Chapitre 1
Attention dangers
Les ravages du surtravail
Témoignage
L’annonce de la mort brutale de son collègue de travail suite à une rupture d’anévrisme a provoqué un électrochoc chez Frédéric.
« Ingénieur projets » comme lui, les mêmes horaires que lui, le même stress que lui... sera-t-il le prochain sur la liste ?
Frédéric est prostré et repasse le film de sa vie.
Rythme de travail hebdomadaire : 90 heures... Comme son collègue !
Frédéric s’occupe en effet de plusieurs projets d’ingénierie en même temps.
Certains projets se déroulent à 10 000 km de son lieu de travail, à plusieurs fuseaux horaires d’écart.
La vie de Frédéric s’est progressivement organisée autour d’une longue journée de 11 heures au bureau, prolongée par 3 heures de travail en visioconférence avec une de ses équipes expatriées.
Il se couche exténué et se réveille souvent vers 4 heures du matin. Il peut ainsi traiter des mails en retard avant d’aller travailler...
Cela fait souvent 16 heures de travail journalier avec une dizaine d’heures le week-end pour rester à jour.
Il travaille dans cette entreprise depuis 6 ans. Il en est fier car elle est leader dans un secteur de pointe. Ses projets sont passionnants et les équipes qu’il manage sont motivées.
Depuis deux ans, sa hiérarchie lui confie régulièrement de nouveaux projets, tous aussi passionnants les uns que les autres. La pression et le stress augmentent régulièrement. Les horaires de travail aussi.
90 heures de travail par semaine... Comme son collègue !
Il ne sait pas dire non à son supérieur hiérarchique quand il lui explique que ses compétences vont être déterminantes dans tel ou tel nouveau projet. Pourquoi accepte-il ?
Tout d’abord, il est le seul ingénieur projet à ne pas avoir le titre d’ingénieur. Ce complexe d’infériorité l’amène à constamment devoir « faire ses preuves ». Il accepte donc tout naturellement de nouveaux projets.
Par ailleurs, ses origines populaires, son éducation, basée sur des valeurs morales très fortes, la rigueur, l’idée du devoir à accomplir, le confortent dans cette acceptation.
Les semaines succèdent aux semaines, les congés ne sont plus pris. Il cumule toutes les fonctions, tant il a peur d’échouer. Il ne se rend pas compte que d’un côté son rythme de travail augmente, et que de l’autre, l’implication de l’équipe baisse, puisqu’il prend tout en charge. Il ne voit pas le cercle vicieux dans lequel il est entré... jusqu’au jour funeste de la mort de son collègue.
Les questions fusent : va-t-il continuer ainsi ? Va-t-il refuser des projets ? Il pense qu’il sera disqualifié par rapport à ses collègues « Ingénieurs » ; refuser apparaîtra comme un signe de faiblesse.
Va-t-il rester dans cette entreprise ? Est-elle seule responsable de sa situation, de ce qui est arrivé à son collègue ?
À ce flot de questions sans réponses, s’ajoutent d’autres, liées à ce qui reste de sa vie personnelle et surtout familiale. Une épouse aimante, qui le soutient, deux enfants adorables. Des enfants qui ne voient que très rarement leur papa au coucher, à la sortie de l’école, le dimanche...
Frédéric note malgré tout que, depuis quelques mois, son épouse lui donne des signes d’irritation, d’agacement, d’inquiétude ; le ton monte régulièrement. Un certain malaise s’installe.
Son collègue lui avait largement évoqué son divorce il y a un an et les conséquences sur son moral. Il s’était alors réfugié dans le travail... il est mort de tout cela !
Mais lui, ne se situe-t-il pas justement « dans tout ça » ? Si !
Frédéric ne voit pas qu’il est embarqué sur un bateau en pleine tempête.
Le roulis professionnel où les dossiers continuent à s’amonceler, les budgets sont de plus en plus conséquents, les responsabilités accrues.
Le tangage familial où des signes annonciateurs d’une catastrophe annoncée sont là , devant ses yeux, mais Frédéric est dans l’incapacité de les percevoir.
