L'Allume-cigarette de la Chrysler noire
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L'Allume-cigarette de la Chrysler noire

Serge Bouchard

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L'Allume-cigarette de la Chrysler noire

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Qu'avons-nous fait du passĂ©, de l'hĂ©ritage de nos parents, des premiers peuples qui ont habitĂ© notre pays? Que faisons-nous de la nature qui nous entoure et nous nourrit? Quel sens avons-nous aujourd'hui de notre humanitĂ©? Et qu'en est-il des grandes Ă©nigmes liĂ©es Ă  l'infini du temps, Ă  la beautĂ©, Ă  l'amour, Ă  la parole humaine, Ă  l'Ăąge qui vient, Ă  la mort qui nous attend? Ces questions, Serge Bouchard ne les aborde jamais de haut, en thĂ©oricien ou en professeur de morale, mais au plus prĂšs de lui-mĂȘme et de sa vie, comme des thĂšmes existentiels pour l'Ă©lucidation desquels il convoque ses souvenirs d'enfance et de jeunesse, ses voyages, ses dĂ©couvertes, ses lectures ou ses enquĂȘtes d'anthropologue du concret, et toutes les leçons de tendresse, de luciditĂ© et d'ironie que ces expĂ©riences lui ont apportĂ©es. Ainsi les pages de ce nouveau recueil forment-elles en mĂȘme temps une sorte d'autobiographie en piĂšces dĂ©tachĂ©es, oĂč apparaĂźt peu Ă  peu le portrait d'un homme qui a beaucoup vĂ©cu, beaucoup rĂ©flĂ©chi, reçu sa part de joie comme sa part de chagrin, et qui n'a jamais cessĂ© de chercher partout les traces de cette simplicitĂ©, de cette modestie et de cette lenteur qui Ă  ses yeux font toute la valeur de l'humain. C'est une partie de ces rĂ©flexions que Serge Bouchard nous livre ici, Ă  travers cette prose Ă  la fois limpide et poĂ©tique que nous lui connaissons, une prose oĂč s'entendent les inflexions d'une voix unique, absolument singuliĂšre, qui nous parle de prĂšs, de tout prĂšs, comme Ă  des proches.

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Le point de vue d’Élisabeth
Le point de vue d’Élisabeth
J’ai toujours aimĂ© les femmes. Elles me sont apparues dans bien des rĂŽles, surtout celui de chef. Cette observation n’engage que moi, je n’en ferais pas une thĂšse, il suffit que j’en aie fait ma vie. Des maĂźtresses d’école, des collĂšgues, des chercheures, des Ă©crivaines, des poĂštes, des vieillardes innues, ma docteure, les infirmiĂšres, ma sƓur, ma mĂšre, ma belle-mĂšre, des tantes, des marraines, des voisines, ma fille, mes petites-filles, ma premiĂšre femme qui n’est plus de ce monde, mais qui en fut tellement, et ma deuxiĂšme, fascinante, drĂŽle, absolue, qui invente avec moi l’espace, le plaisir et le temps, mes cousines, mes amies, celle qui tenait son restaurant de camionneurs Ă  Saint-Jovite de l’ancien temps, et celles que je n’aurai jamais connues mais seulement aperçues, elles m’auront grandement impressionnĂ©. Tout homme que je suis, voilĂ  que j’appartiens aux femmes de ma vie, ce sont elles qui m’ont littĂ©ralement Ă©levĂ©, dans le sens de construit, modelĂ©, crĂ©Ă©. Si j’avais Ă©tĂ© laissĂ© aux hommes, j’aurais assez mal tournĂ©, je le sais. Batailleur, tricheur, ratoureux, j’aurais fini en prison, ou grand patron de quelque chose, ce qui revient au mĂȘme. Je m’estime chanceux d’avoir ainsi appris trĂšs jeune, de la part des bonnes femmes, comment Ă©viter les mauvaises
 et comment Ă©viter les mauvaises rencontres tout court.
