Le Gardien de la norme
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Le Gardien de la norme

Jean-Pierre Leroux

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  1. 256 pages
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Le Gardien de la norme

Jean-Pierre Leroux

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Le rĂ©viseur linguistique est-il le gardien de rĂšgles immuables, un geĂŽlier qui enferme les mots dans leur cachot imprimĂ©, Ă  l'abri des menaces qu'impose l'Ă©volution de la sociĂ©tĂ©? Est-il un ange gardien, protecteur Ă©thĂ©rĂ© qui veille sur la magnificence des Ă©crits? Est-il un gardien de phare qui guide dans la nuit tempĂȘtueuse les auteurs dĂ©sorientĂ©s? Ou est-il un peu tout cela Ă  la fois: un vigile incorruptible, redoutablement puriste? un portier qui ne demande qu'Ă  se laisser sĂ©duire par la crĂ©ativitĂ© des Ă©lus pour engager sa clĂ© dans la serrure du paradis? un Ă©claireur Ă  la torche dans le labyrinthe de la langue?Garder, c'est surveiller, non pour prendre en flagrant dĂ©lit, mais pour mettre Ă  l'abri. C'est protĂ©ger, non contre le changement, mais contre la disparition, l'Ă©croulement. Le tout dans le silence recueilli de la lecture.« Jean-Pierre Leroux (1952-2015) Ă©tait un rĂ©viseur linguistique, un des meilleurs que le QuĂ©bec ait connus. Il donne ici une rĂ©flexion fascinante sur la pratique de ce mĂ©tier de l'ombre. Il trace Ă©galement une sĂ©rie de portraits d'Ă©diteurs et d'Ă©crivains qu'il a cĂŽtoyĂ©s, qui comptent souvent parmi les plus grands, dont Yves DubĂ©, Jean-Marie Poupart et Victor-LĂ©vy Beaulieu. Cet essai est un hommage aux livres, Ă  ceux qui les aiment, Ă  ceux qui les Ă©crivent.»

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Information

III
L’album sĂ©pia
J’ai choisi d’évoquer ici des auteurs et des Ă©diteurs que j’ai connus durant mes annĂ©es de formation, la rencontre la plus rĂ©cente parmi les onze ci-aprĂšs remontant Ă  plus d’un quart de siĂšcle. Avec le temps, ces portraits se sont dĂ©colorĂ©s (mais les souvenirs qu’ils charrient sont restĂ©s trĂšs nets).
Un secret trop bien enfoui
Il arrivait au bureau en sautillant sur ses pieds lĂ©gers, aĂ©riens, comme munis de ressorts, qui supportaient incomprĂ©hensiblement un corps massif et court, Ă  la panse saillante, le veston dĂ©tachĂ© comme pour qu’il puisse respirer un peu plus librement, et en effet il soufflait fort, c’est par cela seulement qu’on l’entendait venir. Il Ă©tait toujours pressĂ©, le temps lui manquait, comme s’il pressentait qu’il allait mourir avant d’atteindre la soixantaine. Son bureau reflĂ©tait son rythme de vie Ă©tourdissant : des colonnes de dossiers et de livres qu’on s’attendait Ă  voir s’écrouler incessamment, il y avait lĂ  une telle abondance, un tel fouillis de papiers et de crayons qu’il devait dĂ©placer quelque chose pour pouvoir poser un nouveau livre, une nouvelle brochure. Et il fallait voir l’air de la secrĂ©taire quand il lui tĂ©lĂ©phonait de l’extĂ©rieur du bureau pour lui demander de repĂȘcher des profondeurs de ses tours de Pise le papier dont il avait un urgent besoin. La pauvre Murielle pratiquait un mĂ©tier Ă  haut risque, exposĂ©e qu’elle Ă©tait aux humeurs cyclothymiques de son patron. Mais elle ne perdait pas pour autant le sourire jocondien qui recelait toute son ironie.
