Aveux et confidences
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Aveux et confidences

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Aveux et confidences

About this book

Dans Aveux et confidences, Maurice Henrie adopte, à la maniÚre des essais de Montaigne, le ton familier du compagnon fidÚle, du confident qui se livre sans retenue.D'une maniÚre libre, il évoque autant d'anecdotes tirées de sa riche expérience de vie qu'il entame de réflexions profondes sur les sujets qui le captivent, tels que la politique (au grand jour comme en coulisses), les histoires (la grande et les petites), la démocratie, la condition minoritaire, les avancées scientifiques, le rire, le sport, l'amitié des hommes et celle
 des femmes. Pour lui, rien de trop banal ni quotidien, de trop beau ni trop grand qui ne puisse retenir son attention. Ses réflexions le révÚlent fin observateur de la condition humaine.L'ensemble en apparence hétéroclite que constitue Aveux et confidences est étroitement uni par le regard de l'homme arrivé à maturité qui reprend tranquillement des questions qui l'ont animé toute sa vie.

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Société

Pinocchio

Pinocchio, la cĂ©lĂšbre marionnette de bois, avait, comme chacun sait, un nez qui s’allongeait chaque fois qu’il racontait un mensonge. Il Ă©tait donc possible de savoir en tout temps si le pantin disait la vĂ©ritĂ© ou s’il mentait. Cette merveilleuse disposition n’a jamais pu ĂȘtre transposĂ©e chez les humains : leur nez demeure toujours de mĂȘme longueur. Ce qui fait qu’il est difïŹcile, sinon impossible, de savoir s’ils disent vrai ou s’ils sont en train de vous entourlouper.
Il est heureux que les humains ne soient pas dotĂ©s d’un nez comparable Ă  celui de Pinocchio. Il est mĂȘme souhaitable qu’ils puissent mentir Ă  volontĂ©, sans que cela paraisse. Le mensonge, que bien des morales dĂ©noncent comme un pĂ©chĂ© et que les codes de lois et d’éthique condamnent comme une faute souvent grave et punissable, joue dans le quotidien un rĂŽle important, essentiel mĂȘme.
Bien entendu, il y a mensonge et mensonge. Ils ne sont pas tous Ă©gaux, ni semblables. Les plus frĂ©quents sont les mensonges ordinaires, qui sont Ă  proscrire avec la plus grande rigueur. Ce sont ceux auxquels on a recours dans un but personnel et Ă©goĂŻste, la plupart du temps dans l’espoir de se tirer d’un mauvais pas ou de bĂ©nĂ©ïŹcier d’un avantage quelconque. C’est le mensonge du petit garçon qui nie avoir lancĂ© une pierre dans la fenĂȘtre, ce qu’il a pourtant bel et bien fait. C’est celui de la ïŹllette qui prĂ©tend ne pas avoir mangĂ© son gĂąteau, aïŹn qu’on lui en offre un second. Le monde des adultes n’est pas exempt non plus de tels mensonges. Au contraire, il en est truffĂ©. Mais tous ces mensonges ne sont, en fait, que des transgressions religieuses, que des pĂ©chĂ©s de confessionnal. Ceux-lĂ  mĂȘmes qui font s’allonger dĂ©mesurĂ©ment le nez de Pinocchio.
Les autres mensonges sont moins connus, mais d’un usage encore plus frĂ©quent. Ils sont de nature sociale, stratĂ©gique, diplomatique, ludique ou mĂȘme politique. Pour bien les comprendre, il faut dĂ©pouiller le mot « mensonge » de sa signiïŹcation morale, qui lui donne Ă  tort mauvaise rĂ©putation. Et ne retenir de lui que sa dimension positive, celle qui rend son usage utile ou indispensable au bon fonctionnement de la sociĂ©tĂ©.
Il y a d’abord le cĂ©lĂšbre mensonge blanc. Presque toujours, il est inoffensif, sans gravitĂ©, parfois mĂȘme charmant. Tout le monde le connaĂźt et l’accepte en souriant. Tout le monde s’en sert aussi, Ă  l’occasion. Il est entrĂ© discrĂštement dans les mƓurs et n’est pas prĂšs d’en ressortir. Si, pendant que vous souffrez d’une grave maladie, votre mĂšre inquiĂšte s’informe de votre santĂ©, vous l’assurez que vous vous portez trĂšs bien, pour ne pas l’alarmer davantage. Si votre voisin de gauche, que vous trouvez ennuyeux, vous propose une partie de pĂȘche Ă  la truite, vous mentez poliment en lui disant que vous avez dĂ©jĂ  promis Ă  votre voisin de droite, qui est votre ami, d’aller Ă  la chasse Ă  la perdrix. Si votre ïŹllette demande oĂč est passĂ© le bichon que vous lui avez donnĂ© en cadeau mais qu’une voiture a Ă©crasĂ©, vous lui rĂ©pondez qu’il est parti au paradis des chiens.
