Georges Leroux
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Georges Leroux

Entretiens

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Entretiens

About this book

On accuse parfois les intellectuels progressistes d'ĂȘtre dĂ©racinĂ©s. Aucune expression ne saurait ĂȘtre plus injuste Ă  l'endroit de Georges Leroux. NĂ© au sein d'une famille de la petite bourgeoisie catholique, il a Ă©voluĂ©, de sa formation chez les JĂ©suites aux dĂ©bats politiques enflammĂ©s du QuĂ©bec des annĂ©es 70 et 80, en passant par les annĂ©es studieuses Ă  Paris. Partout il se rĂ©vĂšle un constructeur d'institutions, un intellectuel engagĂ© au sein de sa sociĂ©tĂ©, et surtout un connaisseur perspicace et attentif du dĂ©bat public qui a peu Ă  peu façonnĂ© le QuĂ©bec d'aujourd'hui. Pensons en particulier Ă  son engagement des dix derniĂšres annĂ©es au service du pluralisme. Dans ces entretiens avec Christian Nadeau, Georges Leroux cĂ©lĂšbre un idĂ©al d'amitiĂ© intellectuelle qu'il a dĂ©couvert dans sa jeunesse, au dĂ©but de sa formation Ă  l'Institut d'Ă©tudes mĂ©diĂ©vales, et retrouvĂ© Ă  diffĂ©rents moments de sa longue carriĂšre. Le rĂ©cit de sa vie devient alors l'accompagnement d'une pĂ©riode d'effervescence oĂč le QuĂ©bec s'est dotĂ© de grandes institutions publiques, d'une vie intellectuelle et culturelle diversifiĂ©e, de savoirs et d'espoirs.

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XI
Figures de l’intellectuel
critique. De Hannah Arendt
Ă  Charles Taylor
■Ces grands intellectuels platoniciens ne sont pas les seuls qui ont comptĂ© pour vous : d’autres figures sont intervenues dans votre parcours. Comment les avez-vous accueillies ?
MĂȘme si je ne souhaite pas durcir cette opposition, elle conserve beaucoup de sens pour moi. La figure platonicienne, d’abord prĂ©occupĂ©e par la connaissance et par le souci de l’ñme, doit toujours laisser une place Ă  une figure plus active, plus terrestre, plus aristotĂ©licienne. Aristote a rĂ©digĂ© non seulement une Ă©thique, mais aussi huit livres de Politiques, dans lesquels il discute les mĂ©rites comparĂ©s des constitutions et propose une critique sĂ©vĂšre de l’utopie de Platon. Son Ă©cole formait de futurs dirigeants, ce qui peut sans doute expliquer que ses notes n’aient pas le caractĂšre littĂ©raire des dialogues platoniciens : elles tĂ©moignent d’un travail trĂšs diffĂ©rent de celui de l’AcadĂ©mie. Parmi les grands interprĂštes de la vita activa, il faut d’abord compter Hannah Arendt, qui a cherchĂ© chez Aristote les principes d’une doctrine des vertus et des formes de vie oĂč l’action politique revĂȘtirait une suprĂ©matie, une dignitĂ© incontestables. C’est par la lecture de Hannah Arendt que j’ai pris conscience du privilĂšge que j’avais toujours consenti Ă  la poursuite d’un idĂ©al contemplatif et platonicien, et que j’en ai perçu le caractĂšre problĂ©matique.
■Comment ĂȘtes-vous venu Ă  son Ɠuvre ?
Ma rencontre avec The Human Condition reprĂ©sente un moment important et je la dois Ă  Paul RicƓur. Raymond Klibansky, qui Ă©tait pourtant dans la mĂȘme classe qu’elle alors qu’ils Ă©taient Ă©lĂšves de Karl Jaspers Ă  Heidelberg, ne semble avoir conservĂ© aucun souvenir particulier de Hannah Arendt, mĂȘme si elle avait fait une thĂšse trĂšs platonicienne sur le concept d’amour chez saint Augustin. DerriĂšre cet intitulĂ© en apparence mystique se tient un propos critique, orientĂ© vers la considĂ©ration du monde, qui peut expliquer, en tout cas au moins partiellement, le fait que Klibansky ne s’y soit pas reconnu. MĂȘme dans son cours sur saint Augustin, il ne mentionnait pas la thĂšse d’Arendt. Sans doute faut-il compter aussi avec la relation d’Arendt avec Heidegger, dont Klibansky ne pouvait mĂȘme pas prononcer le nom : sa bouche se tordait, tout en lui s’y refusait ; tant de ses proches avaient souffert. Je dois constater ici une rĂ©sistance, une forme de refus radical, et je peux la comprendre, sachant ce que nous savons maintenant des positions publiques de Heidegger.