S’ajoute à cela un calme plat dans ses activités sportives ou sociales... Pensez donc, avec 90 heures de travail hebdomadaire !
La fuite en avant s’est installée. Il navigue à vue, sentant sournoisement que d’un moment à l’autre tout peut basculer.
Frédéric aura bien passé une heure, prostré sur la chaise de son bureau. Le film se termine avec l’image de sa famille.
C’est à cet instant que passe un collègue qui, devant son visage blême, lui demande s’il a besoin d’aide. Il lui dit que dans toute la division on voit qu’il ne va pas bien, qu’on se fait du souci pour lui, qu’en recevant des mails à 4h du matin c’est le signe qu’il ne dort pas bien, qu’il prend de plus en plus d’actions à son compte alors que d’autres que lui pourraient les exécuter...
Après son départ Frédéric est encore plus mal et seul face à ses interrogations.
Ne trouvant pas d’issue, et malgré la présence constante de l’image de son collègue mort à son bureau, il reprend les dossiers, poursuit sa fuite en avant, se dit que ça ira mieux demain, rentre à 21 h, fait sa visioconférence à 23 h, rédige le compte rendu de l’avancement du dossier MERA2018 et à 4 h 07, après son réveil brutal, rédige 2/3 mails à l’attention de collaborateurs...
Il part au bureau avant le lever de son épouse et de ses enfants, d’attaque pour une nouvelle journée.
90 heures de travail par semaine... Comme son collègue !
Comme son collègue...
Comme son collègue...
FM
AVIS D’EXPERT
De nombreuses études médicales ont maintenant prouvé que le surtravail a des impacts graves pour la santé :
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- insomnies plus fréquentes ;
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- obésité ;
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- risques cardiovasculaires ;
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- diabète, etc.
D’autres recherches, en sciences de gestion, montrent aussi qu’au-delà d’un certain horaire, le rendement du collaborateur baisse fortement, les erreurs se multiplient, la largeur de vue diminue, etc.
►Quelle est la bonne durée du travail pour la santé ?
Les réponses doivent être modulées. Tout va dépendre des conditions physiques du travail, du niveau de plaisir ou de déplaisir, de la contrainte ou de son absence, des activités hors travail, de la santé...
Dans la culture des pays européens, la journée de travail fait traditionnellement huit heures, fixée en fonction de la nécessité d’avoir trois équipes de huit heures pour fonctionner 24 heures sur 24 dans les entreprises qui doivent travailler en continu. Mais aux États-Unis, il n’est pas rare de voir des ouvriers travailler par équipes pendant douze heures, ce qui semble largement excéder les impératifs d’attention sur des postes dangereux. Au Japon, la rémunération systématique des heures supplémentaires pousse également à des journées de douze heures. En France et ailleurs, dans le petit commerce alimentaire indépendant, les amplitudes de travail atteignent également souvent douze heures, 6 jours sur 7.
Se mettre en danger
Aller au-delà de 70 heures par semaine paraît clairement dangereux, mais de nombreux professionnels travaillent nettement plus que la durée légale des contrats salariés8 sans observer de souffrances manifestes ou de pathologies particulières.
â–ºLes nouvelles technologies
Pour les professions qui les utilisent (elles sont de plus en plus nombreuses), les nouvelles technologies de l’information n’ont cessé d’évoluer. Avec les données dans le Cloud, on peut travailler n’importe où avec tous ses dossiers en ligne, même si l’on n’a pas son propre ordinateur. Cela veut dire que le contrôle des heures de présence au boulot n’est plus pertinent. Certains retravaillent chez eux le soir, le week-end, soit parce qu’ils ressentent la pression de l’employeur, soit parce qu’ils sont angoissés de ne pas faire assez bien, soit parce qu’une addiction aux outils numériques s’est mise en place.
Ce retravail hors de l’espace professionnel est aujourd’hui le danger le plus important observé au CREDIR en matière de durée du travail.
JDB
Facteurs clés de prévention
FC#01 : il n’y a pas de durée moyenne du travail optimale pour la santé. Chaque individu est un cas particulier. L’impact de la durée du travail sur la santé dépend du plaisir ressenti, de ...