Le Grand Retour
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Le réveil autochtone

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Le réveil autochtone

About this book

Il y a toujours une bonne part d'inconfort dans les « moments historiques », nous prĂ©vient John Saul en nous exhortant Ă  embrasser et Ă  soutenir la rĂ©surgence des peuples autochtones sur la scĂšne politique. Il s'agit, Ă  ses yeux, de la question la plus cruciale de notre Ă©poque, la piĂšce majeure qui manque encore dans la construction du Canada. Les Ă©vĂ©nements qui se sont succĂ©dĂ© depuis la crise d'Oka jusqu'au mouvement Idle No More ne constituaient pas de simples nuages passagers venant assombrir les relations entre les Autochtones et les autres Canadiens. Et ce qui se passe aujourd'hui dans nos communautĂ©s ne se rĂ©sume pas Ă  une question de culpabilitĂ©, de pardon, de bons ou de mauvais sentiments. Il s'agit avant tout d'une question de droits, de citoyennetĂ©. L'heure est venue de reconstruire des liens qui Ă©taient Ă  l'origine mĂȘme du Canada et qui seront tout aussi essentiels Ă  la survie du pays. En replaçant les PremiĂšres Nations au centre de notre histoire, nous arriverons Ă  imaginer de nouvelles façons de nous percevoir et articulerons de nouveaux rĂ©cits, plus convaincants, pour raconter notre aventure collective. Fruit d'une vaste recherche, « Le Grand Retour » prĂ©sente un Ă©tonnant portrait de la rĂ©alitĂ© autochtone, bien loin du pessimisme et du misĂ©rabilisme habituellement vĂ©hiculĂ©s par les mĂ©dias et le discours politique. John Saul illustre sa rĂ©flexion en nous proposant un florilĂšge de lettres et de textes qui nous font entendre la parole autochtone, Ă  travers les siĂšcles, dans toute sa richesse.

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Information

1
L’imminence de l’histoire
Nous savons que l’histoire se fait sous nos yeux. Nous savons aussi que nous pouvons peser sur le cours des choses, quoique jamais autant que nous le voudrions. Et quand nous parvenons Ă  agir, notre action est indissociable de la force immense du mouvement de l’histoire, qui marche dans le temps Ă  grandes enjambĂ©es. L’effet de notre intervention – bĂ©nĂ©fique ou nocif – ne se rĂ©vĂ©lera que peu Ă  peu, au fil des dĂ©cennies, voire des siĂšcles. L’histoire nous est donc entrave et Ăąpre exigence tout Ă  la fois. La plupart du temps, nous ne pouvons entrevoir la forme qu’elle prend, avec pour consĂ©quence que nous nous sentons captĂ©s par des mouvements de marĂ©e mystĂ©rieux, dont nous ne pouvons mĂȘme pas imaginer le cycle. Peut-ĂȘtre parce que nous ne voulons pas.
Mais nous sommes toujours quelque part dans le mouvement de l’histoire. La houle nous secoue ou nous prĂ©cipite sur les rĂ©cifs. Ou alors nous pagayons sereinement comme si de rien n’était.
C’est dans cette logique qu’il nous faut mĂ©diter les Ă©vĂ©nements de l’hiver 2012-2013, au moment oĂč Idle No More a fait irruption dans nos vies. On a vu alors des Autochtones se masser en des lieux oĂč la contestation n’a normalement pas droit de citĂ© : aux carrefours, dans des centres commerciaux un peu partout au pays, ainsi que sur la colline du Parlement Ă  Ottawa. Dans tous les mĂ©dias, de nouveaux jeunes chefs faisaient entendre leur voix. Les pouvoirs constituĂ©s, non autochtones aussi bien qu’autochtones, les mĂ©dias, les commentateurs patentĂ©s, ont tentĂ© en vain d’instrumentaliser ou de juguler cette expression spontanĂ©e de frustration et de colĂšre. Ainsi, des leaders politiques fĂ©dĂ©raux sont allĂ©s marquer leur sollicitude au chef Theresa Spence pendant sa grĂšve de la faim sur l’üle Victoria. Si elle avait pĂ©ri des suites de son jeĂ»ne hydrique, Ă  quelques mĂštres du parlement provincial, la catastrophe Ă©tait assurĂ©e. Le tissu social canadien aurait subi un tort irrĂ©parable, sa mort aurait Ă©tĂ© une version moderne de la pendaison de Louis Riel. On aurait pu perdre la maĂźtrise des Ă©vĂ©nements. Violence ? On ne peut pas savoir. Nous avons fini par sortir de la crise Ă  tĂątons. Le gouverneur gĂ©nĂ©ral a reçu les chefs autochtones dans une atmosphĂšre trouble. Et il y a eu cette rencontre avec le premier ministre Ă  laquelle certains chefs Ă©minents refusaient d’assister Ă  moins que le gouverneur gĂ©nĂ©ral soit prĂ©sent.
