Raison et déraison du mythe
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Raison et déraison du mythe

Au cœur des imaginaires collectifs

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Raison et déraison du mythe

Au cœur des imaginaires collectifs

About this book

Il existe dans toutes les sociétés, celles d'aujourd'hui comme celles d'hier, des valeurs et des croyances qui en viennent à exercer un tel ascendant qu'elles s'imposent aux esprits. D'origine religieuse ou non, elles jouissent d'un statut qui leur permet d'échapper en grande partie à la contestation. Toute remise en question est perçue comme une profanation. Ainsi, qui voudrait rejeter les libertés civiles en Angleterre, l'égalité des citoyens en France, le droit de propriété aux États-Unis, ou bien l'égalité des races en Afrique du Sud, ou encore l'égalité homme-femme au Québec? S'appuyant sur la raison, mais se nourrissant surtout d'émotion et de sacralité, ces valeurs sont devenues intouchables. Par quel chemin y sont-elles arrivées? En d'autres mots, comment naît un mythe? Comment accède-t-il à la sacralité? Comment se diffuse-t-il et assure-t-il sa reproduction? Comment vient-il à décliner? Quel rôle y jouent, d'un côté, les forces de l'inconscient et, de l'autre, les acteurs sociaux? Et pourquoi ne porte-t-on pas davantage attention à ces représentations puissantes qui expriment les sentiments les plus profonds d'une société, qui nourrissent les identités, les idéologies, qui structurent les visions du passé et de l'avenir, qui inspirent les choix collectifs et balisent le débat public?