Ces mensonges blancs, qui ne sont que des prĂ©textes commodes, jouent un rĂŽle social important. Ils ne nuisent Ă  personne, ils favorisent la bonne entente, ils sont le plus souvent sans consĂ©quence. Sans eux, la vĂ©ritĂ© crue risque de blesser ou d’offenser. Elle peut aussi faire naĂźtre la discorde et la rancune. MĂȘme la morale n’y voit pas toujours d’objection et ferme les yeux sur ces petites entorses Ă  sa rigueur habituelle.
Le mensonge stratĂ©gique est un proche parent du mensonge blanc, mais il est plus sĂ©rieux, plus organisĂ©, plus calculĂ©. Avec le temps, il est devenu un outil utile, parfois mĂȘme indispensable, Ă  la gestion harmonieuse des rapports qu’on entretient avec son milieu. À condition, bien sĂ»r, qu’on sache s’en servir avec intelligence, doigtĂ© et aplomb. Car, contrairement Ă  ce qu’on pourrait penser, il n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde de mentir avec conviction et avec succĂšs. C’est un art qui n’est pas innĂ©, sans doute, mais qui exige un minimum de talent et d’apprentissage.
Si, au tĂ©lĂ©phone, votre secrĂ©taire rĂ©pond que vous n’ĂȘtes pas lĂ , alors que vous ĂȘtes debout Ă  cĂŽtĂ© d’elle en chair et en os, ce n’est qu’une maniĂšre polie d’informer l’interlocuteur que vous ne pouvez pas ou ne voulez pas lui parler. Il est possible que celui-ci soupçonne ou mĂȘme qu’il sache que vous ĂȘtes au bureau et que votre secrĂ©taire lui cache la vĂ©ritĂ©. Pourtant, si cet interlocuteur sait bien jouer le jeu, il ne s’en offusque pas et ne laisse voir ni agacement ni rancune. Il se rend compte que, ce jour-lĂ , le temps vous presse, que vous ĂȘtes indisposĂ© ou que vous n’avez pas l’information nĂ©cessaire pour tenir une conversation utile. Il s’en rend compte pour la simple raison qu’il lui arrive, Ă  lui aussi, de se servir du mĂȘme truc. Il salue donc poliment votre secrĂ©taire, en l’informant qu’il rappellera plus tard.
Le mensonge stratĂ©gique est trĂšs rĂ©pandu dans certaines entreprises et, surtout, dans les nombreuses fonctions publiques du pays. Il est devenu une maniĂšre plus ou moins consciente de communiquer, de gĂ©rer et d’entretenir des rapports avec l’entourage. Cela fait partie des mƓurs et du cours normal des Ă©changes et des transactions. Un mode de fonctionnement qui n’a aucun contenu moral, que tout le monde accepte et que chacun tente d’utiliser Ă  son avantage chaque fois que l’occasion se prĂ©sente.
Au cours d’un dĂ©jeuner d’affaires avec le directeur gĂ©nĂ©ral X d’un service rival, le haut fonctionnaire Z vante les mĂ©rites d’un employĂ© dont, en fait, il cherche plutĂŽt Ă  se dĂ©barrasser. Il parle de son entregent, de son dynamisme, de son esprit d’équipe, en donnant plusieurs exemples de dossiers qu’il a menĂ©s brillamment. Le directeur gĂ©nĂ©ral X Ă©coute avec attention, se demandant dĂ©jĂ  comment il pourrait mettre la main sur un employĂ© aussi productif, dont il a un besoin urgent. AprĂšs le dĂ©jeuner, il prend la libertĂ© de communiquer directement avec le subalterne et de lui faire une offre allĂ©chante, que ce dernier accepte immĂ©diatement. En apprenant la nouvelle, le haut fonctionnaire Z se rĂ©jouit de voir que son stratagĂšme a parfaitement rĂ©ussi et que l’employĂ© en question quittera son service dans les deux semaines. Il se frotte les mains d’aise et songe dĂ©jĂ  au moyen Ă  prendre pour remplir le poste de l’indĂ©sirable, qui sera bientĂŽt vacant.
