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L'Argent
Emile Zola
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L'Argent
Emile Zola
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InformaciĂłn del libro
Aristide Rougon, surnommĂ© Saccard, met tout en oeuvre pour crĂ©er sa propre banque: la Banque Universelle. AssoiffĂ© d'ascension sociale, il se prend Ă son propre jeu et succombe Ă l'appĂąt du gain. Il entraĂźne connaissances, maĂźtresses, politiques et presse dans son aventure depuis la crĂ©ation de son entreprise jusqu'Ă sa perte fracassante. C'est le Zola naturaliste qui dĂ©crit, dans ce 18e volet des Rougon-Macquart, la sociĂ©tĂ© du Second empire et les sphĂšres de l'Ă©lite financiĂšre. L'argent fait tourner les tĂȘtes car il amĂšne tout et son contraire: succĂšs et faillite, bonheur et malheur, bĂ©nĂ©fices et dettes.
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InformaciĂłn
I
I
Onze heures venaient de sonner Ă la Bourse, lorsque Saccard entra chez Champeaux, dans la salle blanc et or, dont les deux hautes fenĂȘtres donnent sur la place. Dâun coup dâĆil, il parcourut les rangs de petites tables, oĂč les convives affairĂ©s se serraient coude Ă coude ; et il parut surpris de ne pas voir le visage quâil cherchait.
Comme, dans la bousculade du service, un garçon passait, chargé de plats :
â Dites donc, monsieur Huret nâest pas venu ?
â Non, monsieur, pas encore.
Alors, Saccard se dĂ©cida, sâassit Ă une table que quittait un client, dans lâembrasure dâune des fenĂȘtres. Il se croyait en retard ; et, tandis quâon changeait la serviette, ses regards se portĂšrent au-dehors, Ă©piant les passants du trottoir. MĂȘme, lorsque le couvert fut rĂ©tabli, il ne commanda pas tout de suite, il demeura un moment les yeux sur la place, toute gaie de cette claire journĂ©e des premiers jours de mai. Ă cette heure oĂč le monde dĂ©jeunait, elle Ă©tait presque vide : sous les marronniers, dâune verdure tendre et neuve, les bancs restaient inoccupĂ©s ; le long de la grille, Ă la station de voitures, la file des fiacres sâallongeait, dâun bout Ă lâautre ; et lâomnibus de la Bastille sâarrĂȘtait au bureau, Ă lâangle du jardin, sans laisser ni prendre de voyageurs. Le soleil tombait dâaplomb, le monument en Ă©tait baignĂ©, avec sa colonnade, ses deux statues, son vaste perron, en haut duquel il nây avait encore que lâarmĂ©e des chaises, en bon ordre.
Mais Saccard, sâĂ©tant tournĂ©, reconnut Mazaud, lâagent de change, Ă la table voisine de la sienne. Il tendit la main.
â Tiens ! câest vous. Bonjour !
â Bonjour ! rĂ©pondit Mazaud, en donnant une poignĂ©e de main distraite.
Petit, brun, trĂšs vif, joli homme, il venait dâhĂ©riter de la charge dâun de ses oncles, Ă trente-deux ans. Et il semblait tout au convive quâil avait en face de lui, un gros monsieur Ă figure rouge et rasĂ©e, le cĂ©lĂšbre Amadieu, que la Bourse vĂ©nĂ©rait, depuis son fameux coup sur les Mines de Selsis. Lorsque les titres Ă©taient tombĂ©s Ă quinze francs, et que lâon considĂ©rait tout acheteur comme un fou, il avait mis dans lâaffaire sa fortune, deux cent mille francs, au hasard, sans calcul ni flair, par un entĂȘtement de brute chanceuse. Aujourdâhui que la dĂ©couverte de filons rĂ©els et considĂ©rables avait fait dĂ©passer aux titres le cours de mille francs, il gagnait une quinzaine de millions ; et son opĂ©ration imbĂ©cile qui aurait dĂ» le faire enfermer autrefois, le haussait maintenant au rang des vastes cerveaux financiers. Il Ă©tait saluĂ©, consultĂ© surtout. Dâailleurs, il ne donnait plus dâordres, comme satisfait, trĂŽnant dĂ©sormais dans son coup de gĂ©nie unique et lĂ©gendaire. Mazaud devait rĂȘver sa clientĂšle.
Saccard, nâayant pu obtenir dâAmadieu mĂȘme un sourire, salua la table dâen face, oĂč se trouvaient rĂ©unis trois spĂ©culateurs de sa connaissance, Pillerault, Moser et Salmon.