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CHAPITRE 1
Mythes et imaginaires collectifs
Le but de ce chapitre est de présenter une première approximation du mythe en le situant dans l’univers des imaginaires collectifs. Cette dernière notion sera abordée dans ses diverses dimensions, ce qui permettra de dissiper quelques ambiguïtés.
A. Les mythes comme lieux de surconscience
La question qui commande cette analyse des mythes peut être formulée comme suit. Dans toute société ou collectivité, de multiples idées ou propositions sont constamment mises de l’avant touchant la manière dont elle devrait se définir et se gouverner, les valeurs et les idéaux qu’elle devrait poursuivre, le rôle ou la vocation qu’elle devrait s’assigner, les représentations du passé dont elle devrait se nourrir, les héros qu’elle devrait célébrer, et le reste. Comment expliquer que, tandis que la plupart de ces idées seront vite oubliées, certaines en viendront à acquérir un rayonnement et une autorité confinant au sacré, de telle sorte qu’elles pourront s’imposer aux consciences et influer durablement sur les comportements individuels et collectifs ?
Dans le même registre, mais sous un autre angle, on observe dans toute société des symboles ou des références névralgiques qui révèlent des dispositions, des sentiments profonds, des (hyper)sensibilités. Ils prennent la forme de malaises, de peurs, de tabous, d’angoisses et, un peu paradoxalement, ils soutiennent aussi des aspirations très fortes, des idéaux, des valeurs dominantes, des croyances, des vérités largement admises qui structurent les visions du monde, nourrissent les identités, commandent les débats publics et inspirent les orientations et les politiques de l’État.
À l’échelle supra-individuelle toujours, ces représentations agissent puissamment sur le cours d’une société, à long terme comme à court terme, en procurant aux institutions le fondement symbolique qui suscite l’adhésion de la population, en fortifiant les idéologies et les solidarités, en permettant aux sociétés de se rallier autour d’objectifs ou de finalités spécifiques, de gérer leurs tensions, de colmater leurs divisions, et en leur assurant le moyen de se regrouper et de réagir énergiquement après une crise ou un traumatisme.
Ensemble, ces sentiments et représentations correspondent à ce qu’on pourrait appeler des lieux de surconscience, à savoir des références premières qui logent au cœur de toute culture et exercent dans une société une très forte emprise du fait qu’elles jouissent d’une autorité qui est le propre de la sacralité1. Participant de l’émotion plus que de la raison, ces références imprègnent aussi la conscience des individus, elles les interpellent au plus profond d’eux-mêmes et elles motivent leurs choix de même que leur action soit en les mobilisant, en les lançant à la poursuite de desseins audacieux, soit au contraire en les inhibant – il suffit pour s’en convaincre de rapprocher, sous ce rapport, la réaction des Américains aux attaques de Manhattan en 2001, celle des Haïtiens au séisme de 2010 et celle des Japonais au lendemain de la catastrophe de Fukushima en 2011.
Voici quelques exemples de ces représentations collectives surinvesties2 (ou de ces lieux de surconscience, de surcharge de sens), étant entendu que, du point de vue de l’éthique, leur contenu peut être tantôt vertueux et tantôt condamnable (la charge normative du mythe, comme on le verra, peut être aussi bien négative que positive) : l’égalité raciale en Afrique du Sud, l’universalité et l’égalité des droits comme fondement de la citoyenneté en France, les libertés individuelles en Angleterre, le droit de propriété aux États-Unis, l’égalité sociale en Norvège, la mission des travailleurs dans l’ex-URSS, la vocation civilisatrice (et dominatrice) de l’Occident dans le reste du monde, la supériorité de la race aryenne dans l’Allemagne nazie, la soif de valorisation collective en Corée du Sud, la sensibilité écologique en Nouvelle-Zélande (le vieux mythe du « jardin3 »), la haine de la violence et le culte de l’harmonie sociale dans l’histoire du Costa Rica (C. Cruz, 2000), l’attachement à la langue française et le désir d’affirmation nationale au Québec, la démocratie dans plusieurs des anciennes colonies de l’Europe, l’égalité homme-femme un peu partout en Occident. De même, dans de nombreux pays, on ne franchit pas impunément un piquet de grève, par respect pour la cause ouvrière.
Chaque société, dans le cours de son histoire, développe ce genre d’attachement à des valeurs, des croyances ou des idéaux. Depuis quelques décennies, on y observe, il est vrai, un important recoupement, une convergence vers des valeurs universelles (liberté, égalité, démocratie…), mais celles-ci n’en prennent pas moins des accents particuliers, ainsi qu’une intensité variable d’une société à l’autre. Au gré des expériences vécues dans la longue durée et constamment commémorées, elles sont l’objet d’une appropriation qui les singularise.
Encore une fois, leur emprise sur les consciences est telle que, profondément intériorisées, elles sont tenues pour acquises et entourées d’une aura qui leur permet d’échapper en grande partie aux remises en question4. La symbolique de la nation en offre un autre exemple. Les champs de bataille et les cimetières militaires sont des sanctuaires (qui oserait faire la foire en ces lieux ?), la tombe du Soldat inconnu commande le recueillement, la mémoire des héros sacrifiés pour la patrie est intouchable, brûler le drapeau national est une profanation5. On parle à ce propos de personnages ou de lieux mythiques.
L’analyse de ces représentations aide à comprendre pourquoi, dans des circonstances de crise, certaines sociétés feront preuve d’apathie alors que d’autres manifesteront de la résilience et du dynamisme. De même, elle aide à comprendre pourquoi des individus ou des groupes accepteront de se sacrifier pour des causes dont ils ne verront jamais les bénéfices. Cela dit, dans une autre direction, ces références premières peuvent aussi être sources d’inhibition et de stagnation, ou engendrer de profondes divisions, des conflits quasi insolubles, de véritables délires collectifs et des dérapages catastrophiques, comme l’histoire de l’Occident en a donné maints exemples. Enfin, elles peuvent aliéner une population et maintenir une classe sociale ou une nation sous la domination d’une autre.
