Terres vierges
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Terres vierges

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

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  1. 438 pages
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Terres vierges

Ivan Sergueïevitch Tourgueniev

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1868, St Pétersbourg, un groupe de jeunes gens, petit cercle politique, attendent le propriétaire des lieux, Néjdanof. Celui-ci est engagé, à la suite d'une annonce sur le journal, pour être le précepteur du fils du conseiller privé, Sipiaguine. Nous pénétrons dans la vie de ce dernier personnage et de Néjdanof, et ainsi les arcanes politiques de la Russie d'alors. Tout le récit est parsemé de portraits colorés, dans un style très fluide à la lecture.

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Information

Year
2021
ISBN
9782322408733
Edition
1

XIX

Fomouchka et Fimouchka, c’est-à-dire Foma (Thomas) Lavrentiévitch et Evfimie (Euphémie) Pavlovna Soubotchef, qui appartenaient tous deux, par leur naissance, à la petite noblesse foncièrement russe, étaient à peu près les plus vieux habitants de la ville de S…
Mariés très-jeunes, ils étaient venus s’établir, depuis un temps presque immémorial, dans la maison de bois de leurs aïeux, située à l’extrémité de la ville ; jamais ils n’en étaient sortis pour voyager, et jamais ils n’avaient modifié en rien leurs habitudes ni leur genre de vie. Le temps semblait avoir cessé de marcher pour eux ; aucune « nouveauté » ne franchissait les limites de leur « oasis ».
Ils n’étaient guère riches, mais, plusieurs fois chaque année, leurs paysans venaient, comme au temps du servage, leur apporter de la volaille et des provisions ; à l’époque fixée, le staroste de leur village venait présenter l’obrok[1] et une couple de gelinottes, soi-disant tuées dans la forêt des seigneurs, forêt qui en réalité n’existait plus depuis longtemps ; ils invitaient le staroste à prendre le thé sur le seuil du salon, lui faisaient cadeau d’un bonnet en astrakan, d’une paire de gants verts en peau de daim, et lui souhaitaient un bon voyage.
Leur maison était pleine de « dvorovié » (gens de service), selon l’ancienne coutume. Le vieux domestique Kalliopytch, vêtu d’une camisole à col droit, faite d’un drap extraordinairement épais et fermée par de petits boutons en cuivre, annonçait, comme jadis, d’une voix solennelle et traînante, que « le dîner était servi », et s’endormait debout derrière le siège de sa maîtresse. Il avait le buffet sous sa garde : il administrait « les différents bocaux, cardamomes et citrons ».
Quand on lui demandait s’il n’avait pas entendu parler de l’affranchissement des serfs, il répondait invariablement qu’il se dit bien des bêtises de par le monde ; que c’est chez les Turcs qu’il y a la liberté, et que, quant à lui, grâce à Dieu, ça l’a épargné jusqu’à présent.
Il y avait dans la maison une naine, Poufka, destinée à l’amusement des maîtres. La vieille bonne Vassilievna venait à l’heure du dîner, – coiffée d’un grand mouchoir foncé, – et, d’une voix chevrotante, parlait de tout ce qu’il y avait de nouveau : de Napoléon Ier, de la guerre de 1812, de l’antechrist, des nègres blancs ; quelquefois, le menton appuyé sur la paume de la main, dans une attitude dolente, elle racontait les songes qu’elle avait eus, et elle les interprétait ; elle disait aussi ce qu’elle avait vu dans les cartes.
La maison même des Soubotchef différait de toutes les autres maisons de la ville : elle était entièrement construite en chêne, avec des fenêtres exactement carrées, dont les doubles châssis étaient à demeure, été comme hiver. Elle était remplie de toutes sortes de chambrettes, de cabinets, de coins et de recoins, de perrons à balustrades, de petites soupentes soutenues par des colonnettes en bois tourné, de cabinets noirs et de corridors.