Ma mĂšre, dont je parle souvent dans mes textes, n’a jamais reculĂ© devant qui que ce soit. Elle nous a enseignĂ© Ă  la maison, dĂšs l’enfance, en 1950, « L’Histoire mĂąle de l’Occident chrĂ©tien » et « La Lutte des Grecs anciens pour dĂ©valoriser la femme ». Oui, elle en avait contre le pouvoir des hommes, contre leurs lois, leur politique, leurs maniĂšres, et elle n’aurait jamais demandĂ© Ă  aucun homme l’autorisation d’exprimer ses idĂ©es. Elle n’était la « douce moitiĂ© » de personne. Mais elle aimait les hommes par ailleurs, l’orgueilleuse, l’amoureuse, la dangereuse. Nous savions que notre mĂšre, naturellement, aurait pu ĂȘtre chef du Canada, et si elle ne l’était pas, c’est juste qu’elle n’en avait pas le temps. C’était Ă  cause de ses enfants, ces boulets et ces charges, ces quadruples empĂȘchements. C’était Ă  cause de son « Ă©cƓurant » de pĂšre – comme elle l’appelait affectueusement – qui avait refusĂ© de lui payer des Ă©tudes. C’était Ă  cause de son Ă©poque adverse aux femmes, les temps brutaux de l’exclusion des femmes, les temps peu glorieux du modĂšle patriarcal classique. Mais comment a-t-on pu se priver si longtemps de l’autre moitiĂ© du monde ?
À titre de jeune anthropologue, j’ai passĂ© des heures et des heures avec de vieux chasseurs innus qui me parlaient de leur vie dans le bois Ă  chasser le caribou. Au village, je passais souvent prĂšs d’une vieille femme agenouillĂ©e devant son feu, allumĂ© en face d’une petite tente de toile blanche. Élisabeth faisait cuire son pain dans le sable et elle Ă©coulait le temps de ses journĂ©es d’étĂ© dans cette position et en ce lieu. Elle avait un sourire inoubliable, des rides profondes et honorables, en fait elle ricanait sous son bonnet montagnais. Elle me dit un jour : « Ils doivent t’en raconter, de belles histoires, tes vieux chasseurs, je suis certaine qu’ils te parlent de caribous et de combien on a mangĂ© de caribous qu’ils avaient tuĂ©s. Ils sont comiques, les vieux chasseurs. En rĂ©alitĂ©, c’est Ă  nous, les vieilles femmes, Ă  qui tu devrais parler pour bien savoir comment nous vivions autrefois. Nous mangions quelquefois du caribou, mais ce que nous mangions tous les jours, c’était du poisson pĂȘchĂ© sous la glace, du poisson pĂȘchĂ© par nous, les femmes. On ne pouvait pas se fier aux incertitudes de la chasse. Pour nourrir la famille, il fallait la certitude du poisson. »
J’aime le point de vue d’Élisabeth. Il rĂ©Ă©quilibre l’histoire du monde en racontant celle des femmes. Elle m’a donnĂ© une bonne leçon, Élisabeth. Par l’intelligence de son sourire, elle posait un regard critique sur la rĂ©alitĂ© : la sociĂ©tĂ© des chasseurs de caribous avait Ă©tĂ©, en vĂ©ritĂ©, la sociĂ©tĂ© des pĂȘcheuses de poissons blancs, et c’est sur les Ă©paules de la squaw que reposait la continuitĂ© des jours.
* * *
Il est devenu impossible de parler des femmes dans une perspective universelle. Je viens de rĂ©diger trois paragraphes que j’ai dĂ» jeter Ă  la poubelle. Un mot de trop est un mot de trop, un mot qui manque est un mot manquant, le sujet est d’une sensibilitĂ© extrĂȘme. Il devient de plus en plus difficile de rire, de sourire, de s’autoriser une pensĂ©e lĂ©gĂšre et vagabonde, car trop de sujets sont devenus si douloureux. Dans ces paragraphes ratĂ©s, je me posais des questions naĂŻves, du genre : qui a dit que les hommes et les femmes aient jamais Ă©tĂ© faits pour vivre ensemble ? Ils se frĂ©quentent, bien entendu, leurs chemins se croisent, heureusement, chacun et chacune peut bien adorer le moment, mais il arrive que ce soit un instant, justement. LĂ  oĂč les choses se compliquent, c’est dans l’intervalle, au fil des longs jours et des longs cours. Le monde des femmes m’a toujours fascinĂ©, mais je n’en aurai jamais percĂ© le mystĂšre. Les femmes sont bien entre elles, elles forment une compagnie Ă©troitement liĂ©e, elles tiennent des conversations qui m’échappent.