Tout le pays semblait tĂ©tanisĂ© par l’arrivĂ©e apparemment soudaine des Autochtones au cƓur mĂȘme de la conscience nationale. Je dis « apparemment » parce que les Canadiens et notre gouvernement n’avaient pas voulu voir. Il ne s’agissait pas ici d’une mauvaise passe comme tant d’autres dans les relations entre les Autochtones et les autres Canadiens. Il ne s’agissait pas de personnalitĂ©s ou d’un problĂšme particulier. Le mouvement Idle No More n’était pas lĂ  pour renverser l’AssemblĂ©e des PremiĂšres Nations. Ce n’était pas non plus un conflit opposant certains chefs et le chef national de l’APN. Ou ceux qui faisaient la grĂšve de la faim, d’une part, et ceux qui voulaient nĂ©gocier, d’autre part. Tout cela s’inscrivait en fait dans une vaste fronde impulsĂ©e par les forces de l’histoire. Hier comme aujourd’hui, chacun de nous, Autochtones et non-Autochtones, doit tĂącher d’y voir clair. Les peuples autochtones avaient pris leur place dans l’arĂšne nationale parce cette place leur revient. Sauf que cette fois-ci, leur irruption lĂ©gitime au cƓur de la conscience nationale rappelait les enjeux d’hier et d’aujourd’hui Ă  tous ceux qui Ă©taient prĂȘts Ă  Ă©couter. C’est la grande problĂ©matique de notre Ă©poque, l’immĂ©morial contentieux du Canada qui dictera le jugement de l’histoire.
Bien sĂ»r, l’histoire contemporaine a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© tĂ©moin de maints drames concernant les Autochtones, certains ayant connu un dĂ©nouement heureux. C’est le QuĂ©bec qui donne le ton ici. Quatre annĂ©es d’affrontements judiciaires et toute une sĂ©rie de conflits et de nĂ©gociations politiques ont dĂ©bouchĂ© sur la Convention de la Baie-James et du Nord quĂ©bĂ©cois de 1975. Preuve que la rĂ©conciliation et la restitution Ă©taient imaginables, mĂȘme si cet accord n’a pas rĂ©ussi Ă  satisfaire les Cris et qu’il a fallu nĂ©gocier une seconde convention pour eux. L’accord du Nunavut de 1993, entrĂ© en vigueur en 1999, n’a pas Ă©tĂ© respectĂ© dans son intĂ©gralitĂ© par Ottawa mais constituait nĂ©anmoins un Ă©vĂ©nement favorable. Lorsque le traitĂ© des Nisga’as a Ă©tĂ© conclu en 1999, leur chef, Joseph Gosnell, a dĂ©clarĂ© que son peuple avait enfin trouvĂ© sa place au Canada par la nĂ©gociation. L’entente intervenue avec les Cris du Nord quĂ©bĂ©cois en 2002, qu’on appelle la Paix des Braves, est peut-ĂȘtre le traitĂ© le plus complexe jamais nĂ©gociĂ©. Et pourtant, il n’a fallu qu’une annĂ©e pour en venir Ă  un accord : signe que, lorsque la bonne foi et la volontĂ© politique sont au rendez-vous, il y a toujours moyen de bĂątir de nouveaux ponts dans le temps de le dire.
L’ennui, c’est que ces avancĂ©es n’ont modifiĂ© en rien le rĂ©cit central de la majoritĂ© des Canadiens. Il s’agissait en effet de changements Ă©normes intervenus dans ce lointain Nord oĂč nous ne mettons jamais les pieds. L’accord de la baie James a apportĂ© de grands bienfaits aux gens du Sud parce que l’hydroĂ©lectricitĂ© produit des revenus gĂ©nĂ©reux et stables. Mais la crise d’Oka a dĂ©montrĂ© que l’incidence des accords nordiques sur les non-Autochtones restait largement abstraite. Les autres flambĂ©es qui ont marquĂ© le pays depuis – la confrontation du lac Gustafsen (Colombie-Britannique), Ipperwash (Ontario), Burnt Church (Nouveau-Brunswick) et Caledonia (Ontario) – descendent en ligne droite du calvaire d’Oka.