â Bonjour ! ça va bien ?
â Oui, pas mal⊠Bonjour !
Chez ceux-ci encore, il sentit la froideur, lâhostilitĂ© presque. Pillerault pourtant, trĂšs grand, trĂšs maigre, avec des gestes saccadĂ©s et un nez en lame de sabre, dans un visage osseux de chevalier errant, avait dâhabitude la familiaritĂ© dâun joueur qui Ă©rigeait en principe le casse-cou, dĂ©clarant quâil culbutait dans des catastrophes, chaque fois quâil sâappliquait Ă rĂ©flĂ©chir. Il Ă©tait dâune nature exubĂ©rante de haussier, toujours tournĂ© Ă la victoire, tandis que Moser, au contraire, de taille courte, le teint jaune, ravagĂ© par une maladie de foie, se lamentait sans cesse, en proie Ă de continuelles craintes de cataclysme. Quant Ă Salmon, un trĂšs bel homme luttant contre la cinquantaine, Ă©talant une barbe superbe, dâun noir dâencre, il passait pour un gaillard extraordinairement fort. Jamais il ne parlait, il ne rĂ©pondait que par des sourires, on ne savait dans quel sens il jouait, ni mĂȘme sâil jouait ; et sa façon dâĂ©couter impressionnait tellement Moser, que souvent celui-ci, aprĂšs lui avoir fait une confidence, courait changer un ordre, dĂ©montĂ© par son silence.
Dans cette indiffĂ©rence quâon lui tĂ©moignait, Saccard Ă©tait restĂ© les regards fiĂ©vreux et provocants, achevant le tour de la salle. Et il nâĂ©changea plus un signe de tĂȘte quâavec un grand jeune homme, assis Ă trois tables de distance, le beau Sabatani, un Levantin, Ă la face longue et brune, quâĂ©clairaient des yeux noirs magnifiques, mais quâune bouche mauvaise, inquiĂ©tante, gĂątait. LâamabilitĂ© de ce garçon acheva de lâirriter : quelque exĂ©cutĂ© dâune Bourse Ă©trangĂšre, un de ces gaillards mystĂ©rieux aimĂ©s des femmes, tombĂ© depuis le dernier automne sur le marchĂ©, quâil avait dĂ©jĂ vu Ă lâĆuvre comme prĂȘte-nom, dans un dĂ©sastre de banque, et qui peu Ă peu conquĂ©rait la confiance de la corbeille et de la coulisse, par beaucoup de correction et une bonne grĂące infatigable, mĂȘme pour les plus tarĂ©s.
Un garçon était debout devant Saccard.
â Quâest-ce que monsieur prend ?
â Ah ! oui⊠Ce que vous voudrez, une cĂŽtelette, des asperges.
Puis, il rappela le garçon.
â Vous ĂȘtes sĂ»r que monsieur Huret nâest pas venu avant moi et nâest pas reparti ?
â Oh ! absolument sĂ»r !
Ainsi, il en Ă©tait lĂ , aprĂšs la dĂ©bĂącle qui, en octobre, lâavait forcĂ© une fois de plus Ă liquider sa situation, Ă vendre son hĂŽtel du parc Monceau, pour louer un appartement : les Sabatanis seuls le saluaient, son entrĂ©e dans un restaurant, oĂč il avait rĂ©gnĂ©, ne faisait plus tourner toutes les tĂȘtes, tendre toutes les mains. Il Ă©tait beau joueur, il restait sans rancune, Ă la suite de cette derniĂšre affaire de terrains, scandaleuse et dĂ©sastreuse, dont il nâavait guĂšre sauvĂ© que sa peau. Mais une fiĂšvre de revanche sâallumait dans son ĂȘtre ; et lâabsence dâHuret qui avait formellement promis dâĂȘtre lĂ , dĂšs onze heures, pour lui rendre compte de la dĂ©marche dont il sâĂ©tait chargĂ© prĂšs de son frĂšre Rougon, le ministre alors triomphant, lâexaspĂ©rait surtout contre ce dernier. Huret, dĂ©putĂ© docile, crĂ©ature du grand homme, nâĂ©tait quâun commissionnaire. Seulement, Rougon, lui qui pouvait tout, Ă©tait-ce possible quâil lâabandonnĂąt ainsi ? Jamais il ne sâĂ©tait montrĂ© bon frĂšre. Quâil se fĂ»t fĂąchĂ© aprĂšs la catastrophe, quâil eĂ»t rompue ouvertement pour nâĂȘtre point compromis lui-mĂȘme, cela sâexpliquait ; mais, depuis six mois, nâaurait-il pas dĂ» lui venir secrĂštement en aide ? et, maintenant, allait-il avoir le cĆur de refuser le suprĂȘme coup dâĂ©paule quâil lui faisait demander par un tiers, nâosant le voir en personne, craignant quelque crise de colĂšre qui lâemporterait ? Il nâavait quâun mot Ă dire, il le remettrait debout, avec tout ce lĂąche et grand Paris sous les talons.