Devant la maison, il y avait un enclos ; derrière, un jardin ; – et ce jardin était tout rempli de granges à paille, de cabanes pour les débarras, de hangars, de caves, de glacières, un vrai nid, quoi ! Il n’y avait pas grand approvisionnement dans ces constructions ; quelques-unes même étaient tombées en ruine ; mais c’était ancien et on n’y touchait pas.
Les Soubotchef n’avaient que deux chevaux, extrêmement vieux, tout velus, le dos ensellé ; l’un était si caduc qu’il en avait des plaques de poils blancs sur le corps, et s’appelait l’Immobile. On les attelait, – une fois par mois tout au plus – à un équipage étrange connu de toute la ville, fort semblable à un globe terrestre dont on aurait coupé le quart antérieur ; le dedans était garni, d’une étoffe jaune, d’importation étrangère, et parsemée d’une multitude de petits pois en relief qui avaient l’air de verrues. Le dernier coupon de cette étoffe avait dû être tissé à Utrecht ou à Lyon, à l’époque de l’impératrice Élisabeth.
Le cocher était un bonhomme extraordinairement vieux aussi, tout saturé de l’odeur de graisse à cuir et de goudron ; sa barbe lui poussait dessous les yeux, et ses sourcils retombaient en petites cascades sur cette large barbe. Il était si lent dans ses mouvements, qu’il mettait cinq bonnes minutes à prendre une prise, deux minutes à passer son fouet dans sa ceinture, et plus de deux heures à atteler l’Immobile. Avec cela on l’appelait Perfichka[2].
Quand les Soubotchef se trouvaient en voiture, et que le chemin allait en montant le moins du monde, ils étaient pris de peur (c’était du reste exactement la même chose quand le chemin descendait), – ils s’accrochaient des deux mains aux courroies, et récitaient à haute voix une sorte d’incantation : « Aux chevaux, aux chevaux, la force de Samuel ; à nous, à nous, la légèreté du duvet ! »
Toute la ville les regardait comme des originaux, peut-être presque comme des fous ; eux-mêmes sentaient bien qu’ils ne suivaient pas les usages d’à présent… mais ils s’en inquiétaient peu. Ils vivaient absolument comme on vivait à l’époque où ils étaient nés, où ils avaient grandi, où ils s’étaient mariés. Sur un seul point, ils s’écartaient des vieilles coutumes : jamais, au grand jamais, ils n’avaient fait poursuivre ni puni personne. Quand un de leurs gens se trouvait être un ivrogne ou un voleur fieffé, ils commençaient par le supporter longuement, patiemment, – comme on supporte le mauvais temps, – avant de se résoudre à se débarrasser de lui, à le colloquer chez d’autres maîtres : « Chacun son tour, disaient-ils ; c’est aux autres à le supporter un peu maintenant ! »
Mais cette calamité leur arrivait très-rarement, si rarement que cela faisait époque dans leur existence. Ils disaient, par exemple : « Il y a bien longtemps de cela ; c’était à l’époque où nous avions ce mauvais sujet d’Aldochka, » ou encore « à l’époque où l’on nous a volé le bonnet de fourrure à queue de renard, qui avait appartenu à grand-père. » Chez les Soubotchef, on pouvait trouver encore des bonnets de cette forme-là.
Il y avait un autre trait caractéristique des mœurs d’autrefois, qui manquait aux deux époux : ni Fomouchka, ni Fimouchka, n’étaient très-religieux. Fomouchka se piquait même d’être un voltairien, et les prêtres inspiraient une frayeur mortelle à Fimouchka, qui prétendait qu’ils avaient le mauvais œil.
« Un pope vient me voir ! disait-elle ; il n’est pas resté longtemps, et pourtant… bon ! voilà que la crème a tourné. »