La femme traditionnelle iroquoise dĂ©tenait beaucoup de pouvoir dans sa sociĂ©tĂ© matrilinĂ©aire. De gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, elle possĂ©dait la maison, la descendance, les patronymes, les appartenances claniques, autrement dit la progĂ©niture, elle pouvait choisir son homme, rĂ©pudier un mari, faire de la politique, elle Ă©tait la gardienne de graines sacrĂ©es, donc propriĂ©taire des produits horticoles, contrĂŽlait le commerce et la diplomatie. Les femmes iroquoises avaient besoin des hommes pour l’amour, pour les travaux de force, pour la sĂ©curitĂ© des villages, pour les guerres qu’elles dĂ©siraient faire, pour le commerce. Elles n’avaient nullement besoin d’eux dans la vie de tous les jours et elles s’arrangeaient en effet pour que les hommes passent le maximum de temps entre eux, en voyage, loin du village.
On peut donc imaginer que les femmes passaient beaucoup de temps ensemble, dans leurs maisons longues, dans leurs champs de maĂŻs et de haricots. Et si un homme s’en prenait Ă  une femme, il avait affaire Ă  tous les hommes du clan, il avait sur le dos toute la parentĂ© maternelle, avec laquelle on ne riait pas.
Personne n’a jamais dit que la femme iroquoienne souffrait d’une quelconque infĂ©rioritĂ© par rapport Ă  l’homme, loin de lĂ . Les femmes Ă©taient de grandes figures mythologiques, de la fondation du monde jusqu’aux mythes cannibales, lĂ  oĂč elles ne faisaient qu’une bouchĂ©e de l’homme perdu. Les femmes ont accumulĂ© un immense savoir mĂ©dical et agricole au fil des siĂšcles passĂ©s ensemble, entre elles. Pauvres hommes, condamnĂ©s Ă  l’exil, loin de la maison, voyageurs de commerce, politiciens d’apparat, pour ne pas dire d’opĂ©rette, guerriers obligĂ©s de vivre entre eux, avec leurs farces d’hommes, leur angoisse d’hommes. Cet Ă©tat des lieux iroquoiens n’est pas exceptionnel dans l’histoire. On le retrouve dans la trĂšs ancienne Europe.
On ne se souvient pas assez et on ne nous enseigne pas assez que la premiĂšre croyance Ă©tait fĂ©minine. La dĂ©esse originelle Ă©tait forte de son sexe, de son ventre, de sa fĂ©conditĂ©. Les plus vieilles sculptures humaines retrouvĂ©es sont des reprĂ©sentations de femmes au ventre fort, de femmes immensĂ©ment rondes, des vĂ©nus sans visage. Mais il y avait plus. Cette dĂ©esse Ă©tait guerriĂšre et redoutable, elle avait ses duretĂ©s, ses volontĂ©s. Elle Ă©tait aussi cruelle que douce, sachant flatter une petite bĂȘte, mais pouvant lui briser le cou, dans la mĂȘme sĂ©quence.
