LIVRE PREMIER
Les découvertes de la côte d’Acadie et de la Floride[] faites par le sieur de Champlain dans les années 1604, 1605, 1606 et 1607.
CHAPITRE I
L’utilité du commerce a induit plusieurs princes à rechercher un chemin plus facile pour trafiquer avec les Orientaux. Plusieurs voyages qui n’ont point réussi. Résolution des Français à cet effet. Entreprise du sieur de Mons : sa commission et la révocation de celle-ci. Nouvelle commission au même sieur de Mons pour continuer son entreprise.
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Selon la diversité des humeurs, les inclinations sont différentes et chacun en sa vacation a une fin particulière. Les uns tirent au profit, les autres à la gloire et certains au bien public. Le plus grand est au commerce et principalement celui qui se fait sur la mer. De là viennent le grand soulagement du peuple, l’opulence et l’ornement des républiques. C’est ce qui a élevé l’ancienne Rome à la seigneurie et domination de tout le monde, les Vénitiens à une grandeur égale à celle des puissants rois. De tout temps, il a fait foisonner en richesses les villes maritimes, dont Alexandrie et Tyr sont si célèbres, et une infinité d’autres, lesquelles remplissent le profond des terres après que les nations étrangères leur ont envoyé ce qu’elles ont de beau et de singulier. C’est pourquoi plusieurs princes se sont efforcés de trouver par le Nord le chemin de la Chine, afin de faciliter le commerce avec les Orientaux, espérant que cette route serait plus brève et moins périlleuse.
En l’an 1496, le roi d’Angleterre[] commit à cette recherche Jean Cabot et Sébastien, son fils. Environ le même temps, dom Manuel, roi de Portugal, y envoya Gaspar Corte Real, qui retourna sans avoir trouvé ce qu’il prétendait[], et l’année d’après, reprenant les mêmes erres, il mourut en l’entreprise, comme fit Michel, son frère, qui la continua obstinément[]. Dans les années 1534 et 1535, Jacques Cartier eut pareille commission de François 1er, mais il fut arrêté en sa course. Six ans après, le sieur de Roberval l’ayant renouvelée[], le même roi de France envoya Jean Alfonse, Saintongeais, plus au nord le long de la côte du Labrador, qui en revint aussi savant que les autres[]. Dans les années 1576, 1577 et 1578, messire Martin Frobisher, Anglais, fit trois voyages suivant les côtes du Nord. Sept ans après, Humphrey Gilbert, aussi Anglais, partit avec cinq navires et s’en alla perdre sur l’île de Sable, où demeurèrent trois de ses vaisseaux[]. En la même année et dans les deux suivantes[], Jean Davis, Anglais, fit trois voyages pour le même sujet, et pénétra sous les 72e degrés, et ne passa pas un détroit qui est appelé aujourd’hui de son nom. Et depuis lui, le capitaine Georges en fit aussi un en l’an 1590, qui fut contraint, à cause des glaces, de retourner sans avoir rien découvert[]. Quant aux Hollandais, ils n’en ont pas eu une plus certaine connaissance à la Nouvelle-Zemble[].
Tant de navigations et découvertes vainement entreprises, avec beaucoup de travaux et de dépenses, ont fait résoudre nos Français, en ces dernières années, à essayer de faire une demeure arrêtée dans les terres que nous disons la Nouvelle-France, espérant parvenir plus facilement à la perfection de cette entreprise, la navigation commençant en la terre d’outre l’océan, le long de laquelle se fait la recherche du passage désiré, ce qui avait mu le marquis de La Roche en l’an 1598 de prendre commission du roi pour habiter ladite terre. À cet effet, il déchargea des hommes et des munitions en l’île de Sable, mais les conditions qui lui avaient été accordées par Sa Majesté lui ayant été déniées, il fut contraint de quitter son entreprise et de laisser là ses gens[]. Un an après[], le capitaine Chauvin en prit une autre pour y conduire d’autres hommes et peu après, étant aussi révoquée, il ne poursuivit pas davantage[].
