annexe 1
La harangue aux Sauvages
Harangue prononcée par Adams G. Archibald, premier lieutenant-gouverneur de ces territoires, devant un millier de Cris, de Saulteux et de Métis, le 27 juillet 1871, au Fort La Pierre.
Le 13 septembre 1870, lorsque je mis le pied pour la premiĂšre fois dans ce pays, je rencontrai un certain nombre dâentre vous Ă la Mission [catholique, câest-Ă -dire francophone] et vous ai dĂ©clarĂ© alors que je nâavais pas lâautoritĂ© de nĂ©gocier un traitĂ©, mais que jâavais Ă©tĂ© par contre chargĂ© par votre Ăminente MĂšre, la Reine, de vous informer quâelle avait Ă©tĂ© fort heureuse dâapprendre que vous vous Ă©tiez comportĂ©s en enfants bons et vĂ©ritables de votre Ăminente MĂšre durant les Troubles [la rĂ©sistance des MĂ©tis sous Louis Riel].
Je vous ai Ă©galement dit que vous seriez convoquĂ©s aussitĂŽt que possible pour considĂ©rer les termes dâun traitĂ© devant ĂȘtre conclus entre vous et votre Ăminente MĂšre.
Me voici de retour maintenant parmi vous en compagnie de Monsieur Wemyss McKenzie Simpson qui a Ă©tĂ© instituĂ© commissaire des Indiens avec mandat de nĂ©gocier un traitĂ© avec vous et de vous en communiquer les diffĂ©rents points. Il y a cependant un ou deux aspects dâordre gĂ©nĂ©ral que jâaimerais porter Ă votre attention afin que vous puissiez en discuter entre vous.
PremiĂšrement, votre Ăminente MĂšre, la Reine, entend rendre justice Ă tous ses enfants, quels quâils soient. Elle sâadresse Ă©quitablement aussi bien Ă ses enfants du soleil couchant quâĂ ses enfants du soleil levant. Elle souhaite que lâordre et la paix rĂšgnent Ă travers tout son pays, et, bien que son bras soit fort pour punir lâhomme qui a Ă©tĂ© mĂ©chant, sa main sâouvre pour rĂ©compenser lâhomme bon, partout dans ses puissances.
Votre Ăminente MĂšre souhaite le bien de toutes les races de son empire. Elle dĂ©sire que ses enfants rouges soient heureux et contents. Et quâils puissent vivre de façon confortable. Elle aimerait quâils adoptent les habitudes des Blancs, quâils cultivent la terre, produisent de la nourriture et fassent des provisions pour les temps de nĂ©cessitĂ©. Elle croit que ce serait lĂ la conduite la plus avisĂ©e pour ses enfants rouges, que cela les protĂšgerait de la famine et de la dĂ©tresse et rendrait leur logis plus confortable.
Mais la Reine, mĂȘme si elle croit quâil serait bon pour vous dâadopter des habitudes civilisĂ©es, nâentend aucunement vous y forcer. Elle laisse cela Ă votre choix. Et vous nâavez pas Ă vivre comme lâhomme blanc Ă moins que votre libre volontĂ© vous en persuade. Plusieurs dâentre vous, cependant, avez dĂ©jĂ fait un tel choix.
Jâai circulĂ© hier Ă travers le village en bas de ce fort et jây ai vu des maisons bien construites et des champs bien cultivĂ©s⊠Les gens qui cultivent ces champs et qui habitent dans ces maisons sont de votre propre race. Ils sont la preuve que vous pouvez vivre, prospĂ©rer et pourvoir Ă vos besoins aussi bien que lâhomme blancâŠ
Lorsque vous aurez signĂ© votre traitĂ©, vous serez toujours libre de chasser sur toute la terre incluse dans le traitĂ©. Une bonne partie de celle-ci est rocheuse et impropre aux cultures, une autre bonne partie est constituĂ©e de boisĂ©s situĂ©s bien au-delĂ des lieux dont le Blanc aura besoin pour sâĂ©tablir, du moins pour un certain temps Ă venir.
JusquâĂ ce que survienne le besoin dâutiliser ces terres, vous serez libres dây chasser et dâen faire entiĂšrement usage comme par le passĂ©. Mais lorsquâon aura besoin dâoccuper et de cultiver ces terres, vous devrez cesser de vous y rendre. Il y aura toujours plein de terres non cultivĂ©es et inoccupĂ©es oĂč vous pourrez aller chasser et errer Ă volontĂ© comme vous lâavez toujours fait. Et, si vous voulez devenir fermiers, vous nâaurez quâĂ regagner votre propre rĂ©serve, oĂč vous attendra une place toute prĂȘte que vous pourrez habiter et cultiver.
Il y a autre chose que je dois vous dire. Votre Ăminente MĂšre ne peut venir ici elle-mĂȘme pour sâentretenir avec vous, mais elle a dĂ©pĂȘchĂ© un messager qui a sa confiance.
