Entre Terre et Ciel
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Entre Terre et Ciel

Une éthique pour l'odyssée de l'espace

Jacques Arnould

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Une éthique pour l'odyssée de l'espace

Jacques Arnould

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« Pourquoi l'éthique devrait-elle préoccuper particulièrement les agences spatiales et les industries? Bien sûr, le comportement éthique devrait être une préoccupation majeure pour nous tous dans toutes les professions, mais en raison de la nature particulière des activités spatiales - leurs dépenses, leur danger, leur visibilité publique, leurs défis et leurs opportunités uniques – l'espace et la réflexion éthique doivent aller de pair. » Il faut prendre au sérieux ce que Jim Dator dit de la nécessité d'associer l'espace et l'éthique. Lorsque nous nous sommes rencontrés à Valparaiso en 2000, durant la session d'été de l'International Space University (ISU), il proposait à ses étudiants de réfléchir aux questions éthiques que peut poser l'exploration de l'espace: je me souviens qu'il les interrogeait sur l'opportunité d'informer les astronautes d'une navette spatiale au cas où une catastrophe majeure les menacerait, une catastrophe dont seul le contrôle terrestre aurait eu connaissance. L'accident de la navette Columbia a eu lieu deux ans et demi plus tard. Le professeur Dator m'a ensuite associé à cet enseignement: sous diverses formes, j'ai proposé à mon tour de sensibiliser les étudiants de l'ISU aux enjeux éthiques des activités spatiales, au cours des sessions d'été ou des enseignements de master. J'ai eu et je continue à avoir l'occasion d'intervenir sur le même sujet dans d'autres lieux académiques (universités, écoles d'ingénieurs), en France et en dehors de France. Mon expérience n'est pas celle de Jim Dator: cet enseignant et chercheur de l'université d'Hawaï a développé une réflexion extrêmement poussée dans le champ des relations entre l'espace et les sociétés humaines, à partir de son expertise qui porte sur le futur social et politique de nos sociétés, sur les utopies ou encore sur le rôle des médias. J'ai pour ma part acquis une compétence et une expérience plus pratiques au sein du Centre national d'études spatiales (CNES), l'agence spatiale française, où j'occupe depuis 2001 le poste d'expert éthique; c'est cette expérience dont je fais part aux étudiants et aux publics auxquels je m'adresse. Je cherche à leur montrer comment, loin d'être inutile ou même gênante pour les activités spatiales, l'éthique peut au contraire leur fournir un soutien aussi bien comme démarche d'intelligence collective au sein des communautés d'acteurs spatiaux que d'information auprès des citoyens de nos pays qui restent aujourd'hui encore (et sans ignorer l'émergence du NewSpace) les principaux contributeurs aux activités spatiales. Je cherche aussi à leur montrer comment l'espace offre à l'humanité de singulières occasions pour s'interroger sur elle-même, sur ses inspirations, ses attentes, ses craintes. Grâce à l'espace, notre humanité continue à grandir. Voilà qui mérite toute notre attention.

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Information

Chapitre 1 :

Espaces multiples

La poudre noire est probablement l’une des inventions chinoises les plus célèbres, avec le sismographe, la boussole ou encore l’imprimerie : elle a été utilisée pour la première fois en 919 comme agent détonnant et en 970 comme agent propulsif. Au XVIe siècle, lorsque le mandarin Wang Hou imagine d’y recourir pour décoller du sol, il ne possède pas de solution technique satisfaisante pour allumer simultanément les 47 fusées de sa machine volante, dotée également de deux cerfs-volants. Il fait donc appel à 47 esclaves, chargés d’enflammer chacun une fusée. L’un d’entre eux met malencontreusement le feu à la machine volante de Wang Hou : le mandarin meurt brûlé et, au lieu de rejoindre effectivement le ciel, entre dans la légende de l’exploration de l’espace. Les ingénieurs et les dignitaires chinois qui, en novembre 1999, procèdent au lancement du premier vaisseau habitable chinois depuis le désert de Gobi connaissent l’histoire de leur lointain précurseur ; ils savent aussi que, dans la course à l’espace, ils ont été précédés par d’autres nations : les premiers « fils du Ciel » de l’époque moderne ne sont pas les descendants des empereurs de Chine, mais sont tous nés en Occident, qu’ils soient russes ou américains.
Il faut prendre la mesure de ce simple constat historique : nous ne pouvons pas nous interroger sur les raisons d’être, les motivations et les conditions de nos entreprises d’exploration et d’utilisation de l’espace sans tenir compte de la diversité des modes d’appréhension, de compréhension, de représentation du ciel, véhiculés par nos cultures, d’hier et d’aujourd’hui. Il n’y a pas un seul espace, mais plusieurs.

