Notre coeur
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Notre coeur

Guy de Maupassant

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  1. 230 pages
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Notre coeur

Guy de Maupassant

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Le roman raconte l'histoire d'une femme du monde, froide et sans coeur, frigide ou lesbienne peut-ĂȘtre, comme Maupassant en a connu, qui se livre ici plus que dans aucun de ses romans.Le hĂ©ros, face Ă  cet ĂȘtre fascinant et redoutable, prend une autre maĂźtresse, qui ne lui suffit guĂšre. Il est dĂ©vastĂ© par une passion amoureuse, violente, mĂ©lancolique et cruelle. C'est un roman douloureux, Ă©crit par un Maupassant dĂ©jĂ  malade, et qui dit comme un adieu aux femmes qui ont Ă©tĂ© le dĂ©sir, le tourment, et les victimes de sa vie. On y voit le personnage de l'artiste qui se dĂ©grade, Ă©crit de moins en moins, face Ă  la femme moderne, produit d'une sociĂ©tĂ© parvenue Ă  un point critique.Comme dans le remarquable Sur l'eau, c'est un aspect inattendu de l'art de Maupassant, dans la longue durĂ©e du roman, qui se rĂ©vĂšle ici.

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Information

Year
2018
ISBN
9782322156443
Edition
1

I

Mariolle venait d’arriver chez elle. Il l’attendait, car elle n’était pas rentrĂ©e, bien qu’elle lui eĂ»t donnĂ© rendez-vous par une dĂ©pĂȘche bleue, le matin.
Dans ce salon, oĂč il aimait tant se sentir, oĂč tout lui plaisait, il Ă©prouvait cependant chaque fois qu’il s’y trouvait seul, une oppression du cƓur, un peu d’essoufflement, d’énervement, qui l’empĂȘchaient d’y rester assis tant qu’elle n’avait point paru. Il marchait, dans une attente heureuse, avec la crainte que quelque obstacle imprĂ©vu ne l’empĂȘchĂąt de revenir et ne remĂźt au lendemain leur rencontre.
Quand il entendit s’arrĂȘter une voiture devant la porte de la rue, il eut un tressaillement d’espoir, et lorsque sonna le timbre de l’appartement, il ne douta plus.
Elle entra, son chapeau sur la tĂȘte, ce qu’elle ne faisait jamais, avec un air pressĂ© et content.
– J’ai une nouvelle pour vous, dit-elle.
– Laquelle donc, madame ?
Elle se mit Ă  rire en le regardant.
– Eh bien ! je vais passer quelque temps à la campagne.
Un chagrin le saisit, subit et fort, que son visage refléta.
– Oh ! Et vous m’annoncez cela avec une figure satisfaite !
– Oui. Asseyez-vous, je vais vous conter tout. Vous savez ou vous ne savez pas, que M. Valsaci, le frĂšre de ma pauvre mĂšre, l’ingĂ©nieur en chef des ponts, a une propriĂ©tĂ© Ă  Avranches oĂč il passe une partie de sa vie avec sa femme et ses enfants, car il exerce lĂ -bas sa profession. Or nous allons les voir tous les Ă©tĂ©s. Cette annĂ©e, je ne voulais pas ; mais il s’est fĂąchĂ© et il a fait Ă  papa une scĂšne pĂ©nible. À ce propos, je vous confierai que papa est jaloux de vous, et m’en fait aussi, des scĂšnes, en prĂ©tendant que je me compromets. Il faudra que vous veniez moins souvent. Mais ne vous troublez point, j’arrangerai les choses. Donc papa m’a rĂ©primandĂ©e et m’a fait promettre d’aller passer dix jours, peut-ĂȘtre douze, Ă  Avranches. Nous partons mardi matin. Qu’en dites-vous ?
– Je dis que vous me navrez.
– C’est tout ?
– Que voulez-vous ? je ne peux vous en empĂȘcher !
– Vous ne voyez rien à faire ?
– Mais... mais non... je ne sais pas moi ! Et vous ?
– Moi j’ai une idĂ©e, que voici : Avranches est tout prĂšs du Mont Saint-Michel. Connaissez-vous le Mont Saint-Michel ?
