1. L’énergie pour les foyers
La pauvreté énergétique interdit à des millions de personnes l’accès au niveau de vie de base dont elles ont envie et dont elles ont besoin, et qu’elles sont en droit d’attendre. Sans accès à l’énergie pour cuisiner, chauffer le foyer, gagner sa vie et profiter pleinement des opportunités en matière de santé, d’éducation et de culture, des communautés tout entières sont condamnées à vivre une vie de corvées et de subsistance. Ce chapitre examine l’impact de la pauvreté énergétique sur les personnes et les communautés les plus démunies. Il met également en évidence les effets transformationnels rendus possibles lorsque l’énergie devient disponible.
Du point de vue des populations pauvres, le service énergétique en lui-même (lumière et chauffage suffisants, etc.) est plus important que la manière à partir de laquelle il est produit. Bien que différentes sources et différents appareils puissent être utilisés pour de multiples services (un fourneau utilisé à la fois pour la cuisson des aliments et pour le chauffage de l’habitation la nuit dans un climat froid), ce chapitre se concentre sur cinq catégories de services qui représentent les dimensions clés de l’accès énergétique pour les foyers.
•éclairage
•cuisine et chauffage de l’eau
•chauffage de l’habitation
•refroidissement
•informations et communications
Ce chapitre se base sur des données provenant de différents rapports et études nationaux et régionaux que nous avons rassemblées en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Des données issues de projets ou d’initiatives ont également été intégrées, notamment lorsque les chiffres nationaux ou internationaux étaient insuffisants. Ce rapport fait également appel aux témoignages de personnes vivant dans la pauvreté énergétique ou qui n’ont obtenu que très récemment un accès à l’énergie. Ces témoignages ont été recueillis par le biais d’entretiens et de groupes de discussion. En compilant ces informations, nous avons noté un réel manque de données complètes et ventilées en matière d’accès international à l’énergie. Le déploiement complet du cadre de suivi mondial (Banerjee et coll., 2013), une récente initiative de la Banque mondiale soutenue par Practical Action, devrait nous aider à combler certaines de ces lacunes au cours des prochaines années.
Ce chapitre met en évidence, pour chaque service énergétique, la situation actuelle pour les populations pauvres ainsi que les implications de ce manque d’accès. Il examine les options pour l’amélioration de l’accès, et l’impact que celui-ci peut avoir sur les vies des populations pauvres. Une norme minimale applicable pour chaque service est suggérée. Dans une certaine mesure, cette norme est discutable et propre à chaque pays. Toutefois, il s’agit d’une étape importante pour quantifier ce que l’accès universel à l’énergie implique, en réalité (un des objectifs de l’initiative SE4ALL (Sustainable Energy for All ou Énergie durable pour tous) de l’ONU d’ici 2030).
Éclairage
L’éclairage est un besoin fondamental pour l’homme. Les personnes qui ne peuvent pas simplement appuyer sur un interrupteur pour allumer la lumière dans leur foyer perdent de nombreuses heures de productivité lorsque le soleil est couché. D’après les estimations, en 2010, 1,2 milliard de personnes (soit 17% de la population mondiale) n’ont pas accès à l’électricité (Banerjee et coll., 2013). Par conséquent, les personnes ont recours à des lampes qui polluent, sont dangereuses, et fournissent une lumière de faible qualité, comme les bougies, les lampes à pétrole ou les simples brandons. Pourtant, ces sources d’éclairage sont généralement plus chères que l’éclairage électrique.
L’éclairage sans électricité
Lorsque les populations pauvres essayent d’éclairer leur foyer sans électricité, les principaux problèmes auxquels elles font face sont liés à la faible qualité de la lumière, aux coûts élevés, et au danger des brûlures et de la fumée pour la santé.