Il n’est pas de moment historique sans malaise. Les contradictions stratĂ©giques y bousculent Ă  coup sĂ»r, les contradictions tactiques aussi. La recherche de gains politiques fait naĂźtre des factions querelleuses : caractĂ©ristique obligĂ©e des mouvements qui aspirent Ă  de grandes mutations sociales. Quant aux gouvernants, ils subissent de multiples tiraillements dans un climat de crise qui grippe la mĂ©canique normale du pouvoir.
Et pour ceux qui sont pris Ă  partie – dans le cas d’Idle No More : le gouvernement canadien et certains Ă©lĂ©ments de l’élite non autochtone de la sociĂ©tĂ© canadienne –, ces scissions semblent faire le jeu du cynisme. Par exemple, on joue un groupe d’Autochtones contre un autre. On discrĂ©dite les chefs autochtones en fustigeant la prodigalitĂ© d’une poignĂ©e d’entre eux. On fait le procĂšs de la corruption ici, on dĂ©nonce l’inefficacitĂ© lĂ . Tout est bon pour Ă©viter de s’attaquer aux problĂšmes rĂ©els qui se posent depuis trop longtemps. Mais ce ne sont lĂ  que mirages opportunistes. Une fausse lecture de la rĂ©alitĂ© sur le terrain.
L’habiletĂ© tactique ou les mesures dilatoires n’ont jamais pour effet de faire disparaĂźtre le problĂšme et ne rĂšglent rien. Chose des plus importantes, sans la recherche sĂ©rieuse de solutions, les lacunes fondamentales de cette relation ne se feront que plus troublantes pour nous tous et risquent de compromettre encore plus l’existence du Canada.
Cette rĂ©alitĂ© historique n’est aidĂ©e en rien par la tendance naturelle des mĂ©dias et des stratĂšges politiques Ă  interprĂ©ter la rĂ©alitĂ© dans les limites du petit quotidien. Chose naturelle, voire nĂ©cessaire. Ils n’ont d’yeux que pour les personnalitĂ©s, les rivalitĂ©s, les mĂ©sententes et les Ă©checs. C’est ainsi qu’ils imaginent leur action, rappelant par lĂ  les devins qui interrogent les entrailles des poulets pour nous dire si CĂ©sar doit se rendre ou non au Forum.
Cela peut Ă©galement faire problĂšme lorsqu’une crise Ă©clate, particuliĂšrement une crise qui n’en finit plus. Nous sommes alors tous empĂȘtrĂ©s dans le rĂ©cit au goĂ»t du jour. Et dans ce rĂ©cit, chacun de nous ne voit que sa rĂ©alitĂ© Ă  lui. Seules comptent alors nos habitudes, dictĂ©es par des considĂ©rations pratiques ou par nos Ă©motions. Rien de plus normal. Et en temps normal, ça peut aller. Mais pour maĂźtriser une vraie crise, une crise qui transcende nos rĂ©alitĂ©s personnelles, il faut savoir s’écarter de la normalitĂ©. Si la crise nous dĂ©passe, nous devons repenser le rĂ©cit, sans quoi celui-ci risque de nous annihiler. Par exemple, le premier ministre Harper, lorsque survient un danger, s’enferme habituellement aussitĂŽt dans une lecture Ă©conomiste de l’évĂ©nement. Et son interprĂ©tation Ă©conomique quitte rarement une certaine orniĂšre. C’est sa rĂ©alitĂ© Ă  lui. Quant aux millions d’autres Canadiens, ils vivent dans des rĂ©alitĂ©s plurielles. Pour certains, une seule chose compte, c’est arriver au travail Ă  l’heure ou avoir l’assurance de pouvoir faire le plein quand il le faut. Tout ce qui se met en travers de notre chemin nous agace. Une plĂ©thore d’ambitions et de soucis pĂšse sur nos familles, notre emploi, notre quotidien.
