De préférence la nuit
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De préférence la nuit

Stanley Péan

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De préférence la nuit

Stanley Péan

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Quand le jazz est là, Stanley Péan n'est pas loin qui hume, admire, se livre à la passion de cette musique qui s'écoute de préférence la nuit. L'écrivain et l'homme de radio forment un duo pour entrer à pas cadencés dans l'univers enivrant de ces musiques et dans le monde troublant de ces musiciens dont les vies furent exaltantes et tragiques, éthyliques et dévouées, inspirées et cahotantes, tristes et triomphales.Qu'est-ce que le jazz? La question est aussi ancienne que cette musique. Il y a autant de réponses qu'il y a de musiciens jazz, mais ceux-ci préfèrent généralement laisser parler les notes. Si Stanley Péan se risque à l'écriture, c'est pour mieux retourner à l'écoute. Ce recueil n'a donc pas pour vocation de disséquer et de définir les multiples esthétiques du jazz ni de convaincre qui que ce soit de leur valeur. L'auteur s'intéresse plutôt aux propos qu'on tient sur le jazz et sur quelques-uns de ses artisans parmi les plus illustres, à la représentation qu'on en donne dans des œuvres de création, qu'elles fussent cinématographiques, littéraires ou théâtrales.Stanley Péan raconte des trajectoires de vie, entremêle musique, littérature et cinéma, prend la mesure d'un art aussi fertile et déroutant que le siècle qui l'a vu naître. En point d'orgue, « Black and Blue », un rappel de l'histoire des Afro-Américains dans laquelle ont surgi et grandi en mesure leurs doléances musicales. À l'image du jazz, ces essais sont spontanés et réfléchis, organiques et raffinés.