– Non, madame.
– Eh bien ! vous aurez vendredi prochain, l’inspiration d’aller voir cette merveille. Vous vous arrĂȘterez Ă  Avranches, vous vous promĂšnerez, samedi soir, par exemple, au coucher du soleil dans le jardin public, d’oĂč l’on domine la baie. Nous nous y rencontrerons par hasard. Papa fera une tĂȘte, mais je m’en moque. J’organiserai une partie pour aller tous ensemble avec la famille, le lendemain, Ă  l’abbaye. Montrez de l’enthousiasme, et soyez charmant, comme vous savez l’ĂȘtre quand vous voulez. Faites la conquĂȘte de ma tante et invitez-nous tous Ă  dĂźner Ă  l’auberge oĂč nous descendrons. On y couchera et nous ne nous quitterons ainsi que le lendemain. Vous reviendrez par Saint-Malo, et huit jours plus tard je serai de retour Ă  Paris. Est-ce bien imaginĂ© ? Suis-je gentille ?
Il murmura dans un Ă©lan de reconnaissance :
– Vous ĂȘtes tout ce que j’aime au monde.
– Chut ! fit-elle.
Et pendant quelques instants ils se regardĂšrent. Elle souriait, lui envoyant dans ce sourire toute sa reconnaissance, le remerciement de son cƓur, et sa sympathie aussi, trĂšs sincĂšre, trĂšs vive, devenue tendre. Il la contemplait, lui, avec des yeux qui la dĂ©voraient. Il avait envie de tomber Ă  ses pieds, de s’y rouler, de mordre sa robe, de crier quelque chose, et surtout de lui faire voir ce qu’il ne savait pas dire, ce qui Ă©tait en lui des talons Ă  la tĂȘte, dans son corps comme dans son Ăąme, inexprimablement douloureux parce qu’il ne le pouvait montrer, son amour, son terrible et dĂ©licieux amour.
Mais elle le comprenait sans qu’il s’exprimĂąt, comme un tireur devine que sa belle a fait un trou juste Ă  la place de la mouche noire du carton. Il n’y avait plus rien dans cet homme, rien qu’Elle. Il Ă©tait Ă  elle plus qu’elle-mĂȘme. Et elle Ă©tait contente, et elle le trouvait charmant.
Elle lui dit, avec bonne humeur :
– Alors c’est entendu, nous faisons cette partie.
Il balbutia, la voix coupĂ©e par l’émotion :
– Mais oui, madame, c’est entendu.
Puis aprĂšs un nouveau silence, elle reprit, sans autre excuse :
– Je ne peux vous garder plus longtemps aujourd’hui. Je suis rentrĂ©e uniquement pour vous dire cela, puisque je pars aprĂšs demain ! Toute ma journĂ©e de demain est prise, et j’ai encore quatre ou cinq courses Ă  faire avant le dĂźner.
Il se leva tout de suite, saisi de peine, lui qui n’avait d’autre dĂ©sir que de ne la plus quitter ; et, lui ayant baisĂ© les mains, il s’en alla, le cƓur un peu meurtri, mais plein d’espoir.
Ce furent quatre jours bien longs qu’il eut Ă  passer. Il les traĂźna dans Paris, sans voir personne, prĂ©fĂ©rant le silence aux voix et la solitude aux amis.
Il prit donc, le vendredi matin, le train express de huit heures. Il n’avait guĂšre dormi, enfiĂ©vrĂ© par l’attente de ce voyage. Sa chambre noire, silencieuse, oĂč passaient seulement les roulements des fiacres attardĂ©s, Ă©vocateurs des dĂ©sirs de dĂ©part, l’avait, durant toute la nuit, oppressĂ© comme une prison.
DĂšs qu’une lueur apparut entre les rideaux fermĂ©s, la lueur grise et triste du tout premier matin, il sauta du lit, ouvrit sa fenĂȘtre et regarda le ciel. La peur du mauvais temps le hantait. Il faisait beau. Une brume lĂ©gĂšre flottait, prĂ©sage de chaleur. Il s’habilla plus vite qu’il ne fallait, fut prĂȘt deux heures trop tĂŽt, le cƓur rongĂ© par l’impatience de quitter la maison, d’ĂȘtre en route enfin ; et son domestique dut aller chercher un fiacre, Ă  peine sa toilette finie, par crainte de n’en point trouver.