Ciel sacré

Une chose est certaine : pas une seule des cultures humaines n’a ignoré, n’ignore aujourd’hui la voûte céleste. L’archéoastronomie en trouve des traces parmi les premiers vestiges humains, aux parois des cavernes préhistoriques ou sur des objets taillés, gravés. Les représentations de la Lune ou des Pléiades dans la grotte de Lascaux en France sont vieilles de plus de 15 000 ans. Le disque de Nebra, découvert en Saxe allemande à la fin du XXe siècle, fait de bronze et d’or, daterait de 1600 av. J.-C. : il représente la Lune, le Soleil et probablement les Pléiades . . .
Faut-il rechercher plus tôt encore les racines d’un tel intérêt, autrement dit dans le terroir biologique et animal d’où notre espèce a émergé ? Le hurlement nocturne du loup a donné naissance à nombreuses légendes ; l’explication est pourtant simple : en relevant la tête, l’animal augmente la puissance et la diffusion de sa vocalisation ; la présence de la Lune n’y est probablement pour rien. Faut-il pour autant nier l’effet des variations lumineuses et donc célestes sur les êtres les plus « simples », dès lors qu’ils possèdent quelque capteur photosensible ? Qui nous dit que certains de nos cousins primates ne lèvent pas eux aussi les yeux vers le ciel pour jouir de sa lumineuse mais froide beauté, pour laisser creuser dans leur conscience animale la présence d’un ailleurs, d’un autre monde, d’autres êtres, semblables ou différents d’eux ? Laissons cette question aux biologistes et aux éthologues en tous genres ; il nous suffit ici de constater que le ciel a toujours fasciné les humains.
J’utilise le mot de fascination pour désigner le double mouvement d’attrait et de rejet, le double sentiment de bonheur et d’angoisse, de paix et d’effroi que l’esprit humain peut éprouver au spectacle de la voûte céleste. C’est le sentiment qu’éprouvaient les Égyptiens lorsqu’ils se représentaient la déesse Nout, dont le corps constellé d’étoiles est arqué au-dessus de la Terre, dont le rire provoque le tonnerre et les larmes la pluie. Chaque soir, la déesse avale le soleil pour lui redonner naissance chaque matin. Ainsi Nout est-elle la protectrice des vivants et des morts : la tradition égyptienne la compare à la truie qui dévore ses propres petits. Pouvons-nous aujourd’hui prétendre ne plus subir pareille fascination, parce que nous possédons les moyens d’observer les recoins les plus éloignés de notre univers, parce que des humains ont foulé de leurs bottes le sol lunaire ? Il suffit de l’annonce d’une éclipse solaire ou de l’information a posteriori du passage d’un astéroïde au voisinage de notre planète pour que les attentes et les peurs les plus ancestrales se réveillent dans nos esprits scientifiques, rationalistes . . . et religieux. Emmanuel Kant a donc raison d’évoquer la vénération suscitée par la vue du ciel étoilé : aux yeux des humains, le ciel possède tous les attributs du sacré.