Lorsqu’il s’agit des grandes questions sociales, nous avons tendance Ă  remarquer trĂšs vite le moindre signe de souffrance. La souffrance nous trouble, surtout celle d’autrui. C’est lĂ  une expression d’empathie traditionnelle qui est d’origine judĂ©o-chrĂ©tienne, disons plutĂŽt abrahamique. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi. Cela nous rend plus sensibles aux drames sociaux. Mais si les non-Autochtones n’entrevoient leur rapport avec la rĂ©alitĂ© autochtone que par le prisme de leurs Ă©motions, il est plus tentant pour eux de rester spectateurs du drame, car cela les dispense de rechercher une solution Ă  ces problĂšmes. Ce genre de pitiĂ© risque de renforcer le vieux rĂ©cit selon lequel les « Indiens » posent un problĂšme, qu’ils sont inaptes Ă  survivre dans une sociĂ©tĂ© « moderne » parce que nous leur avons inspirĂ© une telle honte d’eux-mĂȘmes qu’ils n’ont plus la confiance en soi nĂ©cessaire pour fonctionner dans la rĂ©alitĂ©. Lee Maracle, dans une conversation avec l’animateur de la radio de CBC Michael Enright, le 18 mai 2014, a torpillĂ© cette pitiĂ© dĂ©lĂ©tĂšre. « Les autres appellent ça de la honte. Mais personne ne dit ça en parlant de soi. » Dans ce cas-ci, si honte il y a, elle devrait ĂȘtre ressentie par les fautifs. Maracle : « Si l’on veut qu’il y ait rĂ©conciliation, l’auteur de votre malheur doit ĂȘtre un participant. »
Quelle que soit notre vision de la rĂ©alitĂ©, l’histoire suit toujours son cours. Mais quand nous essayons de situer notre place exacte dans cette histoire, nous dĂ©passons rarement l’approximation. L’histoire avance toujours dans des directions diverses et Ă  des vitesses diverses au mĂȘme moment. C’est un mouvement constamment agitĂ© de courants sous-marins et de lames de fond traĂźtresses.
Pourtant, il me semble que nous pouvons en ce moment discerner au moins une tendance. Et mĂȘme s’il ne s’agit que d’une tendance parmi tant d’autres, je crois que non seulement nos vies Ă  titre individuel mais le Canada lui-mĂȘme vont se ressentir de la façon dont nous allons y rĂ©agir. Si nous intervenons intelligemment, consciemment, et avec une idĂ©e du sens de notre trajectoire historique, nous saurons changer notre rĂ©cit. J’entends par lĂ  que nous allons nous affranchir d’un rĂ©cit qui est restĂ© Ă©tonnamment colonial dans sa nature, et embrasser un point de vue qui donne sens Ă  ce que nous faisons et pouvons faire Ă  la place. La tendance est nette. En cent ans, les peuples autochtones sont parvenus Ă  conjurer la mort. Retour en force exemplaire quand on sait l’abjection dans laquelle ils croupissaient : proches de l’extinction dĂ©mographique, leur existence juridique avoisinant le mĂ©pris, leurs civilisations guettĂ©es par la caducitĂ©. Vers quoi tend cette rĂ©surgence ? Vers une position de force, d’influence et d’inventivitĂ© civilisationnelle en ce territoire qui a nom Canada.
La plupart des Canadiens ne comprennent toujours pas cela parce que nous n’avons de souvenirs que pour la souffrance de nombreuses nations autochtones, leurs carences, leurs Ă©checs. Ce qui conduit certains non-Autochtones Ă  Ă©prouver de la culpabilitĂ©, d’autres de l’empathie, d’autres encore Ă  regarder les diverses sociĂ©tĂ©s autochtones comme des civilisations en perdition. Ce sont lĂ  Ă  peu prĂšs les mĂȘmes construits qui nous habitaient il y a un siĂšcle, sauf que les parts de culpabilitĂ© et de pitiĂ© sont beaucoup plus Ă©levĂ©es et la part de dĂ©dain beaucoup plus faible. Mais tous trois sont essentiellement pernicieux et nous Ă©loignent du courant dominant de l’histoire. Sans parler de nos obligations.
Ce que je veux dire, c’est que ces trois Ă©tats d’ñme occultent le fait qu’il existe des solutions Ă  la plupart des problĂšmes auxquels les Autochtones font face. Et notre pessimisme – notre culpabilitĂ©, notre pitiĂ©, notre dĂ©dain – fait obstacle Ă  ces solutions parfaitement rĂ©alisables. Les Autochtones sont en voie de les rĂ©soudre. Mais nous leur barrons encore la route.
