Je ne sais pas penser ma mort
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Je ne sais pas penser ma mort

Marisol Drouin

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Je ne sais pas penser ma mort

Marisol Drouin

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En juillet 2016, Marisol Drouin abandonne le roman sur lequel elle travaillait depuis cinq ans. Elle se met alors Ă  Ă©crire autrement, spontanĂ©ment, sans plan ni relecture, Ă  Ă©crire comme un train fonce, terrifiĂ©e Ă  l'idĂ©e d'Ă©chapper l'urgence. Pendant six mois, alors qu'elle se tient debout Ă  la fenĂȘtre de l'Atelier, le dĂ©sir remonte et la colĂšre dĂ©borde en une sĂ©rie de courts textes Ă  la frontiĂšre du rĂ©cit et de l'essai intime. On y dĂ©couvre les lieux de rĂ©sistance d'une femme non conformiste en prise avec le langage de l'homme et, aussi, les Ă©vĂ©nements qui l'ont exclue du monde. RĂ©cit d'une insurrection, Je ne sais pas penser ma mort est la somme de ces mĂ©ditations, retraçant l'origine du rapport rageur de l'Ă©crivaine Ă  l'Ă©criture.L'Ă©criture comme mal Ă  apaiser, l'Ă©criture comme combat contre le temps, l'Ă©criture comme grand amour: une rĂ©flexion honnĂȘte sur la crĂ©ation littĂ©raire.

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Information

Publisher
La peuplade
Year
2017
ISBN
9782924519738

ATELIER II

mise Ă  mort

C’est donc la condamnation d’un roman. Un roman qui restera inachevĂ©. Un avorton de roman. Mort-nĂ©. J’écris ce texte, j’enterre le roman. Il crie encore un peu, mais Ă  peine. Il surgira de nouveau par secousses dans les textes Ă  venir. Des traces de lui. Je le sais. Je le dĂ©masquerai, le dĂ©noncerai, le piĂ©gerai, le ferai retourner dans l’oubli.

scĂšnes de viol

Je passe les pages ou ne lis pas le livre. Si c’est un film, je saute la scĂšne. Veux pas voir. Veux pas m’imaginer. Assez. Surdose. De scĂšnes de viol ou d’agressions sexuelles sur une femme, un homme ou un enfant. Ça peut ĂȘtre dit, suggĂ©rĂ©, mais la mise en scĂšne, les dĂ©tails, non, ça va. Pu capable. J’ai captĂ© l’idĂ©e. Je vois c’est quoi. J’ai mĂȘme une banque d’images de viol dans la tĂȘte. Je peux piger dedans au besoin.
Le dĂ©clic s’est fait lors de la lecture d’une bande dessinĂ©e de la sĂ©rie Donjon de Joann Sfar et compagnie. J’étais libraire dans une librairie indĂ©pendante (qui n’existe plus) sur la rue Cartier Ă  QuĂ©bec quand une collĂšgue m’a initiĂ©e Ă  la bande dessinĂ©e contemporaine. À l’époque, on avait toujours trĂšs hĂąte de lire le nouveau Donjon. Je ne me souviens plus du titre ni du tome, ce n’est pas important. L’album racontait une histoire de monstres marins et le personnage principal Ă©tait fĂ©minin. Un peu stupide, mais tous les personnages le sont dans cette sĂ©rie humoristique. Au milieu de l’histoire, elle se fait violer. Pourquoi ? C’était tellement gratuit. Comme si les auteurs n’avaient pas su quoi faire d’autre de leur personnage fĂ©minin. Comme si le viol Ă©tait un passage obligĂ© pour l’hĂ©roĂŻne. Et puis l’illustration. Le viol en images. Le viol de trop. J’y pense. C’est un peu bizarre que le dĂ©clic se soit fait Ă  partir d’une bande dessinĂ©e, alors que j’avais lu/vu des scĂšnes plus atroces par le passĂ©. C’est peut-ĂȘtre parce que je ne m’y attendais pas que ça m’a littĂ©ralement Ă©cƓurĂ©e. Bref, c’est Ă  partir de ce moment que j’ai refusĂ© de voir, lire ou d’entendre la description d’une scĂšne de viol. Que j’ai commencĂ© Ă  choisir les images qui m’entrent dans la tĂȘte.