Qualité de la lumière. Les lumières qui utilisent des sources d’énergie autres que l’électricité ont tendance à éclairer beaucoup moins. Une lampe à pétrole à mèche ou une bougie ne fournissent que 11 lumens2 par rapport aux 1 300 lumens d’une ampoule de 100 W. Les lampes électriques sont également beaucoup plus efficaces que les lampes à pétrole pour convertir l’énergie en lumière. Une simple lampe à pétrole à mèche brûle 10 ml de combustible par heure tout en fournissant une lumière équivalente à celle d’une petite lampe de poche (lampe torche) – trop faible pour la lecture. Les répondants à une enquête nationale sur l’éclairage en milieu rural au Pérou ont déclaré que les bougies et les lampes à pétrole fournissaient à peine assez de lumière pour se déplacer dans la maison (Barnes, 2010a). Elles n’en fournissent pas assez pour travailler en sécurité ou pour étudier. Les foyers disposant d’un revenu plus élevé avaient tendance à utiliser des batteries de voitures pour alimenter l’éclairage électrique, mais limitaient leur utilisation en raison des coûts et des désagréments liés à leur rechargement
Coût de l’éclairage. Des études ont maintes fois démontré que les coûts de fonctionnement de l’éclairage par bougie ou par pétrole sont beaucoup plus élevés que ceux de l’éclairage par électricité. Elles ont également montré que l’alimentation d’ampoules inefficaces à l’aide de grosses batteries se révèle plus chère que l’éclairage à partir de lampes solaires de bonne qualité. La source d’éclairage la moins chère reste l’utilisation de l’électricité du réseau avec des ampoules à économie d’énergie. Une étude menée par la banque mondiale au Guatemala (Foster et coll., 2000) a découvert que le prix d’achat d’une unité de lumière par un foyer était de 0,08 $ pour l’alimentation électrique, contre 5,87 $ pour le pétrole et 13 $ pour les bougies, ce qui rend ces dernières 162 fois plus chères que l’alimentation électrique par unité de lumière. SolarAid a découvert qu’en moyenne, les lampes solaires permettaient aux familles africaines d’économiser environ 70 $ par an.
L’obstacle posé par le coût initial des lampes solaires et, dans certains cas, leur disponibilité limitée, ont restreint leur utilisation. Toutefois, cela commence à évoluer plutôt rapidement grâce aux récentes avancées en matière de conception technologique et de normes de qualité, et au développement des marchés dynamiques des lampes solaires dans de nombreux pays.
Le danger des lampes: pollution de l’air intérieur (PAI) et brûlures. Il existe peu d’études sur les niveaux de pollution de l’air intérieur par les lampes à pétrole. Une étude de laboratoire préliminaire menée au Guatemala (Schare et Smith, 1995) indique une émission moyenne de particules de 540 mg/h pour les lampes à mèche et de 300 mg/h pour les lampes placées sous enveloppe protectrice. Comparé aux émissions d’un fourneau à biomasse (2 à 20 g/h), ce taux d’émission est relativement faible, mais les lampes les plus polluantes émettent des niveaux similaires à ceux des fourneaux à biomasse les plus propres. Une étude de Poppendieck et coll. (2010) indique que les polluants des réchauds à mèche à kérosène les moins chers produisent les particules les plus fines, et sont donc les plus dangereux, car ces particules sont celles qui s’enfoncent le plus profondément dans les poumons.
Les bougies et les lampes à mèche laissées sans surveillance sont intrinsèquement dangereuses et peuvent entraîner des blessures ou la mort, notamment chez les femmes et les enfants. Au Sri Lanka, 91 des 221 patients (41 %) qui ont été admis avec des brûlures à l’hôpital général de Batticaloa entre juillet 1999 et juin 2001 ont déclaré que ces dernières avaient été provoquées par l’éclairage. En 1998 et 1999, 151 des 487 patients (31 %) âgés de 12 ans et plus, qui ont été admis à l’hôpital national de Colombo, souffraient de brûlures accidentelles provoquées par des lampes à pétrole (Peck et coll., 2008).
Figure 1.1 Quantité de lumière produite par différentes sources
Source: Mills (2003) et description des produits sur le site Web Lighting Africa
Le tableau 1.1 compare certaines des technologies qui sont disponibles à l’heure actuelle. Il s’agit d’un secteur en plein développement ou de nouveaux produits et innovations arrivent en permanence.