Vous connaissez dĂ©jĂ  le mensonge diplomatique? Non? Eh bien, sachez que le secret domine si complĂštement les Affaires Ă©trangĂšres qu’il est presque impossible de savoir si, en telle ou telle circonstance, on a affaire Ă  la vĂ©ritĂ© ou au mensonge. L’un et l’autre revĂȘtent une importance et une valeur Ă  peu prĂšs Ă©gales. Et l’un se fond dans l’autre et le recouvre si parfaitement qu’il est difïŹcile de les distinguer. Si c’est la vĂ©ritĂ©, il importe de ne pas la dĂ©voiler et, surtout, de la prĂ©server contre toute curiositĂ© Ă©trangĂšre, amie ou ennemie, au sujet des politiques, des intentions et des dĂ©cisions du pays. Si, au contraire, il s’agit d’un mensonge, il est lui aussi sanctiïŹĂ© par le besoin impĂ©rieux de protĂ©ger le pays contre toute oreille extĂ©rieure, amie ou ennemie, puisque quelqu’un pourrait trouver moyen de tirer parti mĂȘme d’une information fausse. Le jeu, on le voit, est fort complexe.
Le mensonge diplomatique revĂȘt toujours un caractĂšre de nĂ©cessitĂ©, de normalitĂ© et de sĂ©curitĂ©. Le citoyen ordinaire n’en a jamais conscience, puisqu’il ne se produit que dans des sphĂšres si Ă©levĂ©es, si Ă©loignĂ©es du quotidien qu’il n’est perçu ou dĂ©tectĂ© que par un petit nombre d’initiĂ©s. Et encore! Tout comme le YĂ©ti, il ne se manifeste pour ainsi dire jamais et son existence est quasi impossible Ă  vĂ©riïŹer. Rares sont ceux qui ont eu le privilĂšge de jeter un coup d’Ɠil dans une valise diplomatique et, mises Ă  part les dĂ©pĂȘches ofïŹcielles et secrĂštes, de dĂ©tecter quelque chose d’anormal parmi les chemises amidonnĂ©es et la bouteille de whisky du secrĂ©taire d’ambassade. Pourtant, le mensonge est lĂ , quelque part, mais l’Ɠil qui regarde n’est pas sufïŹsamment exercĂ© ou averti pour le repĂ©rer facilement.
Comment donner un exemple de mensonge en diplomatie, ces deux mots n’étant sans doute pas synonymes, mais tout au moins de sens voisin? La diffĂ©rence principale est que la diplomatie est perçue comme respectable, noble mĂȘme, alors que, le plus souvent, le mensonge ne l’est pas, surtout parce qu’il conserve encore son ancienne connotation religieuse et morale. Mise Ă  part la respectabilitĂ©, il est difïŹcile de les distinguer l’un de l’autre. On est donc tentĂ© de douter de l’existence du mensonge dit diplomatique.
Mais, tout comme on devine la prĂ©sence d’une planĂšte invisible par l’attraction qu’elle exerce sur les astres voisins, on sait que le mensonge diplomatique est lĂ . C’est par lui qu’on cache Ă  l’ennemi Ă©ventuel l’existence de telle situation stratĂ©gique, qu’on laisse espĂ©rer une visite prĂ©sidentielle qui n’aura pas lieu, qu’on choisit la ville oĂč il y aura une rencontre de chefs d’entreprise qui se tiendra ïŹnalement ailleurs, qu’on organise la ïŹlature Ă  l’étranger de personnes qu’on estime utile de surveiller Ă  leur insu, etc. Et comme tout cela a pour but la dĂ©fense et l’avancement du pays, on est plein de sympathie, de comprĂ©hension et d’indulgence pour les mensonges Ă  saveur diplomatique, mĂȘme si on doute toujours de leur existence.
Le mensonge ludique est beaucoup plus intĂ©ressant que les mensonges blancs, stratĂ©giques ou diplomatiques. Il se prĂ©sente sous mille formes diffĂ©rentes et son but est habituellement de plaire. Le plus connu, et de loin, c’est le mensonge du pĂšre NoĂ«l, cette immense conspiration fomentĂ©e par les parents et dirigĂ©e contre les enfants de nombreux pays, surtout ceux de l’Occident. Il y a quelque chose d’attendrissant Ă  observer toutes ces personnes d’ñge mĂ»r, qui se concertent et mentent pour le plus grand bonheur des tout petits. Ceux-ci n’y voient d’ailleurs que du feu, habituĂ©s qu’ils sont Ă  faire conïŹance Ă  leurs gĂ©niteurs. Quand ils vieillissent et qu’ils dĂ©couvrent enïŹn la supercherie, ils pardonnent facilement la merveilleuse tromperie dont ils ont Ă©tĂ© victimes et s’empressent d’y participer Ă  leur tour.
Certains mensonges ludiques sont franchement sympathiques, comme la fĂ©e qui paie en argent sonnant les dents de lait placĂ©es sous l’oreiller ou le lapin de PĂąques qui cache partout ses Ɠufs au chocolat multicolores. D’autres sont au contraire effrayants. Le Bonhomme Sept-heures met du sable dans les yeux des enfants. Le Loup-garou hurle toute la nuit, en tuant ceux qu’il rencontre. Le Vampire suce le sang de ses victimes endormies.
