Chapitre1
Bolloré, Berlusconi et le match Telecom Italia-Mediaset
1.1 La restructuration Telecom Italia et les liens avec Mediaset
En juin 2015, Vivendi est devenu l’actionnaire le plus important de Telecom Italia. Vincent Bolloré s’est donc retrouvé parmi les acteurs stratégiques de l’ancien monopole d’état qui croulait littéralement sous le poids de ses dettes s’élevant à 28 milliards d’euros et qui vivait une profonde mutation, rendue inévitable par la convergence entre le monde des télécommunications et celui des médias. La métamorphose qui modifiera Telecom Italia et de nombreux autres opérateurs est destinée inévitablement à impliquer même les sociétés productrices de contenus dans le cadre d’un plus ample processus de consolidation. Ce n’est pas par hasard que Silvio Berlusconi a défini sa « Médiaset » une proie idéale pour ceux qui veulent entrer directement dans le marché audiovisuel italien où sont en train d’arriver les géants américains du net, comme la société Netflix. Du reste, l’opinion du “Cavaliere” n’est pas une position isolée : dans une analyse du mois d’avril 2015, le bureau d’études de Mediobanca va jusqu’à émettre l’hypothèse que Mediaset pourrait être convoitée par Vivendi qui se prépare à devenir un opérateur « entièrement consacré aux médias et aux contenus », et cela même par le biais d’acquisitions rendues possibles grâce à une liquidité d’environ 11 milliards d’euros.
Aux yeux de la communauté financière, il est clair que se livre actuellement un match où se croisent les parcours industriels de Vivendi, de Mediaset et de Telecom Italia, comme nous l’attestent les papiers des journaux spécialisés qui relatent toute une série de rencontres et d’échanges de point de vues au niveau des plus hautes sphères entre les trois sociétés. Le feu vert aux pourparlers informels a été donné par une énorme opération financière qui a été finalisée en juin 2015 de l’autre côté de l’Océan : au cours de l’été 2014, Vivendi et Bolloré ont conclu un accord avec la compagnie espagnole Telefonica pour céder la filiale brésilienne gvt et recevoir en contrepartie une importante somme en numéraire, de même qu’un ensemble de titres Telecom Italia, s’élevant à 8,3% du capital.
À partir de l’opération brésilienne, il s’en suivra un niveau d’activité inédit autour des trois sociétés. Alors que justement se dessinent les changements entre les équilibres actionnaires de Telecom Italia, a lieu une rencontre entre Bolloré et Pier Silvio Berlusconi pour discuter sur l’éventuelle entrée de Vivendi dans le capital des chaines payantes “Mediaset Premium”. Mais ce n’est pas terminé, Giuseppe Recchi et Marco Patuano, respectivement président et Directeur Général (DG) de Telecom Italia, arrivent aussi à la cour de Bolloré. Les dirigeants de la compagnie téléphonique sont invités par Bolloré sur le yacht Paloma. Ils sont accompagnés au meeting par Tarak Ben Ammar, homme de confiance du financier breton et associé en affaires de Berlusconi, et par Alberto Nagel, DG de Mediobanca, banque actionnaire de la compagnie téléphonique et liée au groupe Bolloré.
Les grandes manœuvres sur les médias et les télécoms italiens ont commencé et se poursuivront durant tout l’hiver, dans l’attente que l’on formalise le passage de la participation de Telefonica à Vivendi un an plus tard, et que Bolloré devienne l’actionnaire numéro un de Telecom Italia, véritable décideur en ce qui concerne les choix stratégiques de l’ancien monopole italien.
1.2 Telecom Italia-Mediaset, l’histoire de fiançailles difficiles et l’arrivée d’une tierce personne
Comment se terminera le match Telecom Italia-Mediaset-Vivendi ? Il est difficile de le dire. Mais il est certain que Berlusconi étudie depuis longtemps l’ancien monopole italien accablé de dettes et pillé par des acheteurs italiens qui se sont succédés. Si l’on feuillette les pages de l’actualité financière récente, on s’aperçoit que l’intérêt de Mediaset vis-à-vis de Telecom Italia revient souvent comme un refrain. Mais les rencontres entre les deux sociétés ont eu lieu bien avant 2014. En 2007, par exemple, le Cavaliere Berlusconi se disait prêt à sauver Telecom de ses dettes, en bloquant une offre commune de la société américaine AT&T et de la société mexicaine America Movil pour le rachat de la partecipation majoritaire de l’ancien monopole italien contrôlé par Marco Tronchetti Provera. « Voilà qu’ils me demandent de sauver les téléphones italiens alors qu’avant ils voulaient détruire Mediaset… » se plaignait à l’époque Berlusconi dans la presse.
Romano Prodi est au gouvernement et pour sauver Telecom Italia des mains étrangères le Cavaliere demande de changer la loi Gasparri qui réglementait en Italie le système intégré des communications avec un plafond antitrust à 10% pour ceux qui conjuguent éditions et télécoms. Toutefois, le dossier est assez épineux : Telecom Italia représente un nœud politique important pour son infrastructure de réseau national et pour les câbles internationaux de sa filiale Sparkle, qui s’étendent tout le long du bassin méditerranéen. S’emparer d’un système de télécommunications stratégique représente pour Berlusconi une mission presque impossible, surtout après le scandale Telecom Italia-Sismi et des dossiers d’écoutes illégales fabriqués par le security team de Telecom Italia dirigé par Giuliano Tavaroli, pendant la présidence de Tronchetti Provera. Prodi estime ne pas pouvoir donner son accord au mariage entre Mediaset et Telecom Italia. Ainsi Berlusconi bat en retraite tandis que Telecom Italia est sauvée par Banca Intesa et Mediobanca avec une « opération de système » : le bloc de contrôle de l’ancien monopole italien est donc transféré entre les mains de l’espagnole Telefonica et de celles des autres associés italiens de Telco qui garantiront la paix au sein de l’entreprise jusqu’en 2013, lorsque les actionnaires décideront de liquider leur participation.
Malgré le changement de scénario dans l’actionnariat de Telecom Italia, le Cavaliere ne capitule pas devant le fait que le mariage avec Mediaset ne puisse aboutir : en novembre 2009 il revient à la charge grâce à un pacte de fer scellé avec le président de Mediobanca de l’époque, Cesare Geronzi. ...