REGINALD AKA MC SOLDA
Le rap vaut-il le prix de ma vie ?
Reginald, enseignant et formateur, a Ă©tĂ©, dans les annĂ©es 1990, une figure incontournable du rap (sous le nom de MC Solda et avec son groupe les MC AssociĂ©s) et du HipHop dans la rĂ©gion Nord Pas de Calais (aujourdâhui Hauts de France). Il revient sur son parcours en tant que MC, nous explique pourquoi il a dĂ©cidĂ© dâarrĂȘter le rap et tout activisme dans le HipHop, et rappelle comment cette culture lui est utile dans son activitĂ© professionnelle aujourdâhui.
VHH: Comment es-tu «entré» dans le HipHop? Quâest-ce qui tâa donnĂ© envie dâĂ©crire?
RĂ©ginald : Mes premiers pas dans le HipHop ? Câest un peu comme tout le monde, jâĂ©crivais des textes chez moi, sur des choses de la vie, jâĂ©coutais des groupes de rap et puis je me suis reconnu dans leurs paroles. Jâai essayĂ© dâĂ©crire des textes par rapport Ă ma vie et Ă ce que je voyais dans la rueâŠ
En fait, je dirais quâĂ©crire est une forme dâauto-thĂ©rapie, quand on Ă©crit, câest une maniĂšre dâextĂ©rioriser tout ce quâon a en soi, tout ce quâon nâaime pas. Câest un cri de colĂšre, mais cela peut ĂȘtre un cri dâamour aussi. Tout ce quâon a envie dâexprimer, on lâexprime Ă travers les textes en fait. Il y a des gens qui vont voir des psys, dâautres Ă©crivent des livres⊠Avec le recul, je me suis rendu compte quâĂ©crire, ça soulage et permet dâĂȘtre bien dans sa peau.
Tu avais quel ùge quand tu as commencé à rapper?
Jâavais 18/19 ans. Jâai commencĂ© Ă rapper trĂšs tard. JâĂ©cris mes textes, je rappe dans mon coin. AprĂšs, je rencontre des gens qui font des Ă©missions de radio ou qui connaissent des DJs, et par le biais des rencontres, des associations se crĂ©ent. Moi, je me suis associĂ© avec un DJ (DJ KĂ©o) qui animait une Ă©mission de radio et qui mâavait proposĂ© de rapper sur ses musiques⊠Au fur et Ă mesure, je me suis rendu compte que ça plaisait aux gens. Il y a des amis qui vous disent « tiens, câest bien ce que tu fais, tu devrais en faire quelque chose », donc, on a commencĂ© Ă sâenregistrer, mais pas de maniĂšre professionnelle, bien sĂ»r, sur des petits magnĂ©tos. AprĂšs, on a envie de diffuser ses textes. Alors, on va dans les autres Ă©missions de radios avec nos cassettes, on diffuse notre musique, et on est Ă©coutĂ©. Et petit Ă petit, la reconnaissance commence Ă arriver.
Personne ne tâa appris Ă rapper, Ă structurer un morceau ? Comment as-tu appris tout cela ?
Non, personne. Je pense quâil y en a qui lâapprennent, maintenant je prĂ©sume que ça doit sâapprendre puisquâil existe des centres pour ça. Mais, non, moi, je me suis inspirĂ© des autres artistes et de toute façon, aprĂšs ça se fait tout seul, on arrive Ă structurer ses rimes⊠Dâabord, jâai commencĂ© en anglais, aprĂšs on a envie que les gens comprennent ce quâon dit, quand on rappe en anglais, câest beau, câest gĂ©nial, mais les gens ne comprennent pas. Quand, câest en français, câest un dĂ©fi, câest une autre Ă©tape. Parce que la reconnaissance quâon avait Ă©ventuellement avant, elle peut ĂȘtre mise Ă mal. Parce que dâun seul coup en français, ton rap a un vĂ©ritable sens, et les jeunes peuvent critiquer, de maniĂšre positive ou nĂ©gative, et peuvent dire ce quâils en pensent vraiment. Et en français, il y a un flow diffĂ©rent, on fait des jeux de mots⊠mais non, je nâai pas eu de tuteur ou de mec qui vient nous guider, en nous disant, non ça ne se fait pas comme ça, etc⊠Cela se fait tout seul, on se corrige rĂ©guliĂšrement, disons quâon peut peut-ĂȘtre tenir compte de lâavis des autres, dans notre entourage, parce quâon demande lâavis des autres aussi. A fur et Ă mesure quâon sâenregistre, quâon se réécoute et quâon fait Ă©couter, on finit par arriver Ă quelque chose quâon croit « carrĂ© » et une semaine aprĂšs on se dit, tout compte fait, ce nâest pas bien. On nâest jamais satisfaits. On est toujours en quĂȘte de perfection. On Ă©crit, on sâentraĂźne, on sâenregistre. Ăa ne sâarrĂȘte jamais.