Paul RicƓur a toujours Ă©tĂ© un penseur orientĂ© vers l’aspect dramatique de l’existence et, dans sa jeunesse, il avait Ă©tudiĂ© la pensĂ©e de Karl Jaspers, auquel il a consacrĂ© en 1949, avec son ami Mikel Dufrenne (1910-1995), une magnifique Ă©tude. J’avais lu ce livre au moment oĂč je m’étais plongĂ© dans le monde de Jaspers, et les liens que RicƓur y Ă©tablit entre la problĂ©matique de la libertĂ© et de la faute, centrale pour ma thĂšse, et la pensĂ©e existentielle des situations limites m’avaient beaucoup intĂ©ressĂ©. Lors d’une rencontre avec lui, je lui demandai sans dĂ©tour pourquoi il s’était Ă©loignĂ© de la pensĂ©e de Jaspers, et il me rĂ©pondit que c’était en raison de la critique d’Arendt. Il m’invita Ă  lire The Human Condition, publiĂ© en 1958, dont il avait rĂ©digĂ© la prĂ©face pour l’édition française, dans laquelle il prĂ©sente une vision rĂ©solument active de la tĂąche philosophique. Un hommage philosophique Ă  Jaspers, certes, mais aussi l’expression de certaines limites. Le grand projet de l’existentialisme de Jaspers paraissait du coup moins porteur. Dans sa prĂ©face, RicƓur insistait sur la perspective centrale de l’Ɠuvre d’Arendt, la possibilitĂ© de prĂ©server ou de reconstruire un espace politique. Le concept de « monde commun » intervient ici de maniĂšre dĂ©cisive comme finalitĂ© centrale de l’existence humaine.
■Vous avez donc lu Hannah Arendt alors que vous Ă©tiez encore aux Ă©tudes ?
Oui, et je me suis rapidement attachĂ© Ă  sa pensĂ©e pour plusieurs raisons. J’ai d’abord dĂ» prendre toute la mesure de sa lecture du monde grec, dont elle offrait une interprĂ©tation pour ainsi dire dĂ©sidĂ©alisĂ©e. J’ai consacrĂ© plus tard une Ă©tude aux enjeux philosophiques de cette dĂ©sidĂ©alisation : pourquoi fallait-il s’attaquer aux bases de la philosophie thĂ©orique pour libĂ©rer ce qui serait son projet Ă©thique et politique ? Cette polaritĂ© de la vita activa et de la vita contemplativa me semblait inutilement rigide, mais je ne pouvais pas nier que le mĂ©pris platonicien de la vie active, que Hannah Arendt identifie au monde du travail, du banausos, constituait une composante essentielle de la construction de la mĂ©taphysique. Le privilĂšge contemplatif se conquiert toujours Ă  compter d’une forme de domination Ă©tablissant une hiĂ©rarchie des formes de vie. Sa critique m’atteignait donc directement dans la mesure oĂč j’avais acceptĂ© cette hiĂ©rarchie presque naturellement, comme si elle Ă©tait imposĂ©e par l’histoire, et elle n’a jamais cessĂ© de m’habiter, au point d’inspirer mĂȘme mon travail actuel sur Le Songe de Scipion de CicĂ©ron, texte rĂ©solument centrĂ©, au contraire, sur la nĂ©cessitĂ© de l’engagement politique.
