Conclusion
Extrait de la thèse de Sandrine Zimbris (Sandrine Adso)
La poésie et l’intimité ou l’identité et l’être-au-monde.
La vraie vie
« Vivre surprend toujours ».2
« Je me disais aussi : vivre est autre chose ».3
Si le poète a un guide ou une muse, celui-ci propose de « recommencer, naître à nouveau, voilà / ce que disait le maître ».4 « Pour que nos premiers pas l’un vers l’autre / réveillent la mer ».5 C’est pourquoi « tu portes le poème tout le jour d’une épaule à l’autre ».6 Le désir de donner à l’existence une autre dimension est puissant « la vie est désir. Désir insatiable. L’insatisfaction est primordiale à la poursuite de la vie terrestre. Être satisfait c’est être mort ».7 Car l’existence que les poètes espèrent demande à ce que les hommes :
« retiennent les biches qui s’échappent, qu’ils dénouent une à une les tresses des ruisseaux, qu’ils fassent tinter l’ivoire des pierres ».8
L’interprétation poétique démontre la multiplicité des niveaux du réel, des champs sémantiques à explorer, découvrir le « fil bleu de la vie »9, et permet à l’Homme d’habiter le monde.
Si l’interprétation poétique est importante, écrire l’est tout autant, en effet, « plus que mode de connaissance, la poésie est d’abord mode de vie ».10 La poésie, est en ce sens « un état d’être », une présence. Pour Philippe Jaccottet, la poésie c’est « une présence bleue, aussi forte que de la terre ».11 Pour Guy Goffette, la poésie est le « reflet du seul amour : la vie promise ».12
Pour répondre aux souffrances provoquées par l’orgueil, l’absence d’amour et l’abandon, Guy Goffette et Philippe Jaccottet expriment la nécessité d’une autre vie, suivant la tradition rimbaldienne : « la vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde ».13 Cela est possible parce que « la poésie… si elle éclaire, […] ouvre la voie ».14
En effet, la poésie ouvre la voie : « avant que la mort vienne, / écrire encore / un poème soigné »15, mais encore en ouvrant la voie, la poésie permet « de toucher la terre ensemble / encore une fois ».16
La poésie offre un nouveau champ de perception, elle ouvre des portes, elle scrute l’invisible : c’est
« L’expérience du sacré, où toutes les barrières, tout les écrans s’effacent pour laisser entrevoir un ordre, une harmonie simple, humble dans nos relations avec les éléments. Comme si nous devenions l’espace d’un instant ‘matière spirituelle’, ‘bois humain’, ‘terre humaine’ ».17
Elle scrute l’invisible, et répond à l’absence : « toi qui veux célébrer les noces de l’encre et de la neige / écoute cette séquence / portée par la nuit / et lève toi contre l’absence ».18
Pour Guy Goffette il y a une nécessité du poème : « je me disais aussi : vivre est autre chose ».19 Pour Philippe Jaccottet, il y a aussi nécessité de la poésie parce que
« la poésie est la parole que ce souffle alimente et porte… La parole poétique nous lie et nous délie : elle ne cesse de tisser autour de nous des réseaux dont les liens toujours légers, semblent nous offrir la seule liberté authentique ».20
En l’occurrence, pour Guy Goffette : « vivre est autre chose ».21
Le poète se posant comme un interprète, un homme en fluctuation entre deux mondes (de ce fait un exilé), le lien entre le monde des apparences et le monde du vrai, tant phénoménologiquement que selon l’idée développée par Platon, dans le mythe de la caverne
« l’idée que par derrière le désordre des formes, le mensonge des apparences et plus généralement les insuffisances ou les perversions du réel sensible, il existe un ordre et une idéalité cachés, qu’une traduction ou un déchiffrage patient peuvent finir par révéler n’est pas nouvelle ».22
Le poème, qui est par essence, possibilité, ouvre l’accès au monde du Vrai. Il existe aux yeux du poète, une unité perdue, et certainement un ordre poétique : une harmonie.
« le monde n’est pas fait pour aboutir au Livre, c’est le lien qui est fait pour couvrir l’accès au monde comme le dit Pierre Albert Jourdan. Seule la célébration ou l’exaltation du monde, dans ce qu’il a de plus humble et de plus ténu, peut permettre de concevoir quelque chose d’une unité perdue, d’un ordonnancement à peine perceptible dans notre monde lacunaire ».23
En effet, c’est dans la lignée de Rimbaud, que le poète pense que la vraie Vie est absente. Précisément pour Guy Goffette : « Rimbaud est une exception et un exemple, une voix différente ».24
Rimbaud est, « celui qui recherchait des secrets pour changer la vie ».25 Le lien avec Guy Goffette et Philippe Jaccottet est flagrant :
« la vraie vie, comme disait Rimbaud, comme étonnement aussi devant les beautés du quotidien : un sourire d’enfant, une herbe vivace entre les pavés ».26
Selon Danièle Chauvin, les secrets d’une autre vie, sont accessibles au poète car il est clair que : « l’ensemble de la poésie de Jaccottet célèbre dans les fleurs, les arbres ou les fruits, les clés d’un autre monde ».27 Pour Philippe Jaccottet faire émerger la vraie vie est un but. Plus qu’établir la présence d’une autre vie, changer la vie devient un programme, un programme poétique : « Rimbaud proclama il y a plus de cent ans cette nécessité de changer la vie ».28 Il y a un besoin d’authenticité :
« À l’encontre des imbéciles, le poète doit être lucide, découvrir son vrai Je [son soi], après avoir détruit ce Moi factice et superficiel qui, en jouant le jeu du Monde entretenait l’illusion des apparences… Pour détruire ce moi accessoire, vain et menteur, Rimbaud emploiera la violence du dérèglement de tous les sens ».29
Malgré les mensonges, les illusions, les apparences, Philippe Jaccottet nous le dit : « pourtant je n’ai pa...