Cosmos interdit

Au sacré sont associées les idées de sacralisation, d’interdiction et, par opposition, de transgression, de profanation ; le ciel ne leur a pas échappé. Mais, plus encore que les religions, c’est sans doute Aristote qui a fixé les frontières les plus solides, les plus infranchissables entre la terre et le ciel (je laisse de côté l’enfer). Que la terre occupe le centre de la réalité relève de l’expérience la plus commune : le soleil « se lève » et « se couche » en passant au-dessus de nos têtes ; les astres tracent des sillons dont le centre se confond apparemment avec notre propre Terre. En l’absence de toute autre donnée ou de toute autre contrainte, comment penser et défendre une idée différente du géocentrisme ? Celui d’Aristote qui a longtemps dominé la pensée et les cultures en Occident est associé à un strict dualisme.
Si la Terre occupe le centre du monde, en est l’omphalos, le nombril, il n’est pas pour autant un sommet, un emplacement qui confère à celui qui l’occupe la noblesse et le prestige. Il est plutôt un cloaque, le lieu où sont réunies toutes les impuretés du monde et, parmi elles, l’espèce humaine qui ne se plaît que dans la fange, le chaos et la guerre. Si le Soleil tourne sur sa sphère de cristal à l’instar d’un gigantesque projecteur chargé d’éclairer la scène terrestre, c’est pour que la divinité, Créateur tout puissant ou Grand Architecte, ne perde pas un détail, pas un instant de l’humaine comédie. À moins que ces sphères qui portent aussi les planètes soient chargées de cacher au regard des êtres célestes les souillures et les vices qui s’accumulent sur Terre. De cette antique organisation du monde, de cette opposition entre le cosmos (le mot grec désigne une « belle totalité ordonnée ») et la Terre telle qu’Aristote l’a élaborée puis la tradition philosophique et théologique défendue jusqu’à l’aube des temps modernes, il convient de ne chercher à exclure aucune des deux interprétations. Apparemment opposées l’une à l’autre, elles ont pourtant coexisté, survécu dans les cultures occidentales, au gré des traditions et des humeurs des Terriens jusqu’au début du XVIIe siècle.
Cette compréhension ou plutôt cette interprétation cosmique du ciel a pour conséquence d’en interdire l’accès aux humains : pour eux, il n’est pas question de rejoindre les sphères célestes, du moins avec leur corps ou durant leur existence terrestre ; seuls les plus sages, les plus saints, les plus spirituels d’entre eux peuvent espérer y parvenir au terme d’une existence parfaite, ascétique, bref quasiment angélique. L’interdiction est tellement efficace qu’elle s’impose même à l’imaginaire occidental : les œuvres littéraires relatant le voyage (corporel) d’un être humain dans le ciel sont tellement rares qu’elles ont valeur d’exceptions qui confirment la règle.
Ailleurs, dans d’autres cultures, si l’influence d’Aristote est absente, les rêves de rejoindre la Lune ne paraissent pas avoir souvent hanté les nuits et les imaginaires. Il y est volontiers question d’êtres célestes, divins qui peuplent le ciel et les astres ou visitent la terre, mais pas d’humains embarqués dans de célestes expéditions. Le ciel n’est pas toujours interdit, mais il reste néanmoins inaccessible.
L’échelle céleste
Allégorie de l’ascension spirituelle, l’échelle céleste apparaît dans l’art chrétien d’Occident dès le IVe siècle et se développe, tout en se renouvelant, au cours du Moyen Âge. Si elle exprime un fervent désir du ciel, elle transmet aussi des éléments fondamentaux de la pensée religieuse médiévale. Le monde est créé par Dieu, selon un processus dualiste de séparation entre le ciel et la terre ; à la chute morale des êtres humains (ce qui est appelé le péché) correspond le salut offert par le Christ « descendu du ciel » pour que les croyants puissent y retourner ; ce retour est une progression spirituelle par degrés.
La leçon de l’échelle céleste est paradoxale : le chemin de l’élévation est aussi celui de l’abaissement ; la montée par la contemplation est aussi la descente par la compassion, la charité. S’ajoute l’idée que la sainteté n’est pas un état donné d’emblée à la naissance, mais qu’elle est la conséquence d’une vie de recherche personnelle, nous pourrions dire d’exploration !