Après ceux-ci, nonobstant toutes ces variations et incertitudes, le sieur de Mons voulut tenter une chose désespérée et en demanda commission à Sa Majesté[], reconnaissant que ce qui avait ruiné les entreprises précédentes était faute d’avoir assisté les entrepreneurs, qui en un an, ni deux, n’ont pu reconnaître les terres et les peuples qui y sont, ni trouver des ports propres à une habitation. Il proposa à Sa Majesté un moyen pour supporter ces frais sans rien tirer des deniers royaux, à savoir de lui octroyer privativement à tous autres la traite des pelleteries de cette terre. Ce que lui ayant été accordé[], il se mit en grande et excessive dépense, et mena avec lui bon nombre d’hommes de diverses conditions, et y fit bâtir des logements nécessaires pour ses gens[], laquelle dépense il continua trois années consécutives, après lesquelles, par l’envie et l’importunité de certains marchands basques et bretons, ce qui lui avait été octroyé fut révoqué par le Conseil[], au grand préjudice de ce sieur de Mons, lequel par telle révocation fut contraint d’abandonner tout, avec perte de ses travaux et de tous les ustensiles dont il avait garni son habitation.
Mais comme il eut fait rapport au roi de la fertilité de la terre, et moi du moyen de trouver le passage de la Chine sans les incommodités des glaces du Nord, ni les ardeurs de la zone torride, sous laquelle nos mariniers passent deux fois en allant et deux fois en retournant, avec des travaux et périls incroyables, Sa Majesté commanda au sieur de Mons de faire un nouvel équipage et de renvoyer des hommes pour continuer ce qu’il avait commencé[]. Il le fit. Et pour l’incertitude de sa commission, il changea de lieu, afin d’ôter aux envieux l’ombrage qu’il leur avait apporté, mu aussi par l’espérance d’avoir plus d’utilité au-dedans des terres, où les peuples sont civilisés, et où il est plus facile de planter la foi chrétienne et d’établir un ordre, comme il est nécessaire pour la conservation d’un pays, que le long des rives de la mer, où habitent ordinairement les Sauvages, et ainsi faire que le roi en puisse tirer un profit inestimable, car il est aisé de croire que les peuples de l’Europe rechercheront plutôt cette facilité que non pas les humeurs envieuses et farouches qui suivent les côtes et les nations barbares.
Notes
CHAPITRE II
Description de l’île de Sable, du cap Breton, de La Hève, du port au Mouton, du port du cap Nègre, du cap et de la baie de Sable, de l’île aux Cormorans, du cap Fourchu, de l’île Longue, de la baie Sainte-Marie, du port de Sainte-Marguerite, et de toutes les choses remarquables qui sont le long de cette côte.
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Le sieur de Mons, en vertu de sa commission, ayant par tous les ports et havres de ce royaume fait publier les défenses de la traite des pelleteries à lui accordée par Sa Majesté, amassa environ 120 artisans qu’il fit embarquer en deux vaisseaux, l’un du port de 120 tonneaux, dans lequel commandait le sieur de Pont-Gravé[], et l’autre de 150, où il se mit avec plusieurs gentilshommes[].
Le septième jour d’avril mil six cens quatre, nous partîmes du Havre-de-Grâce[] et Pont-Gravé le 10, qui avait le rendez-vous à Canseau[], à 20 lieues du cap Breton. Mais quand nous fûmes en pleine mer, le sieur de Mons changea d’avis et prit sa route vers le port au Mouton, à cause qu’il est plus au midi et aussi plus commode pour aborder que Canseau[].
Le premier jour de mai, nous eûmes connaissance de l’île de Sable, où nous courûmes le risque d’être perdus par la faute de nos pilotes qui s’étaient trompés, en l’estime qu’ils firent, de plus de 40 lieues.
Cette île est éloignée de la terre du cap Breton de 30 lieues, nord et sud, et contient environ 15 lieues. Il y a un petit lac. L’île est fort sablonneuse et il n’y a point de bois de haute futaie. Ce ne sont que taillis et herbages que pâturent des bœufs et des vaches que les Portugais y portèrent, il y a plus de 6o ans[], qui servirent beaucoup aux gens du marquis de La Roche qui, en plusieurs années qu’ils y séjournèrent, prirent grande quantité de fort beaux renards noirs, dont ils conservèrent bien soigneusement les peaux. Il y a force loups-marins, de la peau desquels ils s’habillèrent, ayant tout dissipé leurs vêtements. Par ordonnance de la cour de Parlement de Rouen, il y fut envoyé un vaisseau pour les requérir[]. Les conducteurs firent la pêche de morues dans un lieu proche de cette île qui est toute batturière dans les environs.
Le 8e jour du même mois, nous eûmes connaissance du cap de La Hève, à l’est duquel il y a une baie, où sont plusieurs îles couvertes de sapins et, à la grande terre, de chênes, ormeaux et bouleaux. Il est joignant la côte d’Acadie par les 44 ...