lire les hommes (beaucoup)

Fin du bac en lettres. Tu te rends compte que tu as lu des textes d’auteurs masculins dans une Ă©crasante majoritĂ©. Des romans, des essais, des Ă©tudes, des articles. La pensĂ©e de l’homme partout. Dans ta tĂȘte. Tu veux renverser la vapeur. Équilibrer le ratio. Tu te mets Ă  lire un texte Ă©crit par une femme pour un texte d’homme. À force, tu en viens Ă  dĂ©laisser les Ɠuvres Ă©crites par des auteurs mĂąles. FatiguĂ©e de la posture du gĂ©nie, de l’arrogant ou du feignant ne pas l’ĂȘtre, du ton ironique et du sarcasme. ÉcƓurĂ©e des Ă©crivains qui lisent toujours les mĂȘmes Ă©crivains et qui ne parlent que d’eux-mĂȘmes, entre eux.
Maintenant, la pile de livres sur ta table de chevet est majoritairement Ă©crite par des femmes. Ça s’est fait tout seul. Naturellement.
Bravo, qu’on me dit.
Mais j’y pense, le cinĂ©ma ! J’ai regardĂ© des milliers de films, Ă©missions de tĂ©lĂ©vision, vidĂ©os. Et combien ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s ou Ă©crits par des femmes ? Je sais, ça fait comptable. Ça vaut ce que ça vaut. C’est que j’ai l’impression d’ĂȘtre contaminĂ©e. Mon imagination falsifiĂ©e de fictions d’hommes.
Fiction : mensonge, construction de l’imagination. Propagande.
Nous sommes contaminés.

droit devant

Je n’ai pas relu ce que j’ai Ă©crit avant. J’entre dans l’atelier, dĂ©pose mon sac par terre et le portable sur le bureau. Et j’écris. J’ai refusĂ© de connaĂźtre le code pour l’accĂšs Internet. Je n’ai donc rien d’autre Ă  faire que ça : Ă©crire. Chaque jour. Mettre sur l’écran tous les discours que je me rĂ©pĂšte depuis des annĂ©es. En finir, pour laisser de la place aux idĂ©es neuves. Pas envie de me cogner aux phrases boiteuses des pages prĂ©cĂ©dentes, de les retravailler. Plus tard. Peut-ĂȘtre. Juste Ă©crire, mĂȘme fatiguĂ©e. MĂȘme la poitrine oppressĂ©e. Se porter jusqu’ici. En marche.

salope

Mon pĂšre me disait Ă  moi, jeune fille de quinze ans : « Oublie jamais que les garçons, c’est tout ce qui les intĂ©resse. J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© jeune. Je sais de quoi je parle. »
Dommage que ce soit la seule chose Ă  offrir aux jeunes filles en fleurs : la mĂ©fiance envers ses propres dĂ©sirs et ceux des garçons. C’est si bon, le dĂ©sir. Avoir le feu au ventre, mouiller pour un rien, les pores de la peau ouverts comme mille capteurs de dĂ©sir. Avoir du dĂ©sir en soi. C’est si vivant. Si crĂ©ateur. Si chaud.
Retour Ă  mes quinze ans. À l’époque plate des annĂ©es 1990. Quand on Ă©coutait la mĂȘme musique que nos parents, mais sans la rĂ©volution des annĂ©es 1960. Une journĂ©e sans invitation Ă  sortir de l’enclos familial Ă©tait une journĂ©e perdue, Ă  se pendre. Peu importe si les garçons s’intĂ©ressaient seulement Ă  mes fesses. Y goĂ»ter moi aussi, user les garçons. Jouir. Comme eux. Comme les garçons. MĂȘme dĂ©sir. Ne pas tomber amoureuse, c’est tout. J’aimais le masculin. Le corps diffĂ©rent. L’odeur et la peau. J’avais faim, soif. Qu’importe s’ils n’avaient cure de mon intellect. Je n’étais pas dupe. J’ai ligotĂ© mon cƓur et me suis lancĂ©e dans des expĂ©riences relationnelles plus ou moins tordues. Me suis abĂźmĂ©e. Drogue et sexe. Passer le temps. Jusqu’au jour oĂč je pourrai enfin quitter le village.
Ce qui reste de ces quinze ans. Aujourd’hui. Étrangement. Devant un film, une scùne ou une histoire mettant en scùne des adolescentes, je fige. J’ai peur pour elles.