Un matin, vers neuf heures trente, Yves DubĂ© est entrĂ© dans mon bureau en coup de vent, l’air espiĂšgle. Qu’est-ce qui va me tomber sur la tĂȘte cette fois-ci ? Il avait dans la main un manuscrit d’une Ă©paisseur inquiĂ©tante. Il me l’a tendu et, sans prĂ©ambule : « Tiens, de la lecture pour toi. On mange Ă  midi avec l’auteur pour que tu lui parles de son texte. C’est une espĂšce de scĂ©nario, je crois que ce n’est pas la bonne forme, il faudra peut-ĂȘtre qu’il en fasse un roman, mais tu verras. » Avant d’ajouter, pour bien marquer le plaisir qu’il prenait Ă  me jouer ce mauvais tour : « Je compte sur toi pour faire une bonne performance. » Comment me tirer d’embarras ? Trois cent cinquante pages – oui, me direz-vous, avec les didascalies, ça fait beaucoup moins –, mais le piquant de l’affaire, c’est que deux aspects de mon caractĂšre s’appliquaient parfaitement Ă  la situation : un, sous la pression, je perds tous mes modestes moyens ; deux, je lis lentement. Il me semble que, ce matin-lĂ , j’ai regardĂ© aussi souvent ma montre que le manuscrit, que le temps a Ă©tĂ© aussi interminable (chaque seconde Ă©tait une torture) que bref (la pile de feuilles baissait dĂ©sespĂ©rĂ©ment lentement), manuscrit dont, en passant, je ne garde aucun souvenir. Je me rappelle toutefois plus clairement son auteur, Roland Lepage, un homme aux maniĂšres douces dont le silence me paraissait triste ou douloureux ; il se dĂ©gageait de sa prĂ©sence une solitude, une intĂ©rioritĂ©. Cet ĂȘtre subtil a sans doute senti l’affolement du jeunot ignare quoique de bonne volontĂ©, catapultĂ© directeur littĂ©raire pour les besoins d’un organigramme, pour les desseins aussi prĂ©cis qu’impĂ©nĂ©trables du patron. Me suis-je bien dĂ©brouillĂ© ? Eh bien, non. Je me souviens, en particulier, d’une remarque que j’ai honte de rapporter mais qui a l’avantage d’illustrer mon maigre bagage de l’époque. M. Lepage avait publiĂ© un livre pour enfants intitulĂ© Icare. Avant que nous nous dirigions vers le restaurant, je lui ai dit, heureusement sans qu’il y ait de tĂ©moin – et je suis convaincu qu’il ne m’a trahi auprĂšs de personne du milieu –, que je trouvais excellente son idĂ©e d’Icare qui voyait ses ailes fondre Ă  l’approche du Soleil. L’auteur n’a pas tiquĂ©. Vous dire mon saisissement, mĂȘlĂ© de reconnaissance envers l’auteur, quelques annĂ©es plus tard, lorsque j’ai pris connaissance du mythe d’Icare. Ce n’est donc pas M. Lepage qui m’a renseignĂ©, il Ă©tait trop dĂ©licat, et il ne s’est mĂȘme pas permis un sourire attendri. J’avais vingt-six ans. Plusieurs annĂ©es aprĂšs, je suis allĂ© voir au thĂ©Ăątre de la Compagnie Jean-Duceppe sa piĂšce Le Temps d’une vie, dont le personnage de Rosana Ă©tait incarnĂ© par Muriel Dutil, avec sa voix fragile et tremblante. Cette mĂšre souhaitait loger sa vieillesse chez le fils dont elle Ă©tait le plus proche, mais c’était plutĂŽt son autre fils qui Ă©tait disposĂ© Ă  l’accueillir. Et encore quelques annĂ©es plus tard, discutant avec une auteure Ă  la personnalitĂ© bien affirmĂ©e, j’ai Ă©voquĂ© ce personnage aussi extraordinaire qu’ordinaire. Elle m’a lancĂ© : « Les femmes ne sont pas comme ça, elles sont plus fortes ; ce ne sont pas des victimes. » Ah bon. Je n’ai pas su quoi rĂ©pondre, ou plutĂŽt je n’ai pas osĂ© lui rĂ©pliquer, parce qu’elle ne mĂ©ritait pas cette confidence, que si j’avais Ă©tĂ© bouleversĂ© par Rosana, c’est parce que j’y avais reconnu l’histoire de ma mĂšre.