Les premiers cahots de la voiture furent pour lui des secousses de bonheur ; mais quand il pénétra dans la gare Montparnasse, un énervement le saisit en reconnaissant que cinquante minutes le séparaient encore du départ du train.
Un coupĂ© se trouvait libre ; il le loua afin d’ĂȘtre seul et de pouvoir rĂȘver Ă  son aise. Lorsqu’il se sentit en marche, glissant vers elle, emportĂ© dans le roulement doux et rapide de l’express, son ardeur, au lieu de se calmer, grandit, et il avait envie, une envie bĂȘte d’enfant, de pousser Ă  deux mains, de toute sa force, la cloison capitonnĂ©e pour accĂ©lĂ©rer la vitesse.
Pendant longtemps, jusqu’au milieu du jour, il demeura murĂ© dans son attente et perclus d’espĂ©rance ; puis peu Ă  peu, Argentan passĂ©, ses yeux furent attirĂ©s vers les portiĂšres par toute la verdure normande.
Le convoi traversait un long pays onduleux, coupĂ© de vallons, oĂč les domaines des paysans, herbages et prairies Ă  pommiers, Ă©taient entourĂ©s de grands arbres dont les tĂȘtes touffues semblaient luisantes sous les rayons du soleil. On touchait Ă  la fin de juillet ; c’était la saison vigoureuse oĂč cette terre, nourrice puissante, fait Ă©panouir sa sĂšve et sa vie. Dans tous les enclos, sĂ©parĂ©s et reliĂ©s par ces hautes murailles de feuilles, les gros bƓufs blonds, les vaches aux flancs tachetĂ©s de vagues dessins bizarres, les taureaux roux au front large, au jabot de chair poilue, Ă  l’air provocateur et fier, debout auprĂšs des clĂŽtures ou couchĂ©s dans les pĂąturages qui ballonnaient leurs ventres, se succĂ©daient indĂ©finiment Ă  travers la fraĂźche contrĂ©e, dont le sol semblait suer du cidre et de la chair.
Partout de minces riviĂšres glissaient au pied des peupliers, sous des voiles lĂ©gers de saules ; des ruisseaux brillaient dans l’herbe une seconde, disparaissaient pour reparaĂźtre plus loin, baignaient toute la campagne d’une fraĂźcheur fĂ©conde.
Et Mariolle promenait, ravi, et distrayait son amour dans le rapide et continu défilé de ce beau parc à pommiers habité par des troupeaux.
Mais, quand il eut changĂ© de train Ă  la station de Folligny, l’impatience d’arriver l’agita de nouveau, et, pendant les derniĂšres quarante minutes, il tira vingt fois sa montre de sa poche. À tout moment il se penchait Ă  la portiĂšre, et il aperçut enfin, sur une colline assez Ă©levĂ©e, la ville oĂč Elle l’attendait. Le train avait eu du retard, et une heure seulement le sĂ©parait de l’instant oĂč il devait la retrouver, par hasard, Ă  la promenade publique.
Un omnibus d’hĂŽtel l’ayant recueilli, seul voyageur, se mit Ă  gravir, au pas lent des chevaux, la route escarpĂ©e d’Avranches, Ă  qui ses maisons, couronnant la hauteur, donnaient de loin un aspect fortifiĂ©. De prĂšs, c’était une jolie et vieille citĂ© normande, aux petites demeures rĂ©guliĂšres et presque pareilles, tassĂ©es les unes contre les autres, avec un air de fiertĂ© ancienne et d’aisance modeste, un air moyen Ăąge et paysan.
DĂšs que Mariolle eut jetĂ© sa valise dans une chambre, il se fit indiquer la rue par oĂč l’on parvient au Jardin botanique, et il s’en alla Ă  grands pas, bien qu’il fĂ»t en avance, mais espĂ©rant qu’elle aurait peut-ĂȘtre aussi devancĂ© l’heure.
En arrivant Ă  la grille, il reconnut d’un coup d’Ɠil qu’il Ă©tait vide ou presque vide. Trois vieux hommes seulement s’y promenaient, bourgeois indigĂšnes qui devaient rĂ©crĂ©er lĂ  quotidiennement leurs derniers loisirs ; et une famille de jeunes Anglais, filles et garçons, aux jambes sĂšches, jouait autour d’une institutrice blonde dont le regard distrait semblait rĂȘver.