CâĂ©tait quoi le rap, ton loisir du moment ? Tu faisais ça aprĂšs les cours ?
Au dĂ©but, je nâĂ©tais pas Ă fond dedans tous les jours, mais rĂ©guliĂšrement quand mĂȘme. Mais comme, personnellement, je nâavais pas dâautres loisirs, je ne faisais pas de sport Ă cĂŽtĂ©, je ne faisais rien dâautre⊠Et finalement, le rap a pris une place importante dans ma vie. Parce quâon nâest plus soi-mĂȘme. On devient celui qui fait du rap, on est prĂ©sentĂ© tel quel. MĂȘme dans la famille, « lui, il fait du rap », tout ça⊠Et aprĂšs, on nâa mĂȘme plus le temps de faire dâautres loisirs, parce que ce qui est important, câest la musique. Et puis, il y a la reconnaissance, les gens parlent de vous, vous prĂ©sentent Ă dâautres personnes, vous reconnaissent parce que vous faites du rap. Petit Ă petit, ça devient un mode de vie. Et je ne vis que pour le rap ! AprĂšs, je dirai, ça sâaggrave !
Faire du rap, cela se reprĂ©sentait quoi ? Est-ce quâon te prenait pour un guignol ou un pionnier ?
Au dĂ©part, on a Ă©tĂ© trĂšs vite reconnus en tant quâartiste. On faisait de tout, en mĂȘme temps, on rappe, on tague, on se met Ă danser dans les soirĂ©es. Moi, jâai tout de suite eu une reconnaissance. Jâai rencontrĂ© des gens qui mâont dit: « nous, on tâa donnĂ© de la crĂ©dibilitĂ© parce que dans mon pseudonyme, il y avait MC. Câest aussi bĂȘte que ça⊠Je mâappelais MC Solda. Le fait dâavoir moi-mĂȘme choisi, MC (MaĂźtre de CĂ©rĂ©monies), oui, ça mâa donnĂ© une crĂ©dibilitĂ©. Aujourdâhui, encore, il y a des gens qui ne connaissent pas mon vrai prĂ©nom et mâappellent MC. Câest assez particulier, parce quâen mĂȘme temps, on est amateur aprĂšs tout. Mais, câĂ©tait Ă lâĂ©poque vers 89/90, maintenant, ça doit ĂȘtre diffĂ©rent, parce quâil y a beaucoup plus de monde.
A part toi, il y avait-il dâautres rappeurs ?
Oui, il y en avait dâautres, on nâĂ©tait pas nombreux, mais on Ă©tait quelques groupes « phares », quelques groupes soi-disant reprĂ©sentant du vivier du Nord Pas de Calais. Nous Ă©tions des pionniers, nous Ă©tions peut-ĂȘtre 4 ou 5 groupes, il y en avait sĂ»rement dâautres, qui ne se faisaient pas entendre, ou qui ne faisaient pas de concerts⊠AprĂšs, ça sâenchaĂźne, on commence par avoir une reconnaissance, on est prĂ©sentĂ©s Ă dâautres personnes. On veut faire bouger les choses, on va vers les structures qui organisent les concerts, on essaie dâĂȘtre connus Ă une plus grande Ă©chelle, on ne veut plus ĂȘtre limitĂ©s aux quelques personnes de notre entourage.
Le monde HipHop Ă la fin des annĂ©es 80 et aux dĂ©buts des annĂ©es 90, câĂ©tait quoi, câĂ©tait qui ?
Il y avait Ă lâĂ©poque un code vestimentaire. On se reconnaissait par la tenue vestimentaire. On nâĂ©tait pas nombreux. On se rencontrait dans les disquaires par exemple, Ă la FNAC, pour ne pas la citer, par exemple, dans le rayon HipHop. Câest comme ça quâon se parlait, tu prends un disque, tiens, quâest-ce que tâen penses ? Câest comme cela que les contacts se nouaient. AprĂšs la personne que tu rencontres te prĂ©sente Ă dâautres personnes et ainsi de suite, câest comme ça que ça se faisait. Il y avait aussi dâautres lieux de rencontres, notamment la place Rihour Ă Lille, la place Catinat aussi. Dans des endroits comme ça, on savait quâon pouvait rencontrer des gens de la mouvance HipHop. AprĂšs des soirĂ©es tag Ă©taient organisĂ©es, des soirĂ©es HipHop ont commencĂ© Ă se mettre en place dans les maisons de quartiers. Ce nâĂ©tait pas une musique qui faisait peur comme câest le cas actuellement, et il nây avait pas de violence en tant que telle, mais il y avait plus une concurrence entre les diffĂ©rents groupes, entre les diffĂ©rents taggueurs. CâĂ©tait plutĂŽt positif en mĂȘme temps. Il y a eu bien entendu, comme dans toute chose, des petits conflits mais pas comme il y en a actuellement. A lâĂ©poque, câĂ©tait encore gĂ©rable.