En plus, l’amitiĂ© de Hannah Arendt et de Hans Jonas (1903-1993) exerçait sur moi une Ă©trange fascination, autant en ce qui concerne le milieu des exilĂ©s juifs new-yorkais qui fut le leur que leur condition d’intellectuels. Ce monde amĂ©ricain, qui aurait dĂ» ĂȘtre aussi celui de Walter Benjamin si l’histoire n’avait pas aussi mal tournĂ© pour lui, Ă©tait bien diffĂ©rent de celui de Raymond Klibansky, et pourtant, ils avaient beaucoup en commun. Les grands livres d’Arendt sur le totalitarisme et l’antisĂ©mitisme, tout comme son essai sur le procĂšs Eichmann, dĂ©coulaient naturellement de son expĂ©rience d’exilĂ©e dans l’aprĂšs-guerre, alors qu’au mĂȘme moment Klibansky retournait en Allemagne pour travailler dans les commissions de dĂ©nazification et s’engager ensuite dans le dialogue philosophique international. Ils auraient donc eu beaucoup Ă  se dire, mais ils ne se rencontrĂšrent jamais aprĂšs 1933. Pour moi, le modĂšle d’engagement intellectuel qu’ils reprĂ©sentent demeure pourtant fondamentalement le mĂȘme : les convictions platoniciennes de Klibansky l’ont menĂ© Ă  l’étude de Nicolas de Cues, alors qu’Arendt, en dĂ©pit d’une critique constante de Platon, a toujours relayĂ© un idĂ©al de justice inspirĂ© de La RĂ©publique. Dans son refus rĂ©itĂ©rĂ© d’ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme « philosophe », j’entends bien sĂ»r le rejet de l’arrogance philosophique, la condamnation du savoir de Sirius, lointain et toujours dĂ©calĂ©, mais qu’importe : elle a toujours eu le souci de la recherche des principes, et sa derniĂšre grande Ɠuvre sur la nature du jugement est d’abord une Ɠuvre kantienne et spĂ©culative.
■Vous citez Hans Jonas. Y a-t-il un lien entre sa thĂšse sur la gnose et la pensĂ©e d’Arendt ?
La grande Ă©tude de Jonas sur la gnose a jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans mon parcours de recherche : elle a orientĂ© mon mĂ©moire de maĂźtrise, qui est consacrĂ© Ă  la rĂ©futation chrĂ©tienne de la gnose, et elle a beaucoup contribuĂ© au choix du traitĂ© de Plotin sur la volontĂ© et la libertĂ© comme texte central pour ma thĂšse. Or cette Ă©tude, trĂšs influencĂ©e par l’analyse existentiale de Martin Heidegger, Ă©tait inspirĂ©e par un thĂšme trĂšs proche de la pensĂ©e d’Arendt : la critique de toute philosophie qui refuse le monde et cherche Ă  s’enfuir dans l’extramondain. Hans Jonas avait repris de la pensĂ©e de Heidegger le concept de cette anxiĂ©tĂ© surgissant au sein d’un monde troublĂ©, dans lequel on ne se reconnaĂźt plus et dont on cherche Ă  s’évader. Cette lecture de la sociĂ©tĂ© romaine, dont on prend la mesure aujourd’hui alors que la connaissance du corpus gnostique devient de plus en plus prĂ©cise, caractĂ©risait plusieurs milieux dans l’Empire, autant chrĂ©tiens que paĂŻens. La souffrance de l’époque rĂ©sultait-elle d’un abandon du dieu bon et provident ? Existe-t-il un principe du mal ? Faut-il fuir vers un autre monde ?
