1.
Introduction
De lâĂąme nĂ©olibĂ©rale Ă
lâĂąme sensible
Face Ă un monde confrontĂ© Ă des enjeux sociaux et environnementaux gigantesques, les forces du changement social et politique vont se dĂ©ployer que nous le souhaitions ou pas. Nul ne sait quelles formes ces forces prendront mais tout le monde peut et doit ĂȘtre convaincu que des changements radicaux vont rapidement intervenir. Nous ne continuerons pas tranquillement et trĂšs longtemps le cours de nos vies ordinaires.
Cette nouvelle question sociale et politique (la plus grande que le monde ait jamais eu à affronter) nous confronte donc à la nécessité de se saisir de ces forces de changements pour les orienter dans une direction jugée souhaitable. Elle nécessite de penser sereinement et lucidement les mécanismes de changements sociaux efficaces dans des structures démocratiques.
La question Ă©cologique nous impose urgemment un profond changement de paradigme. DorĂ©navant (et nous en sommes trĂšs loin), lâensemble des forces sociales du changement doive ĂȘtre rĂ©orientĂ© vers la recherche de la survie de lâespĂšce humaine et donc des problĂ©matiques environnementales. Ă la figure de lâ« HomoĂ©conomicus » comme moteur de lâhistoire doit succĂ©der celle de « lâHomoĂ©cologicus », individu capable de rĂ©guler ses besoins en renonçant Ă assouvir lâensemble de ses pulsions. Autrement dit, un individu social habitĂ© par le souci environnemental, par le sens de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et le souci de lâautre.
Bref, un homme sage. Car câest, en effet, de sagesse dont nous allons parler. Ne nous y trompons pas. Il nây aura pas de futur positif sans le franchissement de stades de dĂ©veloppement psychiques et spirituels de grandes importances, sans lâatteinte dâune forme de sagesse individuelle et collective permettant de dompter nos dĂ©mons. Et le temps nous est comptĂ©.
Se pose donc la question de lâĂ©mergence de ce sage en tant que nouvelle figure sociale, acteur du changement.
Face Ă la nĂ©cessitĂ© dâopĂ©rer ce processus de transformation anthropologique, on en appelle Ă une prise de conscience, une Ă©volution des mentalitĂ©s. On espĂšre que la sagesse va naĂźtre devant le constat de lâimminence du danger. Possible⊠mais il est aussi possible que le danger rĂ©vĂšle des pulsions de survie mortifĂšres. Le danger est aujourdâhui Ă nos portes et les scores du mouvement Ă©cologiste tĂ©moignent de la faible prise de conscience collective de lâimmensitĂ© des enjeux.
Pour quâun processus de transformation advienne, il doit nĂ©cessairement sâinscrire dans une conscience, un corps social et psychique capable de concevoir le projet spirituel sur lequel il sâadosse, dây adhĂ©rer et de le promouvoir. La question du changement social est donc Ă©troitement dĂ©pendante de celle de lâĂ©volution des mentalitĂ©s autrement formulable Ă travers les notions dâesprit ou de conscience. Cette mentalitĂ© nous renvoie Ă la dĂ©couverte et lâanalyse sociale des formes de subjectivitĂ©s contemporaines.
Nous sommes, en partie, les enfants dâun systĂšme politique, Ă©conomique, culturel et symbolique. Nous intĂ©riorisons un « ethos» liĂ© au systĂšme politique marquĂ© par un certain rapport au temps, Ă la compĂ©tition, Ă la consommation, Ă lâautre, Ă la nature, au sens de la vieâŠ.. MĂȘme si nous ne sommes pas entiĂšrement rĂ©ductibles Ă cette forme de subjectivitĂ©, elle est lâune des composantes de notre conscience. Cette fabrique de nos Ăąmes se donne Ă voir dans les dispositions socialement encouragĂ©es au sein dâun systĂšme politique (rĂ©ussir matĂ©riellementâŠ.) mais aussi dans tous les autres traits de caractĂšre laissĂ©s en friche (la bientraitance est aussi une dispositions qui se cultive pour quâelle puisse se dĂ©ployer). LâhumanitĂ© ne peut survivre quâĂ la condition de changer radicalement son mode de vie et un tel changement ne peut naĂźtre que si cette nĂ©cessitĂ© est intĂ©riorisĂ©e dans les profondeurs de nos Ăąmes. La question sociale et environnementale est donc une question Ă la fois psychique et politique : la fabrique de cette conscience Ă©cologiste.
Comment faire advenir une Humanité sage ? Telle est la question centrale de cet ouvrage.