L’espace des hommes

En 1543, meurt Nicolas Copernic. L’histoire raconte qu’il a reçu, sur son lit de mort, l’ouvrage dans lequel il défend la thèse de l’héliocentrisme : le Soleil, et non la Terre, occuperait le centre du monde. En réalité, avant l’ecclésiastique polonais, d’autres penseurs ont élaboré et enseigné des cosmologies héliocentriques : Philolaos de Crotone, au Ve siècle avant notre ère, Héraclide du Pont au milieu du IVe et Aristarque de Samos peu de temps après lui ont défendu, mais en vain, une vision héliocentrique du cosmos. Les astronomies indienne et musulmane véhiculent également l’héliocentrisme. Dans l’Occident médiéval, après Jean Buridan et Nicole Oresme, le cardinal Nicolas de Cues met aussi en question le géocentrisme dominant. « Pourquoi hésiterions-nous plus longtemps, écrit-il, à lui attribuer [à la Terre] une mobilité s’accordant par sa nature avec sa forme, plutôt qu’à ébranler le monde entier dont on ignore et ne peut connaître les limites ? » Et dans son ouvrage De la docte ignorance, publié en 1440, il ose affirmer : « La vie, telle qu’elle existe ici-bas sur Terre sous forme d’hommes, d’animaux et de plantes, supposons qu’elle existe, sous une forme plus élevée, dans les régions solaires et stellaires2. » Soixante ans plus tard, Léonard de Vinci émet l’hypothèse que la Terre serait un astre de même nature que la Lune. Et Giordano Bruno, avant de mourir sur le bûcher à Rome en 1600, parle de mondes et de terres en nombre infini. Pourtant, lorsqu’au début de l’année 1610 Galilée publie dans le Sidereus Nuncius, Le Messager céleste, les résultats de ses observations menées durant le même hiver à Padoue à l’aide d’une lunette de sa fabrication, il fait véritablement œuvre de révolutionnaire.
Ses observations (la Lune n’est pas lisse et polie, mais aussi accidentée et rugueuse que la Terre ; Jupiter est accompagnée de trois, puis de quatre satellites) lui font comprendre que le monde, qu’il soit terrestre ou céleste, est partout composé de la même matière, partout régi par les mêmes lois. Le monde n’est pas divisé en une Terre et un cosmos ; le monde est unique, composé de mêmes matières, dirigé par les mêmes lois ; le monde est un univers. Plus rien ne justifie alors que la Terre, notre Terre, en occupe le centre : elle est une planète parmi d’autres, elle tourne avec elles et comme elles autour du Soleil.
À Prague, où il occupe le poste de mathématicien impérial à la cour de Rodolphe II, Johannes Kepler confirme les observations et les conclusions de Galilée : les antiques sphères de cristal sont brisées ; le monde est un univers dénué de toute frontière et de toute clôture, de tout centre aussi, de toute circonférence enfin car il apparaît comme infini. Aucune position, aucun lieu n’accorde à celui qui l’occupe prééminence ou déchéance. L’humanité n’a plus qu’à digérer son humiliation ou à se réjouir de sa réhabilitation. Lorsqu’il rédige une lettre de soutien au Messager céleste et aux idées émises par Galilée, Kepler ne se contente pas défendre les thèses de son collègue italien : en réalité, il rédige « l’acte de conception » de l’astronautique, autrement dit des voyages dans l’espace. Car, il en est convaincu, « il ne manquera certainement pas de pionniers quand nous aurons maîtrisé l’art de vol. » Le siècle qui s’est achevé dix ans plus tôt a été celui de la découverte, de l’exploration et du début de la colonisation des Amériques ; le premier tour du monde a été accompli quatre-vingt dix ans plus tôt. Alors, Kepler ne doute pas un instant que la perspective d’un autre Nouveau Monde, céleste cette fois, suscitera bientôt un élan semblable parmi les plus audacieux des humains. Aussi la comparaison avec la maîtrise de la navigation et les exploits des marins européens s’impose à l’astronome : « Qui avait pu penser que la navigation à travers le vaste océan se révélerait moins dangereuse et plus tranquille que celle dans les golfes, proches mais menaçants, de l’Adriatique, de la Baltique ou de l’Asie ? » Et Kepler poursuit : « Créons des navires et des voiliers appropriés à l’éther céleste et beaucoup de ne seront pas effrayés par ces immensités vides.. » Il paraît tout de même avoir un doute sur le délai nécessaire à construire les premiers vaisseaux de l’espace ; alors, avec un réel bon sens, il préfère ajouter : « Entretemps, nous préparerons, pour ces courageux voyageurs des cieux, les cartes des corps célestes – moi celles de la Lune et vous, Galilée, celles de Jupiter3. » S’appuyant résolument sur les observations de son collègue de Padoue et sur leurs communes conclusions, enthousiasmé par la pensée que l’humanité pourrait un jour échapper à sa prison terrestre, Kepler est donc convaincu que, désormais, rien ne sera ni trop haut, ni trop loin, pour que l’humain ne décide et n’entreprenne de le rejoindre. Confiant aux ingénieurs la tâche d’inventer la navigation vers les astres, l’astronome préfère se consacrer à l’élaboration des cartes dont pourront se munir les premiers explorateurs et navigateurs du ciel : ce travail de cartographie lui paraît indispensable afin de deviner, de découvrir, même de loin, les mondes et les îles, les écueils et les récifs que les conquistadors de l’espace rencontreront au cours de leur navigation. Ces cartes doivent même susciter l’envie, nourrir l’audace de partir explorer ces mondes encore inconnus. Kepler qui, pour gagner sa vie, pratique l’astrologie en paraît convaincu : le temps où les humains, punis par quelque puissance céleste de demeurer emprisonnés sur Terre, se contentent de lire leur destin dans le ciel sera bientôt terminé ; demain, s’enthousiasme-t-il, l’humanité ira elle-même inscrire sa destinée au milieu des étoiles ! Le ciel n’est plus le seul domaine des anges et des dieux ; le ciel peut devenir l’espace des hommes.