J’écris ces lignes alors que ma femme est au thĂ©Ăątre avec une amie. Elles sont allĂ©es voir Douze hommes rapaillĂ©s, deux femmes entre elles. Qu’est-ce que les hommes viennent faire dans un texte sur les femmes ? Ils viennent tout simplement rĂ©soudre l’équation fondamentale de notre simple humanitĂ©. Gaston Miron Ă©crit ces vers magnifiques : « Ainsi nous serons ce couple ininterrompu – tour Ă  tour dĂ©sassemblĂ© et rĂ©uni Ă  jamais. » VoilĂ  la magie des genres et de l’amour. Les hommes rapaillĂ©s : aux yeux des femmes, c’est beau, des hommes, une douzaine d’hommes debout, bien plantĂ©s, solides et tendres, qui chantent : « Tu es belle comme des ruses de renard. »
Être ou ne pas ĂȘtre de la famille
J’avais vingt ans et je quittais les miens pour la premiĂšre fois de ma vie. Pour mes Ă©tudes en anthropologie, je me suis retrouvĂ© parmi les Innus. Durant les longues pĂ©riodes que j’ai passĂ©es avec eux, l’importance qu’ils attachaient aux termes de parentĂ© m’a fort impressionnĂ©, et j’étais complĂštement perdu devant leur maniĂšre de les utiliser. Il y en avait, du Nimushum et du Nokum, du Nokomis, des petites grands-mĂšres et des petits grands-pĂšres, cela n’arrĂȘtait plus, mon frĂšre, ma sƓur, des parrains et des marraines, sans parler des adoptions, des absorptions, des associations, des alliances, des amitiĂ©s avec des souvenirs ou des animaux.
En anthropologie, nous avions pourtant suivi des cours sur les systĂšmes de parentĂ©. Ces cours Ă©taient d’un ennui remarquable, certes, mais ils Ă©taient surtout d’une grande complexitĂ© mathĂ©matique et logique. Cela paraĂźt simple au dĂ©part, une famille, mais en somme, c’est quelque chose de trĂšs compliquĂ©. Les ramifications sont sans fin, les combinaisons infinies, les ascendances, les descendances, les alliances, tout concourt Ă  rendre fou l’ethnologue de la parentĂ©. On se souviendra que Claude LĂ©vi-Strauss, qui est le pĂšre de l’anthropologie structurale et qui a lui-mĂȘme fondĂ© une famille, celle des structuralistes, avait commencĂ© son Ɠuvre gigantesque en Ă©crivant une somme sur Les Structures Ă©lĂ©mentaires de la parentĂ©.
Nous sommes parfois dĂ©jouĂ©s par les lieux communs : certains croiraient dĂ©suĂšte, folklorique et obsolĂšte la chanson de Jean-Paul Filion qui dit que « la parentĂ© est arrivĂ©e ». Ils diraient que cela fait local, traditionnel, joli, mais totalement dĂ©passĂ©. L’anthropologie vous dira le contraire. Voici une proposition universelle sur laquelle il est extrĂȘmement moderne de rĂ©flĂ©chir : nous venons au monde en un lieu et en un milieu. Il est impossible de voir ou de dire les choses autrement. C’est une loterie, me direz-vous : on ne choisit pas son camp en matiĂšre de famille. Il y a une mĂšre, il y a un pĂšre. Chacun des deux apporte avec lui son rĂ©seau parental. Car nos parents sont aussi nĂ©s quelque part, en un lieu et en un milieu.
La famille est un territoire qui dĂ©finit la frontiĂšre : c’est le rapport inclusif-exclusif. Nous sommes dans l’appartenance lorsque nous sommes dans la parentĂ© et, il faut bien le dire, l’hĂ©ritage familial est pesant. Puisque la famille reprĂ©sente une sorte de table des devoirs et des prescriptions, beaucoup dans l’histoire ont voulu s’en libĂ©rer. « Familles, je vous hais ! » s’exclamait AndrĂ© Gide. La famille Ă©tant trop exigeante, il est de bon ton de simplement la renier. Je ne dois rien Ă  ma famille, je suis plus libre quand je suis seul et dĂ©tachĂ© des miens. D’ailleurs, les expressions disent tout : ces gens sont les miens, il est retournĂ© parmi les siens, j’ai quittĂ© les miens pour couper les liens. Il s’agit bien de liens, en effet, et ces liens forment la carte de nos identitĂ©s.
