Chapitre 1
Le secteur public et la fonction publique
Pour la majorité des gens, l’État, le gouvernement et la fonction publique sont des abstractions. Ils savent intuitivement et constatent quotidiennement que le secteur public prend énormément de place dans leur vie, mais ils ne sauraient trop définir exactement les mots État, Parlement, gouvernement, administration publique, secteur parapublic et secteur péripublic.
Ajoutons à cet état de situation qu’au niveau canadien existe un gouvernement fédéral, au niveau des provinces et des territoires existent des gouvernements provinciaux et territoriaux et au niveau local existent des municipalités et des commissions scolaires. Chaque niveau ayant des responsabilités qui se chevauchent, on comprend qu’il soit pratiquement nécessaire de détenir un diplôme de science politique pour s’y retrouver.
Au Canada et au Québec, comme dans tous les pays développés, le secteur public a acquis une importance considérable, quoique pour des raisons différentes. En ce qui concerne les États-Unis, par exemple, ce sont les exigences de défense nationale et de sécurité qui ont le plus contribué à élargir le secteur public.
On constate qu’au Québec plusieurs groupes ont adopté une véritable culture de dépendance de l’État et font preuve envers ce dernier d’une sorte de confiance inconditionnelle. Cette attitude est sans doute due en partie au fait que le contrôle total qu’ont les Québécois francophones de leur État provincial offre une protection par rapport à un univers anglo-saxon menaçant. Une large frange de la population croit que l’État peut être mis à contribution dans la résolution de presque tous les problèmes. Ce qu’on a appelé «modèle québécois» a acquis une importance mythique aux yeux de plusieurs, bien que ce «modèle» soit de plus en plus contesté, particulièrement de la part de ceux qui paient la plus grande partie des impôts et des taxes et qui considèrent qu’ils sont loin d’en avoir pour leur argent. Le débat sur cet enjeu est bien engagé entre ceux qu’on a appelés «les lucides et les solidaires».
À peu près tous les groupes sociaux demandent des choses à l’État, même des membres d’entités qui, en principe, sont plutôt contre l’intervention étatique, par exemple, les entreprises. La liste de ce que les gens exigent du gouvernement est longue:
• maintenir la paix sociale;
• assurer la défense du territoire et la sécurité publique;
• promouvoir le développement économique;
• fournir des services publics (cours de justice, routes, électricité, etc.);
• prendre en charge l’éducation et la formation professionnelle;
• promouvoir la santé publique;
• fournir des soins et des médicaments aux malades;
• favoriser la bonne alimentation et lutter contre l’obésité;
• enrayer la criminalité;
• redistribuer les revenus et éliminer la pauvreté;
• encourager la natalité;
• défendre la langue française et promouvoir la culture québécoise;
• intégrer les immigrants;
• favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes;
• protéger l’environnement et assurer un développement durable;
• maintenir l’harmonie entre les employeurs et les syndicats;
• etc.
Pour répondre à tous ces besoins, les gouvernements se sont donné une panoplie d’institutions qui emploient des milliers de personnes. Uniquement en ce qui concerne le gouvernement québécois, mentionnons:
• les ministères et les organismes;
• le réseau de l’éducation (niveaux primaire et secondaire, cégeps, universités);
• le réseau de la santé (agences de la santé et des services sociaux, hôpitaux, centres d’hébergement, etc.);
• le réseau de garderies;
• les tribunaux administratifs, civils et criminels;
• les sociétés d’État et les entreprises du gouvernement.
Ces institutions ne représentent cependant que quelques-uns des moyens d’intervention dont dispose le gouvernement. Ce dernier subventionne un grand nombre d’organismes sans but lucratif et fournit divers incitatifs et allocations monétaires aux individus et aux entreprises. Grâce aux lois et aux règlements, il régente une bonne partie de la vie des citoyens en prescrivant aussi bien la vitesse permise sur les routes que les endroits où il est défendu de fumer, sans parler des conditions d’hygiène dans les restaurants et des caractéristiques des sièges pour enfants dans les véhicules, pour n’en mentionner que quelques-uns. Au moyen de mesures fiscales, il influence entre autres la façon dont les entrepreneurs investissent leur argent, le niveau d’épargne des travailleurs en vue de leur retraite, de même que l’achat de biens par les consommateurs.
La fonction publique
Parmi toutes les institutions de l’État, il en est une qui a beaucoup d’importance et d’influence parce qu’elle occupe une position centrale et prédominante: il s’agit de la fonction publique. Cette dernière est cependant mal connue. Certains la confondent avec le gouvernement ou l’administration publique. Les politiciens aiment la présenter comme une organisation de services. Même ceux qui y travaillent la connaissent mal parce que les politiciens veulent prendre toute la place et que les patrons administratifs préfèrent travailler dans l’ombre.
La fonction publique est l’instrument privilégié dont disposent les élus pour diriger l’État. C’est la machine indispensable aux ministres pour planifier et programmer l’action gouvernementale, élaborer et effectuer le suivi des budgets, percevoir les taxes et les impôts, ainsi que pour orienter et contrôler toutes les institutions qui relèvent d’eux. Grâce à la fonction publique, les ministres ont la main haute sur les ministères et les organismes, la police et les forces armées, les réseaux de l’éducation et de la santé, les commissions scolaires, les sociétés d’État, les entreprises du gouvernement et même les municipalités. C’est la fonction publique qui appuie le gouvernement dans la direction et le contrôle de l’ensemble de l’appareil gouvernemental.