Les gaffes n’ont pas manquĂ©. Le propriĂ©taire, GĂ©rard LemĂ©ac, un homme grand, austĂšre, aux cheveux blancs, que je ne me rappelle pas avoir vu sourire, et qui ne s’intĂ©ressait nullement Ă  ses employĂ©s, tenait l’entreprise de son pĂšre. En fait, il n’avait d’éditeur que le nom, mais il avait une passion pour la chasse et la pĂȘche. Il arrivait parfois Ă  l’étage des Ă©ditions ; il s’enfermait alors avec son directeur gĂ©nĂ©ral, dans le capharnaĂŒm de ce dernier, pour de longs conciliabules dont ne filtrait pas le moindre son : ils discutaient sans doute de leurs affaires, et pas seulement des Ă©ditions LemĂ©ac, car Yves DubĂ© portait aussi le chapeau de prĂ©sident de l’Association des Ă©diteurs canadiens, ce qui, on l’imagine, donnait Ă  leurs entretiens une tournure plus large, plus politique. Bref, une des seules fois oĂč M. LemĂ©ac m’a adressĂ© la parole, ce fut pour s’enquĂ©rir des progrĂšs de la production d’un livre qui lui tenait Ă  cƓur et me demander d’y apporter le plus grand soin. L’auteur en question Ă©tait un jeune homme plein d’allant, qui maĂźtrisait bien son sujet, en l’occurrence la chasse aux pigeons, et que l’autre rĂ©viseure et moi trouvions fort sympathique, malgrĂ© ses airs d’hurluberlu ou Ă  cause d’eux. L’ouvrage comprenait de nombreux documents iconographiques, dont quelques cartes illustrant la rĂ©partition gĂ©ographique des pigeons et les territoires de chasse. Lorsque l’imprimeur, Bertrand de Cardaillac, est venu nous apporter l’ouvrage tout chaud sorti de ses presses de Montmagny, je me suis aperçu qu’une carte qui devait paraĂźtre en quatre couleurs, avec en lĂ©gende la signification des couleurs, Ă©tait en fait reproduite en noir et blanc. J’avais oubliĂ© de demander Ă  l’imprimeur de faire une sĂ©paration de couleurs, ce sont les termes de l’époque. Catastrophe. Convocation dans le bureau de M. DubĂ© en prĂ©sence de l’imprimeur. Connaissant le caractĂšre de mon patron, je m’attendais, au mieux, Ă  une rĂ©primande cinglante et, au pire, au congĂ©diement pur et simple. (Patience, ça viendrait.) Or, je n’en suis pas revenu : non seulement il ne m’a pas envoyĂ© une volĂ©e de bois vert, mais il m’a dĂ©fendu, reprochant l’impair Ă  l’imprimeur, une bonne pĂąte d’aristocrate français qui avait atterri on ne sait trop comment dans le Bas-du-Fleuve et qui devait ĂȘtre habituĂ© Ă  subir en silence les vexations de son client.