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Information

Almost Blue
L’image en noir et blanc hautement contrastée nous montre une foule enthousiaste et bruyante, qui salue par des applaudissements et des bravos l’artiste qui s’adresse à elle d’une voix traînante, une voix de junkie.
« Eh bien, nous en sommes à ce moment de la soirée où il ne nous reste plus beaucoup de temps », explique Chet Baker, cadré en plan rapproché poitrine, avec une sorte de sourire empreint de malaise. « La chanson s’intitule “Almost Blue”, et nous apprécierions si vous pouviez être un peu plus calmes parce que, vous savez, c’est ce genre de chanson là… »
Nous assistons ici à la fin d’une réception donnée dans la foulée de la première de Broken Noses, moyen métrage sur la boxe réalisé par le photographe et documentariste Bruce Weber, au Festival du film de Cannes en 1987. Chet n’a guère plus qu’une vague ressemblance avec ce jeune premier excessivement photogénique dont les portraits signés par son ami William Claxton avaient immortalisé l’apollinienne beauté trente ans plus tôt.
Hors champ, le pianiste Frank Strazzeri attaque l’intro mélancolique de ce standard contemporain signé Elvis Costello. Chet s’assied sur son banc, trompette dans une main, micro dans l’autre. À la vue en gros plan de son visage parcheminé par les épreuves et les excès, on lui donnerait volontiers une vingtaine d’années de plus que ses cinquante-huit ans. Au milieu de nids de rides profondes, il garde fermés ses yeux qui du coup prennent l’apparence de deux petits gouffres sous ses sourcils.
Alors que la soirée et le film tirent à leur fin, il entonne ces vers douloureusement beaux de Costello.
Almost blue
Almost doing things we used to do
There’s a girl here and she’s almost you
Almost 14
À la blague, je suppose, mon amie Annie aime prétendre qu’elle m’en veut un peu de lui avoir fait voir Let’s Get Lost, ce documentaire à l’ambiance onirique signé Bruce Weber qui raconte la vie et la carrière turbulente du trompettiste et chanteur qu’elle avait toujours perçu comme une sorte de héros romantique. Ce n’est pas qu’elle se berçait d’illusions sur le beau jeune homme à la trompette, à qui la mort dans des circonstances aussi nébuleuses que tragiques a conféré un statut d’icône comparable à celui de ses contemporains James Dean et Marilyn Monroe. Mais, à en croire ma copine, il y a des détails de la vie de nos idoles qu’on préférerait ignorer, quand on est fan. Je sympathise avec elle, bien sûr, d’autant plus que Weber esquisse un portrait lucide et sans complaisance de l’artiste, le présentant littéralement comme une sorte d’ange déchu du cool jazz.
Let’s Get Lost débute sur les plages de Santa Monica au printemps 1987 et fait alterner des séquences filmées au cours des derniers mois de la vie de Chet et des images d’archives issues de ses débuts dans les années 1950, aux côtés de géants du jazz comme les saxophonistes Charlie Parker et Gerry Mulligan ou son pianiste Russ Freeman. Le film doit son titre au standard de Frank Loesser et Jimmy McHugh créé par Mary Martin en 1943 dans la comédie de Curtis Bernhardt Happy Go Lucky ; Chet l’avait pour sa part enregistré douze ans plus tard sur son disque Chet Baker Sings and Plays (Pacific), le premier microsillon de Baker dont Bruce Weber a fait l’acquisition alors qu’il n’était encore qu’un adolescent à Pittsburgh.
Chesney Henry Baker Jr., surnommé « Chet », a vu le jour à Yale (Oklahoma) le 23 décembre 1929 et a grandi à Glendale (Californie), où sa famille s’est installée l’année de ses dix ans. Animateur de radio, guitariste et banjoïste semi-professionnel de musique country, Chesney Sr., son père, lui offre un trombone, cadeau possiblement destiné à faire oublier les raclées qu’il administre parfois à Vera, sa mère, ou à lui, les soirs où le coude se fait léger et le mal de vivre trop lourd à porter. Le jeune Chet s’empressera d’échanger le biniou à coulisse contre une trompette, par admiration pour Harry James, musicien de variétés jazzy au style expressionniste et grandiloquent, aux antipodes du jeu qui sera le sien. Adolescent, il fait ses premières armes dans des orchestres de danse et se passionne pour le saxophoniste Lester Young, précurseur de ce cool jazz dont Chet deviendra l’un des champions. Engagé sous les drapeaux, trompettiste au sein du 2980 Army Band stationné à Berlin en 1946, il fait la découverte du be-bop de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker, ainsi que des orchestres modernes blancs d’alors : Woody Herman, Stan Kenton, etc.
Démobilisé deux ans plus tard, il étudie brièvement l’harmonie et la théorie musicale au collège El Camino de Los Angeles, mais s’engage de nouveau en 1950 après un chagrin d’amour. En privé, il s’exerce à imiter le phrasé, à reproduire les douces lignes mélodiques et l’approche minimaliste du Miles Davis de la période de Birth of the Cool. Lors de son premier séjour à Paris, en 1956, en entrevue avec Daniel Filipacchi de Jazz Magazine qui lui fait écouter « Blue Haze » par Miles, Chet s’enflamme : « C’est mon homme. J’écouterais ça du matin au soir. Miles est un génie. Tout ce que je peux vous dire, c’est que c’est le seul style que j’aime et que je veux jouer comme ça. » Dans une entrevue accordée à DownBeat quelques années avant sa mort, il renchérira : « Je n’avais jamais pu trouver ma voix avant d’écouter Miles. »
C’est à cette époque qu’il se met à fréquenter les jam sessions, au cours desquelles il croise le cuivre avec les saxophonistes Dexter Gordon et Paul Desmond. Au club Blackhawk, un soir, alors qu’il rejoint sur scène le pianiste Dave Brubeck, un jeune mordu de jazz, futur comédien et cinéaste, est tout ouïe : il se nomme Clint Eastwood !