Mariolle, le cƓur battant, marchait devant lui, scrutant les chemins. Il atteignit une grande allĂ©e d’ormes d’un vert puissant qui coupait en deux le jardin par le travers, allongeant au milieu une voĂ»te Ă©paisse de feuillage ; puis il passa outre, et soudain, en approchant d’une terrasse dominant l’horizon, il fut distrait brusquement de celle qui le faisait venir en ce lieu.
Du pied de la cĂŽte sur laquelle il Ă©tait debout partait une inimaginable plaine de sable qui se mĂȘlait au loin avec la mer et le firmament. Une riviĂšre y promenait son cours, et, sous l’azur flambant de soleil, des mares d’eau la tachetaient de plaques lumineuses qui semblaient des trous ouverts sur un autre ciel intĂ©rieur.
Au milieu de ce dĂ©sert jaune, encore trempĂ© par la marĂ©e en fuite, surgissait, Ă  douze ou quinze kilomĂštres du rivage, un monumental profil de rocher pointu, fantastique pyramide coiffĂ©e d’une cathĂ©drale.
Elle n’avait pour voisin, dans ces dunes immenses, qu’un Ă©cueil Ă  sec, au dos rond, accroupi sur les vases mouvantes : Tombelaine.
Plus loin, dans la ligne bleuĂątre des flots aperçus, d’autres roches noyĂ©es montraient leurs crĂȘtes brunes ; et l’Ɠil, continuant le tour de l’horizon vers la droite, dĂ©couvrait Ă  cĂŽtĂ© de cette solitude sablonneuse la vaste Ă©tendue verte du pays normand, si couvert d’arbres qu’il avait l’air d’un bois illimitĂ©. C’était toute la nature s’offrant d’un seul coup, en un seul lieu, dans sa grandeur, dans sa puissance, dans sa fraĂźcheur et dans sa grĂące ; et le regard allait de cette vision de forĂȘts Ă  cette apparition du mont de granit, solitaire habitant des sables, qui dressait sur la grĂšve dĂ©mesurĂ©e son Ă©trange figure gothique.
Le plaisir bizarre, dont Mariolle jadis avait souvent tressailli devant les surprises que les terres inconnues gardent aux yeux des voyageurs, l’envahit si brusquement qu’il demeura immobile, l’esprit Ă©mu et attendri, oubliant son cƓur garrottĂ©. Mais, un son de cloche ayant vibrĂ©, il se retourna, ressaisi tout Ă  coup par l’espĂ©rance ardente de leur rencontre. Le jardin Ă©tait toujours presque vide. Les enfants anglais avaient disparu. Seuls les trois vieillards faisaient encore leur promenade monotone. Il se mit Ă  marcher comme eux.
Elle allait venir tout Ă  l’heure, dans un instant. Il la verrait au bout des chemins qui aboutissaient Ă  cette merveilleuse terrasse. Il reconnaĂźtrait sa taille, sa dĂ©marche, puis sa figure et son sourire, et il entendrait sa voix. Quel bonheur ! quel bonheur ! Il la sentait proche, quelque part, introuvable, invisible encore, mais pensant Ă  lui, sachant aussi qu’elle allait le revoir.
Il faillit pousser un cri lĂ©ger. Une ombrelle bleue, rien qu’un dĂŽme d’ombrelle, glissait lĂ -bas au-dessus d’un massif. C’était elle sans aucun doute. Un petit garçon apparut, poussant un cerceau devant lui ; puis deux dames, – il la reconnut, – puis deux hommes : son pĂšre et un autre monsieur. Elle Ă©tait tout en bleu, comme un ciel de printemps. Ah ! oui ! il la reconnaissait sans distinguer encore ses traits ; mais il n’osait point aller vers elle, sentant qu’il allait balbutier, rougir, qu’il ne saurait expliquer ce hasard sous l’Ɠil soupçonneux de M. de Pradon.
Il marchait cependant à leur rencontre, sa jumelle sans cesse levée, tout occupé, semblait-il...

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