Puis aprĂšs, des structures se sont créées, comme lâARA (Autour des Rythmes Actuels) qui a permis aux groupes de faire de la musique. Il y a eu un conseiller municipal qui a fini par sâintĂ©resser Ă nous. Parce quâun moment donnĂ©, lâadministration sâintĂ©resse Ă cette mouvance qui sâappelle HipHop et dont on ne connaĂźt pas vraiment les objectifs et ce quâils font. Tout ce quâon sait, câest quâil y a des plaintes et des particuliers qui sont dĂ©rangĂ©s par des attroupements de jeunes qui se rĂ©unissent dans les lieux publics et des graffitis sur les volets, les murs. Ce conseiller a essayĂ© de nous connaĂźtre, de savoir qui Ă©tait cette micro-mouvance, ce que nous faisons et ce que la mairie pouvait nous offrir en contrepartie dâune collaboration.
Pour moi, le rap câĂ©tait un passage. Beaucoup ont pensĂ© Ă tort que jâespĂ©rais y faire carriĂšre dans la musique. On ne peut pas tous ĂȘtre rappeur et moi, câest pour cela dâailleurs, que jâai arrĂȘtĂ© parce que je me suis dit, en tant quâafricain, on ne peut pas tous ĂȘtre rappeurs ou sportifs, il faut quand mĂȘme quâil y en ait dâautres qui soient prĂ©sents dans diffĂ©rents secteurs Ă©conomiques et dans diffĂ©rentes catĂ©gories socioprofessionnelles. MĂȘme si, ça nous a ouvert des portes.
Est-ce que, vous-mĂȘmes, vous vous connaissiez vraiment ? Votre lien câĂ©tait le HipHop, mais en dehors de cela, est-ce que vous saviez ce que lâautre faisait dans sa vie, dâoĂč il venait, Ă©tiez-vous des amis?
En fait, dans le monde du HipHop, il nây a pas dâamitiĂ©s. Câest comme dans le monde de la nuit maintenant, on va en boĂźte, tout le monde sâentend bien, tout le monde est content de se voir mais en fait, il nâa pas dâamitiĂ©, il nây a pas de lien. On se moque de ce que la personne fait de sa vie. On ne connaissait mĂȘme pas nos vrais prĂ©noms. CâĂ©tait trĂšs rare que quelquâune tâappelle par ton vrai prĂ©nom, puisquâil ne le connaissait pas de toute façon. On te connaĂźt sous ton pseudo. On sait dâoĂč tu viens, de quel quartier, dans quel coin tu habites, mais le vrai prĂ©nom, rien que ça, on ne le savait pas alors le nom !!!
Notre point commun, ce qui nous ralliait, câĂ©tait lâamour, la passion pour le HipHop. Quand on se voyait, on ne parlait que de ça. Effectivement au dĂ©part, on pense quâon va se faire des amis. On se dit que grĂące au HipHop, on rencontre des gens qui partagent la mĂȘme passion. Il y a des affinitĂ©s, mais sans plus, parce quâen mĂȘme temps, les choses ont trĂšs vite dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©. Je parlais de concurrence, et bien, la concurrence a créé des conflits entre diffĂ©rents groupes de Lille. AprĂšs, mĂȘme au niveau du graffiti, il y a des gens qui tagguaient sur les tags des autres, lâentente nâa pas durĂ© longtemps. Et puis en mĂȘme temps, Ă lâĂ©poque, - bon, cela existe encore maintenant sauf que maintenant ça va beaucoup plus loin dans la violence -, il y avait beaucoup de malentendus, quâon te disait que quelquâun tâavais critiquĂ©, il fallait aller rĂ©gler son compte Ă la personne. Il fallait se faire respecter, il ne fallait pas se faire marcher dessus.
Tu as commencĂ© tardivement, mais une fois devenu acteur, lâascension a Ă©tĂ© rapide, les scĂšnes sont vite arrivĂ©es, les mixtapes se sont dĂ©veloppĂ©es. Comment expliques-tu le fait que tout soit allĂ© trĂšs vite pour toi ?