â Quel vin dĂ©sire monsieur ? demanda le sommelier.
â Votre bordeaux ordinaire.
Saccard, qui laissait refroidir sa cĂŽtelette, absorbĂ©, sans faim, leva les yeux, en voyant une ombre passer sur la nappe. CâĂ©tait Massias, un gros garçon rougeaud, un remisier quâil avait connu besogneux, et qui se glissait entre les tables, sa cote Ă la main. Il fut ulcĂ©rĂ© de le voir filer devant lui, sans sâarrĂȘter, pour aller tendre la cote Ă Pillerault et Ă Moser. Distraits, engagĂ©s dans une discussion, ceux-ci y jetĂšrent Ă peine un coup dâĆil : non, ils nâavaient pas dâordre Ă donner, ce serait pour une autre fois. Massias, nâosant sâattaquer au cĂ©lĂšbre Amadieu, penchĂ© au-dessus dâune salade de homard, en train de causer Ă voix basse avec Mazaud, revint vers Salmon, qui prit la cote, lâĂ©tudia longuement, puis la rendit, sans un mot. La salle sâanimait. Dâautres remisiers, Ă chaque minute, en faisaient battre les portes. Des paroles hautes sâĂ©changeaient de loin, toute une passion dâaffaires montait, Ă mesure que sâavançait lâheure. Et Saccard, dont les regards retournaient sans cesse au-dehors, voyait aussi la place se remplir peu Ă peu, les voitures et les piĂ©tons affluer ; tandis que, sur les marches de la Bourse, Ă©clatantes de soleil, des taches noires, des hommes se montraient dĂ©jĂ , un Ă un.
â Je vous rĂ©pĂšte, dit Moser de sa voix dĂ©solĂ©e, que ces Ă©lections complĂ©mentaires du 20 mars sont un symptĂŽme des plus inquiĂ©tants⊠Enfin, câest aujourdâhui Paris tout entier acquis Ă lâopposition.
Mais Pillerault haussait les Ă©paules. Carnot et Garnier-PagĂšs de plus sur les bancs de la gauche, quâest-ce que ça pouvait faire ?
â Câest comme la question des duchĂ©s, reprit Moser, eh bien ! elle est grosse de complications⊠Certainement ! vous avez beau rire. Je ne dis pas que nous devions faire la guerre Ă la Prusse, pour lâempĂȘcher de sâengraisser aux dĂ©pens du Danemark ; seulement, il y avait des moyens dâaction⊠Oui, oui, lorsque les gros se mettent Ă manger les petits, on ne sait jamais oĂč ça sâarrĂȘte⊠Et, quant au MexiqueâŠ
Pillerault, qui Ă©tait dans un de ses jours de satisfaction universelle, lâinterrompit dâun Ă©clat de rire.
â Ah ! non, mon cher, ne nous ennuyez plus, avec vos terreurs sur le Mexique⊠Le Mexique, ce sera la page glorieuse du rĂšgne⊠OĂč diable prenez-vous que lâempire soit malade ? Est-ce quâen janvier lâemprunt de trois cents millions nâa pas Ă©tĂ© couvert plus de quinze fois ? Un succĂšs Ă©crasant⊠Tenez ! je vous donne rendez-vous en 67, oui, dans trois ans dâici, lorsquâon ouvrira lâExposition universelle que lâempereur vient de dĂ©cider.
â Je vous dis que tout va mal ! affirma dĂ©sespĂ©rĂ©ment Moser.
â Eh ! fichez-nous la paix, tout va bien !