On aura reconnu ici, au cœur de la culture, le domaine hétéroclite, ambivalent, à la fois redoutable et fascinant, éclaté mais omniprésent, du mythe.
Il existe aussi dans toute collectivité un ensemble de tabous, qui sont comme l’envers du mythe. Ce sont des interdits institutionnalisés ou non, assortis de diverses sanctions en cas de transgression. Ils se manifestent, notamment, par une vive répugnance à remettre en question certaines vérités fondatrices tenues pour acquises, ou même à en débattre publiquement. Mais les interdits, ce sont aussi des désirs inconscients jamais assouvis, ou encore des vérités cachées, refoulées, qu’il serait trop pénible d’affronter – ce qui autorise à dire que le mythe recèle autant qu’il révèle.
Tous ces phénomènes ont été étudiés de longue date par les philosophes, les littéraires, les sémiologues et les anthropologues. De ce côté, on peut donc s’appuyer sur une riche tradition de pensée qui éclaire de nombreux aspects du mythe à diverses époques. Ce n’est pas le lieu ici de proposer une revue détaillée de cette littérature. Signalons seulement qu’à la suite de Jung et de Freud, elle a beaucoup exploré les racines profondes et les structures symboliques du mythe en tant que production imaginaire qui transcende les contextes spatio-temporels (on pense à des auteurs pionniers comme Gaston Bachelard, Mircea Eliade, Henri Corbin, Roger Caillois, Claude Lévi-Strauss, Northrop Frye, Gilbert Durand et d’autres6). On note aussi que ces travaux ont surtout porté soit sur les grandes civilisations de l’Antiquité, soit sur les sociétés dites archaïques ou primitives, et beaucoup moins sur les sociétés modernes ou postmodernes.
Si telles sont la portée et l’emprise de ces représentations dans nos sociétés, s’il est vrai qu’elles conditionnent nos vies de tant de façons, on s’attendrait à disposer d’une grande expertise sociologique en ce domaine. Or, nous en savons très peu sur leur genèse, leur devenir, sur la façon dont elles se forment, se perpétuent et s’adaptent en se redéfinissant, sur les circonstances qui les amènent à perdre leur attrait puis à décliner, et surtout, sur le processus de sacralisation qui permet à certaines idées et certains symboles de se transformer en lieux de surconscience.
Aussi fondamentales qu’elles soient pour la compréhension du monde dans lequel nous vivons, ces questions sont loin d’avoir trouvé réponse en sociologie. Actuellement, le mythe n’y existe pas véritablement comme thème de recherche, même en sociologie culturelle (comme le constatait il y a trente ans A. D. Smith, 1986, p. 182 7).
C’est particulièrement le cas aux États-Unis. Centré sur l’herméneutique structurale, le programme de recherche Strong Program in Cultural Sociology mis de l’avant par J. C. Alexander et P. Smith (2001) ouvrait sur de nombreux horizons très prometteurs, mais il ne contenait qu’une mention du mot mythe (en référence aux travaux de C. Lévi-Strauss sur les sociétés dites primitives). L’imposant ouvrage collectif dirigé par J. C. Alexander, R. N. Jacobs et P. Smith (2012) comprend trente chapitres consacrés aux divers thèmes de la sociologie culturelle, mais les mythes en sont exclus ; le mot n’apparaît que quelques fois, principalement en rapport – de nouveau – avec les travaux de Lévi-Strauss (il s’y ajoute un court développement sur les mythes de catastrophe). On connaît d’autres guides ou manuels importants où le mythe est pratiquement passé sous silence, par exemple : ceux de L. Spillman (2002), de R. Friedland et J. Mohr (2004), de M. D. Jacobs et N. Weiss Hanrahan (2005), de J. R. Hall et alii (2010). De même, la thématique du mythe est pratiquement absente des travaux issus du vaste réseau international NYLON8, qui regroupe de très nombreux chercheurs en sociologie culturelle. Cependant, et paradoxalement, le rôle des mythes dans nos sociétés n’est remis en question dans aucune de ces publications9. Des sondages dans la littérature sociologique canadienne-anglaise et québécoise ont donné des résultats similaires – avec une exception au Québec, soit l’ouvrage de H. Fisher (2004).
En Europe et ailleurs, l’étude des mythes nationaux est un domaine actif, grâce surtout aux travaux pionniers du Britannique Anthony D. Smith et à quelques périodiques consacrés à l’étude de la nation et du nationalisme (notamment Nations and Nationalism, National Identities, Studies in Ethnicity and Nationalism). Mais les efforts de théorisation du mythe en tant que mécanisme sociologique ne sont pas poussés très loin. L’accent est mis principalement sur les contenus symboliques, la cartographie sociopolitique, le rayonnement, les fonctions et l’évolution des mythes nationaux. Certains de ces travaux souffrent d’autres limitations, soit parce que les mythes y sont associés à l’ère prémoderne, soit parce qu’on les tient pour des affabulations sans conséquence, soit encore parce qu’on les assimile exclusivement à des dérapages tragiques qui surviennent à l’occasion en vertu d’une sorte de fatalité historique.
D’une façon générale, qu’il s’agisse des courants sociologiques nord-américains ou européens, on se prive ainsi d’éclairer dans toutes leurs dimensions la nature et le fonctionnement d’un mécanisme universel qui ne cesse de travailler nos sociétés en profonde...

Table of contents

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Faux-titre
  4. Du même auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Introduction
  8. Chapitre 1
  9. Chapitre 2
  10. Chapitre 3
  11. Chapitre 4
  12. Chapitre 5
  13. Conclusion Générale
  14. Références
  15. Crédits et Remerciements
  16. Fin
  17. Quatrième de couverture