Muté dans un bataillon disciplinaire, Chet choisit de déserter et se fait réformer pour incompatibilité avec la vie militaire. En 1952, son chemin croise celui de deux autres saxophonistes de renom : Stan Getz, qui ne tarde pas à développer une aversion pour ce trompettiste doué mais primitif, ce bellâtre selon lui indigne du succès populaire qu’il remporte quasi instantanément ; et surtout Charlie Parker, qui au contraire de Getz choisit Baker parmi une cohorte de jeunes trompettistes californiens pour l’accompagner dans une tournée sur la côte Ouest, de Los Angeles à Vancouver, contribuant à la légende essentiellement propagée par Chet lui-même. (Certains historiens du jazz attribuent par ailleurs à ce stage auprès de Charlie Parker son addiction à l’héroïne, ce qui ne saurait étonner ; après tout, nombreux sont les jeunes musiciens qui s’imaginent qu’il suffit de se piquer pour atteindre le génie de Bird.)
Sa participation, la même année, au fameux quartet sans piano du saxophoniste baryton Gerry Mulligan lui confère bientôt un statut de star. Tous les lundis soir, Mulligan et Chet se produisent au club The Haig, où le Tout-Los Angeles bon chic bon genre prend l’habitude de venir les entendre régulièrement. Des réalisateurs et des vedettes du grand écran, dont Jane Russell et Marilyn Monroe, fréquentent volontiers le club, où le duo étonne avec son mélange de morceaux originaux signés Mulligan et de standards éprouvés, dont le fameux « My Funny Valentine », qui deviendra la pièce de résistance de toute performance de Chet, à la trompette ou au chant, parfois les deux. Par quel tour de passe-passe a-t-il réussi l’exploit de faire de cette ballade sirupeuse signée Rodgers et Hart une ode sombre et tragique à un amour condamné à s’éteindre ? Nul n’aurait su dire, pas même Mulligan, qui avait choisi la chanson créée dans la comédie musicale Babes in Arms. « Je crois que Chet était doté d’un talent accidentel, lancera le saxophoniste baryton, bien des années après. Impossible de comprendre d’où il tenait ce qu’il savait. »
Tout se passe à merveille pour le groupe, en résidence quasi permanente au club The Haig, jusqu’à ce que Mulligan se fasse coffrer pour possession et usage de stupéfiants à l’été 1953. Pour les semaines restantes de l’engagement, Stan Getz remplace le baryton incarcéré, malgré son dédain pour Chet, avec qui un dialogue musical d’égal à égal reste impossible pour le moment en raison des lacunes du trompettiste. Qu’à cela ne tienne ! Le patron et producteur Richard Bock des disques Pacific, lui, croit avoir trouvé en Chet le symbole vivant de ce nouveau cool jazz issu de la côte Ouest. À la tête d’un combo dirigé en réalité par le pianiste Russ Freeman, Chet Baker triomphe sur scène et sur microsillon au chant et à la trompette comme l’interprète in excelsis d’une musique aérienne et légère, solaire et méditative.
Dans un milieu aussi obsédé par l’image que celui d’Hollywood, les clichés de lui croqués par son ami le photographe William Claxton ont tôt fait de l’imposer comme le « James Dean du jazz ». Auteur de l’ouvrage Icons of Jazz : A History in Photographs, 1900-2000 (Thunder Bay Press, 2000), l’historien David Gelly voit plutôt en lui « une fusion entre James Dean, Sinatra et Bix ». Une bonne partie de l’auditoire féminin de ses concerts vient moins pour l’entendre que pour le reluquer. Marié à Charlaine Souder, sa première femme, Chet prend vite l’habitude de disparaître avec des admiratrices durant les pauses. « Il baisait tout ce qui bougeait autour de lui et traitait Charlaine comme de la merde », raconte son batteur Larry Bunker au biographe James Gavin, auteur de Deep in a Dream : The Long Night of Chet Baker (2002). « Il passait ses pauses de dix minutes à baiser dans son auto tandis que Charlaine l’attendait assise dans le club. C’était son style. »
Chet enregistre copieusement et dans des contextes variés pour Pacific Jazz : en quartet, en sextet, en septuor ou avec orchestre à cordes. Ses interlocuteurs comptent parmi les plus prestigieux de la côte ouest américaine, tels les saxophonistes Bud Shank, Zoot Sims, Jack Montrose et Bob Cooper, les contrebassistes Leroy Vinnegar et Howard Rumsey, les batteurs Max Roach et Shelly Manne. Dès 1955, Hollywood lui donne son premier (et tout petit) rôle, celui de Jockey, le trompettiste de la base d’Okinawa dans Hell’s Horizon, drame de guerre scénarisé et réalisé par Tom Gries. Malgré des offres alléchantes, il ne multipliera pas les apparitions sur les plateaux de tournage américains, préférant la vie de musicien à celle de comédien.
Désigné trompettiste de l’année 1954 dans tous les magazines de jazz américains (au grand dam de Miles Davis, qui voit en lui un plagiaire éhonté de son style), Chet Baker multiplie les succès, et son image idéalisée de play-boy se précise, se raffine. Avec les cachets généreux qu’il empoche, il achète ses premières automobiles, une passion qui ne le quittera plus jamais, et continue de consommer de l’héroïne compulsivement, ce qui lui vaut maints ennuis avec les autorités et ses premières arrestations.
À l’automne 1955, il entre dans l’écurie du label français Barclay sous l’égide duquel, dès le mois d’octobre, il enregistre pour la première fois avec son groupe des compositions de Bob Zieff. Quand son pianiste Dick Twardzik meurt d’une overdose ...

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