L’impact d’un éclairage adéquat
Des études suggèrent que l’accès à l’éclairage est énormément apprécié par les familles pauvres. Une étude menée au Rwanda a découvert qu’une fois que l’électricité en réseau était disponible, 80 % des foyers avaient totalement abandonné les sources d’éclairage traditionnel (GTZ et Senternovem, 2009). Le rapport d’impact de SolarAid a découvert que les familles africaines, vivant en milieu rural, économisaient environ 70 $ par an qu’elles consacraient généralement à l’éducation, à l’agriculture ou à l’achat de nourriture de meilleure qualité. Les enfants passaient en moyenne une heure de plus à étudier, tous les soirs. D’autres impacts qualitatifs se sont également fait sentir; l’éclairage rassemblant les personnes et les aidant à se sentir davantage en sécurité, une fois la nuit tombée (SolarAid 2013).
Normes minimales pour un éclairage adéquat
Dans son programme Energizing Development (EnDev), GIZ propose de fixer le niveau minimal acceptable de lumière dans un foyer à 300 lumens (comparable à la lumière produite par une ampoule à incandescence de 30 W). Sur les lieux de travail, il a été constaté qu’il s’agit d’un palier en dessous duquel le nombre d’accidents augmente rapidement (Reiche et coll. 2010). Ce niveau de lumière est suffisant pour la lecture et pour d’autres tâches ménagères. Ce rapport soutient qu’un niveau de 300 lumens devrait être disponible pendant au moins quatre heures par nuit.
Cuisine et chauffage de l’eau
La cuisine est un besoin quotidien. En effet, 80 % de la nourriture que nous consommons doivent être cuisinés. Pourtant, il s’agit d’un domaine d’intervention relativement négligé. En 2009, une étude révèle que seulement 2 % des stratégies en matière d’énergie dans les pays moins développés se sont intéressés à la cuisine (Havet et coll., 2009).
Deux personnes sur cinq (2,8 milliards en 2010) dépendent du bois, du charbon de bois ou de déchets d’origine animale pour cuisiner leur nourriture (Banerjee et coll., 2013). On estime que seulement 27 % des personnes qui dépendent des combustibles solides (biomasse ou charbon) utilisent des fourneaux améliorés. L’accès à ces fourneaux est encore plus limité dans les pays moins développés et en Afrique subsaharienne où seulement 6 % des personnes, qui ont recours à la biomasse traditionnelle, tirent parti de ces options (Legros et coll., 2009).
Une source de chaleur n’est pas uniquement nécessaire pour cuisiner: la stérilisation de l’eau et le chauffage de l’eau pour la toilette et l’hygiène personnelle rallongent la durée pendant laquelle un fourneau ou un feu doit être allumé. Les fourneaux sont également utilisés pour des activités domestiques productives, comme la cuisson des aliments pour animaux, le brassage de la bière et de l’alcool et la préparation de nourriture de rue (qui constitue souvent une importante source de revenus pour le foyer).
La cuisine et le chauffage de l’eau ne sont pas uniquement réalisés au sein du foyer, mais également dans les rues (pour la nourriture de rue), dans les cafés et restaurants, dans les institutions comme les écoles ou les hôpitaux, et sur les lieux de travail.
Tableau 1.1 Technologies d’éclairage low-cost et leur utilization
Cuisine et chauffage de l’eau sans fourneaux ni combustibles améliorés
Le manque d’accès à des solutions de cuisson améliorées a de profondes implications. Parmi les plus importantes on peut citer, le temps et la charge de travail des femmes et des enfants, la santé et les problèmes environnementaux.
Temps et charge de travail des femmes. Les femmes en particulier passent de nombreuses heures à effectuer des corvées, rassemblant du combustible, cuisinant sur des fourneaux non efficients et nettoyant les casseroles, les vêtements, les murs et les plafonds couverts de suie. Des études menées dans différents pays montrent que les femmes (et souvent les enfants) passent 2 à 8 heures par jour à ramasser du bois (figure 1.2). Il existe également de fortes variations saisonnières qui affectent la disponibilité et le choix du type de combustible à utiliser (encadré 1.2).