Au dĂ©but du xxe siĂšcle, les PremiĂšres Nations et les MĂ©tis ont atteint le nadir de leur effondrement dĂ©mographique. Des prĂšs de 2 millions qu’ils avaient Ă©tĂ©, leur nombre avait fondu en Ă  peu prĂšs soixante-quinze ans Ă  environ 150 000. HĂ©morragie vertigineuse, causĂ©e par la perte de leur mode de vie, de leur bien-ĂȘtre Ă©conomique, de leur bien-ĂȘtre social et de leurs sources de nourriture, sans compter l’avĂšnement d’une nouvelle vague de maladies europĂ©ennes particuliĂšrement dĂ©vastatrice notamment Ă  cause de l’affaiblissement de leur condition physique. Et tout cela Ă©tait favorisĂ© ou carrĂ©ment causĂ© par la politique gouvernementale, l’immigration soutenue et les changements qui en rĂ©sultaient dans l’utilisation du territoire.
Autrement dit, ce fut lĂ  une Ăšre oĂč rĂ©gnaient des contradictions profondes entre la rĂ©alitĂ© et la mythologie de la vie canadienne. L’histoire nationale classique prĂ©sente le tournant du siĂšcle comme une Ă©poque de crĂ©ativitĂ© et de construction de l’État. L’immigration connaissait une cadence encore inĂ©galĂ©e aujourd’hui. Dans la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dant la PremiĂšre Guerre mondiale, c’est plus de 400 000 immigrants qui entraient chez nous chaque annĂ©e. On dĂ©frichait la terre, on bĂątissait des bourgades. Le chemin de fer s’étendait dans toutes les directions, les villages devenaient des villes. Vrai, tout ça, mais prĂ©cisĂ©ment au mĂȘme moment, dans le mĂȘme pays, les Autochtones souffraient ou agonisaient, ou ne faisaient plus d’enfants Ă  cause des conditions atroces auxquelles ils avaient Ă©tĂ© rĂ©duits, et tout cela se passait dans de petites localitĂ©s Ă©loignĂ©es, loin des yeux et loin du cƓur d’une population canadienne d’origine principalement europĂ©enne.
Les effectifs autochtones diminuant sans cesse, le systĂšme politique canadien, enhardi par une dĂ©mographie croissante et une puissance Ă©galement grandissante, prĂ©disait avec assurance la fin du monde autochtone. Il Ă©tait dĂ©sormais Ă©vident – ou du moins, c’est ce que disait la thĂšse courante et intĂ©ressĂ©e du temps – que ces populations Ă©taient malheureusement inadaptĂ©es au monde moderne. ArriĂ©rĂ©es, anĂ©miques, embourbĂ©es dans des cultures sans importance. Une bonne part de cet argumentaire trouva vite Ă  se reloger dans l’idĂ©al de charitĂ© chrĂ©tienne que charriait l’impĂ©rialisme victorien.
C’était l’époque de la mythologie impĂ©riale triomphante. Partout sur le globe, la puissance impĂ©riale et les mythes conquĂ©rants d’une poignĂ©e de pays dominaient la pensĂ©e et l’action. Il nous est difficile aujourd’hui d’imaginer la force et le rayonnement international de ces mythologies hĂ©gĂ©moniques. On se surprend aussi de voir combien elles Ă©taient Ă©triquĂ©es. Ainsi, de petits pays peu peuplĂ©s comme la Grande-Bretagne et la France devaient servir de modĂšles au monde. L’évolutionnisme de Charles Darwin, rĂ©vĂ©lĂ© au monde en 1859, fut vite assimilĂ© Ă  un di...

Table of contents

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du BorĂ©al
  3. Faux-titre
  4. Du mĂȘme auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Dédicace
  8. 1A Traité
  9. 1B Traité
  10. 1 - L’imminence de l’histoire
  11. 2 - Des droits plutÎt que de la pitié
  12. 3 - L’évitement judiciaire
  13. 4 - Autorité et pouvoir
  14. 5 - Le ministĂšre des bonnes oeuvres
  15. 6 - Le racialisme : toujours vivant !
  16. 7 - Sur les maniÚres de débattre
  17. 8 - Au nom du pùre

  18. 9 - Le grand retour
  19. 10 - Une nouvelle élite
  20. 11 - L’immaturitĂ© pĂ©renne de nos gouvernants
  21. 12 - Le pouvoir sur la terre
  22. 13 - Le droit d’ĂȘtre divisĂ©s
  23. 14 - Prendre la rue
  24. 15 - Les lois omnibus
  25. 16 - Les atermoyeurs
  26. 17 - Le leadership
  27. 18 - La grande question de notre époque
  28. 19 - Et si on commençait par le plus facile
  29. 20 - Le choix
  30. Les mots des autres
  31. Notes
  32. Remerciements
  33. Crédits et remerciements
  34. Fin
  35. QuatriĂšme de couverture