VOUS AVEZ DITÂ DESIGNÂ ?
Sans lâombre dâune hĂ©sitation, on peut affirmer que la notion de « design » reste au cĆur de lâesprit de la permaculture. Encore faut-il bien sâentendre sur cette notion. En permaculture, le terme « design » sâattache Ă la conception, Ă la crĂ©ation et Ă lâamĂ©nagement dâun systĂšme dans son fond et dans sa forme.
Ce que lâon appelle gĂ©nĂ©ralement le « design permaculturel » est donc une mĂ©thode qui permet tout Ă la fois :
dâapprĂ©hender un systĂšme (ou un problĂšme) dans sa globalitĂ©,
dâobserver les interconnexions entre toutes les parties dâun systĂšme,
de veiller Ă rĂ©parer les dĂ©faillances Ă©ventuelles dâun systĂšme qui est en fonctionnement,
dâintĂ©grer, en apprenant des systĂšmes naturels en fonctionnement, de la maniĂšre la plus harmonieuse possible lâhomme Ă lâĂ©cosystĂšme quâil a dĂ©tĂ©riorĂ© (ou carrĂ©ment dĂ©truit) par des pratiques urbanistiques, industrielles ou agricoles violentes et destructrices.
Les permaculteurs tendent Ă appliquer ce mode de pensĂ©e et de fonctionnement Ă tout ce qui est nĂ©cessaire Ă la construction dâun avenir durable.
DUÂ JARDINAGE, OUI, MAISÂ PASÂ NâIMPORTE COMMENTÂ !
Comme on lâa vu, la permaculture prise dans sa globalitĂ© va au-delĂ du jardinage et de ses prĂ©occupations essentielles. Elle sâintĂ©resse Ă tout ce qui nous intĂ©resse. Elle touche Ă tout ce qui nous touche. Elle se prĂ©occupe de tout ce qui nous prĂ©occupe⊠ou, en tout cas, devrait nous prĂ©occuper : les façons de mieux se nourrir (tant sur le plan qualitatif que gustatif), la problĂ©matique des transports, la prĂ©servation des ressources⊠jusquâĂ la maniĂšre de nous habiller. Ou la façon de nous soigner de maniĂšre efficace et plus sainement que par les mĂ©dications chimiques. Mais dans le cadre de cet ouvrage, câest sa facette la plus populaire (et incontestablement lâune des plus spectaculaires) qui sera surtout mise en avant et traitĂ©e en priorité : la conduite durable et responsable du jardin.
Exploiter son jardin en permaculture consiste Ă adopter des habitudes et des techniques de jardinage durables, peu Ă©nergivores, mais vraiment productives. En utilisant au mieux les ressources offertes par le milieu naturel, en minimisant les efforts physiques ainsi que les investissements financiers, lâobjectif est dâarriver Ă crĂ©er et conserver un milieu privilĂ©giĂ©, optimisĂ©, au sein duquel le jardin sâ« auto-entretient » tout en prĂ©servant sa prĂ©cieuse fertilitĂ©.
Ă chaque problĂšme, Ă chaque situation (la prĂ©paration des sols, la gestion des besoins en eau, la maĂźtrise des indĂ©sirables et celle des ravageurs, le suivi des culturesâŠ), le permaculteur apporte une rĂ©ponse Ă©cologique et naturelle. Une rĂ©ponse efficace qui vise une maximisation qualitative et quantitative de la production.
En schĂ©matisant quelque peu, on peut affirmer que la plupart des techniques et des mĂ©thodes utilisĂ©es en permaculture relĂšvent tout simplement du bon sens le plus Ă©lĂ©mentaire. On parle de recyclage via le compostage. On Ă©voque la non-utilisation des produits et traitements toxico-chimiques. On mentionne des Ă©conomies Ă©nergĂ©tiques et une diminution des besoins en eau. On insiste sur la volontĂ© de lutter contre toute forme de gaspillage. On souligne lâimportance dâassurer une rĂ©elle diversification des mises en culture⊠Bref, il sâagit de valoriser et dâutiliser de la maniĂšre la plus efficace ce que lâon a sous la main. Le tout pour aboutir Ă un jardin ouvert, accueillant, sain et productif.
Pour y arriver, le permaculteur malin puise son inspiration auprÚs de celle qui reste sa véritable muse. Son meilleur exemple. Dame Nature !
Elle lui sert de maĂźtre Ă penser et Ă agir. Il tente de la comprendre. Il tient Ă sâen inspirer. Il veut la respecter. Il cherche Ă lâimiter. Il y puise aussi sa force, une force qui lui permet de multiplier les possibilitĂ©s de son jardin tout en minimisant son travail et ses efforts.
Le rĂ©sultat de tout cela ? Contrairement Ă ce qui se passe avec les jardiniers qui dĂ©truisent leur environnement, appauvrissent leur terre, exterminent les animaux qui sont souvent de prĂ©cieux auxiliaires et empoisonnent leur productions (potagĂšres notamment) Ă grand coups dâengrais, de pesticides et dâautres douteux traitements chimiques, le permaculteur transforme sa parcelle en un lieu productif. Un lieu durable. Et, avant tout peut-ĂȘtre, un lieu plein de vie.