Ils allaient rarement à l’église et ne faisaient maigre qu’à la façon des catholiques, qui se permettent les œufs, le beurre et le lait. On savait cela dans la ville, et, naturellement, leur réputation n’en était pas meilleure. Mais rien ne résistait à leur bonté, et, malgré les railleries qu’on n’épargnait pas aux deux originaux, malgré le nom de bienheureux, d’innocents, qu’on leur donnait, ils étaient respectés de tous.
Oui, on les respectait, mais on ne leur faisait pas de visites, ce qui d’ailleurs ne les chagrinait guère. Ils ne s’ennuyaient jamais en tête-à-tête ; c’est pourquoi ils vivaient toujours ensemble et ne désiraient pas d’autre société.
Ni Fomouchka ni Fimouchka n’avaient jamais été malades, et, si l’un d’eux se sentait légèrement indisposé, ils prenaient tous deux une infusion de tilleul, ou se frottaient les reins avec de l’huile tiède, ou se versaient de la graisse fondue sur la plante des pieds, et l’indisposition était promptement guérie.
L’emploi de leur journée ne variait jamais. Ils se levaient tard, ils prenaient du chocolat le matin dans de petites tasses semblables à des mortiers : « le thé, assuraient-ils, n’était pas encore à la mode, de notre temps ; » ils s’asseyaient en face l’un de l’autre, causaient (les sujets ne leur manquaient jamais) – ou lisaient le Passe-temps agréable, le Miroir du monde, les Aonides, ou feuilletaient un vieil album relié en maroquin rouge à bordure d’or, qui avait appartenu jadis, comme en faisait foi une inscription manuscrite, à une certaine madame Barbe de Kabiline. Quand et comment cet album était tombé entre leurs mains, c’est ce qu’eux-mêmes avaient oublié.
Cet album contenait quelques poésies françaises, un assez grand nombre de poésies russes ou d’articles en prose dont pourra donner une idée cette courte réflexion sur « Cécéron » :
« Dans quelle disposition d’esprit Cécéron accepta le grade de questeur, c’est ce qu’il explique lui-même ainsi qu’il suit : « Ayant pris les dieux à témoin de la pureté de ses sentiments dans tous les grades dont il avait été honoré jusque-là, il se considéra comme lié par les liens les plus sacro-saints à remplir dignement lesdits grades ; et, dans cette intention, non-seulement il ne se laissa pas entraîner, lui, Cécéron, aux douceurs de l’infraction aux lois, mais il évita même avec un soin extrême les amusements qui sembleraient être les plus parfaitement indispensables. »
Au-dessous, on lisait : « Écrit en Sibérie, parmi les rigueurs de la faim et du froid. »
Il y avait aussi une pièce de vers très-curieuse, intitulée Tircis, où l’on trouvait des strophes comme celles-ci :
Le calme règne sur l’univers,
La rosée avec agrément brille,
Elle caresse et rafraîchit la nature.
Et lui donne une nouvelle vie.
Seul, Tircis, l’âme oppressée,
Souffre, se tourmente et s’afflige…
Quand l’aimable Annette n’est pas auprès de lui,
Rien ne peut l’égayer !
Et un impromptu écrit en passant par un capitaine, « le sixième jour du mois de mai 1790. »
Je ne t’oublierai jamais,
Ô toi, agréable campagne !
Et je garderai un éternel souvenir
Du temps qui a coulé si agréablement !
Ce temps que j’ai eu l’honneur
De passer chez ta propriétaire
Pendant les cinq meilleurs jours de ma vie,
Dans le cercle le plus respectable,
Au milieu de beaucoup de dames et de demoiselles,
Et d’autres intéressants personnages !
La dernière page de l’album contenait, outre des poésies, des recettes contre les maux d’estomac, les spasmes et même, hélas ! contre les vers.
Les Soubotchef dînaient à midi précis et ne mangeaient que des mets d’autrefois : beignets de lait caillé, soupe aigre aux concombres, viande hachée à la crème et à l’ail, bouillie de blé noir, pâté de poissons, poule au safran, flans au miel. Après le dîner, ils faisaient la sieste, – une heure...

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