Du rêve à la réalité

La révolution déclenchée par Galilée et Kepler n’a seulement touché le monde des sciences ; elle n’a pas seulement annoncé les techniques astronautiques qui verront le jour trois siècles et demi plus tard ; elle a aussi libéré les imaginations : le voyage vers la Lune, vers les étoiles devient le thème de nombreuses œuvres de la littérature et la culture occidentale. Avant même de rédiger sa réponse à Galilée, sa Conversation avec le Messager céleste, Kepler lui-même a écrit une fiction, intitulée Somnium, seu opus posthumum de astronomia, autrement dit Le Songe ou l’Astronomie lunaire : il évoque un voyage sur une île mystérieuse, Levania, autrement dit la Lune. Toutefois, il y est davantage question de sorcellerie, de pouvoir des esprits, d’influence démoniaque que d’astronomie et d’astronautique . . .
Francis Godwin est volontiers considéré comme le premier des auteurs modernes à avoir imaginé un voyage sur la Lune : en 1638, il partage dans The Man in the Moon sa vision d’une nature lunaire enchanteresse et d’une humanité plus réussie que la nôtre. Vingt ans plus tard, Cyrano de Bergerac présente Les États et Empires de la Lune (1657) puis Les États et Empires du Soleil (1662). En 1765, Marie-Anne de Roumier publie les sept volumes des Voyages de Milord Céton dans les sept planètes qui racontent une véritable épopée astronomique ; en 1835, c’est au tour d’Edgar Poe d’expédier Hans Pfaal dans la Lune à l’aide d’une nacelle.
Le XIXe siècle marque la fin de l’exploration systématique du globe terrestre menée par l’Occident depuis la fin du XVe siècle ; il ne reste plus aux Terriens que le ciel pour assouvir leur curiosité, leur soif d’explorer. D’un exercice littéraire, le voyage spatial devient alors un projet scientifique ; la lunette astronomique, née avec le XVIIe siècle, est promue au rang de véhicule : grâce à elle et parfois avec une bonne dose d’imagination, les astronomes scrutent la Lune, les planètes et les étoiles. Dans la veine de la Conversation de Kepler, ils se chargent de mettre au point une cartographie de la surface de Mars aussi précise que celle des cartes terrestres . . . du moins le prétendent-ils. Angelo Secchi, Giovanni Schiaparelli et Percival Lowell dessinent même d’extraordinaires réseaux de canaux à la surface de la planète rouge : l’imagination n’épargne pas la science, à ses risques et périls. Ce XIXe siècle est fascinant : il accueille avec le même enthousiasme les Voyages extraordinaires de Jules Verne et les publications de Camille Flammarion. Dans la Pluralité des mondes habités, l’astronome et vulgarisateur français affirme que « la Terre n’a aucune prééminence marquée dans le système solaire de manière à être le seul monde habité, et que, ...

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