Forestiers et Voyageurs
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Forestiers et Voyageurs

Moeurs et légendes canadiennes

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Forestiers et Voyageurs

Moeurs et légendes canadiennes

About this book

Forestiers et Voyageurs (1863) tient tout autant du conte folklorique que du roman-feuilleton. Mêlant légende et descriptions réalistes des paysages et des mœurs, Joseph-Charles Taché se fait journaliste-reporter pour suivre la piste de gens qui le fascinent. « Qui sont ces hommes, chasseurs ou bûcherons, qui s'engagent souvent pour plusieurs années dans des régions situées à l'autre bout du continent? […] Ce ne sont ni des défricheurs ni des missionnaires et, en cela, ils n'appartiennent pas au monde des héros canadiens-français célébrés plus tard par des historiens nationalistes comme l'abbé Groulx. L'héroïsme des protagonistes de Taché a quelque chose de plus léger, de plus anecdotique, quoique non moins vertueux. Le style surtout descriptif de ses contes et légendes vise moins les élans de l'épopée que l'exactitude du portrait et la simplicité des gestes quotidiens. » Extrait de la postface de Michel Biron. L'ouvrage comprend également une chronologie et une bibliographie.

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Information

II

HISTOIRE DU PÈRE MICHEL

I

Un compérage

Le Père Michel, qui n’avait dit mot depuis le repas et qui semblait absorbé dans ses pensées, prit alors un poste convenable et commença ainsi.
Il y a juste ce soir soixante-cinq ans de cela, un seizième enfant venait de naître chez un des gros habitants11 de la paroisse de Kamouraska, dans la concession de l’Embarras.
C’était dans le temps des bonnes années, il y avait plus de blé alors qu’il n’y a d’avoine aujourd’hui ; les habitants de huit cents minots n’étaient pas rares. Mais un bon nombre abusaient de cette abondance, ne pensant qu’à manger, à boire et à s’amuser : ils croyaient que ça durerait toujours et n’avaient pas l’air à s’occuper d’autre chose. J’ai connu des habitants qui achetaient une tonne de rhum et un baril de vin pour leur provision de l’année : la carafe et les verres avec les croxignoles étaient toujours sur la table, tout le monde était invité, on ne pouvait pas entrer dans une maison sans prendre un coup. On avait même fait un refrain, que le maître de la maison chantait dès que ses visiteurs faisaient mine de partir :
Les Canadiens sont pas des fous :
Partiront pas sans prendre un coup !
C’est pour cela qu’on dit aujourd’hui d’un homme ivre et sans raison : « il est soûl comme dans les bonnes années ».
Les fêtes étaient presque continuelles, il n’y avait, pour ainsi dire, que dans les saisons des semences et des récoltes qu’on travaillait. J’ai vu des habitants, pour n’avoir pas réparé les ponts des fossés de traverse dans la morte-saison, jeter dans le fossé la première charge de gerbes pour passer les autres par-dessus.
Ça ne pouvait pas durer ; mais aussi plusieurs se sont ruinés et, si les vieux de ce temps-là revenaient, il y en a beaucoup qui trouveraient des faces étrangères dans leurs maisons… C’est malheureux qu’on n’ait pas plus tôt établi les sociétés de tempérance !
Les bonnes années sont rares depuis ce temps-là : presque tous les ans depuis, il y a des vers qui mangent le blé, et, surtout dans les paroisses d’en haut, il n’y a quasiment plus moyen d’en cultiver. Des savants ont cherché à découvrir des estèques afin d’arrêter ce fléau : je leur souhaite bien de la chance ; mais il m’est avis que les mouches et les vers obéissent au bon Dieu, et qu’il les fait piquer ceux qui ont du mauvais sang, pour les guérir.