L’acosmisme de la gnose constitue pour Arendt le symptĂŽme central de l’apolitisme. Fuir le prĂ©sent dans l’espoir de retrouver dans un autre monde le refuge protecteur face Ă  l’anxiĂ©tĂ©, n’est-ce pas le rĂ©flexe rĂ©current de la philosophie platonicienne ? Arendt n’a jamais cessĂ© de le dĂ©noncer. Ma lecture du Songe de Scipion de CicĂ©ron en dĂ©rive et je fais une place trĂšs importante Ă  cette critique dans mon interprĂ©tation du conflit des formes de vie dans l’AntiquitĂ©. La recherche de l’otium, du repos contemplatif dans l’étude, s’effectue presque toujours – c’est en tout cas ce que je suis amenĂ© Ă  voir – au dĂ©triment d’un engagement dans l’action. Cet Ă©quilibre est certes le plus difficile de tous, comme CicĂ©ron en tĂ©moigne Ă  chaque page, mais la leçon du Songe est que la fuite du prĂ©sent n’est jamais la meilleure option. Jaspers, Arendt, RicƓur : voilĂ  donc trois penseurs qui crĂ©ent une constellation profondĂ©ment non platonicienne et antignostique, dans laquelle je reconnais une figure essentielle de la pensĂ©e contemporaine, son versant dramatique et actif opposĂ© Ă  l’acosmisme qu’ils dĂ©noncent. Seul Paul RicƓur a pu conduire Ă  son terme le projet d’une Ă©thique, mĂȘme si celle-ci demeure inachevĂ©e dans son Ɠuvre de maturitĂ©, alors que sa pensĂ©e est envahie par les questions de la mĂ©moire et du pardon. J’ai eu la joie d’assister Ă  son cours sur l’éthique d’Aristote, qui Ă  ma connaissance n’a pas Ă©tĂ© publiĂ©. Ses Ă©crits sur la mĂ©moire et sur le rĂ©cit de soi l’ont amenĂ© Ă  proposer une doctrine de la libertĂ© fidĂšle Ă  la pensĂ©e de l’altĂ©ritĂ© qu’il avait dĂ©couverte chez Jaspers. Ce qu’il doit Ă  Arendt est certes moins net, mais on comprend en lisant son rĂ©cit autobiographique, La Critique et la Conviction, que le souci du monde commun n’a jamais Ă©tĂ© absent de son projet philosophique.
■Mais on ne peut pas nier qu’Arendt ait apportĂ© une contribution essentielle Ă  la philosophie politique du xxe siĂšcle.
Indubitablement, et je ne souhaite la comparer Ă  personne, mais c’est surtout la complexitĂ© de son engagement qui m’a interpellĂ©. Si on fait exception des derniĂšres annĂ©es de sa vie, alors qu’elle enseignait Ă  la New School Ă  New York, elle n’a jamais assumĂ© une identitĂ© universitaire. Elle refusait par ailleurs, comme je l’ai dit, d’ĂȘtre dĂ©finie comme philosophe, ce qui nous donne une indication prĂ©cise de son projet intellectuel. Sa prĂ©occupation pour l’action Ă©tait centrale et commandait tout son engagement comme intellectuelle publique. Pourquoi, par exemple, a-t-elle refusĂ© de se rapprocher des penseurs de l’école de Francfort, qui furent ses contemporains et qui portaient les mĂȘmes questions qu’elle concernant le totalitarisme ? Elle a Ă©crit sur Benjamin avec sympathie et mĂȘme affection – son portrait de lui est un des plus beaux qui soient –, mais elle rejetait fortement Theodor Adorno (1903-1969) et Max Horkheimer (1895-1973) : on peut parler d’un rapport problĂ©matique, voire hostile au marxisme, pas seulement Ă  la thĂ©orie critique.
Plus je l’ai lue, plus j’ai perçu que ce blocage Ă©tait tributaire de sa lecture de la pensĂ©e grecque, qu’elle associait au trĂ©sor perdu de la dĂ©mocratie. Les penseurs qui soutenaient le totalitarisme, mĂȘme de maniĂšre oblique, devenaient du mĂȘme coup inacceptables pour elle. Par ailleurs, elle ne se reconnaissait aucun lien avec la philosophie universitaire, en particulier la tradition postkantienne de sa jeunesse. Elle a maintenu toute sa vie une relation avec deux philosophes majeurs : Heidegger, qu’elle a aimĂ© bien qu’elle ait eu toutes les raisons de s’en Ă©loigner – mais elle lui conservait une vĂ©nĂ©ration non dĂ©pourvue d’ambiguĂŻtĂ©, comme leur correspondance en tĂ©moigne –, et Karl Jaspers, qui fut un des seuls Ă  sauver la pensĂ©e allemande dans la dĂ©bĂącle du nazisme et qui fut son mentor. Elle lui envoyait tout ce qu’elle Ă©crivait ; leur correspondance est, avec son magnifique journal, la source principale de notre connaissance de sa vie de pensĂ©e.