M. DubĂ© excellait dans l’art de se brouiller avec les gens. Ça devait mettre de l’ambiance dans ses relations, qui, autrement, auraient pu s’étioler dans l’ennui. Par exemple, un jour, me parlant d’un ancien alliĂ© qu’il venait d’inscrire sur sa liste noire, il m’a dĂ©clarĂ©, jouissant assurĂ©ment de l’effet qu’il prĂ©parait : « Ou bien il a fait exprĂšs, et c’est une crapule ; ou bien il ne le savait pas, et c’est une ordure ! » AprĂšs toutes ces annĂ©es, il m’arrive encore de me demander lequel de ces deux qualificatifs il vaut mieux se voir accoler. Je parie que le paria en question a eu droit par la suite Ă  une rĂ©habilitation en rĂšgle, soulignĂ©e par force flatteries et octroi de petits privilĂšges. Car il arrivait Ă  mon patron de se rĂ©concilier avec des personnes par qui il s’était senti trahi ou persĂ©cutĂ©. La palme, dans le domaine des rĂ©conciliations, et le pluriel est ici tout Ă  fait indiquĂ©, revient Ă  ce rĂ©viseur qu’il a congĂ©diĂ© un jour, puis rĂ©embauchĂ© quelques mois plus tard, puis congĂ©diĂ© de nouveau, puis re-rĂ©embauchĂ© quelque temps aprĂšs. Vous me suivez ? Ce type a Ă©tĂ© embauchĂ© trois fois et congĂ©diĂ© deux fois. Puis il est parti de lui-mĂȘme.
Un jour, je ne me rappelle plus sous quel prĂ©texte, M. DubĂ© m’a fait venir dans son bureau. Il a sorti de son portefeuille la photo d’une peintre, en me disant qu’il avait l’intention de publier un livre d’elle. Connaissant bien cet enthousiasme, je lui ai dit : « Encore une idylle ? Pour le temps que ça va durer. » Il a encaissĂ© le coup sans rĂ©pliquer.
Pour M. DubĂ©, la « permanence tĂ©lĂ©phonique » Ă©tait capitale ; sans doute ne voulait-il rater aucun message, et c’était bien comprĂ©hensible. Par consĂ©quent, il n’était pas question que la directrice de la production, la secrĂ©taire et les deux ou trois rĂ©viseurs (selon les Ă©poques) sortent dĂźner en mĂȘme temps. En outre, la journĂ©e de travail se terminant Ă  cinq heures, le patron avait trouvĂ© un bon moyen de s’assurer que tout le monde restait Ă  son poste jusqu’à la derniĂšre minute lorsque lui-mĂȘme n’était pas au bureau : il tĂ©lĂ©phonait Ă  cinq heures moins cinq, voire moins deux, et demandait Ă  parler une fois Ă  l’une, une fois Ă  l’autre, se dĂ©couvrant alors pour le travail de chacun un intĂ©rĂȘt d’autant plus Ă©tonnant qu’il venait rarement nous voir dans notre bureau.
En septembre 1979, M. DubĂ© m’a proposĂ© de l’accompagner Ă  la Foire du livre de Francfort. Comme lui y allait Ă  titre de prĂ©sident de l’Association des Ă©diteurs canadiens, il m’a demandĂ© de reprĂ©senter LemĂ©ac. Le voyage consistait en une semaine Ă  Francfort, oĂč nous partagerions une chambre, et une autre semaine Ă  Paris, oĂč je devais me dĂ©brouiller pour trouver un hĂŽtel
 autre que le sien. À la fois ravi et inquiet, je l’ai prĂ©venu que je ne connaissais rien Ă  la promotion des livres, aux droits d’auteur, au mĂ©tier d’éditeur. Il m’a rĂ©pondu qu’il m’expliquerait le tout en temps et lieu. (J’attends toujours.) De Francfort, je me souviens surtout que j’avais beaucoup de mal Ă  m’endormir, puis, aprĂšs avoir absorbĂ© des somnifĂšres – j’étais en proie Ă  cette Ă©poque Ă  des crises de panique dĂ©clenchĂ©es par une crise d’identitĂ© –, Ă  me rĂ©veiller. Le jour, j’errais, un peu zombi, dans le vaste centre des congrĂšs, sous un Ă©clairage cru, consommant du cafĂ© si fort que le lait arrivait Ă  peine Ă  le faire pĂąlir, m’attardant aux kiosques des exposants, disposĂ© Ă  rendre service chez mon Ă©diteur, mais on ne m’a donnĂ© aucun rĂŽle de directeur littĂ©raire, d’éditeur ou autre Ă  jouer, j’étais un figurant errant.