Tenez, prenez ma parole, c’est une punition, et tant qu’on n’aura pas fait pénitence, ça durera.
Je parlais de ça, l’autre jour, à un de ces Canadiens que je ne peux pas souffrir, qui ont toujours des objections, et ont l’air de ne croire au Grand-Maître que malgré eux ; il me répondit : « Mais comment cela se fait-il que les Américains et les gens du Haut-Canada, qui ne sont pas de la religion, récoltent du blé ? — Cela se fait comme ça, que je lui dis, on corrige ses enfants, parce qu’on les aime, parce qu’on est leur père, et on ne corrige pas les enfants d’un autre !… »
Mais pour en revenir à mon histoire, dans ce temps-là il n’y avait pas de tempérance, et il y avait à l’Embarras trois habitants qui achevaient de manger et de boire leurs biens ; comme je vous l’ai dit, chez l’un d’eux à pareil jour qu’aujourd’hui, il y a soixante-cinq ans, survenait un enfant, le seizième de la famille.
Il n’y avait pas six heures que l’enfant était au monde, que la maison était déjà pleine. La table était mise dans la chambre de compagnie, et on trinquait d’importance : on chantait force chansons, et surtout la chanson favorite des lurons de ce temps-là :
Les enfants de nos enfants
Auront de fichus grand pères :
À la vie que nous menons,
Nos enfants s’en sentiront !
Donne à boire à ton voisin ;
Car il aime, car il aime
Donne à boire à ton voisin ;
Car il aime le bon vin.
Ah ! qu’il est bon, ma commère,
Ah ! qu’il est bon, ce bon vin !
Si l’temps dur’ nous mang’rons tout,
La braquette, la braquette :
Si l’temps dur’ nous mang’rons tout,
La braquette et les grands clous !
Donne à boire à ton voisin,
Car il aime, car il aime
Donne à boire à ton voisin,
Car il aime le bon vin.
Ah ! qu’il est bon, ma commère,
Ah ! qu’il est bon, ce bon vin !
Le dîner commençait à durer un peu et la relevée était entamée, sans qu’on songeât à autre chose qu’à s’amuser, lorsque la malade fit venir son mari et lui dit :
— Il est temps d’aller faire baptiser l’enfant.
— Parbleu ! c’est bien vrai : allons, il faut aller mettre les chevaux sur les voitures, répondit le maître de la maison. Puis ouvrant la porte de la chambre où l’on s’amusait : Ah ! ça, vous autres là, on va aller faire baptiser l’enfant… Toi, Baptiste, tu seras compère et tu peux choisir Madeleine pour ta commère. Allons, vous autres les femmes, préparez le petit pour le compérage. Les jeunesses, allez atteler, vous prendrez la Bégonne. Tu n’as pas besoin de t’en mêler, Baptiste, les garçons mettront bien ton Papillon sur ta carriole. On finira le snaque, quand on sera de retour !
Chacun faisant sa part de besogne, tout fut bientôt prêt, et les deux carrioles partirent grand train dans la direction de l’église de la paroisse. Le père, seul dans sa voiture, battait la marche ; par derrière venaient le compère et la commère portant l’enfant : Baptiste menait sa commère sur le devant, parce que Madeleine était pas mal large et que, de plus, les chemins étaient un peu boulants.
À part du petit nouveau, les autres étaient joliment gris, en quittant la maison ; mais arrivés à l’église, heureusement, il n’y paraissait plus. Il est bien sûr même qu’ils firent des réflexions sur leur manière de vivre, et que leur conscience dut alors leur donner de bons avis : ces choses-là font toujours du bien.
Après le baptême, M. le Curé, qui était désolé de voir une partie de la paroisse ainsi livrée à l’ivrognerie, leur dit : « J’espère qu’en présence de ce nouveau chrétien, de cette créature régénérée, vous ne commettrez pas de ces excès si fréquents aujourd’hui dans les fêtes de famille. »
Nos gens firent une mine penaude qui ne dut pas trop rassurer le curé sur l’avenir, lui qui connaissait un peu le passé des trois paroissiens auxquels il parlait.