Salmon les regardait lâun aprĂšs lâautre, en souriant de son air profond. Et Saccard, qui les avait Ă©coutĂ©s, ramenait aux difficultĂ©s de sa situation personnelle cette crise oĂč lâempire semblait entrer. Lui, une fois encore, Ă©tait par terre : est-ce que cet empire, qui lâavait fait, allait comme lui culbuter, croulant tout dâun coup de la destinĂ©e la plus haute Ă la plus misĂ©rable ? Ah ! depuis douze ans, quâil lâavait aimĂ© et dĂ©fendu, ce rĂ©gime oĂč il sâĂ©tait senti vivre, pousser, se gorger de sĂšve, ainsi que lâarbre dont les racines plongent dans le terreau qui lui convient ! Mais, si son frĂšre voulait lâen arracher, si on le retranchait de ceux qui Ă©puisaient le sol gras des jouissances, que tout fĂ»t donc emportĂ©, dans la grande dĂ©bĂącle finale des nuits de fĂȘte !
Maintenant, il attendait ses asperges, absent de la salle oĂč lâagitation croissait sans cesse, envahi par des souvenirs. Dans une large glace, en face, il venait dâapercevoir son image ; et elle lâavait surpris. LâĂąge ne mordait pas sur sa petite personne, ses cinquante ans nâen paraissaient guĂšre que trente-huit, il gardait une maigreur, une vivacitĂ© de jeune homme. MĂȘme, avec les annĂ©es, son visage noir et creusĂ© de marionnette, au nez pointu, aux minces yeux luisants, sâĂ©tait comme arrangĂ©, avait pris le charme de cette jeunesse persistante, si souple, si active, les cheveux touffus encore, sans un fil blanc. Et, invinciblement, il se rappelait son arrivĂ©e Ă Paris, au lendemain du coup dâĂtat, le soir dâhiver oĂč il Ă©tait tombĂ© sur le pavĂ©, les poches vides, affamĂ©, ayant toute une rage dâappĂ©tits Ă satisfaire. Ah ! cette premiĂšre course Ă travers les rues, lorsque, avant mĂȘme de dĂ©faire sa malle, il avait eu le besoin de se lancer par la ville, avec ses bottes Ă©culĂ©es, son paletot graisseux, pour la conquĂ©rir ! Depuis cette soirĂ©e, il Ă©tait souvent montĂ© trĂšs haut, un fleuve de millions avait coulĂ© entre ses mains, sans que jamais il eĂ»t possĂ©dĂ© la fortune en esclave, ainsi quâune chose Ă soi, dont on dispose, quâon tient sous clef, vivante, matĂ©rielle. Toujours le mensonge, la fiction avait habitĂ© ses caisses, que des trous inconnus semblaient vider de leur or. Puis, voilĂ quâil se retrouvait sur le pavĂ©, comme Ă lâĂ©poque lointaine du dĂ©part, aussi jeune, aussi affamĂ©, inassouvi toujours, torturĂ© du mĂȘme besoin de jouissances et de conquĂȘtes. Il avait goĂ»tĂ© Ă tout, et il ne sâĂ©tait pas rassasiĂ©, nâayant pas eu lâoccasion ni le temps, croyait-il, de mordre assez profondĂ©ment dans les personnes et dans les choses. Ă cette heure, il se sentait cette misĂšre dâĂȘtre, sur le pavĂ©, moins quâun dĂ©butant, quâauraient soutenu lâillusion et lâespoir. Et une fiĂšvre le prenait de tout recommencer pour tout reconquĂ©rir, de monter plus haut quâil nâĂ©tait jamais montĂ©, de poser enfin le pied sur la citĂ© conquise. Non plus la richesse menteuse de la façade, mais lâĂ©difice solide de la fortune, la vraie royautĂ© de lâor trĂŽnant sur des sacs pleins !
La voix de Moser qui sâĂ©levait de nouveau, aigre et trĂšs aiguĂ«, tira un instant Saccard de ses rĂ©flexions.
â LâexpĂ©dition du Mexique coĂ»te quatorze millions par mois, câest Thiers qui lâa prouvé⊠Et il faut vraiment ĂȘtre aveugle pour ne pas voir que, dans la Chambre, la majoritĂ© est Ă©branlĂ©e. Ils sont trente et quelques maintenant, Ă gauche. Lâempereur lui-mĂȘme comprend bien que le pouvoir absolu devient impossible, puisquâil se fait le promoteur de la libertĂ©.
Pillerault ne rĂ©pondait plus, se contentait de ricaner dâun air de mĂ©pris.
