CHAPITRE I
AVANT LA RELANCE DU BIEN PUBLIC (1909-1933)
Lorsque Le Bien public passe aux mains de laĂŻcs dans les annĂ©es 1930, le journal catholique a cĂ©lĂ©brĂ© son vingt-quatriĂšme anniversaire. Quant Ă lâabbĂ© Albert Tessier, Raymond Douville et ClĂ©ment Marchand, ils bĂ©nĂ©ficient dĂ©jĂ dâun capital social important et, pour les deux premiers surtout, de compĂ©tences dans les domaines du journalisme et de lâĂ©dition.
Ce chapitre est divisĂ© en deux grandes parties. La premiĂšre sâattarde au journal Bien public (1909-1933) et Ă lâimprimerie du mĂȘme nom (1912-1926). Nous verrons comment lâentreprise survit jusquâaux annĂ©es 1930, grĂące Ă la protection financiĂšre de la Corporation Ă©piscopale, Ă la dĂ©termination de lâĂ©vĂȘque François-Xavier Cloutier et Ă la mobilisation dâun groupe dâindividus dĂ©vouĂ©s rĂ©unis autour de ce dernier.
La seconde section sâintĂ©resse Ă Tessier, Douville et Marchand. Il sâagit de mettre en relief, pour chacun dâeux, les expĂ©riences professionnelles et les rĂ©seaux dans lesquels ils sont intĂ©grĂ©s avant de sâassocier dans cette grande aventure journalistique et Ă©ditoriale.
Portrait de Mgr François-Xavier Cloutier.
(Archives du Séminaire de Trois-RiviÚres (ASTR), fonds François-Xavier Cloutier, 0190.)
La premiĂšre vie du Bien public
La fondation du journal et de lâimprimerie (1909-1914)
Avant la crĂ©ation du Bien public en 1909, le principal journal de la ville Ă©tait un bihebdomadaire, Le Trifluvien. FondĂ© en 1888 par Paul-Victor Ayotte, ce pĂ©riodique constituait un « porte-parole prĂ©cieux[] » du milieu ecclĂ©siastique. Or, il disparaĂźt, vingt ans aprĂšs sa crĂ©ation, lors du grand feu de Trois-RiviĂšres. DĂšs avril 1908, Mgr F.-X. Cloutier propose lâimplantation dâun journal catholique pour remplacer Le Trifluvien[]. LâidĂ©e est renforcĂ©e par les Ă©crits du pape Pie X qui, en 1905[], rappelait lâimportance de la presse catholique pour combattre lâinfluence de la presse neutre, faire obstacle au socialisme et diffuser la doctrine sociale contenue dans lâencyclique Rerum novarum (1891)[]. Le Devoir (1910) et LâAction catholique (1907), fondĂ©s Ă la mĂȘme Ă©poque, sâinscrivent dâailleurs dans ce mouvement.
Pour organiser la mise en place dâun hebdomadaire, Mgr Cloutier rassemble dans la salle dâĂ©tude du SĂ©minaire de Trois-RiviĂšres certains curĂ©s et notables. Lâavocat Joseph Barnard (1872-1939)[], connu pour ses articles politiques dans Le Trifluvien, est dĂ©signĂ© pour diriger le nouveau pĂ©riodique, qui paraĂźt pour la premiĂšre fois le 8 juin 1909. MĂȘme si Barnard est un fervent catholique, il doit se rapporter dĂšs 1911 Ă un conseil de direction. Mgr Cloutier prĂ©cise dans une circulaire que Le Bien public ne sera pas lâorgane du clergĂ©, mais quâil respectera certains principes moraux Ă©dictĂ©s par lui[]. Par exemple, lâhebdomadaire donne son appui au mouvement de tempĂ©rance dans de nombreux articles et Ă©ditoriaux. Barnard admet quâil doit sâen remettre Ă lâĂ©vĂȘque pour « ce qui touche de prĂšs ou de loin Ă la religion », mais il soutient que, dans les domaines profanes, Le Bien public « ne rĂ©clame que le droit quâont tous les citoyens, de dire son opinion, de lâĂ©tablir, de la dĂ©fendre, de la propager[] ».
