LES VOYAGES DE LA NOUVELLE FRANCE OCCIDENTALE, DITE CANADA, FAITS PAR LE SIEUR DE CHAMPLAIN,
Saintongeais, capitaine pour le roi en la marine du Ponant,
et toutes les découvertes qu’il a faites en ce pays depuis l’an 1603 jusqu’en l’an 1629.
Où se voit comment ce pays a été premièrement découvert par les Français,
sous l’autorité de nos rois très chrétiens,
jusqu’au règne de Sa Majesté à présent régnante Louis XIII, roi de France et de Navarre.
A MONSEIGNEUR L’ILLUSTRISSIME CARDINAL DUC DE RICHELIEU,
chef, grand maître et surintendant général du commerce et de la navigation de France[].
Monseigneur,
Ces relations se présentent à vous, comme, à celui auquel elles sont principalement dues, tant à cause de l’éminente puissance que vous avez en l’Église et en l’État, comme en l’autorité de toute la navigation, que pour être informé ponctuellement de la grandeur, de la bonté et de la beauté des lieux qu’elles vous rapportent. Ainsi ce n’est pas sans grandes et prégnantes causes que les rois, qui ont été les prédécesseurs de Sa Majesté, et elle, non seulement y ont arboré l’étendard de la Croix, pour y planter la foi comme ils ont fait, mais encore y ont voulu ajouter le nom de la Nouvelle-France.
Vous y verrez les grands et périlleux voyages qui y ont été entrepris, les découvertes qui en ont résulté, l’étendue de ces terres, au moins quatre fois plus grandes que la France, leur disposition, la facilité de l’assuré et important commerce qui s’y peut faire, la grande utilité qui s’en peut retirer, la prise de possession par nos rois d’une bonne partie de ces pays, l’envoi en mission de divers ordres de religieux qu’ils ont permis, leur progrès en la conversion de plusieurs Sauvages, l’essor du défrichement de quelques-unes de ces terres, par lequel vous connaîtrez qu’elles ne cèdent en aucune façon en bonté à celles de la France, et enfin les habitations et forts qui y ont été construits sous le nom français, à la conservation desquels, comme en une bonne partie de ces découvertes, j’ai été assidûment employé depuis trente ans[], tant sous l’autorité de nos vice-rois[] que de celle de Votre Grandeur.
C’est Monseigneur, ce qui excusera, s’il vous plaît, la liberté que je prends de vous offrir ce petit traité, en cette assurance qu’il ne vous sera point désagréable, non pour ma considération propre, mais bien seulement pour celle du public, qui fait déjà retentir votre nom en toute l’étendue des rivages maritimes de la terre habitable, par les acclamations des effets qu’il se promet de la continuation de la gloire de vos actions, et que comme Votre Grandeur les a élevées en terre jusqu’au dernier degré, par la paix qu’elle a procurée en ce royaume, après tant et de si heureuses victoires[], aussi ne sera-t-elle pas moins portée à se faire admirer durant la paix aux choses qui la concernent, surtout au rétablissement du commerce de France dans les pays plus éloignés, comme le moyen le plus assuré qu’elle ait pour refleurir de nouveau sous vos heureux auspices. Mais entre ces nations étranges, celles de la Nouvelle-France vous tendent principalement les mains, se figurant avec toute la France que puisque Dieu vous a constitué d’un côté prince de l’Église, et de l’autre élevé aux suréminentes dignités que vous tenez, non seulement vous leur redonnerez la lumière de la foi, laquelle ils respirent continuellement, mais encore relèverez et soutiendrez la possession de cette nouvelle terre, par les peuplements et colonies qui s’y trouveront nécessaires, et qu’enfin, Dieu vous ayant choisi expressément entre tous les hommes pour la perfection de ce grand œuvre, il sera entièrement accompli par vos mains. C’est le souhait que je fais sans cesse, auquel je joins encore les offres que je vous présente du reste de mes ans, que je tiendrai très heureusement et nécessairement employés en un si glorieux dessein, si avec tous mes labeurs passés, je puis être encore honoré des commandements qu’attend de Votre Grandeur,
Monseigneur,
Votre très humble et très affectionné serviteur
CHAMPLAIN.