la compagnie des garçons

Avec les filles, j’étais mal Ă  l’aise. Je m’ennuyais. Je les trouvais superficielles. J’ai mĂ©prisĂ© ma mĂšre, ma sƓur, les filles en gĂ©nĂ©ral. Elles se sont dĂ©tournĂ©es de moi. Fair enough.
Je prĂ©fĂ©rais la compagnie des garçons. Avec eux, il y avait de l’action (certains avaient une voiture), du danger, des risques, des expĂ©riences, des discussions aussi, autres que sur l’apparence et l’amour. J’ai cru faire partie de la gang. Erreur.
La schtroumpfette parmi la gang de gars. J’entendais ce qu’ils se disaient entre eux sur les autres filles. J’avais les deux versions. Les gars insultaient les filles (des castrantes, des salopes, des pas dĂ©niaisĂ©es). Les filles, elles, se tricotaient de l’amour et des couples.
Je me suis convaincue que l’amour, c’était juste des histoires dans la tĂȘte des filles. Surtout faire en sorte de ne pas ĂȘtre comme elles, les filles dans la bouche des garçons. Qu’ils me respectent, moi. DiffĂ©rente. Je ne disais rien quand les gars dĂ©nigraient les filles. Certaine de ne pas faire partie de ces salopes, idiotes, prĂȘtes Ă  tout pour un de leurs regards. Mais la salope, idiote, prĂȘte Ă  tout pour ĂȘtre considĂ©rĂ©e par eux, c’était bien moi.

rechute

J’ai remis ça. J’y suis retournĂ©e. Le manuscrit du roman abandonnĂ©. Me suis acharnĂ©e. J’ai rĂ©Ă©crit. EnlevĂ©.
AprĂšs avoir annoncĂ© Ă  mes trois lecteurs que je laissais tomber le roman Fleuve malin, j’ai remis ça. J’ai ouvert le texte. Écrit un chapitre au dĂ©but et l’idĂ©e de trois nouveaux Ă  la fin. RapatriĂ© d’anciens chapitres. Je suis certaine de la forme, mais hĂ©site Ă  Ă©crire le rĂ©cit. Trop de maĂźtres dans ma tĂȘte dont les critiques me dĂ©routent.
PersĂ©vĂ©rance ? EntĂȘtement ? Inconscience ? Folie ? Et pour quoi ? Finir cette histoire ? Publier ? Agitation d’une seule journĂ©e. Rechute. J’ai de nouveau fait disparaĂźtre le roman du bureau.

porno soft

La porno vivait Ă  l’époque de ma jeunesse son Ăąge d’or. Je me souviens de Bleu nuit. Les scĂ©narios maladroits et clichĂ©s. L’image jaune et sale. Rien Ă  voir avec le blanc cru des vignettes pornographiques qu’on trouve sur le Web. Et les femmes Ă©taient poilues !
MĂȘme si j’en ai peu visionnĂ©, ces quelques scĂšnes de films pornos sont restĂ©es collĂ©es dans ma mĂ©moire Ă  dĂ©sir. Quel pouvoir adhĂ©sif ! J’imagine le cerveau Ă©rotique de ceux qui se foutent de la porn plein les yeux tous les jours, plusieurs fois par jour. Du lavage de cerveau, en somme. Destruction massive de l’espace fantasme. Corps coupĂ©s en morceaux piĂ©gĂ©s ici et lĂ  par la camĂ©ra. ConsommĂ©s. Produit avec lequel quelqu’un s’enrichit, un homme forcĂ©ment. En se foutant bien de ta gueule de masturbateur-payeur. En n’ayant rien Ă  foutre de toi non plus, l’actrice interchangeable.
Gros pĂ©nis, gros seins, gros toute. PolluĂ©s d’images.
Nous sommes pollués.