La fonction publique n’est pas un organisme, mais une entité qui regroupe les personnes nommées et rémunérées en vertu de la Loi sur la fonction publique. Ces personnes sont désignées sous le nom de fonctionnaires. Elles bénéficient d’un statut spécial et d’avantages particuliers conférés par la loi. L’utilisation du terme «fonctionnaire» pour désigner toute autre personne à l’emploi du gouvernement est fautive.
Il importe de noter que toutes les personnes à l’emploi des ministères ne sont pas des fonctionnaires. Le ministre et les membres de son cabinet, bien qu’ils soient rémunérés par le ministère dont ils font partie, ne sont évidemment pas des fonctionnaires. Il en est ainsi des aumôniers des prisons et des pénitenciers, des juges, des policiers, des militaires et de diverses autres catégories de personnel.
Les employés d’un certain nombre d’organismes publics font partie de la fonction publique, mais ce n’est pas le cas de la majorité des organismes. Dans le passé, le personnel des organisations ayant une vocation administrative plutôt que commerciale faisait presque automatiquement partie de la fonction publique. Depuis les années 1980 cependant, le personnel de la plupart des nouveaux organismes créés par le gouvernement n’a pas été assujetti à la fonction publique de façon à assurer une plus grande flexibilité, les règles de la fonction publique étant jugées trop lourdes.
Lorsque le gouvernement veut établir une certaine distance entre le politique et l’administration de certaines activités, il crée un organisme qu’il dote d’un conseil d’administration ou, s’il s’agit d’une activité commerciale, une entreprise parfois appelée société d’État. Il donne ainsi l’indication qu’il s’abstiendra d’intervenir dans la gestion quotidienne de cette institution et que sa responsabilité se limitera aux grandes orientations. Les règles politiques étant fort élastiques, cela n’empêche cependant pas les partis d’opposition de mettre le ministre responsable sur la sellette lorsque des malversations sont alléguées ou que des erreurs sont commises.
Bien que des organismes particuliers aient été créés pour administrer les grands programmes comme les rentes de retraite, l’assurance maladie et l’assurance automobile, la gestion de la plupart des programmes et services est effectuée par les ministères. L’intervention de plus en plus grande de l’État a amené les gouvernements successifs à confier plus de tâches à ces derniers. Ils sont donc responsables d’un ensemble très varié d’activités.
Leur tâche principale demeure cependant de soutenir le gouvernement dans l’élaboration des politiques publiques et le contrôle des activités étatiques. Par conséquent, l’acquisition, la conservation et l’utilisation des connaissances comptent parmi les activités primordiales des fonctionnaires. Le savoir est, en effet, une ressource précieuse pour conseiller les ministres, prévoir les tendances, anticiper les problèmes et résoudre les crises.
Contrairement à ce que prétendent les politiciens, la proportion de fonctionnaires chargés de la prestation de programmes et de services à la population est relativement faible. Les tâches reliées aux missions de base de l’État telles que la perception des impôts, la justice, la sécurité publique et la gestion de l’économie accaparent une bonne partie des fonctionnaires. Par contre, les grandes missions sociales reliées à l’éducation et à la santé sont la responsabilité d’institutions qui ne font pas partie de la fonction publique. La prestation des principaux services publics est ainsi décentralisée dans un grand nombre d’établissements.
Les fonctionnaires sont chargés de tâches qui ne constituent pas des services directs à la population, entre autres dans les domaines des transports, des ressources naturelles, de l’environnement et des affaires internationales. Par ailleurs, l’appareil central du gouvernement composé du ministère du Conseil exécutif (ministère du premier ministre), du Conseil du trésor, du ministère des Finances et du ministère des Services gouvernementaux emploient aussi un bon nombre de fonctionnaires.
Dans les ministères dits «à clientèle» tels que l’Agriculture, la Culture, le Développement économique, l’Emploi et la Solidarité sociale, l’Immigration et le Tourisme, une bonne partie des fonctionnaires sont affectés à des fonctions telles que la planification et le contrôle, l’élaboration des politiques, l’ébauche des lois et des règlements, de même que les services administratifs (gestion du personnel, gestion financière et du matériel, informatique et communications). La lourdeur des règles administratives fait que, comparativement aux entreprises privées de taille comparable, deux ou trois fois plus de personnes sont nécessaires pour s’acquitter des tâches reliées à l’administration interne.
L’administration publique fonctionne dans le contexte d’un État de droit, ce qui signifie que tous ses gestes doivent être autorisés par une loi ou un règlement. Il s’agit d’une sérieuse contrainte car, étant donné que le contexte et les besoins évoluent, le cadre légal doit être continuellement adapté ou modifié. Toutes les décisions sont susceptibles d’être contestées et soumises à l’attention du Protecteur du citoyen, d’un tribunal administratif et même des tribunaux civils. Comme des centaines et parfois des milliers de fonctionnaires sont appelés à administrer les mêmes lois et règlements, il est nécessaire d’encadrer leurs décisions au moyen de normes, de règles, de procédures et de diverses directives administratives pour en assurer la légalité, l’équité et la transparence. Étant donné que les règles ne peuvent tenir compte de toutes les circonstances, l’intervention de juristes et de divers spécialistes est souvent requise pour étudier les cas litigieux, ce qui accroît les délais et les coûts. C’est ce qui fait que le ...