Parce quâĂ lâĂ©poque, il y avait, effectivement un intĂ©rĂȘt des municipalitĂ©s pour cette musique, je pense quâil y avait aussi des subventions allouĂ©es pour cela. CâĂ©tait beaucoup plus facile pour faire des concerts ou dĂ©marcher des mairies, puisque quelque part, ils ne connaissaient pas. Je dirai que maintenant, ils prennent un risque. Alors quâĂ lâĂ©poque, câĂ©taient des jeunes qui venaient et proposaient quelque chose et on leur donnait les moyens dây arriver. MĂȘme au niveau des mĂ©dia, câĂ©tait plus facile, ils sâintĂ©ressaient Ă quelque chose quâils ne connaissaient pas. Câest dâailleurs comme ça que jâai animĂ© une Ă©mission de radio. On nous donnait lâopportunitĂ© de nous exprimer. Et puis, nous Ă©tions aussi tout le temps Ă la recherche de plans : comment faire pour « graffer » Ă tel endroit ? Comment faire pour faire un concert Ă tel endroit ?
Il y a beaucoup plus dâopportunitĂ©s aujourdâhui, parce quâil y a beaucoup plus de groupes et beaucoup plus de structures. Mais Ă lâĂ©poque, avec le peu de structures quâil y avait, ce nâĂ©tait pas beaucoup plus facile, mais on arrivait quand mĂȘme Ă faire des premiĂšres parties de groupes, ce qui ne se fait plus ou presque plus maintenant. A lâĂ©poque, il y avait des festivals avec tous les styles de musique dont le rap. Alors que maintenant, dans un festival Rock, il nây aura pas spĂ©cialement de groupes de rap prĂ©sents. Avant, il y avait aussi beaucoup de concerts gratuits en plein air, chose qui existe moins aujourdâhui. Maintenant quand ils font des concerts en plein air, câest avec des grands groupes, des tĂȘtes dâaffiche. A lâĂ©poque, on faisait en mĂȘme temps appel aux groupes locaux, sĂ»rement pour drainer le public local.
Vers 1990 ou 1991, il nây avait pas beaucoup de groupes de rap. Mais il y avait une Ă©mission Ă la radio sur FrĂ©quence Nord (aujourdâhui France Bleu Nord), qui sâappelait « Black, blanc, beur ». Câest comme si aujourdâhui, France Bleu faisait une Ă©mission de rap. Câest impensable. A lâĂ©poque, il y avait donc Ă Lille, SylvĂšre-Henry CissĂ©, qui animait cette Ă©mission de rap, tous les jours pendant 45 minutes et qui faisait venir des grands groupes comme NTM, IAM mais aussi des groupes locaux. Il a pris contact avec des Ă©diteurs, il y a eu un livre qui est sorti, « Rap en Nord » avec les biographies et les textes de groupes de rap. Donc, Ă lâĂ©poque, câest surprenant, mais il y avait beaucoup dâintĂ©rĂȘt pour cette culture. Parce que câĂ©tait nouveau, et certainement aussi parce quâil nây avait pas encore cette relation Rap et Violence. Contrairement Ă maintenant, oĂč on a lâimpression de prendre un risque, le rap ne faisait pas peur, Ă lâĂ©poque, on laissait la part belle Ă cette nouvelle musique, qui intĂ©ressait beaucoup les jeunes mĂȘme si câĂ©tait encore flou. En mĂȘme temps, il y avait des associations qui se crĂ©aient au sein des mairies, des ateliers de rap, de danse Ă©taient mis en place.
Est-ce que vous vous ĂȘtes dit Ă un moment que vous nâĂ©tiez pas prĂȘts ou est-ce que vous vous ĂȘtes jetĂ©s sur les occasions sans rĂ©flĂ©chir ?
On ne se posait pas la question de savoir si nous Ă©tions prĂȘts ou pas. On rĂ©pĂ©tait avant et une fois que nous Ă©tions satisfaits de notre rĂ©pĂ©tition, on montait sur scĂšne. Les portes Ă©taient ouvertes et on saisissait toutes les opportunitĂ©s. DĂšs quâil y avait un plan concert, on contactait la personne et on rĂ©pĂ©tait en consĂ©quence, on essayait de faire des trucs diffĂ©rents Ă chaque fois. On croyait en nous, on avait cette force-lĂ . On fonçait. On a appris le jeu de scĂšne en regardant les autres, on se basait sur tout ce quâon voyait. Un exemple, jâai une fois refusĂ© de faire un atelier proposĂ© par lâARA. Si on voulait prendre des heures de sampling pour pouvoir crĂ©er nos morceaux, on Ă©tait obligĂ© de prendre des sĂ©ances de chorĂ©graphies, enfin des ateliers pou...