Notes
CHAPITRE PREMIER
Étendue de la Nouvelle-France, et la bonté de ses terres. Sur quoi est fondé le dessein d’établir des colonies en la nouvelle France occidentale. Fleuves, lacs, étangs, bois, prairies, et îles de la Nouvelle-France, sa fertilité, ses peuples [].
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Les travaux que le sieur de Champlain a soufferts aux découvertes de plusieurs terres, lacs, rivières et îles[] de la Nouvelle-France depuis vingt-sept ans[], ne lui ont point fait perdre courage pour les difficultés qui s’y sont rencontrées. Bien au contraire les périls et hasards qu’il y a courus le lui ont redoublé, au lieu de l’en détourner, et surtout deux puissantes considérations l’ont fait résoudre d’y faire de nouveaux voyages : la première, que sous le règne du roi Louis le Juste[], la France se verra enrichie et accrue d’un pays dont l’étendue excède plus de seize cents lieues en longueur, et de largeur, près de cinq cents[] ; la seconde, que la bonté des terres, et l’utilité qui s’en peut tirer, tant pour le commerce du dehors que pour la douceur de la vie au-dedans, est telle, que l’on ne peut estimer l’avantage que les Français en auront quelque jour, si les colonies françaises y étant établies, y sont protégées par la bienveillance et l’autorité de Sa Majesté.
Ces nouvelles découvertes ont causé le dessein d’y faire ces colonies, lesquelles quoi que d’abord elles aient été de petite considération, néanmoins par succession de temps, au moyen du commerce, elles égalent les États des plus grands rois[]. On peut mettre en ce rang plusieurs villes que les Espagnols ont édifiées au Pérou, et dans d’autres parties du monde, depuis cent vingt ans, qui n’étaient rien en leurs débuts[]. L’Europe peut rendre témoignage de celle de Venise, qui était à son commencement une retraite de pauvres pêcheurs. Gênes, l’une des plus superbes villes du monde, édifiée dans un pays environné de montagnes, fort désert et si infertile que les habitants sont contraints de faire apporter la terre de dehors pour cultiver leurs jardins d’alentour, et leur mer est sans poisson. La ville de Marseille[], qui autrefois n’était qu’un marécage, environné de collines et de montagnes assez fâcheuses, néanmoins par succession de temps a rendu son territoire fertile et est devenue fameuse et grandement marchande. Ainsi plusieurs petites colonies ayant la commodité des ports et des havres, se sont accrues en richesses et réputation.
Il se peut dire aussi que le pays de la Nouvelle-France est un nouveau monde et non un royaume, beau en toute perfection et qui a des situations très commodes, tant sur les rivages du grand fleuve Saint-Laurent (l’ornement du pays) qu’aux bords des autres rivières, lacs, étangs, et ruisseaux, ayant une infinité de belles îles accompagnées de prairies et de bocages fort plaisants et agréables, où durant le printemps et l’été se voit un grand nombre d’oiseaux, qui y viennent en leurs temps et saison, les terres très fertiles pour toutes sortes de grains, les pâturages en abondance, la communication des grandes rivières et des lacs, qui sont comme des mers traversant les contrées, et qui rendent une grande facilité à toutes les découvertes, dans le profond des terres, d’où on pourrait aller aux mers de l’Occident, de l’Orient, du Septentrion, et s’étendre jusqu’au Midi.
Le pays est rempli de grandes et hautes[] forêts, peuplé de toutes les mêmes sortes de bois que nous avons en France. L’air est salubre, et les eaux excellentes sur les mêmes parallèles de celle-ci[], et l’utilité qui se trouvera dans le pays, comme le sieur de Champlain espère le représenter, est assez suffisante pour mettre l’affaire en considération, puisque ce pays peut produire au service du roi les mêmes avantages que nous avons en France, ainsi qu’il paraîtra par le discours suivant.
En Nouvelle-France, il y a un nombre infini de peuples sauvages, les uns sont des sédentaires amateurs du labourage, qui ont des v...