Chez les adultes, le mensonge ludique est le plus souvent planiïŹĂ© et exĂ©cutĂ© avec soin. Une amie vous demande de venir l’aider Ă  dĂ©placer un meuble dans son appartement, alors qu’en rĂ©alitĂ© elle a invitĂ© Ă  votre insu une quinzaine de personnes Ă  une fĂȘte-surprise pour souligner votre anniversaire. AïŹn de faire plaisir Ă  votre petite niĂšce, vous commettez un mensonge par omission en la laissant gagner une partie d’échecs et capturer votre roi. Échec et mat! EnïŹn, vous pouvez aussi envoyer votre amie faire une course inutile au bout de la ville et, Ă  son retour, lui crier trĂšs fort, en lui montrant le calendrier : poisson d’avril!
Le mensonge politique est un jeu bien diffĂ©rent. En fait, ce n’est pas vraiment un jeu. Il exige chez le politicien un ego en bonne santĂ© combinĂ© Ă  une assurance et Ă  une volubilitĂ© exceptionnelles. Du talent? Il en faut aussi, mais un minimum sufïŹt. Il faut surtout de l’audace et la facultĂ© de dire souvent, mais autrement, les mĂȘmes choses. EnïŹn, il faut que le politicien ait aussi l’aplomb nĂ©cessaire pour retirer ce qu’il vient d’avancer, sans pourtant perdre la face ni paraĂźtre se contredire. La politique est une profession exigeante et dangereuse. Elle est aussi Ă©phĂ©mĂšre si le dĂ©butant n’a pas le doigtĂ© et le culot nĂ©cessaires pour marcher longtemps sur la corde raide. Dans ce cas, il risque de ne jamais faire partie du Cabinet ou, pis encore, de ne pas ĂȘtre réélu.
Certains afïŹrment que les politiciens abusent du mensonge. Je ne suis pas d’accord. Je suis plutĂŽt d’avis que leurs dĂ©viations constantes par-delĂ  ou en deçà de la vĂ©ritĂ© sont pour eux une maniĂšre de vivre. Une maniĂšre d’ĂȘtre, comme dirait le philosophe. Ce sont chez eux comme des aspirations et des respirations au cours desquelles la vĂ©ritĂ© est d’abord ingurgitĂ©e, puis expectorĂ©e sous une autre forme, de sorte qu’on ne la reconnaĂźt qu’à peine et pas toujours.
Le politicien me semble donc non pas un menteur, mais plutĂŽt un artiste, un virtuose, un acrobate, dont toute l’habiletĂ© consiste Ă  se maintenir en Ă©quilibre entre deux ou mĂȘme plusieurs pĂŽles. Il est difïŹcile, sinon impossible de conclure avec assurance s’il s’agit ou non d’un mensonge politique. Il est encore plus difïŹcile de prendre le politicien lui-mĂȘme en dĂ©faut, puisque son opinion se colore et se transforme sans arrĂȘt tout au long de la courte distance qui sĂ©pare son cerveau de sa bouche.
C’est ainsi que, sur l’épineuse question de l’avortement, il appuie ouvertement la position pro-choix de son gouvernement, ce qui rassure ses collĂšgues sur sa loyautĂ© envers la ligne du parti. Son opinion personnelle? Il n’en a aucune. Aucune, en tout cas, qu’il veuille avouer et dĂ©fendre. Cependant, comme le mouvement pro-vie a beaucoup d’adeptes, donc beaucoup d’électeurs dans sa circonscription, il accepte de prononcer Ă  micro fermĂ© un discours ni chair ni poisson, qui met en lumiĂšre les points forts et les points faibles des deux thĂšses.
Malheureusement, un micro restĂ© ouvert Ă  son insu fait en sorte que son discours est diffusĂ© jusque dans la capitale. Il y a tollĂ©, autant de la part des membres pro-choix que de leurs protagonistes pro-vie. Sans compter que les thĂ©oriciens de son parti froncent les sourcils. Ce qui oblige le politicien Ă  afïŹrmer publiquement qu’il n’a pas Ă©tĂ© citĂ© correctement, qu’on a utilisĂ© ses paroles hors contexte et mĂȘme que le micro Ă©tait dĂ©fectueux. D’ailleurs, le vrai responsable de ce malentendu, c’est son chef de cabinet, qui aurait dĂ» publier immĂ©diatement un communiquĂ© pour dĂ©samorcer l’affaire. Ce qu’il voulait plutĂŽt dire, c’est que l’avortement, si elle doit se faire, se fera selon des rĂšgles Ă©tablies par un comitĂ© mixte incluant des membres pro-vie et des membres pro-choix qui, assis Ă  une table parfaitement ronde