féministe

Les autres filles se faisaient traiter de chienne, de salope, de vache, de conne, de pute. Toi, c’était fĂ©ministe.

la rousse

Je la voyais au fumoir de la polyvalente. (À l’époque, il existait un endroit dans l’école secondaire oĂč l’on pouvait fumer. HĂ© oui.) Rousse. Elle n’était pas de mon annĂ©e. Plus vieille. Secondaire 5. Belle. D’une beautĂ© triste. Qui jamais ne sourit. Elle n’était pas agressive comme les autres filles de sa gang l’étaient. La gang du village de Saint-Urbain. Non, elle Ă©tait plus du genre : Je me fous du monde, foutez-moi la paix.
Une vraie salope, qu’on disait. Sa rĂ©putation. On racontait qu’elle avait passĂ© toute une soirĂ©e enfermĂ©e dans les toilettes Ă  sucer des queues. Reste qu’on en disait pas mal, de choses, dans ce petit village du bout du monde. On en racontait aussi sur moi. J’avais appris Ă  me mĂ©fier. C’était quand mĂȘme trop tard. L’image avait fait son chemin. Lorsque je voyais la fille rousse, je ne pouvais pas m’empĂȘcher de l’imaginer Ă  genoux, la bouche pleine, le mouvement de tĂȘte. Et de me demander : Est-ce qu’elle aime ça ? Pour vrai ? Elle fait ça par plaisir ? Sinon pourquoi ? Pourquoi elle fait ça ?
Des annĂ©es plus tard. J’étudiais au cĂ©gep Ă  QuĂ©bec. Je revenais travailler l’étĂ© Ă  Baie-Saint-Paul dans un restaurant. Un des amis de mon chum Ă  l’époque Ă©tait seul dans la maison de ses parents. On s’est tous retrouvĂ©s chez lui. La gang de gars et les filles qui gravitent autour. De toute cette jeunesse, il y en a un qui se suicidera, le quart quittera le village, les autres y resteront.
Au sous-sol, jouait un film porno. Cassette VHS. Un film porno avec des filles de QuĂ©bec. Je crois que c’était leur buzz publicitaire : Avec des salopes de QuĂ©bec ! Un des gars avait louĂ© la vidĂ©o parce que la fille, la rousse, jouait dedans.
J’étais lĂ . Je regardais. La seule fille dans la gang de gars, les autres Ă©tant restĂ©es en haut. Changement de scĂšne, d’acteurs. Les gars se sont exclamĂ©s, c’est elle ! Oui, c’était elle. Nue. Avec une autre fille et un gars. En trio. Ils baisaient sur un divan. La rousse, elle ne souriait pas, tandis que l’autre fille semblait crever de plaisir. Elle, la rousse, la fille qu’on connaissait, avait l’air ailleurs, Ă  des milliers de kilomĂštres de ce qu’elle Ă©tait en train de faire. Une automate. Je la comparais. Je jugeais sa performance. Quelque chose clochait. Elle n’avait pas l’air de prendre son pied. En tout cas, pas comme l’autre fille.
Ça ne parlait pas beaucoup dans le sous-sol. Ça regardait. Des sourires complices entre les gars. De l’excitation contenue. Et un certain malaise, aussi. Peut-ĂȘtre parce que j’étais lĂ .