Les sociĂ©tĂ©s traditionnelles, avant d’ĂȘtre Ă©conomiques ou politiques, avant mĂȘme d’ĂȘtre religieuses, Ă©taient familiales. C’était la parentĂ© qui dĂ©finissait l’individu, le pouvoir de l’individu, les devoirs du sujet. Être matriarche, mĂšre de clan, ĂȘtre patriarche, tout cela avait jadis un sens. Mais encore : ĂȘtre frĂšre, sƓur, cousin, germain, croisĂ©, petite-fille, grand-oncle, tante, grand-mĂšre, grand-pĂšre, « fils de » ou « fille de », patronyme ou matronyme, il fallait savoir sa place et savoir la tenir.
La sociĂ©tĂ© algonquine est immensĂ©ment parentale, familiale et ouverte. Elle adopte, elle adopte. Une fois que vous ĂȘtes acceptĂ© dans la famille, vous ĂȘtes vraiment dans la famille. Dans le temps de la Nouvelle-France, les peuples de la grande Algonquinie faisaient des traitĂ©s d’alliance avec les Français comme s’il s’agissait de toujours agrandir la famille. Le roi devenait un autre pĂšre, le Français devenait un frĂšre, et tout se traitait sur fond d’un conseil de famille. Quant Ă  moi, j’ai mis une vie Ă  comprendre. La derniĂšre fois que je suis allĂ© Ă  Mingan Ekuanitshit, j’ai Ă©tĂ© reçu comme un vieux, on m’a intronisĂ© Ă  la table des aĂźnĂ©s, et l’on m’a regardĂ© comme si j’avais quelque valeur. J’ai mangĂ© de la graisse-pimi de caribou, mĂ©langĂ©e avec de la moelle, et juste un peu de viande, comme les vieux. Être ensemble, cela compte tellement quand on commence dans la vie. Cela compte encore plus quand on arrive, boiteux, Ă  la fin du chemin.
Ils mangeaient du courage
Il n’est pas de plus grande transformation que la sĂ©dentarisation d’un peuple nomade. Depuis des siĂšcles et des siĂšcles, dans le nord du QuĂ©bec, les AmĂ©rindiens parcouraient la BorĂ©alie Ă  pied, en raquettes, en petit canot. Toute la famille mangeait de la « viande de bois », des fruits sauvages, des poissons de lac. Durant la pause estivale, ces grands marcheurs au repos consommaient du saumon frais, du loup-marin, arrosĂ©s de thĂ©, rehaussĂ©s de banique, sorte de pain pita des temps d’avant le pain pita. AjoutĂ© Ă  l’incroyable bĂ©nĂ©fice de la marche, des portages et de la dĂ©pense quotidienne d’énergie, ce rĂ©gime donnait aux personnes une santĂ© de fer et un sourire de cinĂ©ma, toutes dents blanches dans la lumiĂšre. Mais la vie sauvage dans le pays sauvage, les viandes du courage, tout cela disparut d’un coup en 1960, lors d’une rĂ©volution qui ne fut pas tranquille.
Ces courses s’arrĂȘtĂšrent Ă  cause de l’école, Ă  cause des maisons, Ă  cause de l’histoire. Une fois que les nomades furent immobilisĂ©s dans la rĂ©serve indienne, leur rĂ©gime alimentaire se transforma radicalement. Du jour au lendemain, ne pouvant plus chasser, ces gastronomes de la nature sauvage se mirent Ă  dĂ©pendre de la nourriture transformĂ©e : du blĂ© d’Inde en crĂšme, des petits pois de fantaisie, des bines Clark, du baloney, des dĂ©lices en conserve, du stew irlandais, des petits gĂąteaux Vachon. La nourriture transformĂ©e est elle-mĂȘme un phĂ©nomĂšne historique de transformation absolue. La sociĂ©tĂ© industrielle a comptĂ© sur cette Ă©norme mĂ©tamorphose des aliments pour satisfaire les appĂ©tits de milliards de ...

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