Au sortir de la sacristie, le compère conduisit sa commère chez le marchand, pour acheter des rubans, des dragées et autres babioles.
De là on passa chez l’hôtelier, en compagnie d’un ami qui demeurait sur le chemin de l’Embarras. Les hommes prirent chacun une couple de coups, on fit avaler à la commère une bonne ponce, et on partit ; l’ami en tête et les autres à la suite. Pas besoin de dire que ça filait grande écoute.
Arrivés à la montée qui conduisait à la maison de l’ami, celui-ci arrêta sa voiture et ne voulut pas permettre aux autres de passer outre sans entrer chez lui.
— Les femmes aimeront à voir le petit nouveau, dit-il, puis vous prendrez une petite goutte pour vous réchauffer.
— Ce n’est pas possible, dit la commère, qui, se sentant la tête déjà légère, avait peur d’une autre ponce, et se rappelait un peu les recommandations de M. le Curé.
— Tiens, je te dirai bien, Marcel, dit le père, j’ai peur de la poudrerie, voilà le vent qui s’élève…
— Ta, ta, ta, répond le maître de la maison, tout ça, ça ne veut rien dire ; on ne passe pas ainsi à la porte d’un ami sans entrer ; suivez-moi, ou bien je n’irai jamais chez vous. Marche, Pigeon !
Les trois voitures enfilent la montée à pleines jambes et… houo ! houo ! houo ! on arrive les uns sur les autres à la porte.
De la maison on avait vu venir les amis et on avait facilement reconnu que c’était un compérage. En un instant la commère est entourée dans sa voiture, par les grandes filles du logis qui viennent prendre l’enfant.
— Est-ce une fille ?
— Non, c’est un garçon.
— A-t-il les yeux bleus ?
— Ma foi, j’en sais rien.
— La mère est bien ?
— Oui, elle est bien vigoureuse pour le temps.
— Entrez, entrez, criait Marcel ! Voulez-vous qu’on fourre vos chevaux dedans un instant ? les garçons sont ici, c’est l’affaire de rien ?
— Merci, merci, nous ne voulons être qu’une minute.
— Allons… entrons. Et les voilà dans la maison.
On secoue la neige des habits, la maîtresse aide la commère à enlever son grand châle de dessus. Déjà l’enfant est en partie développé et fait entendre ses cris, du fond du cabinet où les jeunes filles l’ont emporté pour en prendre soin.
— Ma femme, dit le maître, le poêle chauffe-t-il dans la chambre de compagnie ?
— Oui.
— Eh bien ! fais entrer Madeleine et prépare-lui un bon sangris. Allons, les hommes, venez prendre un coup avec une bouchée de croxignoles.
La commère se défend ; mais il n’y a pas à dire, il lui faut, bon gré mal gré, prendre un grand bol de sangris, bien sucré, bien chaud et surtout diantrement fort. Les hommes prennent un coup, deux coups, trois coups, on jase un peu, on s’oublie…
— Sapristi, dit le père au bout de quelque temps, voilà la brunante… Il faut s’en aller. Allons, bonjour mes amis !
On se lève, et voilà bientôt nos gens prêts à partir.
En ouvrant la porte, une rafale fait entrer la neige jusque dans la maison. En descendant le perron, la commère glisse sur le croupion, mais les os sont loin, il n’y a rien de cassé, et bonheurement ce n’est pas elle qui porte l’enfant en ce moment.
Les voitures et les chevaux qui tremblent à la bise sont déjà couverts de neige par la poudrerie : le vent souffle dur. « Bigre de temps ! dit Baptiste, mais heureusement qu’il n’y a pa...

Table of contents

  1. Couverture
  2. Les Éditions du Boréal
  3. Titre
  4. Faux-titre
  5. Crédits
  6. Note sur la présente édition
  7. Exergue
  8. Au lecteur
  9. I - Les chantiers - La forêt
  10. II - Histoire du Père Michel
  11. Postface - Portraits de voyageurs
  12. Chronologie
  13. Bibliographie
  14. Notes
  15. Quatrième de couverture