De cette question les champs politique et philosophique sâen sont largement saisis sans y apporter une rĂ©ponse Ă la hauteur.
Nous devons rompre le cercle infernal de la destruction environnementale. Un systĂšme nĂ©olibĂ©ral produit un ethos nĂ©olibĂ©ral qui va lui-mĂȘme reproduire le systĂšme par lâintĂ©riorisation psychique de la vision du monde nĂ©cessaire Ă la survie du systĂšme.
Cette question doit donc sortir du champ politique pour ĂȘtre utilement Ă©clairĂ©e Ă lâaune des sciences sociales en sâappuyant sur deux univers : les sciences sociales et la psychologie positive.
Du cĂŽtĂ© des sciences sociales, nous allons chercher son expertise du fonctionnement social et notamment sa comprĂ©hension des liens pouvant exister entre les structures sociales et les structures psychiques. Nous avons besoin de comprendre les mĂ©canismes qui contribuent Ă la formation sociale des dispositions1 psychiques pour saisir les conditions de lâĂ©volution des consciences. Il sâagit de politiser la question des formes de subjectivitĂ©s contemporaines.
Comment peut-on socialement produire de la sagesse ?
En accĂ©dant Ă cette comprĂ©hension, nous pouvons espĂ©rer trouver les outils pour faire Ă©merger cet Homme sage. Lâensemble du travail social sĂ©crĂ©tĂ© par chaque espace social sur lâintĂ©rioritĂ© et les subjectivitĂ©s individuelles peut et doit ĂȘtre mis au service de la fabrique de cette sagesse.
En prĂ©tendant que notre vision du monde est façonnĂ©e par les diffĂ©rents espaces sociaux que nous frĂ©quentons, nous ne faisons que formuler une banalitĂ© sociologique. Cette science a dĂ©noncĂ© de 1000 façons lâenfantement par le systĂšme politique notamment nĂ©olibĂ©ral dâenfants monstrueux, individus Ă©goĂŻstes, calculateurs, perversâŠ. Autant de thĂ©ories, de travaux permettant de mettre en Ă©vidence des liens toxiques entre les structures sociales et les dispositions psychiques. Il est possible dâutiliser lâensemble de ces outils mais cette fois-ci, non pas seulement pour dĂ©noncer les dĂ©rives, mais pour les mettre au service de la construction dâune sagesse collective. Il est possible dâutiliser lâensemble de ce savoir pour donner Ă voir les conditions Ă mettre en place pour quâune sociĂ©tĂ© (et lâensemble des espaces sociaux qui la compose) participe Ă la fabrique dâun citoyen sage. Une forme de sociologie positive en somme. Une telle sociologie pourrait ĂȘtre dĂ©finie comme la science ayant pour objet de produire du savoir sur le fonctionnement vertueux des espaces sociaux.
En faisant cela, nous empruntons le chemin du paradigme positif balisé par la psychologie positive.
La psychologie positive a justement consacrĂ© lâessentiel de ses travaux Ă tenter dâĂ©tablir des liens entre certaines formes de dispositions (optimisme, humourâŠ) et des effets positifs (bonne santĂ©, altruismeâŠ.). Elle a ainsi donnĂ© naissance Ă de multiples outils et thĂ©ories. Elle a notamment dĂ©veloppĂ© la notion de ressources. Elle est principalement connue pour ses thĂ©ories sur le bonheur mais la notion de positivitĂ© peut aussi se mesurer Ă lâaune de la recherche du bien commun.
Cependant, dans le domaine du changement social, la psychologie positive ne peut donner que ce quâelle a Ă donner, faire que ce pourquoi elle est faite : de la psychologie. Câest-Ă -dire apprĂ©hender la notion de changement sous lâangle de lâĂ©volution individuelle des subjectivitĂ©s. Câest la raison pour laquelle elle a besoin des sciences sociales.
Chacun de ces univers a profondĂ©ment besoin de lâautre pour dĂ©ployer son potentiel.
La psychologie positive a besoin des sciences sociales pour comprendre les mĂ©canismes qui permettront la diffusion de lâensemble de ses ressources positives dans le corps social. Sans cela, elle restera cantonnĂ©e dans les cabinets de thĂ©rapeute. Elle finira en mĂ©thode CouĂ© dans les catalogues de dĂ©veloppement personnel. Au mieux, elle demeurera incapable de changer le rĂ©el (car nâayant pas saisi les liens entre les subjectivitĂ©s et les structures sociales et politiques) ; au pire, elle sera un instrument nĂ©olibĂ©ral de psychologisation et de culpabilisation des masses, vĂ©ritable machine idĂ©ologique Ă domestiquer les esprits en rendant les individus responsables de leur malheur. Face au constat que la rĂ©silience est une ressource permettant de faire face aux Ă©preuves, deux chemins sâoffrent Ă nous : le premier consiste Ă rendre les individus responsables de leur Ă©chec par dĂ©faut de rĂ©silience, le second cherche Ă sâintĂ©resser Ă la fabrique sociale et politique de cette rĂ©silience ainsi quâĂ son orientation citoyenne. Les sciences sociales peuvent aider la psychologie Ă arpenter ce second chemin.