on te nommera

Artiste, Ă©crivaine, intellectuelle. Ces titres, je les ai d’abord entendus de la bouche des autres. Des hommes pour la plupart.
Je commençais le bac en lettres, j’étais au CafĂ© des artistes Ă  Baie-Saint-Paul et l’homme (je ne le connaissais pas) a dit : « Ah, tu es une intellectuelle ! » Comme chaque fois qu’on me jette une burqa sur le dos, j’étais prĂȘte Ă  nier, Ă  contredire. Qui Ă©tait-il pour me nommer de la sorte ? Et puis, qu’est-ce que ça pouvait bien dire, ĂȘtre une « intellectuelle » ?
Une autre fois, j’étais entourĂ©e d’amis et de collĂšgues de la librairie oĂč j’ai travaillĂ© durant la maĂźtrise. Un soir, il y a eu ces trois hommes venus se joindre Ă  notre table au bar Le SacrilĂšge, rue Saint-Jean Ă  QuĂ©bec. Des avocats. Du moins, l’un d’eux l’était. Je ne sais pas si c’était une tactique de sĂ©duction. Il ne semblait pas faire d’avances ni Ă  moi ni aux autres filles. Il avait dit ne pas cĂŽtoyer d’artistes et que cela lui manquait. Artiste. Je l’aime bien, ce titre. Plus libre, plus large. Un fourre-tout quand on ne sait pas trop oĂč mettre la personne. Actrice, on me croyait aussi parfois. Quand j’avais la grande forme, le verbe dĂ©liĂ© et l’envie de me donner en spectacle. « T’es effrontĂ©e, toi ! », sorti de la bouche d’un amant français. ComplĂštement oubliĂ© ce que j’avais pu dire pour dĂ©clencher une telle rĂ©action. Mais je me souviens d’avoir ressenti une certaine fiertĂ© Ă  ĂȘtre effrontĂ©e. Lesbienne aussi, selon certains, quand je ne cadrais pas avec la notion ordinaire du genre fĂ©minin. Le nom d’écrivaine est venu plus tard. Il a fallu des preuves. Une publication. Et il y en a eu d’autres. Bien d’autres. Des noms, des titres, des rĂŽles, des identitĂ©s, des boĂźtes, des insultes.
« Maman ? »
Un petit garçon cette fois-ci.

singe nu

Qu’est-ce que je cherche comme ça, Ă  ouvrir des livres et des livres ? Trouver quelque chose de solide sur lequel je peux me tenir, des fondements sacrĂ©s. Peut-ĂȘtre. Voir le monde selon tous les points de vue possibles. Aussi. Et l’aimer. Oui. Nous aimer. Et pouvoir offrir quelque chose au petit singe nu sans devoir nous excuser.

ĂȘtre autre

Surtout les jours qui annoncent le sang et les crampes. J’aimerais ĂȘtre plus une Patty Smith qu’une Virginia Woolf. Être une artiste tranquille. CrĂ©er avec constance. Ne pas trembler comme la noyĂ©e. Aller dans la vie sans Ă©gard pour mon apparence. Être une Patty Smith qui vieillit. Qui remplit des cahiers de notes. Qui se fout de la cĂ©lĂ©britĂ© (vraiment ?). Qui a connu des gens hors du commun, extraordinairement crĂ©atifs. Qui a eu des enfants. Qui ressemble Ă  un homme. (Se rase-t-elle ? Question ridicule.) Une Patty Smith plutĂŽt qu’une Nelly Arcan. Moins d’évitements, d’heures tuĂ©es Ă  me vider le cerveau devant les Ă©crans, Ă  attendre qu’un courriel me sauve de moi-mĂȘme. Courageuse plutĂŽt qu’en quĂȘte d’applaudissement. Écrire sans l’éternelle question de la lĂ©gitimitĂ©, le tremblement qui abat Ă  la hache les mots fragiles qui viennent Ă  peine d’ĂȘtre formĂ©s Ă  l’écran.

condamnée

Entendre une femme mĂ©decin parler de sa patiente, de nombreuses fois abusĂ©e dans l’enfance, dire : « C’est trop tard pour elle. Elle est trop amochĂ©e. »

naissances

FĂ©ministe, Ă©crivaine. Ces deux identitĂ©s se confondent souvent. Jumelles dans leur naissance. Enfant, je regardais mes parents et la relation entre eux Ă©tait loin d’ĂȘtre juste. Assez classique dans son genre. Ma mĂšre est restĂ©e Ă  la maison jusqu’à ce qu’on entre au secondaire. Mon pĂšre, jeune mĂ©decin, travaillait soixante-dix heures par semaine. MalgrĂ© tout, je n’ai pas eu un pĂšre absent. Au contraire, Ă  la maison, c’est lui qui avait la parole. À ma mĂšre le silence, les char...

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