Y a-t-il eu, dans ce cas, mensonge politique? Peut-ĂȘtre que oui, peut-ĂȘtre que non. C’est difïŹcile Ă  dire et personne ne peut afïŹrmer avec certitude avoir rĂ©ussi Ă  mettre le doigt dessus. Dessus quoi? Dessus le mensonge, voyons! À supposer qu’il y en ait eu un! Nous nous perdons dans les bĂ©mols et dans les atermoiements! La vĂ©ritĂ© fuit Ă  tire-d’aile devant nos yeux. Nous sommes plutĂŽt en prĂ©sence d’une culture de la probabilitĂ©, de l’équilibre, de l’esquive et du retrait. C’est peut-ĂȘtre cela, Ă  la ïŹn, un mensonge politique!
Tout comme la friction maintient en place les ponts qui enjambent les riviĂšres, les navires qui ïŹ‚ottent sur l’eau et les avions qui volent dans les airs, les mensonges prĂ©servent les bonnes relations entre les gens, lubriïŹent les Ă©changes entre les sociĂ©tĂ©s et les peuples, et permettent d’éviter les querelles internationales et mĂȘme les guerres (
sauf les mensonges qui font s’allonger le nez de Pinocchio, bien entendu!). Sans eux, l’ordre social tel qu’on le connaĂźt serait Ă  jamais perturbĂ©.