Les sciences sociales ont besoin, quant Ă elles, de sortir de leur logiciel « problĂšmes » pour orienter leur regard vers des approches « solutions » et se poser donc, concrĂštement, la question de la sagesse et des moyens de la faire advenir. Il est plus que temps dâutiliser les outils qui ont Ă©tĂ© forgĂ©s pour dĂ©crire le sombre rĂ©el et mettre ce savoir au service de la transformation positive de monde. Les sciences sociales peuvent et doivent rĂ©cupĂ©rer la question centrale de psychologie positive Ă savoir : « prĂ©occupe-toi du futur favorable et donne-nous les outils pour le faire advenir ». AprĂšs avoir dĂ©crit les multiples pathologies de lâindividu contemporain, nous devons travailler Ă lâĂ©mergence dâun savoir au service dâune sagesse individuelle et collective. Ce savoir doit nous donner les clĂ©s de la fabrique de lâethos citoyen.
En mariant lâunivers de la psychologie positive et celui des autres sciences sociales notamment de la sociologie, nous pouvons donner naissance Ă une fantastique boĂźte Ă outils conceptuelle et pratique. Les notions de « citoyennisation du monde, de capital de citoyennetĂ© ou dâintelligence citoyenne » seront les enfants de ce mariage prolifiqueâŠet des outils qui pourront changer le monde
AprĂšs avoir prĂ©sentĂ© lâapport que peut reprĂ©senter la psychologie positive dans le champ de la transformation Ă travers la notion de ressources et aprĂšs avoir dĂ©fini le concept de « positif » en sâappuyant sur la notion de bien commun, nous proposons de poursuivre lâincursion du paradigme positif dans le champ de lâanalyse sociale en dĂ©veloppement la notion de « citoyennisation ». Cet outil conceptuel nous permettra de dĂ©signer le processus dâenrichissement dâun espace social par des forces et une Ă©nergie citoyenne.
Nous poursuivrons, ensuite, le processus de reliance de la psychologie positive et des sciences sociales en allant puiser dans la boĂźte Ă outils Bourdieusienne les notions dâhabitus et de capital. Ces concepts Ă©clairĂ©s Ă la lumiĂšre des outils du paradigme positif nous permettront de forger les notions de capital de citoyennetĂ© et dâethos positif autrement appelĂ© ethos citoyen. Ces deux outils serviront Ă mettre en Ă©vidence la possibilitĂ© dâintroduire des ressources positives au sein dâun espace social, ressources orientant le comportement des acteurs vers la recherche de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et du bien commun (notion de capital citoyen).
Une fois mis en Ă©vidence quâil existe certaines dispositions favorisant des comportements citoyens, il nous faudra travailler Ă leur diffusion dans le corps social. Si lâintelligence Ă©motionnelle est la mĂšre de lâaltruisme alors il nous faut apprendre Ă cultiver cette forme dâintelligence que nous proposons de nommer « intelligence citoyenne ».
Nous proposerons une analyse « chimique » des composantes de cette forme de capital Ă travers les concepts dâIntelligence spirituelle citoyenne, (ISC), dâIntelligence Ă©motionnelle citoyenne (IEC) et dâIntelligence psychologique citoyenne (IPC).
Lâexamen de cette conscience citoyenne nous amĂšnera Ă dessiner la figure dâun individu citoyen nĂ©cessairement sensible aux autres, aux sens des choses, aux Ă©motions et Ă la nature. Tout lâenjeu consistera alors Ă trouver les voies et les moyens pour que le pouvoir social bascule de lâĂąme nĂ©olibĂ©rale Ă lâĂąme bienveillante, pour que le pouvoir soit donnĂ© aux Ăąmes bienveillantes capable de diriger avec sagesse un monde Ă©cologique.
Nous donnerons ainsi un contenu Ă cette fameuse « prise de conscience », Ă cette conscience quâil faut « prendre » pour produire de la sagesse.
Nous examinerons donc la fabrique de cette intĂ©rioritĂ© citoyenne2 et notamment les conditions pour que ce type de dispositions puisse Ă©clore au sein dâun espace social. Nous v...