Quelques mois auparavant, ayant vu quelques poĂšmes que j’avais publiĂ©s dans la revue Estuaire, mon patron m’avait demandĂ© si j’avais un recueil Ă  lui soumettre. Je ne savais trop si la chose se faisait, si je devais avoir des scrupules Ă  l’idĂ©e de publier dans la maison d’édition qui m’employait. Finalement, aprĂšs quelques semaines, ma vanitĂ© avait cĂ©dĂ© Ă  cette excitante tentation. À peine deux ou trois jours plus tard, il m’a rapportĂ© le manuscrit en me disant que le ton Ă©tait trop romantique, que l’ensemble n’était pas assez resserrĂ©. J’étais Ă©videmment déçu, mais je suis vite tombĂ© d’accord avec son apprĂ©ciation, qui m’a en fait stimulĂ© Ă  retravailler mes textes, Ă  les Ă©purer, Ă  les dĂ©sentimentaliser. Quelques mois plus tard, je lui ai soumis un recueil transformĂ©. Le surlendemain, il m’a annoncĂ© qu’il acceptait de le publier. Il n’avait qu’une exigence : ne pas laisser les pages blanches que j’avais prĂ©vues entre les parties du recueil, parce qu’il craignait que les lecteurs concluent Ă  un dĂ©faut d’impression. J’ai alors remplacĂ© ces quatre pages par des citations, dont deux de RenĂ© Char, ce qui a suscitĂ© chez M. DubĂ© ce commentaire : « Tu es Ă  peu prĂšs la seule personne Ă  MontrĂ©al qui lit ce poĂšte. » Il exagĂ©rait. Ainsi est nĂ© mon premier recueil, dont l’écriture conformiste ne me rend pas du tout fier.
Pour ce qui est du deuxiĂšme recueil, en 1982, soit trois annĂ©es aprĂšs mon congĂ©diement, c’est le noir total : je ne trouve aucun souvenir du contexte dans lequel j’ai prĂ©sentĂ© le manuscrit Ă  M. DubĂ©, je sais seulement que c’est lui qui m’a approchĂ©. Mais ce faisant, est-ce que je ne piĂ©tinais pas mon amour-propre ? Sans doute. Et sans doute y avait-il de sa part le besoin de se racheter, dans ce petit jeu qu’il semblait si bien connaĂźtre et qui consistait Ă  rompre pour mieux se rĂ©concilier, et qui Ă©tait peut-ĂȘtre moins un jeu que le besoin, dans ses rapports avec les gens, de sonder les limites de son pouvoir.
Une dizaine d’annĂ©es plus tard, une fin d’aprĂšs-midi, tandis que j’étais assis seul dans un bar gai, je l’ai vu arriver. J’étais Ă©mu. Il s’est arrĂȘtĂ© Ă  ma table, nous avons parlĂ© un peu, je l’ai invitĂ© Ă  quelques reprises Ă  s’asseoir, mais il a refusĂ©. Peu aprĂšs, je lui ai demandĂ© : « Dis-moi pourquoi exactement tu m’as congĂ©diĂ©. » Sa rĂ©ponse a Ă©tĂ© Ă©vasive, je suis revenu Ă  la charge, mais je n’ai rien pu tirer de lui. Le tutoiement de ma part Ă©tait une nouveautĂ© ; il marquait des rapports dont l’autoritĂ© Ă©tait maintenant exclue et oĂč la familiaritĂ© devenait possible. J...

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