Jusquâen 1914, Joseph Barnard est prĂ©sentĂ©, dans lâen-tĂȘte du Bien public, comme le rĂ©dacteur en chef et lâĂ©diteur-propriĂ©taire du journal. En fait, les deux premiĂšres annĂ©es, la Corporation Ă©piscopale de Trois-RiviĂšres assume entiĂšrement les coĂ»ts de lâhebdomadaire : il fait partie des dĂ©penses extraordinaires de lâĂ©vĂȘchĂ©. Un premier montant de 2 991,94 $ est investi en 1909 pour lancer le pĂ©riodique[]. LâannĂ©e suivante, la Corporation Ă©piscopale dĂ©bourse la somme de 8 071,78 $ alors que le journal ne lui rapporte que 4 631,78 $[].
Dâabord mal informĂ© et croyant que les recettes et dĂ©penses « balancent Ă peu de choses prĂšs », F.-X. Cloutier propose, en dĂ©cembre 1910, de « vendre le journal au rĂ©dacteur actuel et de lui fournir les moyens dâacheter une imprimerie [environ 11 000 $][] ». Lorsque Mgr Cloutier constate, quelques jours plus tard, lâĂ©tat rĂ©el des finances du Bien public, lâinvestissement envisagĂ© est remis Ă plus tard. Le plus urgent est de mobiliser les curĂ©s du diocĂšse pour quâils viennent en aide au journal. Dans une lettre pastorale, lâĂ©vĂȘque demande Ă ceux-ci de prendre leurs responsabilitĂ©s Ă lâĂ©gard de la presse catholique, en percevant les abonnements pour Joseph Barnard et en lui fournissant des informations sur leur paroisse[]. Pour cela, un modĂšle de rapport, avec des questions prĂ©cises, leur est fourni. Lâobjectif est dâattiser lâintĂ©rĂȘt des populations rurales Ă lâĂ©gard du Bien public. Ce lectorat est dâune telle importance quâune Ă©dition spĂ©ciale distribuĂ©e le samedi et axĂ©e sur les sujets agricoles est mise sur pied en 1909, sans succĂšs cependant[].
Outre un nombre croissant dâabonnements, Le Bien public doit obtenir des revenus publicitaires grandissants. En 1911, lâĂ©vĂȘque de Trois-RiviĂšres souligne dâailleurs le caractĂšre fondamental de ces revenus : « On sâoccupe sĂ©rieusement Ă diminuer les dĂ©penses et Ă augmenter les recettes, particuliĂšrement par les annonces[]. » Câest pourquoi les commerçants, notables et industriels de la VallĂ©e du Saint-Maurice ont une place de choix dans les lignes publicitaires du journal. Pour les convaincre de choisir Le Bien public, lâĂ©diteur affiche le tirage Ă chaque numĂ©ro, pour montrer quâil est en constante augmentation. DâaprĂšs ces donnĂ©es, le nombre dâexemplaires en circulation serait de 3 050 en 1910[], ce qui constitue un record Ă Trois-RiviĂšres[].
NĂ©anmoins, la situation financiĂšre du Bien public reste fragile. Câest pourquoi, en mai 1911, lâadministration est confiĂ©e aux imprimeurs du journal, Vanasse & Lefrançois (125, rue du Platon). Pour 65 $ par semaine, ces derniers sont chargĂ©s de corriger les Ă©preuves, de solliciter des annonces et de percevoir le prix des abonnements[]. Lorsque prend fin ce contrat de cinq mois, F.-X. Vanasse vend Ă Joseph Barnard tout le matĂ©riel de lâimprimerie et lâassortiment de papier, pour un total de 7 000 $ (500 $ par mois)[]. Ă cela sâajoute un loyer de 25 $ pour la boutique attenante Ă lâimprimerie, qui abritera le bureau de rĂ©daction et lâadministration du journal. Cette transaction, au terme de lâannĂ©e 1911, est rendue possible grĂące Ă des recettes (8 935,05 $) qui surpassent les dĂ©penses (5 002,12 $)[], pour la premiĂšre fois depuis la fondation de lâhebdo.
Ă partir du 1er fĂ©vrier 1912, Le Bien public a donc ses propres presses, sous la direction du chef dâatelier Georges Lefrançois[]. Un mois aprĂšs lâentrĂ©e en fonction de lâImprimerie du Bien public[], le projet dâun bihebdomadaire est annoncĂ©[]. Or, cette...