AprĂšs sa mort, elle sera redĂ©couverte par les penseurs qui Ă©mergent de la pĂ©riode totalitaire et qui dĂ©sirent forger de nouveaux instruments critiques : ils s’intĂ©resseront Ă  sa rĂ©flexion sur les fondements du lien social, aux modĂšles politiques de la dĂ©mocratie et de la justice qu’elle propose, Ă  sa doctrine de l’amitiĂ© et de l’identitĂ© civique, Ă  sa critique de l’autoritĂ© et de la culture. Tous ces thĂšmes nĂ©oaristotĂ©liciens lui confĂšrent vraiment une place Ă  part. Pour plusieurs, son Ɠuvre n’a pas de portĂ©e philosophique substantielle ; elle n’était Ă  leurs yeux qu’une journaliste de grande envergure. Pour d’autres, elle a renouvelĂ© la thĂ©orie politique de l’intĂ©rieur de l’action, et son idĂ©al du monde commun apparaĂźt alors comme une contribution dĂ©cisive. La raison de cette ambiguĂŻtĂ©, il faut le dire, se situe dans son Ɠuvre mĂȘme : elle a en effet thĂ©orisĂ© la valeur de l’action, au dĂ©triment mĂȘme de la recherche abstraite, de la mĂ©taphysique. En se prĂ©sentant sous la figure de la servante de Thrace se moquant de ThalĂšs qui tombe dans un trou en contemplant le ciel, elle a donnĂ© une allĂ©gorie grinçante de sa vie intellectuelle. Mais elle a aussi renforcĂ© un modĂšle profondĂ©ment antiplatonicien, avec lequel un homme comme moi devait apprendre Ă  se rĂ©concilier. Ce ne fut pas toujours facile. Je ne suis pas certain d’y ĂȘtre parvenu.
■Vous la citez trĂšs souvent dans vos Ă©crits sur la culture, elle fait donc figure de rĂ©fĂ©rence pour vous ?
C’est vrai, mais le rĂ©pertoire des textes d’Arendt qui comptent pour moi est finalement assez limitĂ©. Je reviens toujours Ă  ses essais sur l’autoritĂ©, sur l’éducation, des textes recueillis sous le titre La Crise de la culture, mĂȘme si sa pensĂ©e sur ces questions demeure Ă  mes yeux paradoxale : son conservatisme s’associe avec une forme de gĂ©nĂ©rositĂ© dĂ©mocratique, d’accueil, d’hospitalitĂ©, qui me touche beaucoup. Elle lutte constamment contre un rĂ©flexe d’élite qui lui serait naturel et maintient une ouverture sur les fondements de l’égalitĂ©, ce que reflĂšte par exemple sa critique du philistinisme. Sa rĂ©flexion sur la souverainetĂ© est un bon exemple de ce...

Table of contents

  1. Page couverture
  2. Les Éditions du BorĂ©al
  3. Faux-titre
  4. Du mĂȘme auteur
  5. Titre
  6. Crédits
  7. Citation
  8. Avant-propos
  9. I - Années de jeunesse
  10. II - Le CollÚge Sainte-Marie et L'éducation des Jésuites
  11. III - Un intermĂšde difficile
  12. IV - L'institut d'études médiévales et les maßtres dominicains
  13. V - De Maintenant à Parti pris. La Révolution tranquille, la philosophie et les formes de vie
  14. VI - Enseigner à l'UQUAM. De la révolution tranquille à la crise d'Octobre
  15. VII - Paris et l'École pratique des hautes Ă©tudes
  16. VIII - L'enseignement et les défis de la démocratie
  17. IX - Philosophie et histoire de la philosophie
  18. X - Modùles de la vie philosophique. Raymond Klibansky et Jan Patočka
  19. XI - Figures de l'intellectuel critique. De Hannah Arendt Ă  Charles Taylor
  20. XII - Combats pour la culture
  21. XIII - Que peut faire le philosophe? Un hommage Ă  Jacques Derrida
  22. Coda
  23. Remerciements
  24. Bibliographie
  25. Crédits photographiques
  26. Crédits et remerciements
  27. Fin
  28. QuatriĂšme de couverture