Monsieur Simpson vous transmettra fidÚlement tous ses désirs. Mais tout comme la Reine a choisi un chef pour la représenter, vous devez, vous aussi, nous indiquer les chefs que vous désirez voir vous représenter et en lesquels vous aurez mis votre confiance.
Monsieur Simpson ne peut sâadresser Ă tous vos braves et Ă tous vos gens, mais lorsquâil parle Ă des chefs qui ont votre confiance, câest Ă vous tous quâil sâadresse et, lorsquâil entend la voix dâun de vos chefs dĂ©lĂ©guĂ©s, câest votre voix Ă tous quâil entendra. Câest Ă vous de dire qui parle en votre nom et quels seront vos chefs. Puissent-ils ĂȘtre de bons Indiens qui connaissent vos dĂ©sirs et en qui vous aurez confiance.
Vous veillerez Ă ce que le commissaire remplisse toutes les obligations auxquelles il sâest engagĂ©, et la Reine veillera Ă ce que les chefs que vous aurez dĂ©signĂ©s vous fassent respecter les ententes auxquelles vous aurez consenti.
Câest notre intention de transiger avec vous en toute Ă©quitĂ© et en toute franchise. Si vous avez des questions Ă poser, posez-lesâŻ; si vous avez quelque chose Ă dire Ă la Reine, dites-le sans gĂȘne.
Maintenant, chefs, braves et bonnes gens, je vous prĂ©sente Monsieur Simpson, qui ajoutera Ă ce que jâai dit tout ce qui lui semblera opportun. Quand vous entendrez sa voix, câest votre Ăminente MĂšre la Reine qui parlera Ă travers lui.
Puisse Dieu la bĂ©nir et la prĂ©server pour quâelle rĂšgne encore longtemps sur nous.
annexe 2
Mackenzie Long-Cou
RĂ©cit vĂ©ridique dâun chasseur mĂ©tis dâorigine franco-cris-dĂšnĂše racontĂ© en tchippewayan, en 1863, au Grand-Lac-des-Mamelles [Grand lac des Esclaves] par François Beaulieu, ancien chef Couteau-Jaune.
Au printemps de lâan 1799, un officier de la Compagnie franco-Ă©cossaise dite du Nord-Ouest vint construire un fort de traite au grand Lac des Ours, sur la cĂŽte septentrionale de la baie Keith. Il se nommait Mackenzie, car il Ă©tait Ăcossais. Mais, par dĂ©rision, ses serviteurs, qui Ă©taient tous des Français [sic] du Canada, le nommaient Grand-Cou. Il en Ă©tait souverainement dĂ©testĂ© Ă cause de sa raideur, de sa morgue, et parce quâil accablait de travail ses malheureux serviteurs tout en les rationnant.
Il les faisait travailler en hiver de six heures du matin à six heures du soir, sans leur donner autre chose à manger que six harengs ; car, à cette époque comme de nos jours, le grand Lac des Ours nourrissait une grande quantité de harengs ; mais ces poissons, comme tu le sais, ne sont pas plus longs que la main.
Ă cette Ă©poque, les bourgeois qui faisaient le commerce des fourrures nâĂ©taient pas habillĂ©s comme de nos jours. Ils portaient un long et vaste habit rouge Ă revers, avec de grands boutons, des souliers dont les tiges atteignaient les genoux, un chapeau avec des cornes ; et ils avaient au cĂŽtĂ© gauche un grand couteau pointu qui traĂźnait jusquâĂ terre : un costume bien ridicule, en vĂ©ritĂ©.
Tandis que les engagĂ©s de Mackenzie Long-Cou jeĂ»naient forcĂ©ment, tout en travaillant douze heures par jour, leur bourgeois se gorgeait de bonne et grasse venaison, de langues de renne, de petits gĂąteaux et dâeau-de-feu. Aussi le mĂ©contentement Ă©tait-il gĂ©nĂ©ral.
Un jour que les Canadiens Ă©taient comme de coutume en chantier, abattant, piquant et Ă©quarissant les sapins dont ils devaient construire les bĂątisses du nouveau fort, Mackenzie arriva et les trouva qui se reposaient en fumant leur pipe, assis sur un tronc dâarbre. Moi aussi jâĂ©tais lĂ , car jâhabitais alors le grand Lac des Ours ; jâavais seize Ă dix-sept ans et je chassais pour vivre. Ce jour-lĂ , jâavais vainement battu les bois et nâavais tuĂ© quâun faisan que jâavais passĂ© Ă ma ceinture. Quoique je sois bien vieux, je mâen rappelle comme si cela venait de se passer.
Un des Canadiens, qui se nommait Desmarets et était occupé à faire une porte, se reposait aussi avec les autres lorsque Grand-Cou apparut.
â Allons, allons, Ă lâouvrage, tas de paresseux ! sâĂ©cria-t-il en françù, quand il nous vit assis...