â Oui, je sais, le marchĂ© vous paraĂźt solide, les affaires marchent. Mais attendez la fin⊠On a trop dĂ©moli et trop reconstruit, Ă Paris, voyez-vous ! Les grands travaux ont Ă©puisĂ© lâĂ©pargne. Quant aux puissantes maisons de crĂ©dit qui vous semblent si prospĂšres, attendez quâune dâelles fasse le saut, et vous les verrez toutes culbuter Ă la file⊠Sans compter que le peuple se remue. Cette Association internationale des travailleurs, quâon vient de fonder pour amĂ©liorer la condition des ouvriers, mâeffraye beaucoup, moi. Il y a, en France, une protestation, un mouvement rĂ©volutionnaire qui sâaccentue chaque jour⊠Je vous dis que le ver est dans le fruit. Tout crĂšvera.
Alors, ce fut une protestation bruyante. Ce sacrĂ© Moser avait sa crise de foie, dĂ©cidĂ©ment. Mais lui-mĂȘme, en parlant, ne quittait pas des yeux la table voisine, oĂč Mazaud et Amadieu continuaient, dans le bruit, Ă causer trĂšs bas. Peu Ă peu, la salle entiĂšre sâinquiĂ©tait de ces longues confidences. Quâavaient-ils Ă se dire, pour chuchoter ainsi ? Sans doute, Amadieu donnait des ordres, prĂ©parait un coup. Depuis trois jours, de mauvais bruits couraient sur les travaux de Suez. Moser cligna les yeux, baissa Ă©galement la voix.
â Vous savez, les Anglais veulent empĂȘcher quâon travaille lĂ -bas. On pourrait bien avoir la guerre.
Cette fois, Pillerault fut Ă©branlĂ©, par lâĂ©normitĂ© mĂȘme de la nouvelle. CâĂ©tait incroyable, et tout de suite le mot vola de table en table, acquĂ©rant la force dâune certitude : lâAngleterre avait envoyĂ© un ultimatum, demandant la cessation immĂ©diate des travaux. Amadieu, Ă©videmment, ne causait que de ça avec Mazaud, Ă qui il donnait lâordre de vendre tous ses Suez. Un bourdonnement de panique sâĂ©leva, dans lâair chargĂ© dâodeurs grasses, au milieu du bruit croissant des vaisselles remuĂ©es. Et, Ă ce moment, ce qui porta lâĂ©motion Ă son comble, ce fut lâentrĂ©e brusque dâun commis de lâagent de change, le petit Flory, un garçon Ă figure tendre, mangĂ©e dâune Ă©paisse barbe chĂątaine. Il se prĂ©cipita, un paquet de fiches Ă la main, et les remit au patron, en lui parlant Ă lâoreille.
â Bon ! rĂ©pondit simplement Mazaud, qui classa les fiches dans son carnet.
Puis, tirant sa montre :
â BientĂŽt midi ! Dites Ă Berthier de mâattendre. Et soyez lĂ vous-mĂȘme, montez chercher les dĂ©pĂȘches.
Lorsque Flory sâen fut allĂ©, il reprit sa conversation avec Amadieu, tira dâautres fiches de sa poche, quâil posa sur la nappe, Ă cĂŽtĂ© de son assiette ; et, Ă chaque minute, un client qui partait, se penchait au passage, lui disait un mot, quâil inscrivait rapidement sur un des bouts de papier, entre deux bouchĂ©es. La fausse nouvelle, venue on ne savait dâoĂč, nĂ©e de rien, grossissait comme une nuĂ©e dâorage.
â Vous vendez, nâest-ce pas ? demanda Moser Ă Salmon.
Mais le muet sourire de ce dernier fut si aiguisĂ© de finesse, quâil en resta anxieux, doutant maintenant de cet ultimatum de lâAngleterre, quâil ne savait mĂȘme pas avoir inventĂ©.
â Moi, jâachĂšte tant quâon voudra, conclut Pillerault, avec sa tĂ©mĂ©ritĂ© vaniteuse de joueur sans mĂ©thode.
Les tempes chauffĂ©es par la griserie du jeu, que fouettait cette fin bruyante de dĂ©jeuner, dans lâĂ©troite salle, Saccard sâĂ©tait dĂ©cidĂ© Ă manger ses asperges, en sâirritant de nouveau contre Huret, sur lequel il ne comptait plus. Depuis des semaines, lui, si prompt Ă se rĂ©soudre, il hĂ©sitait, combattu dâincertitudes. Il sentait bien lâimpĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de faire peau neuve, et il avait rĂȘvĂ© dâabord une vie toute nouvelle, dans la haute administration ou dans la politique. Pourquoi le Corps lĂ©gislatif ne lâaurait-il pas menĂ© au conseil des ministres, comme son frĂšre ? Ce quâil reprochait Ă la spĂ©culation, câĂ©tait la continuelle instabilitĂ©, les grosses sommes aussi vite perdue...