Revolvers et gangsters

Dans les ïŹlms hollywoodiens, les gangsters sont poursuivis par des hĂ©ros qui les talonnent de prĂšs et qui ne lĂąchent jamais prise. Mais plutĂŽt que de s’enfuir en rase campagne comme les voleurs de bestiaux de l’ancien Far West, ils ont tendance Ă  monter le plus haut possible Ă  la verticale. Ils grimpent donc sur le toit des gratte-ciel, sur la charpente d’acier d’usines dĂ©saffectĂ©es, sur l’échafaudage et les grues entourant les Ă©diïŹces en construction ou dans le nid-de-corbeau des plates-formes de forage au large des cĂŽtes.
Une fois que le bandit est arrivĂ© lĂ -haut, le hĂ©ros lui tire une balle de son .38 Smith & Wesson ou lui ïŹ‚anque un coup de poing sur la gueule, ce qui le prĂ©cipite dans le vide. Sous l’Ɠil Ă©mu d’une hĂ©roĂŻne arrachĂ©e in extremis aux griffes du gangster, celui-ci s’écrase au sol devant les camĂ©ras, pendant que les billets de banque s’échappent de son porte-document ouvert et pleuvent autour de son cadavre. Le hĂ©ros triomphant redescend Ă  pied, acclamĂ© par la foule et portant l’hĂ©roĂŻne dans ses bras.
Ce scĂ©nario typique, qu’à quelques variantes prĂšs tous connaissent dĂ©jĂ , fait sourire. Tout en souriant, on se demande ce qu’il faut penser de ce rituel du cinĂ©ma amĂ©ricain : faire monter les bandits tout prĂšs du ciel avant de les prĂ©cipiter vers la terre (Ă  moins que ce soit plutĂŽt vers l’enfer), oĂč ils pĂ©rissent. Un symbole infantile profondĂ©ment ancrĂ© dans l’inconscient amĂ©ricain? Une conception simpliste mais traditionnelle du bien et du mal? Quelle que soit la rĂ©ponse, on y retrouve l’ñme triangulaire des AmĂ©ricains, oĂč tout tourne autour des trois mĂȘmes obsessions : l’argent, le sexe et le revolver. Le tout liĂ© ensemble par le gospel et par les bible punchers.
Bien sĂ»r, les gangsters et les hĂ©ros amĂ©ricains se dĂ©placent aussi sous terre. Ils marchent dans d’anciennes mines qui s’écroulent sur leur passage, dans des galeries caverneuses oĂč, curieusement, la sortie se trouve le plus souvent au plafond, ou dans des tunnels remplis de serpents, de rats et d’araignĂ©es. Mais chez eux, le mode souterrain n’est pas trĂšs frĂ©quent. Ces milieux Ă©troits et obscurs se prĂȘtent mal au jeu des camĂ©ras et ne permettent pas les belles vues en plongĂ©e. Sans compter que les gangsters n’y meurent pas avec tout l’éclat et tout le brio qu’il faudrait. Quand les balles les transpercent et leur sortent du corps, on ne voit pas bien dans l’obscuritĂ© le jet de sang qui les accompagne et qui gicle au loin. Et quand, frappĂ©s Ă  mort, ils gesticulent savamment avant de s’écrouler, le spectateur n’est pas en mesure de bien observer l’excellence de leur jeu. Ils prĂ©fĂšrent donc, et de loin, mourir Ă  l’air libre et au grand jour.
Une loi obscure, qui prend sa source dans la morale amĂ©ricaine, veut que, contrairement Ă  ce qui se passe dans le vrai monde, les gangsters se tirent rarement de la situation prĂ©caire dans laquelle le mauvais sort les a plongĂ©s. Ils meurent le plus souvent sous les balles des justiciers. Ils meurent aussi par Ă©lectrocution, par injection et, plus rarement, par pendaison. Les plus chanceux, comme le cĂ©lĂšbre Charles Manson, sont incarcĂ©rĂ©s Ă  vie, aïŹn que le reste de la sociĂ©tĂ© puisse continuer Ă  vivre tranquillement le soi-disant rĂȘve amĂ©ricain. Rien n’a donc changĂ© depuis les tout premiers ïŹlms de cow-boys du Far West : les bons sont toujours rĂ©compensĂ©s et les mĂ©chants toujours punis.
MĂȘme Bonnie Parker et Clyde Barrow n’ont pu Ă©chapper, dans la rĂ©alitĂ© ou dans le ïŹlm, Ă  cette loi immuable. Ils Ă©taient, sous les visages de Faye Dunaway et de Warren Beatty, des criminels si beaux et si sympathiques que beaucoup espĂ©raient secrĂštement qu’ils survivraient. Qu’ils seraient les premiers hors-la-loi Ă  Ă©chapper Ă  la prison, tout au moins Ă  l’exĂ©cution. Qu’ils arriveraient mĂȘme Ă  instaurer un nouvel ordre de valeurs aux États-Unis, oĂč le mal prendrait ofïŹciellement la place qu’il occupe dĂ©jĂ  ofïŹcieusement. Peine perdue. Ils moururent tous les deux sous les 130 balles tirĂ©es par les fusils-mitrailleurs de la justice, prĂšs de Bienville, en Louisiane. Pas trĂšs loin de la banque qu’ils espĂ©raient braquer, ce jour-lĂ .
Les criminels d’autrefois, dont Bonnie et Clyde, Al Capone et John Dillinger, font ïŹgure d’enfants de chƓur Ă  cĂŽtĂ© des criminels d’aujourd’hui. Leurs armes, y compris la mitraillette Thompson, le .38 Smith & Wesson, la fameuse Winchester 73 et le non moins cĂ©lĂšbre Gatling gun, font sourire en comparaison avec l’arsenal des tueurs modernes. Les efforts soutenus de la National RiïŹ‚e Association ont favorisĂ© la disponibilitĂ© et la mise en marchĂ© des...

Table of contents

  1. Couverture
  2. Du mĂȘme auteur
  3. Prise de parole
  4. Titre
  5. Crédits
  6. Remerciements
  7. Dédicace
  8. Proverbe
  9. Écriture
  10. Égotisme
  11. Pouvoir
  12. Société
  13. Table des matiĂšres
  14. 4e de couverture